2 : La naissance de l'Héritier

L'Elfe poussa violemment la porte de la chambre sombre. D'abord, il ne la vit pas, puis, à mesure que ses yeux perçants s'habituaient à la pénombre et qu'il reprenait son souffle, Ellwen lui apparut, le visage éclairé par la flamme d'une petite bougie qui dansait près de la fenêtre, les mains crispées sur son ventre lourd, le dos cambré par le poids du petit héritier qui grandissait en elle. Ses pommettes et ses grands yeux sombres étaient rouges, elle avait couru pleuré. Legolas, s'approchant à petits pas, l'appela doucement de sa voix suppliante :

« - A'maelamin, Amin hiraetha

- Tampa, Legolas, lle awra amin »

Elle se retourna brusquement et lui lança un regard empli de larmes et de colère. S'approchant de lui, elle vit qu'il tremblait. Il voulut essuyer de sa longue main fine une larme argentée qui coulait sur sa joue pourpre, laissant sur son chemin une fine rayure brillante, mais elle se déroba, l'empêchant de la toucher. Elle chercha son regard fuyant et demanda, d'une voix tremblante de rage :

« - Mankoi, Legolas, Mankoi lle uma tanya ?

- Amin…

- Pourquoi, Legolas ? De quel crime horrible avez-vous donc voulu me punir en agissant ainsi ? Qu'ai-je fait d'aussi grave pour mériter que vous brisiez notre union ? Je vous ai tout donné sans réserve, je vous ai offert ma vie éternelle, mon amour, mon corps, et jusqu'à mon âme tout entière ! Et alors que je croyais notre amour sincère et réciproque, je me rends compte que votre cœur ne bas pas pour moi, que vous l'avez offert à un autre… A celui que j'appelle mon frère qui plus est ! Je vous croyais le plus honnête de mes prétendants, le plus noble et le plus beau aussi. Je pensais pouvoir compter sur vous comme sur un ami loyal. Mon père avait une confiance aveugle en vous. Et en me trahissant ainsi, c'est lui que vous offensez aussi…

- Non, je…

- Assez ! » Hurla-t-elle.

- M'avez- vous donc épousée dans l'unique but d'assurer votre descendance ? Ne suis-je qu'une mère porteuse à vos yeux pour que vous me traitiez ainsi ?

- Non ! C'est faux Ellwen, mon ange, je vous aime tant ! Je ne sais ce qui m'a pris, j'avais besoin de parler à quelqu'un, j'avais mal et si peur. Et il était là, c'est tout.

- Vous mentez ! Si vous aviez vraiment eu besoin de vous confier à quelqu'un, vous ne vous seriez posé aucune question, et vous seriez allé voir le Magicien Blanc. Il n'y a que votre cœur qui aurait pu vous pousser dans les bras d'Estel. Vous brûlez de désir pour lui…

- C'est faux… » Gémit-il misérablement, la tête basse, les yeux rivés sur le sol.

- Alors ayez le courage de me regarder dans les yeux Legolas ! Redites-moi que tout cela n'est que mensonges, que ce que j'ai vu, et entendu avant de voir, ce soir n'est que le fruit de mon imagination. Plongez votre regard dans le mien et dites-moi sans trembler ni ciller que je suis folle et que j'ai sans doute rêvé ! Osez Legolas Greenleaf… Vos joues sont encore rouges, et vos yeux noirs de désir pour lui. Vous voyez, vous tremblez comme un animal peureux qui sait qu'il a commis une faute et qui attend d'être puni en implorant la pitié de ses bourreaux. Mais, je ne suis pas votre bourreau. La victime de cette affaire, c'est moi avant vous ! Et vous le coupable ! »

Elle se rapprocha de lui et saisi son menton d'une main et elle força l'elfe à la regarder. Il fuit son regard triste et résigné.

« - Mais n'ayez crainte mon prince, vous n'êtes pas le seul coupable. Estel n'est pas tout blanc non plus… Heureusement pour vous, votre choix en matière d'épouse à été meilleur que votre choix en matière de confident. Vous avez trouvé une bonne femme qui, malgré tout le mal que vous venez de lui faire, vous aime de tout son cœur. Je survivrai sans trop de honte et de peine à cette trahison Legolas, mais il reste à voir si vous réussirez à combattre vos propres démons… »

Elle le lâcha et, se retournant avec grâce, se dirigea vers la porte de sortie. Lorsqu'elle fut sur le pas de la porte, elle se retourna et lança à l'Elfe qui était resté à sa place, le dos courbé et les yeux mi-clos :

« - …Ou bien si vous parviendrez à les accepter. »

Puis, avec la discrétion du papillon qui s'envole, dans un petit froissement d'aile, elle disparut dans les couloirs sinueux et sombre du palais.

**********

Legolas resta longtemps ainsi, dans la position où Ellwen l'avait abandonné. Ce ne fut qu'au bout de plusieurs longues minutes qu'il sortit de sa torpeur hébétée pour se rendre compte qu'elle n'était plus là. Il voulut partir à sa recherche mais, alors qu'il allait sortit, la porte s'ouvrit violemment sur Aragorn. L'Elfe eut un geste de recul instinctif. L'Homme entra complètement dans la chambre et referma doucement la porte. Lorsqu'il fit volte-face, Legolas s'était assis sur le lit, la tête enfouie dans les mains. Aragorn s'approcha de lui et s'assit sur le lit. Il chuchota juste :

« - Je suis désolé.

- Estel, ce n'est pas de votre faute, je… »

Il ne put terminer sa phrase, les lèvres du rôdeur étaient posées sur les siennes, enivrantes et dominatrices. Sa conscience voulait qu'il recule et qu'il se détache de lui, mais déjà, le désir renaissait en lui, la flamme de la passion se ravivait dans les profondeurs de ses entrailles. Il répondit au baiser de son amant en entrouvrant ses lèvres fines pour qu'il puisse y glisser sa langue. Mais il n'était pas dans les desseins d'Aragorn de continuer. Il se recula et, prenant le visage de l'Elfe dans ses mains, lui dit :

« - pardonnez-moi Legolas, je ne voulais pas vous faire souffrir. Mais je vous aime tant, et depuis si longtemps…

- Nous ne pouvons pas, c'est interdit…

- Mais qu'importe ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. Amin mela lle Legolas…»

L'Elfe se déroba. Il se dirigea lentement vers la fenêtre. Aragorn se leva et murmura, d'une voix désespérée, les larmes aux yeux :

« - M'accepterez vous donc un jour ?

- Oui… mais pas ici, pas maintenant. Pardonnez-moi cette couardise, mais j'ai si peur de les perdre, elle et le bébé… »

Aragorn se rapprocha en silence de son amant, il l'en laça par la taille tendrement, et souffla à son oreille :

« - bientôt, melamin, très bientôt… »

Puis, il s'évanouit dans la nuit. Legolas, les yeux rivés vers le ciel piqueté d'étoiles murmura :

« - Vite… »

**********

Trois semaines plus tard, Mirkwood, Esgaroth, Palais du roi Thranduìl.

« - Je suis inquiet Gandalf. Cela fait deux jours qu'ils auraient dû rentrer.

- Mon seigneur, n'ayez crainte, ils ne sauraient tarder. J'ai confiance en votre fils cadet. Il se sera arrêté quelques heures pour permettre à Ellwen de se reposer un peu… »

A cet instant, un garçon d'écurie accouru dans l'allée bordée d'arbres magnifiques et éternels, à l'image des elfes de la Forêt Noire, grands et dorés comme les blés. Il s'inclina devant le Roi et le Magicien Blanc et dit, d'une voix essoufflée :

« - Mes seigneurs, Arod, l'étalon du Prince héritier vient de rentrer seul aux écuries. Il semble en proie à une folie furieuse ! Venez ! »

Gandalf et Thranduìl se précipitèrent aux écuries. Arod courait dans le vaste champ, d'une course qu'on ne lui connaissait pas. D'ordinaire, c'était un cheval d'une grande sagesse, majestueux et docile. Là, il avait plutôt l'air d'un jeune étalon fou. Soudain, il sembla se calmer : Shadowfax* le splendide venait de faire son apparition. Il se dirigea vers Arod et posa son museau sur celui de l'étalon gris. La scène dura quelques secondes durant lesquelles personne ne bougea. Même les oiseaux avaient arrêté de chanter. Puis, le Roi des chevaux vint poser son museau immaculé sur l'épaule de Gandalf. Le Magicien Blanc dit alors :

« - Ils sont à une demi-heure de route vers le sud. On dirait que ce petit héritier est pressé de découvrir le monde… Legolas à envoyé Arod pour nous prévenir. Allons-y ! »

Il enfourcha Shadowfax, et se rua au galop vers le couple princier, suivi d'Arod et de deux jeunes elfes prêtes à l'aider en cas de complication. Le Roi les regarda partir et lorsqu'il ne resta plus qu'un fin nuage de poussière soulevé par les chevaux, il se tourna et dit à son conseiller :

« - Faites préparer le berceau de mon petit-fils… »

**********

Ellwen était appuyée contre un arbre, accroupie, les jambes écartées, et les mains sur le dessus son ventre. De petites gouttes de sueur perlaient sur son front et son cou, et son visage d'ordinaire si blanc était proche de l'incarnat. Legolas qui était près d'elle ne put s'empêcher de la trouver superbe. Il épongea son visage transpirant avec un linge de soie blanche et murmura :

« - Soyez forte A'maelamin, Arod va bientôt revenir, et du secours avec lui. »

Elle ne répondit rien et se concentra sur la douleur qui se faisait plus vive à chaque contraction. L'enfant voulait sortir, et elle ne pouvait plus lutter contre cette irrésistible envie de pousser qui faisait frissonner ses entrailles. Elle leva la tête et dit à son mari qui avait entreprit de lui masser doucement les tempes :

« - Legolas, donnez-moi votre ceinture !

- P…pardon ?

- Donnez-moi votre ceinture et aidez-moi à me relever, nous ne pouvons plus attendre.

- Mais…

- Arrêtez de prendre ce t air empoté et aidez-moi ! »

Il s'exécuta, retira sa ceinture sans comprendre, la lui tendit et la releva. Elle enroula la ceinture à son poignet droit, la fit passer autour d'une branche à mi- hauteur de l'arbre, et en enroula l'autre extrémité à son poignet gauche. Legolas la regarda avec perplexité et lui demanda :

« - Princesse, où avez-vous apprit à faire cela ? C'est à croire que vous avez déjà enfanté plusieurs fois…

- Oh, non, j'ai seulement assisté à la naissance d'un petit d'homme alors que j'étais petite, et l'image est restée gravée dans ma mémoire depuis. »

Elle lui sourit. C'était les premières paroles qu'ils échangeaient depuis trois semaines qu'ils avaient quitté Minas Tirith. Et les premiers sourires aussi. Ellwen dit alors à Legolas qui s'était quelque peu détendu :

« - Bon, placez-vous derrière moi et lorsque je vous le dirai, vous appuierez sur mon ventre en douceur. »

Ce qu'il fit. A la première contraction, Ellwen se pendit à la branche, prenant appui sur son époux et se mit à pousser avec force, Legolas appuyant sur son ventre rebondi avec le plus de douceur possible. Il avait peur de lui faire mal. En fait, il avait peur tout court. Soudain, après plusieurs minutes d'un silence pesant, parfois entrecoupé de gémissements de douleur, Ellwen haleta :

« - Arrêtez d'appuyer Legolas, je le sens qui arrive… »

L'Elfe lâcha sa femme et se précipita sous sa robe. Il en releva les pans pour mieux y voir et il découvrit que la tête du bébé était bel et bien là. Il resta quelques secondes incapable de faire où dire quoi que ce soit. Ce fut Ellwen qui le tira de ses rêveries inopportunes.

« - Qu'est ce qu'il y a ?

- Je… je vois sa tête, notre enfant est blond ! ! » Elle lui lança un regard noir.

- Je suis en train de mourir de douleur, et vous, vous contemplez son cuir chevelu ! Mais qu'est ce que j'ai fait au ciel pour mériter un mari comme ça !

- Euh… Poussez encore un peu, il est presque là. Oui, comme ça, c'est bien, encore un effort Melamin. Voilà, arrêtez de pousser ! » Il attrapa le petit être pâle gauchement. Des larmes coulaient sur ses joues rouges. Mais, voilà que l'enfant ne pleurait pas. Ses lèvres prenaient une inquiétante couleur violette, et bientôt tout son corps. Il hurla :

- Ellwen, il ne respire pas, il est en train de s'étouffer !

- Pendez le par les pieds, tapotez-lui le dos… » Il s'exécuta. Ellwen ne voyait rien de la scène, puisque celle-ci se passait sous ses jupons, entre ses cuisses. Soudain, un petit cri retentit, puis des pleurs. De petits pleurs d'enfant nouveau-né…

- Legolas, sortez de là-dessous ! »

Le visage larmoyant de son mari apparut enfin, rouge et baigné de sueur. Elle se laissa tomber sur le parterre de feuilles, en pleurs, épuisée. Legolas déposa alors sur le ventre de son épouse le bébé, enveloppé dans sa chemise de soie argentée. Ellwen le regarda, et avant qu'elle ait pu poser la question, Il dit :

« - Votre fils…

- Non, Notre fils Legolas… Legolen Goldenleaf, prince héritier du trône de la Forêt Noire…

- Legolen » Murmura-t-il, émerveillé.

Il s'assit près d'elle et tous deux observèrent en silence les premières minutes de la vie de leur fils.

C'est ainsi, hypnotisés par le petit être qui avait cessé de pleurer, endormi dans les bras de sa très jolie maman que Gandalf, Shadowfax et Arod les trouvèrent. Tous trois furent ramenés au palais et le soir même, l'enfant fut présenté à la cour, dans les bras de son grand-père. Le petit Prince Legolen Goldenleaf avait réussi un coup de maître en effaçant - pour quelques jours du moins – Le nom d'Estel de la mémoire de ses parents…

Traductions :

A'maelamin, Amin hiraetha : Ma chérie, je suis désolé

Tampa, Legolas, lle awra amin : arrêtez, vous me faites du mal

Mankoi, Legolas, Mankoi lle uma tanya : Pourquoi, Legolas, pourquoi me faites-vous cela ?

Amin… : Je…

Amin mela lle Legolas : je vous aime Legolas.

Melamin : mon amour.

A'maelamin: ma chérie.

* Concernant le nom du cheval de Gandalf : je préfère utiliser le nom anglais, Shadowfax, car le nom français comporte une imperfection : on n'appelle pas un cheval Gripoil quand celui-ci est décrit comme un animal blanc…