LIZABEL
Chapitre 10 : Le bunker
Personnages :
Sam, Dean, Mila et Bobby
Samedi 20 juillet, vers 17 h
Lebanon, Kansas
Après avoir garé l'Impala 1967 dans le garage du bunker, Sam doit soutenir Dean, affaibli par la fièvre, ses côtes cassées et les trois jours passés en voiture. Mila porte leurs sacs. Ses yeux sont cernés, elle se retient de râler, trop heureuse d'arriver enfin dans ce que les Winchester considèrent comme leur demeure.
À travers les dédales du bunker, elle parvient à sa chambre, juste à côté de celle de Sam. Elle y dépose son sac et celui de Sam, puis s'empresse d'aller retrouver ses frères dans la chambre de Dean, au numéro 11. Sam aide Dean à s'asseoir sur le lit et lui retire ses chaussures. Comme elle devine qu'il a besoin de s'allonger un peu, Mila laisse le sac de Dean près de la table de chevet et file discrètement vers la cuisine.
La faim la tenaille. En route, ils se sont à peine arrêtés dans les stations-services pour acheter des sandwichs au jambon moutarde, des chips et surtout des cafés pour emporter. La petite espère que John aura eu le temps de faire l'épicerie, même si elle se doute que ce n'était pas dans ses priorités.
Plus elle approche de la cuisine, plus ça sent le grilled cheese et la soupe aux légumes. Un homme avec une casquette et une veste sans manche enfilée par-dessus sa chemise lui tourne le dos. Il prend une pinte de lait dans le frigo, l'ouvre et la sent. Il marmonne entre ses dents. Ce n'est pas John.
Mila prend le couteau à pain posé sur la table. S'approche à pas de chat. Avant qu'elle puisse bondir sur lui, Bobby se retourne.
Il échappe la pinte. L'odeur du lait qui a tourné se répand en même temps que le liquide sur le plancher. Ses yeux écarquillés clignent une fois, deux fois, et à la troisième fois, il laisse échapper un fou rire.
« Mila, you really surprised me! J'savais pas que vous étiez rentrés. »
La pression dans les épaules de Mila diminue. Elle baisse le couteau, le repose sur la table, en se sentant un peu ridicule. La vie avec les Winchester l'a rendue parano, elle aussi.
« Sorry, Bobby », murmure-t-elle, en réprimant une grimace de dégoût à la vue du lait caillé sur le carrelage.
« No need to. » L'homme de cinquante-cinq ans attrape une guenille. Ramasse le dégât. Jette le torchon dans l'évier. Fait couler l'eau. Rince encore une fois le plancher et l'essuie avec un linge sec. Il se redresse en se frottant le bas du dos.
Il voit les yeux de la petite attirés par le grilled cheese, qu'il a déposé sur une assiette. « T'as faim ? »
Elle fait non de la tête, mais son estomac proteste, arrachant un sourire au vieux chasseur. Il lui fait signe de s'asseoir près de la table. Place devant elle l'assiette. Remplit ensuite un bol de soupe, apporte une cuiller. Les deux ne disent rien pendant quelques minutes, le temps d'engloutir chacun son repas.
« Faudra faire l'épicerie. Le frigo est pratiquement vide », commente Bobby.
Mila essuie ses mains sur son short. Elle demande où est John.
Bobby prend le bol et l'assiette vides, les dépose au fond de l'évier.
« Veux-tu de la soupe ? »
Mila fait oui de la tête, en fronçant les sourcils. Est-ce que le chasseur l'a entendue ? Peut-être qu'avec l'âge, ses oreilles sont moins bonnes… Elle répète sa question, un peu plus fort.
Bobby lui amène un bol fumant. Il hésite.
« Hé, Bobby ! »
Sam entre dans la cuisine. Bobby donne une forte accolade au jeune homme plus grand que lui. Les jambes de Sam vacillent un peu. Visiblement, il manque de sommeil après ces 28 heures de trajet, qu'il a dû assumer seul, son frère étant trop faible pour conduire.
« T'as faim, Sam ? Y a de la soupe toute prête. Veux-tu aussi un grilled cheese ? »
« Yeah. Merci Bobby ! »
Le chasseur tend un bol à Sam, qui s'installe près de la petite. Puis, Bobby retourne près du four. Mila tousse pour rappeler sa question.
Bobby n'ose pas les regarder quand il leur annonce que leur père est reparti rencontrer une amie à la ville de Lawrence pour… enquêter. John lui a demandé de garder un œil sur Lizabel le temps que ses trois autres enfants arrivent et prennent le relai.
Sam pose sa cuiller et repousse son bol de soupe à peine entamée. « Seriously? I can't believe it! »
Quant à Mila, elle a posé son coude sur la table et son menton dans le creux de sa main. À sa mine renfrognée, le chasseur comprend qu'elle aussi désapprouve le comportement du chef de famille. Bobby soupire. Il aimerait bien trouver les mots pour expliquer les intentions de son ami, mais lui-même a de la difficulté à comprendre son sens des priorités. Tout ce qu'il peut faire est de soutenir les jeunes Winchester du mieux qu'il peut, et atténuer si possible les manques de John par une présence occasionnelle mais rassurante.
Bobby s'approche de Sam, lui tend une assiette avec quatre grilled cheese parfaitement grillés, qui sentent le beurre et le cheddar fondus. Ça met l'eau à la bouche de Sam. Son petit sourire réchauffe l'âme du vieux chasseur. Bobby sait qu'il excelle dans ce type de repas, simples mais réconfortants. Rien de tel qu'un ventre plein pour remettre les choses en perspective, se répète-t-il souvent.
Après avoir dévoré ses grilled cheese, Sam hoche la tête de contentement. « Thanks Bobby. » Il reprend sa cuiller et la plonge dans le bol de soupe.
Le chasseur attend qu'il ait terminé avant de demander des nouvelles de Dean. Sam soupire. Lui dit qu'il est mal en point. « J'voulais l'emmener à l'hôpital, mais il a refusé… Tu connais mon frère… »
« A real ass sometimes », complète la petite Mila, arrachant un sourire au chasseur.
« What did you say? »
Les trois se retournent vers Dean, qui affiche un air faussement offusqué, alors qu'il retire de la fierté de son entêtement.
Mila roule des yeux, dit qu'elle va prendre une douche. Sa tête hirsute n'atteint pas encore l'épaule de Dean. Quand elle passe près de lui, elle renifle, le regarde de côté en lui recommandant de se laver, lui aussi.
Sam et Bobby se regardent en pouffant de rire. Mila ne fait pas encore partie du fanclub de Dean, qu'elle trouve un peu trop obéissant envers son père et surtout, terriblement imbu de lui-même.
Dean hausse les épaules, fait quelques pas vers la table, attiré par l'odeur de fromage et de soupe. « Hi Bobby. »
« Hello Dean. »
Les deux chasseurs se donnent une solide poignée de main. Bobby détecte chez Dean qu'il retient un spasme de douleur. Il voit également de la sueur perler sur son front.
« Are you alright, boy? »
Avant que Dean puisse réponse, ses genoux plient. Il manque de s'effondrer. Sam l'aide vite à s'asseoir et lui touche le front.
« You're burning, Dean. »
Son frère ne répond pas. Bobby rapporte à Dean un verre d'eau froide et une boîte d'aspirines trouvée sur le frigo. C'est périmé depuis trois mois, mais pour l'instant, ça fera l'affaire. L'aîné des Winchester boit d'une main tremblante, en s'étouffant presque.
« Dean, do you want some soup or a grilled cheese? »
Dean hoche négativement la tête. Tout lui donne envie de vomir. Il croise les bras, les pose sur la table, et son front dessus.
Avec mauvaise humeur, Sam dit que son père aurait dû également emmener Dean en jet, trois jours plus tôt. Qu'il avait besoin de soins médicaux, lui aussi.
L'aîné des Winchester est trop éreinté pour le contredire. Il entend Bobby, de très loin, répliquer que John avait ses raisons.
« Il a toujours de bonnes raisons », rétorque Sam.
Bobby répond calmement : « Écoute, tu sais bien que c'était trop dangereux de laisser deux mineurs sur la route. Dean devait être présent. Si des policiers vous avaient repérés… »
« Dean n'était pas en état de faire ce trajet-là. Et au sens légal, il n'est pas encore un adulte, lui non plus. »
Le vieux chasseur ramasse la vaisselle sale, la met dans l'évier en se retenant pour ne pas la lancer à la tête du jeune Winchester. Il est las de cette discussion sans issue. « John fait de son mieux… »
« Oh yeah? You can't believe that. Il ne s'est même pas soucié de savoir si son fils allait bien. Quand on s'est arrêté dans un motel avant-hier, j'ai remarqué du sang sur le t-shirt de Dean. Il m'a dit que, quand la maison de Lorie avait explosé, des morceaux de verre ont revolé. J'ai dû en extraire quelques-uns et lui faire des points de suture. Dean a tellement attendu avant de m'en parler que ça a dû s'infecter. »
Bobby lève les yeux au ciel. Il met plus d'ardeur qu'il le faut à laver le poêlon, sur lequel du fromage collé refuse de partir.
« Sam, stop. I'm fine now. » La voix faible de Dean ne convainc personne, mais son frère se mord les lèvres et tente de retrouver son calme.
La vaisselle sèche à présent près de l'évier. Bobby s'approche des deux fils de John, qui demeurent silencieux. Mila n'avait pas tort. Ils ont sérieusement besoin d'une douche et de vêtements propres. En plus, Dean tient à peine sur sa chaise. Mais l'heure est grave. Bobby frotte sa barbe, se râcle la gorge, visiblement mal à l'aise.
« OK, boys. We need to talk… about your sister. »
Dean relève la tête, les joues rouges de fièvre. Ça n'échappe pas à Sam, qui repense lui aussi à l'adolescente aux yeux d'émeraude. Il s'en veut de ses sautes d'humeur. Et du ressentiment qu'il éprouve envers elle depuis qu'elle est entrée dans leur existence. Il demande la question qu'il aurait dû poser dès leur retour au bunker : « How is she? »
Bobby soupire. Il n'a pas envie d'aborder ce sujet-là, mais… les garçons doivent savoir.
