Beauxbâtons

Chapitre 4 : Népal et Amazonie

Sonia fonça sur le souaffle aussi vite que son balai le lui permettait. Oubliant et la pluie qui tombait sur elle, et les risques qu'elle engendrait en volant aussi rapidement, elle fixa ses yeux sur l'objet qu'elle désirait attraper. Trop tard, la balle écarlate s'en était allée aussi rapidement qu'elle était apparue. Nathaniel rejoignit son équipière aussi vite qu'il le pouvait.

« Mais à quoi tu joues ? » lui cria-t-il.

« Au Quidditch ! » répliqua-t-elle, rouge de colère et d'efforts. « Mais au lieu de jouer au défenseur qui reste cantonné au cercle d'or, essaye d'attraper le souaffle sous cette averse et on en reparlera, d'accord ? » Elle vola quelque mètres et disparut du champ de vision de Nathaniel. Le garçon soupira. Mais il entendit la voix de Lena leur crier quelque chose. Enfin, « entendit »… Une sorte d'écho hurlé tant bien que mal dans la tempête. Malgré le vent qui lui giflait le visage et lui battait aux tempes, il tenta de rejoindre le sol. Quand il mit les pieds sur ce dernier, il faillit maintes fois de se rompre le cou tant la pluie avait transformé le terrain en un marécage profond et très glissant. Le jeune homme tentait de se rappeler ce que lui avait répété Pierre, son grand frère, quand il lui avait appris à patiner sur le lac gelé, près de la forêt de Vertendre. Il réussit à atteindre Lena qui les attendait d'un air sombre, chaudement abritée dans une cape écarlate, sous le toit charpenté des vestiaires. Il put constater que certains avaient eu moins de chance que lui : il distinguait la silhouette d'une Elisabeth pestant de rage, se retenant tant bien que mal à un David hilare, maculée d'une boue visqueuse qui nourrissait quelques brins d'herbe ça et là. Quand ils entrèrent dans les vestiaires, tous poussèrent un soupir de plaisir à se retrouver dans une pièce chauffée, agréablement meublée, et dans laquelle on pouvait trouver sur chaque étagère des piles énormes de serviettes colorées, douces, et ensorcelées de façons à ce qu'elles restent chaudes dans n'importe quelle circonstance. Sonia en saisit une et entreprit de se laver de la boue qui salissait son visage. Chacun prit exemple sur elle, riant du sort d'Elisabeth dont la tâche (se débarrasser de la terre qui s'étendait sur son visage, ses mains, ses bras, ses cheveux, sa cape, ses vêtements et ses bottes) semblait désesperée, sans se soucier de Lena qui demeurait dos au mur, les bras croisés et ses cheveux noirs tombant sur sa figure, cachant son expression. Quand soudain, au milieu des éclats de rire et des exclamations de mécontentement, la voix de Lena retentit tel un coup de tonnerre dans le ciel, figeant tout le monde sur place comme l'aurait fait un sort de stupéfixion.

« VOUS ETES NULS ! » rugit-elle.

Son visage était rouge de colère, ses yeux noirs déchiraient tout ce qui se trouvait sur son passage.

« PITOYABLES ! » continua-t-elle. Elle se mit à marcher en rond avec des pas rapides et empressés.

« RIDICULES ! » assura-t-elle.

« Pathétiques… » ajouta-t-elle enfin. C'était comme le coup de grâce, et ces mots amenèrent à ses yeux de grosses larmes brillantes. Tout le monde se tut.

« Tu sais, Lena, avança Sonia d'un ton calme, c'est quasiment impossible de jouer par un temps pareil… »

« Et alors ? déclama Lena avec un mouvement théâtral du bras gauche. Si jamais il pleut durant les matchs, vous allez jouer comme ça ? »

« Mais enfin, même Indiana Jones n'aurait pas réussi à s'en sortir vivant ! intervint Elisabeth qui opérait une furieuse ressemblance avec le Monstre des Marais. Il se serait noyé sous l'averse ou se serait enterré lui-même dans la boue… »

« Qui ça ? » coupèrent David et Sonia. Nathaniel ne savait pas non plus de qui parlait Elisabeth mais il avait jugé préférable de ne rien dire en présence d'une Lena courroucée. A en déduire au regard qu'arborait Thétis, elle était du même avis que lui. Grégoire se contentait d'observer la scène de son éternel regard inexpressif dissimulé sous ses mèches blondes.

Nathaniel avait déjà remarqué il y a longtemps que Lena était habituellement d'une nature calme et sincère, mais que son comportement se métamorphosait dès qu'elle endossait sa fonction de capitaine. C'est pour cela qu'il ne s'étonnait plus de la voir plonger dans une colère agressive et bruyante, parfois même de mauvaise foi.

Thétis s'avança d'un pas et, les yeux baissés et la voix pleine de remords, déclara dans un murmure à peine audible :

« Les autres jours seront plus propices à l'entraînement… Nous recommencerons demain et serons meilleurs, je te le jure… »

Personne ne pouvait jamais rien reprocher à Thétis lorsque cette dernière se mettait à plaider car son ton était sincère, et sa frimousse désolée, complètement adorable. Ainsi, même dans sa rage la plus folle, Lena ne put que répliquer d'un ton agacé :

« Il serait temps de vous bouger, nous sommes déjà en octobre... » Et tout le monde fixa le bout de ses chaussures, même David qui n'avait effectué jusque là que de retenir un fou rire dès qu'il croisait des yeux Elisabeth qui dégoulinait encore de boue.

Le rire est une maladie traître, imprévisible, et extrêmement contagieuse. Cette fois-là, elle frappa les malheureux joueurs qui durent se contenir d'exploser en hilarité.  Lena les chassa à force de hurlements et ils remontèrent les escaliers de marbre qui liaient les vestiaires avec le château. On entendit des rires se balader un peu partout dans le digne établissement durant trente bonnes minutes. Puis chacun se dirigea vers son étage, son couloir, sa chambre.

Nathaniel poussa la porte de chêne sur laquelle était gravés avec finesse les noms et prénoms des occupants de la chambre. C'était une pièce vaste qui contenait des meubles de bois clair où s'entremêlaient en décoration d'étroites gravures, représentant différentes scènes des découvertes magiques médiévales. On voyait très distinctement les charpentes du toit qui les abritait. Le plafond était bas, et la lumière du jour ne se trouvait filtrée que par cinq rondes et minuscules fenêtres situées à ras de sol. On y avait donc choisi des couleurs printanières et lumineuses. Près de chaque lit (qui se trouvaient au nombre de cinq), il y avait des objets trahissant l'identité de son occupant.

Le premier lit, juste derrière la porte, était celui de Nathaniel : des affaires de Quidditch, quelques photos où il posait avec son grand frère (Sébastien faisait souvent remarquer qu'ils devaient faire un concours de grimaces tellement leurs expressions étaient insolites), des vêtements éparpillés et un oreiller déplumé (relique de la dernière bataille de polochons en date).

Près du deuxième lit, celui qui logeait contre l'angle du mur, des livres de toutes sortes, moldus et sorciers, s'élevaient en piles impressionnantes. Il y avait également quelques parchemins et une plume trempée dans un encrier qui gisait sur un manuel d'enchantements. C'était la propriété de Sébastien.

Coincé dans un renfoncement du mur, face à la porte, le lit de Edouard Hurlelac était un véritable modèle de rangement : les draps, soigneusement pliés sur une couverture au blason de Beauxbâtons, étaient d'une couleur immaculée, les oreillers soigneusement étirés, les rideaux du baldaquin attachés méticuleusement grâce à une fine cordelette. Trônait au-dessus du lit un cadre blanc dans lequel ses parents, dignes et fiers, se tenaient dos droit et regard noble.

Puis, un nouveau contraste s'effectuait : à deux mètres de là, des cahiers se chevauchaient les uns les autres des parchemins roulés, dépliés, froissés roulaient sur, sous, à côté du lit. Ils étaient tous couverts d'une écriture irrégulière dont les lettres se bousculaient entre elles, comme en proie à de trop grandes émotions pour rester tranquillement couchées sur le papier. Rien d'autre donc que des textes et des poèmes n'apparaissaient au premier abord c'était le jardin de Charles Sandres.

Puis, le dernier lit, dans un coin de la chambre plus profond, plus sombre, tout contre une vieille armoire, il y avait le lit de Ildur Wernel. Les rideaux de son lit était toujours tirés, rien ne traînait sur sa table de nuit, ni sur son bureau. En fait, la seule preuve que quelqu'un occupait ce lit était l'immense malle noire à la serrure dorée qui était rangée contre le pied du meuble.

Nathaniel faillit se prendre les pieds dans les coussins blancs qui s'éparpillaient à travers toute la pièce. Sébastien était couché sur le tapis, plongé dans un livre d'enchantements. Edouard Hurlelac, à son bureau, finissait tranquillement une composition d'histoire de la magie tandis que Charles Sandres, assis en tailleurs par terre, couvrait des feuilles de son écriture passionnée –comme à son habitude.

Sébastien releva la tête quand il entendit son camarade entrer. Puis il poussa une exclamation de surprise.

« Tu m'avais dit que tu partais pour un entraînement de Quidditch, pas pour l'Amazonie… » déclara-t-il.

Nathaniel éclata de rire et tira le tiroir de son armoire. Il en sortit des vêtements secs et une trousse de toilette.

« Une lettre est arrivée pour toi. » déclara Charles en relevant la tête de son carnet pour la replonger aussitôt. Il avait désigné des yeux le lit de Nathaniel. Au pied des rideaux du lit, une colombe aux ailes immaculées voletait gracieusement. Le jeune homme sourit. Venus, la colombe familiale, lui apportait des nouvelles de ses parents, grands-parents, cousins, frères et sœurs. Le domaine des Hurich se situait en Alsace, au beau milieu des deux frontières française et allemande. Toute la famille y résidait, exceptés Nina et Robert Hurich, soeur et frère aînés de Nathaniel, et Frenz Wernel, cousine de ce dernier et cadette de Ildur.

Nina, ayant brillé durant toutes ses études à Beauxbâtons, était partie à Londres dès ses diplômes passés avec succès, pour proposer ses services au Ministère Magique britannique.

Elle y était partie l'année précédente.

Robert, de sept ans l'aîné de Nathaniel, faisait le tour du monde depuis déjà deux automnes, envoyant mensuellement à sa famille des comptes-rendus très précis de ses découvertes.

Quant à Frenz, atteinte d'une maladie grave dès son plus jeune âge, suivait en secret des cours de magie par correspondance car elle avait obligation de loger dans un hôpital moldu.

            Nathaniel tendit son doigt à la colombe qui s'y agrippa et tendit sa patte à laquelle était accrochée un rouleau de parchemin. Nathaniel le prit, dénoua le ruban vert qui entourait sa lettre et la lut.

« Mon cher fils,

            Je suis heureuse de savoir que ta rentrée s'est bien déroulée. Grande fut ma joie également d'apprendre le déroulement de ce tournoi de Quidditch contre l'académie de Poudlard nous supposons tous ici que cette nouvelle a fait naître en toi cette rage de vaincre que nous apprécions tant.

            Robert nous a envoyé une lettre du Népal où il a pris connaissance de nombreux rites inconnus. Il te transmet chaleureusement son bonjour.

            Nina aussi t'envoie son affection. Elle est très accaparée par son travail et ne peut beaucoup nous écrire.

            Pour ma part, je reste à la maison où je vaque à mes occupations ordinaires, tandis que ton père part chaque jour plus tôt, et rentre chaque jour plus tard. La santé de ta grand-mère s'améliore et cela nous tranquillise. Je crois que je vais mener à bien l'organisation d'une fête pour me désennuyer. Vois-tu, rien de bien extraordinaire ne s'est déroulé depuis ton départ…

            Tout le monde ici espère ta réussite et t'encourage dans cette voix.

                                   Bonne chance, Nathaniel,

                                                                                              Eva Hurich                             »

Nathaniel sourit. Les lettres de sa mère se ressemblaient toutes.

Mais une autre feuille se déroulait.

« Salut Nat !

            Vivement les vacances. Ici, l'ennui est de mise. Paraître joyeux ne récolte qu'un murmure satisfait de mère comme si elle ne s'en réjouissait nullement malgré ses paroles, ou alors un cri strident de grand-mère qui déclare « ne trouver aucun repos dans cette maison ! »

Les domestiques ont trop peur de mère pour oser désobéir à ses ordres de silence et de tranquillité. L'air est tellement pesant que je tousse dès que j'entre dans le salon, ou que j'erre dans les couloirs. La seule pièce vivable, c'est la cuisine. Là-bas, les gens ne chuchotent pas, ils parlent. Et ils ne restent pas immobiles comme glacés par le froid, non, ils marchent !

Tu ne peux pas savoir à quel point l'envie de retourner à Beauxbâtons est forte pour moi ! Si si, mon cher, c'est possible, de vouloir retourner étudier. Au moins, là où tu es, il y a toujours quelque chose à faire.

            Je continue – très vaguement mais je les continue – mes études, mais ici, elles ne prennent qu'un aspect ennuyeux et morbide. Bref, je passe plus de temps à promener en forêt qu'à la maison.

            J'envie Robert et ses découvertes, et ferais tout pour suivre Nina en Angleterre. Bien que mère le nie, je sais que notre grande sœur y est pour des affaires très importantes. Ma conclusion : peut-être y risque-t-elle sa vie, mais elle bouge, elle.

            Donc, pour continuer sur la lancée de ma première phrase, vivement les vacances. Tu n'as pas intérêt à rester à Beauxbâtons sinon je t'étranglerais à juste raison. Tu reviendras à Noël, vu ?

                                                                                              Pierre, désemparé, en détresse, en attente de la permission du valeureux étudiant

P.S : Ah si, un peu d'aventure. J'ai rencontré une déesse qui se baignait dans le lac, hier matin. Même dépourvue de pouvoirs magiques, elle doit posséder quelques talents de sorcellerie car je ne peux m'empêcher de penser à elle dès que je ferme les yeux.

P.S 2 : Mes bonjours à Ildur. Et aussi à Sebastien. Encourage ce dernier de ma part pour les cours d'enchantement. Rougeau ne m'a jamais aimée non plus, et ça m'a pas empêché d'obtenir la note maximum à cette épreuve à force de ténacité.

P.S 3 : Frenz suit son traitement. Elle va de mieux en mieux.

P.S 4 : Tu pas venir ici à la Toussaint ?                                                                              »

Nathaniel plia la lettre et la rangea dans le tiroir de sa table de nuit. Souriant, il réfléchit un instant. Rien ne changerait jamais là-bas. Il se tourna alors vers le coin sombre de la chambre.

« Eh, Ildur ! T'as le bonjour de Pierre. Frenz va mieux. » Le silence régna près du lit.

« Et… Nina ? »

Nathaniel arbora un sourire dédaigneux.

« Elle va bien. » assura-t-il. Puis il quitta la chambre en claquant la porte. Sébastien soupira.

Il ne connaissait que trop les liens qui nouaient Nathaniel et Ildur dans cette profonde aversion mutuelle.

« Ah ! La pluie s'est arrêtée de tomber ! » s'exclama Charles Sandre d'une voix enjouée.

Edouard courut vers le mur et s'accroupit pour ouvrir une fenêtre à ras de sol. Un rayon de soleil balaya la salle.