CHAPITRE 04
La cheminée dans le bureau de Lucius avait été le témoin silencieux de beaucoup d'événements changeant les vies de Severus et Lucius. Quand ce saint des saints*, dans lequel aucun membre de la maisonnée ne devait jamais entrer sans permission spéciale, avait encore appartenu à Julius Malfoy, les deux jeunes sorciers, ayant alors à peine dix-huit ans, avaient dormi ici la nuit d'après la noce de Lucius, convulsant et grognant tous les deux sous les répercussions du Doloris de Voldemort.
Combien de fois était-il venu ici par Cheminette, pensa Severus, quand il enseignait déjà à Poudlard et était appelé par le Seigneur des Ténèbres? Cet endroit contenait beaucoup de souvenirs, peut-être trop. Peu de souvenirs agréables, le reste était de la crainte de la culpabilité et de l'oppression. Des sentiments qu'il n'avait pas connu depuis longtemps. Des versions atténuées de ces sentiments, oui. Parfois. Très rarement en effet. Au cours des quinze dernières années, l'émotion qui avait dominé son paysage intérieur, la couleur de son ciel intérieur, avait été un désespoir traînant qui teintait son horizon d'un gris désolé. Même l'amertume. Car il L'avait rencontrée, il y a si longtemps, il avait su qui elle était pendant quelques heures précieuses, et avait alors perdu tout cela. Et il s'était assuré de se débarrasser de cette frustration sur ses élèves, de toute cette frustration. Irrationnel? Oh, oui, c'était certainement irrationnel, et mesquin, même stupide. C'était, par-dessus tout, complètement et totalement inutile, car le sentiment persistait et devenait même plus fort. C'était aussi enfantin—lui, Severus Rogue, qui n'avait jamais agi comme un enfant, moins que tout pendant qu'il en avait encore été un, était entièrement conscient de se comporter comme un petit marmot déplaisant et immature. La destinée, ou quoi que soit le nom de la force qui lui avait joué ce tour cruel, l'avait privé de ce dont il avait tant envie. Et donc lui aussi, savourait son pouvoir d'enlever ce qu'il choisissait- et quand il le choisissait. L'espoir, la dignité, les points de maison. Cela n'importait pas vraiment. Et ne ce n'était jamais assez, ne pourrait jamais contrebalancer sa perte.
Il devait s'être marmonné ces derniers mots à lui-même, car Lucius lui lança un regard curieux avant de lui tourner le dos, leur versant leur deuxième tournée de cognac depuis la fin du dîner. Un bref instant, Severus ferma les yeux, pour mieux savourer la chaleur des flammes et leur bruit craquant doucement, accompagné du doux gargouillis du cognac s'éclaboussant dans les verres. Oui, pensa, c'était véritablement le plus absurde des paradoxes: son espoir avait été ravivé le soir-même de la renaissance de Voldemort. Les vers de Sibylle faisaient clairement allusion à cet événement: Alors l'obscurité son payement de nouveau revendiquera… il n'y avait pas d'autre possibilité: cette femme—car même si elle avait été une fille quand il l'avait rencontrée pour la première fois, elle serait maintenant une femme—serait sienne, dès qu'ils auraient accompli leur tâche. Celle-là est tienne si tu abandonnes celle-ci. Une promesse, et une promesse claire à cela. Si claire que cela le fit frémir.
Sienne. Il était dur d'imaginer cela.
Il avait mené une vie de solitude. Bien sûr, il y avait le reste de la faculté, il y avait une poignée de personnes que d'autres n'hésiteraient pas à appeler ses amis. Mais il n'avait pas sa place. Seulement en lui; et cela, il l'avait découvert au cours des années, péniblement, ne suffisait pas. Il n'est pas bon pour l'homme d'être seul. Une maxime sage, aussi vieille que le monde. D'une certaine façon, il aimait être seul, il chérissait même sa solitude. Mais avoir sa place…
Lucius revint s'asseoir à côté de lui. Le pot de verre contenant Rita Skeeter reposait sur une table basse à côté de sa chaise, table destinée à soutenir des livres et des verres au cas où l'occupant de la chaise choisisse de ne faire qu'examiner les flammes, ses mains inoccupées et ses yeux se fermant lentement.
Pas ce soir. Ce soir il n'y avait pas d'oisiveté ni de somnolence paisible devant le foyer.
Lucius aussi paraissait. Ils étaient tous les deux encore assez jeunes, même d'après les normes Moldues et d'autant plus par celles des sorciers --- trente sept ans pouvait difficilement être considéré comme vieux. Mais leur jeunesse avait été turbulente, et maintenant ils étaient tous les deux usés par l'inquiétude. "Alors," commença Lucius, passant une main sur ses yeux, comme pour effacer des pensées qui le fatiguaient, "Qu'allons-nous faire d'elle?"
"Autant que je puisse en juger, nous avons deux possibilités: la tuer ou la mettre sous oubliettes. Mais en réalité…" Il fixa les yeux de Lucius, qui hocha la tête.
"Exactement ce que je pense. Je suis convaincu que nous pourrions la mettre sous oubliettes avec succès, mais si quelqu'un le remarque?"
C'était en effet, le problème. L'absence de Skeeter avait déjà dû être remarquée. Tout le monde savait qu'elle avait été à Poudlard peu avant la Troisième Tâche. Si sa mémoire était tachetée de points vides, quelqu'un pourrait tirer la conclusion évidente— que ce quelqu'un soit de leur propre côté ou de l'autre était presque sans importance. S'ils rompaient le sortilège de mémoire, les informations qui allaient forcément refaire surface étaient nuisibles en tout cas.
"Eh bien…" dit lentement Severus, "il pourrait y avoir une autre option " Lucius pencha sa tête légèrement de côté mais ne dit rien. "Et si nous la gardons sous forme de coléoptère? Il y a des sortilèges de restriction si forts que—"
"Oui, je sais," le coupa impatiemment Lucius. "Mais nous devons penser à l'avenir! Nous pourrions ne pas être punis pour cela si le côté de Dumbledore gagne. Mais s'il ne gagne pas? Peux-tu imaginer ce qui arriverait si elle crachait notre secret devant un Voldemort victorieux?" Il soupira. "Ce que je veux dire est que nous pouvons soit la garder emprisonnée à jamais, soit la tuer. Aucun de nous ne sait exactement ce qui se passe dans le cerveau de quelqu'un qui est été pétrifié et emprisonné. Peut-être que la tuer serait… préférable? Même de son point de vue…"
Severus examina les profondeurs d'ambre de son verre. "Probablement," concéda-t-il. "En plus, il y a toujours la possibilité d'un sortilège de mémoire pas-tout à fait parfait. Et c'est un risque que nous ne pouvons pas prendre "
"Très bien," dit Lucius, se levant et tirant sa baguette. "Assez sobre pour le faire maintenant?"
"Rien de tel que l'instant présent" Severus lui fit un faible sourire. "Tu casses, j'étourdis?"
"Je compte jusqu'à trois "
Ce fut un chef-d'oeuvre de précision. Lucius visa, brisa le verre, et tandis qu'il était toujours en train de prononcer "Disfractio!" Severus avait déjà commencé à prononcer "Stupéfix!" pour que son sortilège frappe peut-être un dixième de seconde après celui de Lucius. Trop tôt pour que le coléoptère se retransforme sous forme humaine. Il était étendu parmi les éclats de verre, parfaitement immobile, la lueur du feu jouant sur ses ailes extérieures métalliques et ressemblant à une carapace. Un tour élégant du poignet, un sortilège de bannissement marmonné, et verre, herbe et coléoptère atterrirent dans la cheminée, où les flammes devinrent brièvement violettes puis retournèrent à leur orange jaune habituel.
"Mieux vaut prévenir que guérir," remarqua Lucius, et il lança un sortilège d'Incinero avant d'éteindre le feu.
Les deux hommes s'avancèrent plus près du foyer et examinèrent les restes—il n'y avait que des cendres, et parmi elles quelques morceaux de verre.
ßßßß*ßßßß
Hier soir, lui et Lucius s'étaient entendus sur le fait qu'il fallait donner l'antidote du Véritaserum à la fille le plus tôt possible. Bien sûr, il le fallait pas lui dire ce qu'elle ingérait—même si la substance la protégeait de l'influence du sérum de vérité, il ne l'empêchait pas de dire la vérité quand elle choisissait de le faire. Elle était extrêmement intelligente, et ne prendrait jamais simplement les choses selon leurs apparences. Elle commencerait probablement à penser et à disséquer les faits avec cet intellect aigu, peut-être même en viendrait-elle à la conclusion finale que les hommes qu'elle devrait apprendre à considérer comme ses protecteurs n'étaient pas dignes de confiance. Ce qui, pensa Severus, était vrai d'un point de vue purement Gryffondor. Si quelqu'un percevait le monde à travers ce filtre noir-et-blanc et simpliste, les trois Phoenix appartiendraient nécessairement à la catégorie des 'mauvais'. Ils avaient joué ce jeu avec leurs propres règles, ce qui signifiait qu'ils n'avaient pas tenté héroïquement de sauver le monde des sorciers, mais avaient fait une décision politique à un certain point. Leur choix, cependant, n'avait jamais inclus de notions ridicules comme un 'noble sacrifice' ou de 'l'altruisme'. Ils avaient joué à un jeu potentiellement mortel d'échecs, se méfiant également des deux rois noir et blanc. Que les rois aient entretenu l'illusion d'être des joueurs au lieu de pièces était une histoire entièrement différente, et entièrement due aux capacités des trois hommes. L'immunité permanente au Veritaserum avait été une partie conséquente de leur stratégie et allait en toute probabilité devenir à nouveau d'une importance vitale, maintenant que les tables avaient une fois de plus été retournées.
Pas que cette fille comprenne jamais cela.
Eh bien, peut-être un jour, pensa Severus. Il était sur son chemin de retour de la salle de travail qu'il utilisait comme laboratoire de Potions pendant ses séjours au Manoir, et attendait avec assez d'impatience le petit déjeuner. Il avait dû se lever à une heure impie, pour contrôler le Polynectar et débuter le Falsitaserum, mais il était toujours tôt, pas plus que deux heures après l'aube, et il s'était attendu à être le seul à table.
Mais quand il s'approcha du salon—le petit déjeuner n'était pas servi dans la salle à manger, mais dans un petit salon plutôt douillet faisant face à l'Est—des voix dérivaient vers lui. Les enfants étaient-ils déjà debout à se chamailler? Il soupira et ouvrit la porte, seulement pour être salué par la vue d'un Elfe de Maison très désespéré, essayant de servir quelque petit déjeuner à la fille.
Elle n'était à l'évidence pas prête à accepter les services de l'elfe. "Tu n'es pas obligé de faire cela!"
Severus secoua la tête et roula des yeux.
L'elfe, qui avait saisi le mouvement, sursauta de peur. "Maître Severus, Monsieur," glapit-il, à l'évidence terrifié, "S'il vous plaît ne dites pas à Maître Lucius, ne dites pas s'il vous plaît! J'essaie de servir Mademoiselle Viviane, j'essaye vraiment, mais elle me dit… des choses…" Il gémit, abaissant sa tête et élevant ses épaules, comme pour éviter d'être frappé.
"Ne t'inquiètes pas. Viviane," s'adressa-t-il sévèrement la fille, "laisse l'elfe faire son travail. Garde ces idées ridicules pour ailleurs—je t'assure qu'elles ne sont pas les bienvenues ici "
Elle lui lança un regard ébouillantant, mais se renfonça dans son fauteuil, si bien que l'elfe put finalement transférer une série de plats et une cafetière sur la table. "Comme d'habitude, Maître Severus?" grinça-t-il, les yeux brillant de zèle obséquieux.
Il hocha la tête et s'assit du côté étroit de la table. La fille était assise à sa droite, du côté le plus long—elle ne le regardait bien sûr pas, mais dévisageait avec humeur le portrait de Domitien Malfoy, qui lui répondait en fronçant des sourcils. Etant donné son manque d'intérêt envers les adolescents boudeurs, Severus décida de simplement la laisser tranquille, pour pouvoir apprécier son petit déjeuner en silence. Les serres Malfoy produisaient toujours un ensemble impressionnant de fruits, et autochtones et exotiques, et l'arrangement d'aujourd'hui de fraises, de bananes et de mangues avait l'air particulièrement appétissant. Il se versa donc sa première tasse de café, et, comme sur un signe, Peggy apparut avec la Gazette des Sorciers.
"Merci, Peggy," dit-il, lui souriant de sa hauteur. "Tout va bien? Ou Elias a-t-il encore volé l'argenterie?"
"Non," répondit-elle, "Il se tient bien. Lui et Mina vont rendre visite au nouveau chat "
La fille qui, pendant son échange clément avec Peggy, l'avait déjà regardé comme s'il lui était poussé au moins une tête de plus, laissa échapper un cri de pure terreur. "Ils … ils vont lui faire du mal! Oh, Patten…"
Elle était déjà sortie de sa chaise et sur le chemin de la porte, quand Severus la rappela. "Peggy," dit-il, "Ai la gentillesse de dire à Mademoiselle Viviane ce que faisaient les trois "
"Ils jouent," dit Peggy, ses mots accompagnés d'un hochement de tête vigoureux. "Elias aime beaucoup les chats, Mademoiselle, et Mina est vraiment gentille "
La fille lui lança un regard douteux. "Es-tu sûre?" L'elfe hocha à nouveau la tête. "Eh bien," soupira-t-elle, "je suppose…" Elle lança un coup d'oeil de convoitise vers son petit déjeuner. "Tu me le dirais s'il y avait des problèmes, n'est-ce pas?" Peggy lui fit un sourire plein de dents et fit une très étrange version elfique de révérence avant de disparaître.
Se rasseyant, elle demanda, "Comment cela se fait-il que vous traitiez votre elfe si… eh bien, différemment?"
Severus leva les yeux de son journal. "Nous avons déjà fait un bon bout de chemin ensemble," répondit-il sèchement. Il embrocha une fraise et se re-dédia à la lecture.
Quelque temps, ils restèrent assis en silence. "Y a-t-il quoi que ce soit d'intéressant?" osa-t-elle finalement.
Severus lui lança un regard irrité. "Non!"
"Rien au sujet de Rita Skeeter?"
"Pas encore "
Silence à nouveau, puis un timide, "Que… je veux dire, avez-vous un plan?"
Severus soupira et posa le journal. "Nous avons beaucoup de plans, Viviane. Penses-tu que tu puisses essayer de formuler tes questions avec un peu plus de précision?"
"À propos de Skeeter. Je voulais savoir si vous aviez un quelconque plan à son sujet "
Elle le regardait du coin de l'oeil avec impatience, et Severus se sentit légèrement décontenancé. "Nous avons en effet pris une décision "
"Vous n'allez pas me le dire, n'est-ce pas?"
"Non " Il choisit une mangue et commença alors à la peler et à la disséquer soigneusement, une occupation qui exigeait sa pleine attention et fournissait ainsi le prétexte parfait pour ne pas la regarder. C'était un des secret de son succès—si vous évitiez le contact oculaire, il était moins probable que les gens vous ennuient. Il ne réagissait pas de cette façon par pure méchanceté, bien que l'avoir fait taire avec succès était une satisfaction en soi-même. Mais il avait aussi besoin de penser. Cela s'avéra être plus difficile qu'il ne l'avait supposé, cependant, car après peut-être trente secondes de silence, le bruit de sa respiration changea. Considérant le fait qu'elle n'aurait pas pu développer un rhume de cerveau au cours de la dernière demi minute, cette fille pleurait probablement. Avec regret, il leva les yeux de son assiette. Tout comme il l'avait pensé—elle essayait de faire le moins de bruit que possible, mais des larmes coulaient à flot le long de ses joues.
Severus soupira. "Quel est le problème maintenant?" demanda-t-il, sans même tenter de rendre le ton de sa question encourageant ou calmant.
Elle le regarda, essayant vaillamment de contrôler ses sanglots. "V-vous ne comprendriez pas!" Cela semblait à demi accusateur, à demi désespéré.
"Probablement pas," consentit-il. "Mais voyant que je suis la seule personne disponible pour l'instant, vous pourriez tout aussi bien essayer "
Encore plus de larmes maintenant, et ses épaules commencèrent à se secouer. Severus se renforça mentalement. "T-tout le monde me déteste!" s'étrangla-t-elle, avant de succomber complètement à son chagrin.
"Cela," remarqua-t-il, "semble un tout petit peu exagéré. Croyez moi, si n'importe lequel d'entre nous vous détestait, vous ne seriez pas vivante et assise à cette table "
Elle fit un petit son bizarre, quelque part entre un grognement et un sanglot. "Je… c'était probablement un mauvais choix de mots "
"Il semble certainement que c'en ait été un " Il éleva un sourcil interrogateur. "Eh bien? Essayez encore?"
Et soudain, son expression changea d'inconsolable à furieuse. "Vous appréciez ceci, n'est-ce pas? Espèce… espèce de—"
"Pas d'injures, Viviane!" l' interrompit-il, posant sa tasse de café avec un 'clink' brusque.
Les Gryffondors… ils étaient tous les mêmes. Ils étaient fâchés, ou offensés, et tout ce qu'il fallait pour les pousser par-dessus le bord était une indifférence à leurs souffrances, mêlée d'un peu de sarcasme dédaigneux.
"Comment pouvez-vous être si… si odieux?" Sa voix était complètement plate maintenant, et tremblante. Elle voulait absolument se contrôler. "Comment vous pouvez apprécier de torturer ceux qui sont plus faibles que vous? Serait-il vraiment si difficile d'étendre une main, au moins quelques fois? Que retirez-vous du fait de donner un autre coup à quelqu'un qui est déjà au sol? C'est du sadisme, et c'est méprisable! Pourquoi me faites vous cela? Ne pouvez-vous pas imaginer ce que je ressens?"
"Ma chère fille—" il se renversa dans son siège et croisa les bras "—il est peu probable que de la pitié—"
"De la pitié?" l'interrompit-elle, " de la pitié? C'est appelé de la compassion, Monsieur! C'est appelé du respect de la dignité de vos semblables humains! Pas que vous comprendriez jamais ce dont je parle. Pour vous—" ses deux poings étaient posés sur la table maintenant, à droite et à gauche de son assiette, tendus et aux articulations blanches "—le concept de dignité humaine n'existe même pas, parce qu'il ne reste rien d'humain en vous! Vous êtes seulement arrogant, et froid, et égoïste, pour ne pas mentionner cruel—"
Il la gifla du dos de la main en plein visage, sans mettre beaucoup de force ou d'émotion à cela. Mais cela la fit taire efficacement. Sa main droite—il pouvait voir les marques de ses ongles sur sa paume—monta lentement pour couvrir la marque rouge et brûlante sur sa joue.
"Avant que vous ne montiez dans votre chambre, où vous resterez jusqu'à nouvel ordre," dit-il froidement, "je veux que vous considériez ceci—ou plutôt, prenez comme votre tâche de considérer la question suivante: Voldemort montrera-t-il de la compassion envers vous?" Il étendit sa main. "Donnez moi votre baguette " Encore trop choquée pour parler, elle secoua simplement la tête. "J'ai dit donnez moi votre baguette, et je ne répéterai pas l'invitation " Comme un automate, elle étendit la main vers sa manche gauche et lui tendit la baguette. "Merci. Maintenant montez dans vos chambres et pensez à ma question. Vous ne quitterez pas vos quartiers avant d'avoir trouvé une réponse adéquate "
Elle avait l'air si inanimée et raide qu'il s'attendait à moitié à ce que ses articulations grincent quand, toujours avec des yeux écarquillés et silencieuse, elle se leva de sa chaise et marcha dignement vers la sortie. Ses doigts étaient sur le chemin de la poignée, quand la porte s'ouvrit toute seule, et elle fut presque renversée par Lucius. Avec cri de surprise étouffé, elle fit un pas en arrière, jeta à Severus un coup d'oeil hanté par dessus son épaule, puis passa en courant devant le Seigneur du Manoir légèrement étonné, longea le couloir et monta les escaliers .
Lucius éleva simplement un sourcil, s'assit et se servit de café.
"Réaction retardée," remarqua Severus, en manière d' explication. Il plia le journal et fit léviter le grille-pain vers lui. "Qu'est-ce qui t'amène ici si tôt?"
"Dumbledore a appelé "
"Ah " Severus leva les yeux de son pain grillé. "Des nouvelles importantes?"
"Pas vraiment. Il semble que Nathalie Pierson lui ait rendu visite pour demander où était Skeeter " Il se versa une autre tasse de café, qu'il regarda pensivement. "Nul besoin de mentionner qu'elle est partie les mains vides. Et nous devrons rencontrer Black "
"Oui, cela semble inévitable " Severus sentit son estomac se contracter. Le jeu qu'ils étaient sur le point de jouer maintenant était encore plus dangereux qu'il y a quinze ans, de plusieurs manières. Avec Black se faisant passer pour Barty—à moins que quelque chose ne vienne entraver ce projet particulier, bien sûr—ils auraient un autre espion, si bien que leurs propres peaux seraient beaucoup plus en sécurité, puisque la communication avec Dumbledore allait être son problème, pas le leur. Ceci, cependant, était seulement une impression superficielle, et le sentiment de sûreté qu'il transmettait était erroné au mieux, et pernicieux au pire. Avant tout, il y avait le risque que Black fasse simplement rater cela, en ne se comportant pas en caractère, par manque de connaissance ou même en montrant de la répugnance à suivre quelques uns des ordres les plus désagréables du Seigneur des Ténèbres. Puis il y avait, bien sûr, le fait que Black puisse choisir d'informer non seulement Dumbledore mais aussi une partie de ses anciens copains Aurors de ce qui se passait dans la cachette de Voldemort, oubliant d'une manière commode de mentionner quel rôle exactement jouaient les trois Phoenix. Bien qu'il soit peu probable que le danger diminue radicalement au cas où il le mentionnait.
"Une noise pour tes pensées?" Lucius, déjà à la moitié de son omelette au champignon, scrutait son visage.
"Hmm… je doute qu'elles vaillent tant que cela. Je faisais simplement un tour d'horizon** de toutes les manières possibles par lesquelles notre stratégie pourrait nous exploser à la figure "
"Cela," dit Lucius, un peu trop légèrement pour être entièrement naturel, "t'a pris étonnamment peu de temps " Il choisit soigneusement un autre morceau de pain blanc et en rompit un gros morceau. "Tu sais, je m'inquiète de plus en plus du silence prolongé de Voldemort. Surtout qu'il le partage avec Pettigrow "
"Difficile de déterminer si c'est à notre avantage ou à notre désavantage," consentit Severus. "Et je dois reconnaître que l'idée de Dumbledore, parcourant le pays au lieu de rester juste sous mon nez à Poudlard, est légèrement inquiétante "
"Une litote très élégante. Tu as pensé au problème des Détraqueurs dernièrement?"
Severus renifla. "Pas vraiment. Etant obligé de préparer du Polynectar et du Falsitaserum, et de secourir des adolescents réticents entre-deux, je ne peux pas dire que j'ai eu beaucoup de temps pour des méditations approfondies sur l'énergie positive contre négative"
"Je pense," remarqua Lucius, tamponnant sa bouche de sa serviette de table, "que ceci pourrait être un moyen convenable d'occuper les esprits de nos adolescents. Les deux, bien sûr. Ce que les moldus appellent du travail d'équipe, tu sais?"
"Bienvenu au Pays des Illusions. Mais ce pourrait valoir le coup d'essayer. A propos, Dumbledore avait-il quoi que ce soit à dire au sujet de contacter Voldemort?"
"Oui. Ils ont simplement déterré quelques uns des tests d'A.S.P.I.Cs de Barty et ont ensorcelé une plume pour imiter son écriture. Le problème est que personne n'a la moindre idée si Barty avait l'habitude de coder ses lettres ou s'il les signait. Alors ils ont simplement envoyé une note non signée, sans la coder "
Ils continuèrent leur repas en silence, qui fut seulement rompu quand, une demi-heure plus tard, la petite Selene les rejoignit et chassa plutôt efficacement leurs inquiétudes pressantes, même si ce n'était que temporairement.
ßßßß*ßßßß
Deux jours plus tard, Owen revint.
Il paraissait fatigué mais très suffisant, quand il entra dans la salle de bal, qui avait été complètement vidée, sauf les tapis doux et épais couvrant le sol de marbre, pour convertir l'espace en un gymnase de fortune pour des leçons de duel. Severus reconnut sa présence d'un signe de tête sec avant de re-concentrer son attention sur les deux jeunes. Owen conjura une chaise, la déplaça contre le mur et s'assit, non sans avoir sortit sa baguette, néanmoins. Pas que les sorts que les deux utilisaient puissent avoir causé de vrais dommages—les premières leçons avaient servi à aiguiser leurs réflexes plutôt qu'à lancer des sorts dangereux—mais il valait mieux détourner que prendre même un sortilège perdu de Tarantallegra.
Severus aussi tenait sa baguette en position alerte, bien que ce soit plus pour intervenir que pour sa propre protection. Cette fille se débrouillait bien mieux que ce à quoi il se serait attendu, bien qu'il supposât que ceci puisse être principalement dû à quatre années d'insultes, supportées silencieusement, de la part de son adversaire. Il devait y avoir énormément de frustration et de soif de vengeance emprisonné en elle—l'empressement saccadé de ses attaques-et-parades parlait très clairement.
Owen renifla doucement. "Drago aurait dû s'entraîner avec des adversaires de plus de valeur que seulement ses deux trolls," remarqua-t-il.
Severus lui lança un sourire moqueur rapide par-dessus son épaule. "Oh, oui. Mais nous devrons voir ce qui reste une fois que sa fureur sera—Impedimenta!" cria-t-il, sauvant ainsi la tête de Drago d'un contact pénible et probablement fatal avec le mur derrière lui. "Viviane, viens là!"
Il était temps, pensa-t-il avec une ironie désabusée, que Owen passe un autre été de lubricité débridée avec Sibylle—Severus n'aimait pas la lueur férale éclairant les yeux de l'autre sorcier, alors que la fille s'avançait vers eux, montrant un mélange d'entêtement, de fierté, de répugnance et de curiosité. Ce n'était pas une beauté; en fait, elle était loin de quoi que ce soit qui puisse mériter cet épithète. D'autre part, elle n'était clairement plus une enfant, et l'habit simple mais pratique qu'elle portait pour l'entraînement ne dissimulait pas ce fait. En dépit des sortilèges rafraîchissants que lui et Lucius avaient lancé sur la salle, elle transpirait—la remarque que son odeur personnelle n'était nullement désagréable frotta le bord de sa conscience, de manière fugitive mais importune—et ainsi son simple tee-shirt blanc s'accrochait à sa peau. Merlin merci, elle portait un soutien-gorge. Severus roula intérieurement des yeux, quand il attrapa un aperçu de l'expression sur le visage de Drago. Ce garçon regardait avec des yeux ronds. Peut-être, pensa Severus avec un reniflement mental, peut-être qu'être battu l'excitait. On ne savait jamais…
Maintenant elle se tenait devant lui, et la curiosité avait gagné clairement la lutte pour la prédominance sur son visage. Il y avait une trace visible de venin, cependant, trahie par les coins légèrement baissés de sa bouche. Aucune surprise ici—Owen était le presque-assassin de ce ridicule Hippogriffe. Pour une fille adolescente, que la désertion temporaire de son chat avait plongé dans un désespoir noir, la tentative d'anéantissement d'un Hippogriffe était probablement rangé tout en haut sur sa liste de Crimes Impardonnables, avec Appeler Dumbledore Un Drôle de Vieux Fou et Marcher Sur les Pieds de Potter.
Elle regardait alternativement de lui à Owen, n'arrêtant pas de mordiller sa lèvre inférieure avec ses dents de devant, qui avaient bien meilleur air, mourant clairement de poser toutes ses questions brûlantes mais essayant en même temps de rester fidèle à sa fierté de Gryffondor. Il décida de la garder comme cela un peu plus longtemps. Il était bien trop amusant de la regarder.
Finalement, son inquiétude pour ses parents gagna le combat. "M. McNair, comment—"
"Owen " Il lui fit un sourire moqueur d'en bas, les yeux orange brun luisant.
Elle lui rendit son regard avec défi. "Vous n'êtes pas un membre de la famille "
"En parlant de membres de famille…"
Severus vit sa baguette frémir dans sa main droite. Alors là, ceci serait un duel intéressant à regarder. "Mes parents et ma tante, M… Owen " Il pouvait presque entendre ses dents grincer. "Comment vont-ils?"
"Ils sont en sécurité, vivants et en bonne santé " Owen se leva et la regarda de haut. Elle recula d'un pas. "C'est tout ce que je te dirai, et c'est déjà plus que tu ne devrais savoir"
Elle jeta un rapide coup d'oeil à Severus, qui secoua la tête. "Pas plus d'information. Comme Owen l'a dit, c'est déjà plus que tu ne devrais savoir. A propos de tes techniques de duel—" ses yeux se rétrécirent et son menton se souleva d'un coup "—essaie de ne pas mettre tant d'émotion derrière tes sortilèges. Elles ont tendance à brouiller ton jugement. Tu dois apprendre à rester calme et composée, quel que soit l'adversaire que tu affrontes. Un jour, tu pourrais devoir te défendre contre quelqu'un que tu considérais autrefois comme un ami "
A cela, elle fut à l'évidence incapable de tenir sa langue plus longtemps. "C'est ridicule! Etes-vous en train de suggérer que Harry ou Ron—"
"Pettigrow," fut tout ce qu'il dit avant de la congédier d'un geste de sa main. "Il vous reste un quart d'heure, c'est parti. Reprenez l'entraînement "
"Mais je—"
"J'ai dit de reprendre votre entraînement " Il la regarda revenir d'un pas exagérément lourd vers sa position précédente, de la colère suintant de chacun de ses pores. Cette colère était maintenant dirigée contre lui, cependant, et une partie était aussi dirigée contre Owen. Il se demanda si elle pourrait se concentrer pour frapper Drago sous les circonstances présentes.
"Je serai au Manoir alors," dit Owen. "Sibylle devrait déjà être arrivée. A demain à—" Il s'arrêta et se retourna pour regarder Severus, qui hocha la tête.
Ils sentaient tous les deux leurs Marques s'agiter.
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C'était… un peu comme un rêve. Un de ces rêves réalistes, qui prennent place dans des paysages que l'on identifie presque, ces rêves qui permettent à l'esprit de se retenir à une petite corniche de reconnaissance, glissant, glissant et tombant finalement… Les paysages semblent si connus, et le rêveur a l'impression d'avoir déjà été là—mais quelque chose n'est pas tout à fait juste. Un arbre au mauvais endroit, un pré de la mauvaise nuance de vert, un flanc de coteau doucement incliné ne suivant pas tout à fait la courbe imprimée dans l'esprit du rêveur…
La maison était aussi simple que celle d'Albanie—maintenant Severus savait que c'était l'ancienne maison du père et des grand-parents Moldus de Voldemort, méprisés, détestés et finalement tués. Il y avait un certain air de familiarité, mais c'était aussi une image légèrement tordue et distordue, trop connue pour être rejetée, trop mystérieuse en soi pour qu'il ressente même une ombre de réconfort. Probablement que c'était la même chose avec les environs, pensa-t-il. Pas l'odeur de bois et de lavande sèche et les hauts de montagne dentelés comme en Albanie, mais le luxuriant paysage vert anglais. L'obscurité avait déjà empiété sur le monde au dehors, si bien qu'il ne pouvait pas être absolument certain de ce qu'il pourrait voir par les fenêtres. Peut-être que c'était mieux de cette façon. L'intérieur était déjà assez perturbant.
Seulement eux trois ce soir; un échange furtif de coups d'oeil, bien qu'entravés par les masques qu'ils portaient, confirma que derrière leurs yeux—qu'ils soient noirs, gris ou brun orange—la même question pulsait dans des esprits inquiets: où était Pettigrow, et pourquoi les autres n'avaient-ils pas été appelés?
Ce n'était pas le moment de poser des questions, cependant; les trois hommes se prosternèrent aux pieds du Maître, sondant avec tous leurs sens, bien qu'en vain, pour voir si sa force et son pouvoir augmentaient ou diminuaient.
"Levez vous, mes fidèles partisans "
Ils se levèrent comme un seul homme et le regardèrent, regardés attentivement par Nagini, le serpent-dragon géant et venimeux. La nourrice du Seigneur des Ténèbres, parodie absurde mais dangereuse de la louve qui avait nourri Romulus et Remus, de la chèvre Amalthée dont Zeus, futur dirigeant des deux, avait bu le lait… Il était trop enclin à dériver ces jours-ci, se blâma sévèrement Severus, quand Voldemort parla à nouveau, si soudainement qu'il sursauta presque.
"Parlez-moi de Poudlard, Severus " La voix. C'était la voix qui poussait ce rêve absurde par-dessus le bord invisible séparant l'angoisse irrationnelle du cauchemar oppressif.
"Bien sûr, Mon Seigneur. J'ai… essayé de trouver un prétexte, pour pouvoir convaincre Dumbledore que je devais rester, mais j'ai échoué. Pardonnez-moi, Maître " Il tomba à nouveau à genoux—pourquoi cela lui venait-il si facilement, cette farce de tromperie et de flatterie illusoire? —et il se prépara à la douleur. Elle ne vint pas.
"Cela n'a aucune importance "
Aucune… La peur d'un froid glacial qui se déroulait dans son estomac était pire que l'agonie qu'il avait prévue. Si les informations qu'il pouvait fournir n'étaient plus d'aucune importance, il pourrait très bien trouver la mort ce soir.
La voix sifflante continua à parler. "Et Dumbledore lui-même? Connaissez-vous ses plans?"
Le vieux sentiment familier était de retour maintenant, réaffirmant sa poigne ferme sur son esprit et son corps. Cette sensation de chanceler sur le bord d'un abîme—donner l'information ou bien la retenir ? Jouer la carte maintenant ou la garder, comme talisman et dernier espoir pour une autre situation, peut-être plus désespérée? "Partiellement, Mon Seigneur. Je suis sûr qu'il a des plans pour Harry Potter, peut-être ne le laissera-t-il même pas revenir à Poudlard "
"Nos vaillants Gryffondors…" Voldemort rit tout bas, et le visage de Severus se contracta en un sourire poli sous son masque, bien qu'il sache qu'il restait invisible—il était plus facile de produire le bon état d'esprit en réagissant de manière appropriée. "Nous le trouverons quand le temps viendra " Sur les bords du champ de vision de Severus, un bleu métallique scintilla brièvement. Lucius et Owen, courtisans faussement obséquieux comme lui-même, avaient incliné leurs têtes en consentement consciencieux. "Il semble que Barty puisse être retenu plus longtemps que je l'avais prévu "
Lucius, instillant exactement la bonne note d'humilité dans sa voix traînante et soyeuse. "Mon Seigneur, voulez-vous que je persuade Fudge—"
"Non, non. Laissez-le rester. Il pourrait nous donner des informations utiles " Voldemort bougea sur sa chaise. "En parlant de Fudge…"
Un bruissement de tissu et un bruit sourd à peine audible à sa gauche dirent à Severus que Lucius était lui-aussi tombé à genoux. "Mon Seigneur, j'ai des nouvelles qui vous plairont, je l'espère "
Les bottes en peau de dragon du Maître se déplacèrent en arrière puis se rapprochèrent l'une de l'autre d'une fraction de centimètre. Etait-ce la curiosité ou la colère qui le faisait bouger? De manière aussi calme que possible, Severus inspira à fond, pendant que Lucius continuait, "Fudge m'a contacté le lendemain de votre… retour vers nous, Mon Seigneur. Il semble que rien ne puisse plus l'empêcher d'ôter son poste à Dumbledore. Il… m'a demandé si je voudrais—"
"Ah," souffla Voldemort, "Bonne nouvelle en effet, mon ami si fuyant, bonne nouvelle en effet. Vous garderez, bien sûr, Barty et Severus dans le personnel. Et une fois que nous aurons éliminé Hagrid, Owen pourra prendre sa place. Il semble que tout se passe facilement " Il fit une courte pause, puis ajouta, avec une note distincte d'impatience, "Pettigrow est en retard "
Owen, le seul des trois qui n'ait pas encore dit un seul mot, demanda prudemment, "Vous l'avez envoyé en mission, Mon Seigneur?"
La réponse ne suivit pas immédiatement—peut-être que Voldemort méditait sur les mérites respectifs de punir ou d'éclairer son disciple? Mais il émit alors un autre rire tout bas, aigu et sifflant. Severus n'était pas sûr d'aimer ce nouveau côté de lui, car il rendait les réactions plus difficile à prévoir. "Oui, le fidèle Pettigrow a en effet été envoyé pour suivre une piste…"
Une piste? Quelle piste? Severus sentit ses pensées darder ça et là, frappant presque péniblement dans des murs d'ignorance lugubre. Pourrait-ce être Karkaroff? Voldemort dépêcherait-il vraiment cet idiot bourdonnant de Pettigrow pour attraper un homme assez désespéré pour emmener avec lui non seulement le rat—il ne nous a toujours pas dit que Pettigrow est un rat Animagus. Pourquoi? Trop de secrets. Nous devrons être plus prudents, plus prudent… —mais quiconque fût présent dans son voyage vers la mort? Mais qui, sinon Karkaroff? Etait-ce un piège? Est-ce que vingt Mangemorts allaient soudain se matérialiser autour d'eux, pour les torturer, les tuer—
Nagini souleva la tête et siffla.
"Ah!" Voldemort se leva. "Levez-vous!" siffla-t-il impatiemment, "Levez-vous et regardez…" Il fit un geste balayant, presque théâtral de sa main droite, comme pour écarter un rideau.
ßßßß*ßßßß
Même Narcissa hurla quand les trois hommes apparurent en vue dans le couloir d'entrée du Manoir Malfoy. "Lucius…" Son index droit était pointé vers ses vêtements.
"Demasquera! " dirent-ils presque simultanément, tous trois désirant ardemment respirer librement, sentir l'air refroidir leurs lèvres et leurs narines quand il entrait à flots dans leurs bouches, descendait dans leurs poumons et ressortait, plus chaud et plus humide, les purgeant, avec un peu de chance, de la puanteur qui semblait s'accrocher à leurs entrailles.
La porte de la bibliothèque s'ouvrit à la volée, et Yelena apparut, suivie de près par Drago et la fille. Sibylle, se tenant à peine debout, s'appuya contre le montant de la porte.
Pendant un bref instant, Severus se distança mentalement du groupe—il semblait beaucoup faire cela, mais d'une manière ou d'une autre cela aidait—et il se vit, avec Lucius et Owen, les trois chevaliers noirs, revenant du champ de bataille, avidement attendus par les femmes et les enfants qu'ils avaient laissé derrière eux. Un tableau digne d'être peint par Sir Walter Scott, pensa-t-il avec une ironie désabusée, bien que l'impression fût un peu gâchée par les deux jeunes en chemise et pantalon. Seulement il n'avait lui-même laissé personne derrière lui…
"Chut, ma chère," dit Lucius, tendant sa main, la paume vers Narcissa, pour l'arrêter à mi course, "Ce n'est pas mon sang. Nul besoin de t'inquiéter. Donne nous cinq minutes, et nous vous rejoindrons. Mais…" Il laissa son regard se diriger vers ses deux compagnons. "je crois qu'aucun de nous ne montrera un grand appétit…"
Owen haussa les épaules. "Parle pour toi. Je pourrais manger quelque chose, vraiment. Considérant vos constitutions fragiles—" il ricana en direction de Severus "—peut-être que je m'en tiendrai à des sandwichs au concombre. Rebattu, mais pas sans mérites. Pas que je n'eus pas préféré du rosbif…"
Severus sentit son estomac se soulever et il se tourna vivement pour monter les escaliers. Il avait désespérément envie d'une douche et d'un double whisky. Certainement que cela n'allait pas être la dernière boisson de ce soir.
Tout en se tenant sous l'averse chaude, l'éponge enchantée brossant rythmiquement sur sa peau, il essaya de refuser l'entrée de son esprit aux images des dernières heures. Il devrait les raconter bien assez tôt, d'abord en bas, puis à Dumbledore, peut-être même à Black… ce serait plus facile avec des mots, comme il le savait par expérience passée. Des mots et des sons pouvaient porter des images, mais étant des récipients, ils pouvaient aussi être fermés et scellés. Cela devenait plus facile avec chaque répétition, jusqu'à ce que seules restent de faibles traces qui pourraient être enterrées très profond. Et il y avait toujours la potion de Sommeil sans Rêves… Il cela repousserait le son d'un crâne craquant lentement, cela pourrait aider à faire barrage au cramoisi explosant des yeux, du nez et des oreilles, peut-être cela disperserait-il même la forte puanteur de la chair humide et chaude, déchirée en brins et en paquets… Il réussit tout juste à se soutenir contre le mur de la douche. Inspire et expire, lentement et régulièrement, pour fournir à son corps l'oxygène et la vie…
Après être sorti de la douche, il se brossa les dents et se rinça la bouche, trois fois, laissant le fort bain de bouche à la menthe aller aussi loin que possible dans sa gorge, se gargarisant aussi longtemps qu'il restait de l'air dans ses poumons. Puis, l'odeur propre de lavande et de cèdre d'une chemise et de sous-vêtements frais, le tissu d'un blanc virginal—soie et lin, pureté croustillante mêlée à une douceur sensuelle—un bref instant frais contre sa peau; pantalon et robe-manteau —les cuissards, genouillères, jambières et plastron de son armure qui le rendaient capable de faire à nouveau face au monde.
Il se racla la gorge et tressaillit. La saveur forte du sang s'accrochait encore.
Owen était déjà en bas quand il arriva dans la bibliothèque, et il appréciait visiblement la surprise bouche bée de la fille à découvrir que non seulement Severus, mais aussi la très méprisée Professeur Trelawney menaient une existence humaine hors de la salle de classe. Drago aussi semblait trouver cela très amusant, et renifla même d'un air moqueur quand, devant l'apparition sans robes de Severus dans le cadre de la porte, les yeux de la fille menacèrent de sauter hors de leurs orbites. Cependant, Severus perçut la crainte sous la couche mince de joie. Pas que cela soit une surprise—ce garçon n'avait encore jamais attendu le retour de son père après une rencontre avec Voldemort.
La femme et la mère de Lucius s'étaient déjà remises de leur choc, remarqua-t-il avec soulagement. Pour elles, le scénario n'était nullement nouveau, et avait peut-être un caractère de plus déjà vu que pour les trois hommes. Après tout, elles l'avaient revécu dans le même environnement qu'il y a tant d'années.
Un Elfe de Maison nerveux apporta un plateau pour Owen, supportant une assiette sur laquelle des sandwichs au concombre étaient accumulés en une pyramide pastel appétissante, et une théière, qu'il renvoya simplement d'un geste. Un décanteur à whisky était déjà posé sur la table devant lui, et Severus appela un verre pour s'en verser une autre mesure généreuse.
Après la première petite gorgée, il examina Sibylle qui était assise à côté d'Owen sur le divan, toujours pâle mais un peu plus composée qu'à leur arrivée. "Ne le prends pas mal, Sibylle, mais tu as l'air d'avoir fait un aller retour en enfer "
Elle hocha la tête et, maintenant sa poigne de mort sur son propre verre, dit faiblement, "Je ne le prend pas mal. Je… je me suis presque désartibulée. Ce… je veux dire, la vision était soudain là, juste quand j'étais sur le point de transplaner…" Elle avala d'un trait la moitié de son whisky, et Owen lui tapota le genou—si possible, les yeux de la fille devinrent encore plus ronds.
"La vision?" Lucius, apparemment à nouveau son soi nonchalant normal, s'avança dans la salle. "Quelle vision, Sibylle?"
"Une couverture complète de la réunion de laquelle vous venez de revenir, concentrée en peut-être une seconde," répondit-elle sèchement. "Tout à fait ahurissant, je vous assure "
"Eh bien, cela nous a certainement aussi ahuris," commenta Lucius, s'asseyant à côté de Narcissa. "Il peut ne pas avoir encore entièrement retrouvé sa force—merci, ma chère," dit-il à Narcissa, qui lui tendait une boisson, "mais il n'a certainement rien perdu de son ... euh, imagination "
"Que… que s'est-il passé?"
A l'évidence, rien ne pouvait écraser la curiosité de cette fille pendant plus de trente secondes. Severus se renfonça dans son fauteuil et lui lança un regard noir jusqu'à ce qu'elle détourne les yeux. "Il semble que Pettigrow ait réussi, une fois dans sa vie. Il a capturé Karkaroff et l'a ramené en le traînant dans la tanière de Voldemort. Où nous avons eu le plaisir douteux de nous occuper de sa… punition "
"Punition—" Elle avala convulsivement, les yeux larges et son visage soudain plus pâle de quelques nuances. "Est-il… je veux dire…" Elle fit un effort vaillant pour prononcer le mot. "Il n'est plus vivant, n'est-ce pas?"
Lucius lui fit un sourire moqueur et vida le reste de sa boisson. "Non, il est aussi mort qu'on peut l'être. Et je regrette qu'il n'ait pas eu le courage de le faire lui-même, car c'était une des expériences les plus désagréables de toute ma vie "
"Tu as perdu la main, c'est tout," remarqua Owen. "Il y a vingt ans—"
"Passons au présent," l'interrompit Severus—juste à temps, car le durcissement soudain du regard noir de Lucius n'avait pas échappé à son attention. "Ou plutôt à l'avenir. Voldemort a de grands projets "
"Pas…" La fille se couvrit la bouche d'un poing solidement serré. "Pas Harry, s'il vous plaît, pas Harry…"
Du vert s'infiltra dans les yeux bruns, des boucles brunes se transformèrent en mèches d'un rouge délicieux… Une nuit de déjà vu, en effet. "Non," grogna-t-il, "Pas Potter le chiot prodige, autour duquel ton univers chétif et sans importance semble graviter. Ouvrir les yeux, gamine, pour l'amour de Merlin! Il veut Azkaban, demain si possible "
Sibylle émit un son étouffé. Son corps entier était tendu, ses yeux fermés serré, et elle secouait la tête, obstinément et incessamment, comme une marionnette manipulée par un fou.
"Que diable,"marmonna Owen, essayant de la stabiliser, mais ses mouvements devinrent encore plus erratiques au lieu de se calmer.
"Il réussira…" la voix de Sibylle semblait à la fois rauque et aigüe, quand elle répéta, maintes et maintes fois, "Il réussira!" Finalement, elle retomba contre la poitrine d'Owen, respirant lourdement.
"Je…" Owen se racla la gorge et regarda alentour, ne sachant clairement plus que dire. "Je vais la ramener à la maison. Nous avons tous besoin de sommeil et…" Il haussa les épaules.
"Oui, vas-y "Lucius passa une main fatiguée sur ses yeux. "Il semble extrêmement peu probable que n'importe lequel d'entre nous puisse avoir une inspiration majeure dans les quelques prochaines heures. Revenez demain, vous deux, et alors nous verrons…" Il ne termina pas sa phrase mais se leva et prit la main de Narcissa pour la tirer sur ses pieds.
Les jeunes, sur les visages desquels la fatigue et l'anxiété étaient maintenant clairement visibles, traînèrent des pieds vers la porte quand le couple eut transplané, et Severus hocha un 'bonne nuit' rapide à Lucius et Narcissa et quitta la bibliothèque. Il avait l'impression que ses membres étaient faits de plomb, rendant difficile pour lui de se déplacer avec son aisance et son aise coutumières. C'étaient le désespoir et la crainte qui le rendaient si lourd et fatigué, une sensation engourdie d'abattement, sombre et final et le suffoquant de sa réalité. Qu'est ce qui se passait avec Sibylle, se demanda-t-il tout en entrant dans ses chambres et en allumant les bougies, qu'est ce qui lui causait si soudainement ces attaques violentes de clairvoyance? L'une si peu de temps après l'autre, en plus…
Pensivement, il commença à se déshabiller, tout en essayant de déterminer ce qui le dérangeait exactement tant au sujet des pouvoirs soudain explosant de Sibylle. Il avait déjà renoncé à cette investigation particulière et avait décidé de prendre autant de sommeil qu'il le pourrait, quand il entendit un coup timide frappé à la porte, et une voix demander, dans un presque-chuchotement, "Professeur, êtes-vous encore éveillé?"
* en latin dans le texte
** en français dans le texte
