Beauxbâtons

Chapitre 2 : Les premiers vers se déclament

Le lendemain matin, le réveil de Gabrielle sonna à trois reprises avant que la main de sa propriétaire ne vienne arrêter le mécanisme. En se levant et prenant ses vêtements, Gabrielle remarqua que le lit d'Adelanda était déjà vide et fait. Il était difficile de comprendre Adelanda. Très difficile. Cependant, Gabrielle se sentait parfois très proche de ces grands yeux sans fond…

Sortant de ses draps, Delphine ramena ses longs cheveux clairs en arrière. Elle enfila sa robe de chambre et, sans un mot pour Gabrielle, sortit devant elle vers la porte blanche qui menait au couloir, puis à la salle de bain, commune à toutes les occupantes du couloir bleu.

Gabrielle suivit sa camarade, et, en refermant la porte, put entendre distinctement Circé qui marmonnait quelques borborygmes incompréhensibles et Gerda qui lui répondait par des bâillements sonores.

Tout mot du discours de Mme Maxime semblait avoir été enfoui dans une tombe.

Dans la pièce d'eau, c'était, comme chaque matin de rentrée, la débâcle à partir de sept heures quarante-cinq précises. Ces demoiselles en retard faisaient tout tomber, se disputaient pour les pièces de douches, pour un savon que chacune croyait être le leur, pour un outil d'esthétique introuvable… Circé feignit de ne pas avoir fait exprès d'envoyer de l'eau – en grande quantité – sur Kilda Ruth qui la foudroya du regard. Puis, toutes habillées de leur robe blanche et bleue, descendirent dans la salle à manger.

Plusieurs quarantaines d'élèves descendirent en rang dans les escaliers. Quand tous furent debout devant leurs chaises, attendant un signal leur permettant de s'asseoir, Nathaniel, qui paraissait de très bonne humeur, claqua des talons et mima un discret garde-à-vous.

Alors, le professeur Rougeau entra dans la salle en faisant claquer ses talons et voler ses cheveux blonds au vent, s'assit à sa place, à gauche du siège vide de Mme Maxime et donna de la main un gracieux mouvement qui semblait signifier : « Pauvres profanes, asseyez-vous donc, puisque manger fait partie des seuls actes qui ne vous demandent pas de réfléchir. »

            Circé cherchait des arguments pour défendre sa conduite envers Kilda Ruth lorsqu'Adelanda interrogea soudain : « Quand viennent-ils, ces joueurs de Quidditch anglais ? »

Nathaniel lui adressa un sourire charmeur avant de répondre : « J'aimerais te répondre, très chère, mais hélas, nous n'en savons rien, vois-tu ? » Il se servit un verre de jus d'orange avant d'ajouter : « Dis-moi, Adelanda, tu t'intéresserais aux joueurs ? La perspective de penser que tu développerais soudain un intérêt pour le Quidditch me paraissant trois fois plus invraisemblable… »

« Je voulais juste savoir votre calendrier. »

« Ou alors tu cherchais une excuse pour me parler… OH ! Dieu du ciel ! Adel' est amoureuse de moi ! »

« Oh, Seigneur tout puissant ! Nat' offre enfin à ma personne la capacité de penser comme vous. Silence, maintenant. »

« A tes ordres, être venue d'ailleurs… »

* * * * * * * * * * * * * *

Le professeur Rougeau faisait résonner ses talons sur le sol froid de Beauxbâtons. C'était le signal. Lorsque les oreilles de Sébastien percevaient ce bruit redouté, il adoptait la méthode de l'autruche. Ses yeux se baissaient, ses membres refusaient de lui obéir et le silence était sa règle. Ne pas se faire remarquer. Ne rien dire. Glisser sans trop d'écorchures.

Malheureusement pour lui, Mlle Rougeau ne paraissait pas de cet avis. Et ce fut encore un cours de remontrances, de remarques blessantes, de commentaires acides et de regards méprisants. Et Sébastien qui, durant sa première année d'études, demeurait à chaque trimestre premier de la classe d'enchantements, dépassant tout les autres par ses sortilèges habiles, manifestait un blocage évident pour la moindre incantation –si simple qu'elle fut.

Adelanda avait reçu pour sa part d'agréables compliments de son professeur. Les autres s'en tiraient sans trop de mal et seul Sébastien dut sortir de cours avec des devoirs supplémentaires.

Ce fut pour le garçon un soulagement de changer de salle. Le cours suivant, celui d'astronomie, retenait toute son attention. Sébastien venait d'une famille moldue et se souvenait qu'enfant, son rêve était d'un jour partir parmi les étoiles. Observer une comète au télescope, cela revenait à le rapprocher un peu plus de ces points brillants, comme à les effleurer des doigts… Surtout quand on venait à associer à ces astres des histoires extraordinaires. De plus, Monsieur de Vinc, le maître d'astronomie, savait conter les légendes mieux que quiconque.

Gabrielle ne retenait de ce cours que les longs bavardages que lui confiait Circé au creux de l'oreille. Elle se fichait des étoiles. Ces dernières n'avaient servi qu'aux grands dieux grecs, point. Pourquoi s'en soucier ? L'important ne se déroulait pas dans le ciel, et la vie, ce n'était pas l'explosion d'une étoile…

La jeune sorcière préférait de loin apprendre à transparaître… Ce cours apprenait à jouer avec l'optique, la sensation des autres et son propre corps. Devenir invisible, transplaner, traverser la matière, se fondre dedans ! Ca, c'était de l'aventure, du changement, de la véritable magie.

Elle frémissait à l'idée qu'elle pourrait rester coincer dans un univers qu'elle ne connaissait pas, dans un état qu'elle ne maîtrisait pas… Mais jouer à ses capacités, défier ses propres limites…

* * * * * * * *

Ce fut le corps endolori et courbatu que la classe des cinquième année rentrèrent dans la salle à manger. Mlle Lin, la jeune professeur aux traits asiatiques, avait montré à ses élèves comment se matérialiser dans le corps d'une autre personne. Bien entendu, personne – exceptée Adelanda – n'avait réussi à se fondre complètement dans le corps de son camarade. Le simple fait de fondre ses doigts avec ceux d'un autre avait pris pour chacun plus d'une demie heure. Et la… chose ressentie à cet instant précis était affreusement douloureuse. Comme des milliers d'aiguille qui traverseraient un bout de chair.

Nathaniel se laissa tomber sur sa chaise et ferma les yeux. Circé s'amusa durant tout le repas à le réveiller en piquant son torse de sa fourchette. Le déjeuner ne se déroulait jamais dans l'ordre. Seuls deux professeurs surveillaient la salle et le bruit régnait en permanence.

Durant le repas, alors que Sébastien se levait de table, les larmes aux yeux, déclarant qu'il se rendait dans la cour pour exercer ses enchantements, une jeune fille aux longs cheveux noirs s'assit gracieusement à leur table. Tout le monde sourit en la saluant. Nathaniel se rassit sur sa chaise en sursautant et s'approcha d'elle pour mieux entendre ses paroles dans le vacarme ambiant.

« J'espère que tu es en forme, annonça-t-elle. Rendez-vous ce soir à 18 heures pour l'entraînement. C'est au terrain, comme d'habitude… Bye ! »

Elle se releva et rejoint alors sa propre table. Lena De Tour était la capitaine de l'équipe Nationale de Quidditch dans laquelle jouait Nathaniel. Celui-ci nourrissait pour la jeune fille une dévotion absolue et s'en cachait à peine.

* * * * * * * * * * * * * * *

Ce soir de 4 septembre, Sébastien dénia ses livres d'enchantements et accompagna Nathaniel qui avait vêtu sa cape et ses bottes de joueur, et qui, son balai fièrement tenu en main, se dirigeait d'un pas conquérant vers le terrain de Quidditch.

Outre les joueurs qui se trouvaient déjà réunis sur la pelouse, Nathaniel et Sébastien ne distinguaient seulement que trois personnes assises dans les tribunes.

Ce fut pour eux une surprise de voir Adelanda parmi ces derniers. Une surprise si grande que Nathaniel manqua de s'étouffer.

« JE RÊVE ! hurla-t-il en s'approchant d'elle. MAIS JE RÊVE ! »

« Qu'est-ce que tu fais là ? » interrogea Sébastien d'un air ahuri.

« Rien… ça ne m'amuse pas particulièrement d'être là. » répondit Adelanda de sa voix sourde.

« Tu es amoureuse, hein ? Dis, tu es amoureuse, c'est ça ? Mais dis-le franchement, enfin ! Et il joue au Quidditch, c'est ça ? C'est David ? Ou Grégoire ? Réponds, dis ! » s'empressa de questionner Nathaniel.

Mais la voix de Léna appelant le garçon permit à Adelanda d'échapper aux cris hystèriques de son ami. Sébastien s'assit à côté d'Adelanda et sourit.

Sur la pelouse, Lena, Sonia Montaigne, Grégoire Hulot, Elisabeth Duroy, David Duray et Thétis d'Aloïse parlaient tous ensemble. Lorsque Nathaniel les rejoint, Lena leur fit signe de s'asseoir. Elle, resta debout et les dévisagea avec sérieux.

« Je n'ai pas eu l'occasion de parler longuement avec chacun d'entre vous, mais j'espère que tous avez passé de bonnes vacances. Mme Maxime nous l'a annoncé hier soir, cette année n'en est pas une comme les autres. Nous allons affronter l'équipe de Poudlard en décembre. Nous avons donc droit à deux mois et demi pour nous préparer, pas plus. Il faut que nous soyons au point à la mi décembre, là aura lieu le premier match. »

Thétis leva la main pour poser une question. C'était une élève de sixième année, ressemblant en tout point à la déesse marine dont elle portait le nom. Le teint de nacre, des cheveux blonds et doucement bouclés portés à la grecque, elle était également mince et gracile. Sa voix était aigue et élégante ses paroles étaient courtoises et charmantes envers tous.  Elle jouait au poste d'attrapeuse.

« Si j'ai calculé correctement, nous aurons très peu de séances pour nous entraîner d'ici-là… »

« J'y viens, répondit Léna. Nous nous entraînerons chaque soir. Et ne grommelez pas si vous avez été choisis pour cette équipe, c'est qu'on a aussi convenu que vous étiez aptes à supporter et le travail scolaire, et la vie quotidienne, et les matchs. Mme Maxime a d'ailleurs été claire sur ce point. »

« Ils ont déjà gagné des prix ? demanda Grégoire dont les mèches blondes tombaient devant les yeux. »

« J'ai cherché des informations sur eux et rien de tel n'est indiqué il n'est organisé à Poudlard qu'une coupe annuelle entre équipes. »

« ENTRE équipes ? Il y en a plusieurs ? » s'étrangla David de sa voix rauque.

« Contrairement à nous, Poudlard répartit ses élèves dans différentes maisons… Par groupe, si tu veux. Et chacun de ses groupes est représenté durant l'année par une équipe de Quidditch ces équipes s'affrontent et une coupe est attribuée à la gagnante. »

« Et… laquelle devrons-nous affronter ? demanda Elisabeth qui coiffait d'une queue de cheval ses mèches châtain.

« C'est là que ça se complique… Aucune équipe n'était parfaite, alors ils ont, heu, « mixés » les équipes ! Il y aura des joueurs de différentes maisons, je crois… »

Elisabeth, Thétis et Sonia échangèrent un sourire entendu.

« Il y a plus de garçons ou de filles, dans cette équipe ? »

Léna se mit à rire  tandis que David faisait mine en se tournant vers Elisabeth – qui était sa petite amie – d'éclater en sanglots. Grégoire souffla d'un air nonchalant sur les mèches qui lui barraient le visage et Nathaniel semblait perdu dans ses réflexions.

« Qui est le capitaine ? Tu as la liste des joueurs ? » s'enquérit Nathaniel.

Léna acquiesça et se dirigea vers son sac. Elle revint vers le garçon la feuille en main, et lu d'une voix forte pour inciter les autres à se taire : « Poursuiveurs : Johnson, Angelina Warrington, Jeremy Elbow, Lois… » énuméra-t-elle.

Sonia murmura : « Inconnu au bataillon… »

Léna continua d'annoncer les noms : « Batteurs : Fred et George Weasley… »

Grégoire déclara qu'il avait déjà entendu parler de la famille Weasley lorsqu'il habitait en Angleterre.

« Gardien : Carol Coulds. »

Personne ne murmura mot.

« Et attrapeur… »

Léna relut le papier avec insistance.

« Hum… Je dois être fatiguée… J'ai cru lire… »

Sa voix se perdit dans sa gorge. Nathaniel voyait ses amis se lever des tribunes où ils étaient assis, intrigués par le bégayement de Léna. Elisabeth prit la feuille des mains de sa capitaine et lut à intelligible voix.

« Harry Potter ! »

Après un instant d'immobilité complète, tous se levèrent, comme si le sol était rebondissant et se mirent à crier : « Quoi ? Lui ? C'est pas possible ! Passe-moi cette feuille ! JE VEUX LIRE ! »

Quand Nathaniel et Sébastien sortirent du stade, Adelanda était déjà partie.

* * * * * * * * * *

Adelanda avait entendu ce qu'elle voulait. Donc, il viendrait… Dommage qu'elle ne joue pas dans l'équipe elle aussi, ça lui aurait simplifié la tâche. Elle aurait eu un prétexte pour aller lui parler. Là, ça serait plus difficile. Incroyablement plus difficile. Et extrêmement ambigu. Il fallait déjà qu'elle choisisse ses mots. Sinon, le pauvre garçon ne comprendrait rien. Personne ne comprendrait rien !

               Elle se monta les escaliers quatre à quatre. Dans le couloir bleu, on n'entendait que de vagues conversations de filles… Les autres travaillaient.

Adelanda perçut également un fond musical. De la musique… Elle dépassa la chambre où deux élèves chantaient à tue-tête et courut presque jusqu'à la porte où une plaque de cuivre annonçait les noms des occupantes. Aucune de ses camarades n'était rentrée alors elle se rua sur son lit, tira les rideaux bleus et or, et de sous son matelas sortit une pochette rouge sang qu'elle vida sur son drap. Une montre d'or, qui ne possédait aucun chiffre, seulement une lune à gauche, un soleil à droite, une étoile en bas et une Terre Noire en haut une fiole, minuscule, bercée de minerais et qui semblait contenir un liquide rose pâle un livre, très mince, à couverture de cuire et dont les pages étaient reliées d'un ruban rouge puis, une autre pochette de soie, dont elle sortir un disque brillant et une vieille image qu'elle serra contre son cœur. Alors elle posa les mains contre le disque et ferma les yeux. Nul besoin d'engin pour écouter de la musique.

Envolée.