Beauxbâtons

Chapitre 3 : En coulisse

Partie 1

Harry détourna les yeux de la feuille verte que lui tendait Ron. Ce dernier rangea le papier dans sa poche. Il observa son ami qui plongeait dans son bol de céréales sans un regard pour lui.

« Ca ne te dit pas, d'aller en France ? » hasarda Ron.

Harry garda le silence.

« Si, bien sûr ! » finit-il par répondre.

La France, le Quidditch. Tout ça n'avait plus de sens. Il soupira.

Plus de sens.

« Enfin, Harry, tu vas participer à un grand événement ! On a plus vu de matchs de Quidditch entre écoles étrangères depuis 1878… » insista Hermione.

Harry serra les dents. S'il avait pu, il aurait abandonné son rôle d'attrapeur. Trop tard, maintenant. Beaucoup trop tard.

Harry s'assit près des tribunes. Il s'adossa au banc et ferma les yeux. S'entraîner, toujours s'entraîner ! Avant, le Quidditch comptait pour lui, mais maintenant, maintenant… toujours ce vide au fond de l'estomac, cette angoisse dans la gorge, ce creux dans les côtes ! Impossible de se concentrer sur autre chose… Et l'absence des nouvelles de Sirius ! Les remarques odieuses de Draco dans les couloirs ! Le regard en coin des autres élèves… Ces nouvelles, dans la Gazette du Sorcier, étouffées, mais déjà atroces… un meurtre par ici, une disparition par là ! Le silence du Ministère… Le voyage de Hagrid, si mystèrieux et inquiétant. Et ce rêve, toujours le même, ce cauchemar qui hantait ses pensées ! Deux yeux rouges, un rire de givre et le corps étendu de Cedric…

Il était même impossible de parler à Ron ! Même à lui ! Ou a Hermione ! Non, la loi du silence s'imposait à lui… Ou plutôt, il s'imposait cette loi à lui-même !

Il fronça les sourcils ses yeux étaient toujours fermés. Lorsqu'une ombre lui cacha toute lumière. Il ouvrit les yeux.

            En face de lui, Cho Chang le regardait d'un œil vide. Cependant, quand elle s'accroupit à sa hauteur, elle lui adressa un sourire. Harry était surpris et décontenancé.

- Alors… le jeune Potter paresse au soleil ?

Harry ne répondit pas. Désorienté, il ne savait que dire.

Cho désigna alors l'Eclair de Feu d'un mouvement de tête.

- Tu veux jouer ?

Quoi ?

- Non…heu… Non…

- Comme tu veux… Alors, content pour le championnat ?

- …

- Je viens aussi. Toutes les équipes y vont, finalement.

- Oh… Mais… Vous…

- En fait, on va attendre sur nos bancs que vous soyez blessés pour jouer à votre place.

- Sympathique.

- Très. Tu devrais être content d'avoir été choisi…

Cho s'adossa à son tour contre le banc. Elle croisa ses bras autour de ses genoux et fixa son regard dans le ciel. Harry pouvait observer ses yeux de perle et ses longs cheveux noirs.

- Tu ne peux pas tout me dire, murmura-t-elle alors. Mais je ne pense pas que tout cacher soit la bonne solution.

- Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? chuchota presque Harry qui refoulait tant bien que mal quelque larmes, en sachant et redoutant la réponse de Cho.

- Pourquoi il l'a tué ?

- Tu crois qu'il faut une raison à Lord Voldemort pour tuer ? Il était là par hasard.

- Tu crois ? Par hasard ? répéta Cho.

- Oui ! Ca aurait été un des autres champions avec moi, et bien…

Ne pas pleurer… Ne pas pleurer.

- D'accord. Harry… Comment ça s'est passé ?

Lui raconter ? TOUT lui raconter ? Non, ça n'avait pas de sens.

Cho le fixa quelques instants, puis elle se leva et fit quelques pas comme si elle rentrait au château.

- Je t'ai vu en meilleur forme, Potter…

Et elle lança dans les airs quelque chose qui ré atterrit sur la robe de Harry. Le garçon étudia l'objet. Une petite boule dorée qui déploya ses ailes. Le vif d'or.

Partie 2

Sara cria. Puis, elle descendit l'escalier de chêne quatre à quatre et sortit précipitamment de la maison. Haletante, elle porta sa main jusqu'à son cœur et leva son regard vers le saule.

« ADELANDA ! » cria-t-elle.

Dans les hautes branches, on bougea. Puis, Sara distingua une petite silhouette qui se faufilait entre les feuillages. Elle appela encore une fois. Deux fois. « Descendez, sinon je vais me fâcher ! » proféra-t-elle. Quand soudain une petite tête à la chevelure grise sortit de l'arbre, à l'envers. Sara poussa un cri. Adelanda n'était retenue que par ses deux jambes qui s'accrochaient à une branche.

« Adelanda, murmura la jeune femme, remontez sur cette branche et descendez doucement de cet arbre. »

La fillette garda son inexpressivité.

« TOUT DE SUITE ! » cria Sara.

En quelques mouvements, Adelanda se trouvait sur la terre ferme. Sara serra les dents et la prit d'une poigne ferme par le bras. Cette enfant était insupportable. Plus qu'insupportable ! Etrange, de surcroît. Jamais une parole, ni un regard d'enfant. Et cette façon de dévisager tout le monde avec un regard d'adulte ! Oh, combien Sara se trouvait mal à l'aise en sa présence !

La première question sur Adelanda que la domestique se souvenait avoir posé à la cuisinière quand elle était arrivée dans cette maison était : « Est-elle muette ? »

« Non, mais c'est limite. » avait répondu la vieille femme.

Sara, traînant toujours Adelanda par le bras, rentra dans le manoir et remonta les escaliers, la fillette derrière elle.

« Votre grand-mère vous demande. » déclara-t-elle en s'arrêtant et en se dirigeant vers une porte sombre. Elle sortit de sa poche une clé de fer forgé et l'enclencha dans la serrure. Puis, elle tourna le bouton de la porte, et poussa Adelanda à l'intérieur.

La petite fille avança à pas feutrés sur le parquet. Sara referma la porte. Les fenêtres étaient recouvertes de teintures noires, et elle devinait dans la pénombre, sa grand-mère, allongée dans son lit, sous mille draps et oreillers. La seule lumière qui illuminait la chambre était une bougie à la flamme vacillante, qui se tenait sur une petite table de bois foncé. Adelanda s'approcha du lit.

« Peux-tu… nous donner un peu de lumière, Adelanda ? »

A cette phrase bien connue, la fillette courut presque jusqu'à la bougie, et, avec l'aide de l'objet, fit le tour de la chambre afin de l'éclairer. Sur son passage s'allumaient des lampions, des lanternes, des guirlandes faites de cent bougies de couleur mutliples. Et Adelanda discernait désormais le visage bienveillant de sa grand-mère, dont le mince sourire semblait s'essouffler sur ses lèvres fines. La vieille femme portait ses cheveux sous des châles indiens, et était vêtue d'une robe parvenue d'une contrée lointaine.

Elle tendit la main vers sa petite-fille.

« Approche, Adelanda. » murmura-t-elle.

Adelanda monta sur le lit, tout près de sa grand-mère.

« Aujourd'hui, annonça cette dernière, je dois te révéler un secret… Mais pas n'importe lequel ! Un secret… que je garde en mon cœur depuis que je l'ai découvert… c'était il y a tellement d'années… tellement… Tends tes mains, Adelanda. »

La petite fille fit ce qu'on lui demandait. Puis, elle observa le secret qu'on lui avait transmis.

« Tu dois le garder dans ton cœur ! Jusqu'à ce que tu le vois ! Adelanda, il faut que tu trouves l'être qui peut garder ton secret. Quand enfin, tes yeux le verront, tu lui diras, tu lui donneras et le protégeras. Telle est la tâche que je te confie… Mais je sais que tu l'honoreras comme je te l'ai demandée… Va, maintenant, petite fille ! »

Adelanda descendit du lit. Elle marcha vers la porte, puis se retourna.

« Dans combien de jours l'aurai-je, grand-mère ? »

La vielle femme rit. Elle porta la main à son cou où brillait la petite chaîne en or tant et tant désirée.

« Demain, très chère enfant, demain… »

« Et… »

« Oui ? »

« Pouvez-vous encore… la musique ? »

La vieille femme sourit. Adelanda se rapprocha encore une fois. La main de la femme, ridée et fragile, se posa sur le front de la fillette. Elles sourirent toutes les deux. Et Adelanda sortit de la pièce.

Une fois seule, la vieille femme, toujours souriante, sortit de son lit. Elle s'habilla de sa plus belle parure, retira les voiles de ses cheveux pour y mettre des perles et des éclats d'or et d'argent. Elle chaussa ses chaussures de soie, laça les rubans autour de ses chevilles et ses poignets. Puis, elle ôta de sa peau tous les bijoux qui y brillaient et les rangea dans un tiroir clair. Puis, elle prit un pinceau et des couleurs, et maquilla sa chair de mille et un dessins et symboles. Alors enfin, elle s'allongea sur son lit, sur lequel jonchaient des tissus de couleurs vives. Elle ferma les yeux. Elle massa contre sa paume la chaîne en or et dans sa tête se chanta un air de musique… Envolée…

« Madame est morte ! Oh, mon dieu, Madame est morte ! » Ce fut ces paroles chantées à l'aube qu'entendit Adelanda, se réveillant dans son lit en sursaut. Rapide comme l'éclair, elle descendit de son matelas et courut dans le couloir en chemise de nuit, quand elle se cogna à Sara…

« On a retrouvé votre grand-mère, dans son lit, ce matin-même, morte… Voilà ce qu'elle vous offre ! »

La domestique tendit alors à Adelanda une chaîne en or, et une partition de musique.

Partie 3

La jeune fille courut plus vite, effectua des enjambées plus grandes encore. Il fallait être encore plus rapide. Quand elle faillit renverser un enfant qui jouait par terre, elle ne ralentit pas et lorsqu'elle tomba sur le pavé, et qu'après s'être relevée, les genoux et les mains en sang, elle se releva et se remit à courir, elle allait plus vite encore qu'au départ.

Devant le portail de la grande maison, elle s'arrêta, pantelante. Puis elle sauta sur le chemin de gravier et, arrivée à la porte de chêne, entra promptement dans le hall et se dirigea d'un pas vif vers la salle à manger. Elle arriva dans la pièce au haut plafond ils étaient tous à table et la regardaient, elle. La jeune fille reprenait son souffle. Elle n'était pas coiffée et ses cheveux échevelés lui tombaient sur les épaules sa robe blanche était trempée, et déchirée sur le bas sa chair saignait à certains endroits et ses yeux, affolés, ne cessaient de se balancer d'un côté à l'autre.

Nulle personne, assise à la table, ne bougeait. Ils étaient tous immobiles comme les bibelots qui trônaient sur la cheminée. Aussi froids et sans coeur que des objets. On aurait presque pu distinguer de la poussière sur leurs visages ternes et leurs vêtements de velours. Pour elle, c'était effrayant. Elle tomba sur le sol et se mit à pleurer, d'abord en silence puis, dans un sursaut d'énergie incontrôlable, ses pleurs devinrent sanglots, et ses sanglots, plaintes, gémissements, puis cris, hurlements. Et enfin, quand elle se releva pour donner des coups, des gifles, pour mordre et déchirer, griffer, deux hommes, qui se tenaient assis sur leurs chaises, se levèrent de la grande table de chêne. Ils se dirigèrent ensemble vers la jeune femme qui tenta de se débattre lorsque chacun lui prit un bras pour l'emmener de force vers le cœur de la maison. Puis, à force de gémissements et de fatigue, la voix de la femme s'éteignit dans les couloirs. Dans le salon, les femmes détournèrent leurs regards de l'endroit où, quelques instants plus tôt, elle gisait sanglotante et souffrante, et reprirent des conversations légères et inintéressantes entrecoupées de petites gorgées de thé.

Personne n'avait remarqué que, derrière la tapisserie qui s'étendait d'un bout à l'autre du mur, une petite fille observait la scène. Cette même petite fille repoussa le tissu qui la cachait et repartit d'un pas calme vers le couloir où elle seule pouvait se glisser. Il fallait maintenant qu'elle rejoigne sa chambre. Elle était censée faire la sieste.