CHAPITRE 06

Le matin suivant, Severus et Yelena étaient les premiers membres de la maisonnée Malfoy, actuellement agrandie, à arriver à la table du petit déjeuner. Yelena portait Selene quand ils se rencontrèrent à la porte, et Severus la tint ouverte pour les deux dames, après avoir brièvement caressé les boucles dorées de la petite fille.

"Yelena," dit-il après les premières petites gorgées de café, "tu sembles t'être rendue presque invisible ces derniers jours. Nous n'avons presque pas parlé "

Elle lui sourit. "Quelqu'un doit s'occuper de Selene, pendant que vous êtes tous occupés "

"Vrai " Il examina le panier de fruits et choisit quelques prunes à l'air très appétissant. "Te donne-t-elle beaucoup d'ennuis?"

"Selene? Non. Pas le moins du monde. Au contraire, elle me fait me sentir à nouveau jeune. Cela aurait été agréable…" Sa voix s'estompa, et elle retourna son attention à sa petite-fille, essayant patiemment de lui enseigner à tenir un couteau et une fourchette en même temps.

"Narcissa a pris une décision très courageuse," remarqua-t-il.

"Elle a eu plus de courage que je n'en ai eu à l'époque "

"Ce n'était pas ce que je voulais dire, elle—"

"Je disais ceci sans amertume, Severus," l'interrompit-elle, " je déclarais simplement un fait. Narcissa a fait un pari, et elle a gagné. Et bien que Lucius ait été furieux au départ, je pense que nous avons tous gagné, finalement "

Severus lui fit un sourire moqueur. "Eh bien, les hommes Malfoy ne sont pas connus pour leur humeur douce, si leurs ordres sont délibérément ignorés "

"Bien sûr que non. Cependant—" elle embrassa la tête blonde, et Selene se retourna, lui souriant "—il a accepté l'inévitable. Et plus que cela—il est totalement sous le charme de sa fille " Elle remplit sa tasse de café, qui était encore à demi pleine; évidemment cette action devait plus à l'embarras qu'à la nécessité. "Tu…" Elle hésita. "Tu sembles être devenu très bon à accepter l'inévitable, toi aussi "

"Black?" Il émit un court rire forcé. "Que pouvais-je faire d'autre? Il—"

"Non, Severus " Son ton était sérieux, tant qu'il la regarda avec surprise. "Je ne parlais pas de Black, aussi ennuyeux qu'il l'est sans aucun doute. Je…" Ses yeux mal assortis passèrent rapidement de l'enfant à la fenêtre, au portrait de Domitien Malfoy puis, finalement, revinrent à Severus. "Ceci est à ton sujet," dit-elle, sa voix si basse que les mots étaient à peine perceptibles, "Au sujet de toi et de Viviane "

"Je te demande pardon?"

"Je n'espionnais pas ni quoi que ce soit, tu sais? Mais je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer qu'elle n'était pas dans sa chambre—"

"Oh, ça!" Quel malentendu, pensa-t-il, et un malentendu très étrange à cela. Ne le connaissait-elle pas suffisamment pour être sure qu'il n'aurait jamais, jamais, aucune affaire avec un élève? "Non, non. Tu te méprends complètement, Yelena. Nous parlions simplement et—Quoi?" demanda-t-il, un peu impatiemment, quand il vit l'expression sur son visage.

"Tu ne te souviens vraiment pas, n'est-ce pas?" Elle semblait triste, et pour sur sa vie, Severus ne pouvait pas comprendre pourquoi.

"Me souvenir de quoi?"

"Oncle Severus se fait vieux," déclara Selene, rappelant ainsi sa présence aux deux adultes.

Il remua son index droit vers elle. "Jeune dame, n'oublie pas que je serai ton professeur, et probablement aussi ton Directeur de Maison, dans moins de neuf ans!"

Elle rit et commença à se tortiller sur les genoux de sa grand-mère. "Lene va voir hommechien!"

Severus renifla. "Le charme dévastateur de Black a fait une autre victime. Ton père ne va pas aimer cela, Selene "

"Peut-être que tu ferais mieux d'aller réveiller Viviane," suggéra Yelena. "M. Black a besoin de son sommeil, tu sais?"

"Beau au bois dormant," marmonna Severus dans sa barbe. "Alors, de quoi parlais-tu avant?" demanda-t-il quand Selene eut quitté la salle.

Yelena soupira. "Je ne sais pas vraiment si c'est sage d'aborder ce sujet. Et crois-moi, je ne l'aurais jamais fait, si les choses n'avaient pas pris ce tournant pour le pire. Mais maintenant Voldemort est de retour, et Viviane habite chez nous…" Elle lui fit un sourire de travers. "Tu ne vas pas aimer ceci, Severus, mais je suis la seule qui le sache, alors je suppose que je ne peux pas éviter cela "

Il ne l'avait jamais vu agir autrement qu'avec plein d'assurance en sa présence, et donc cette insécurité l'ennuyait plus qu'il ne voulait l'admettre. "Tu parles par charades, Yelena. Et tu me donnes le soupçon que j'ai quelque maladie en phase terminale, ou quelque chose du genre "

"Te connaissant," dit-elle avec une ironie désabusée, "tu vas probablement y penser dans ces termes. En tout cas—" soupira-t-elle "—il est temps de… comment dit-on? Cracher le morceau?" Il hocha la tête, redoutant ce qu'elle allait dire. "Tu te souviens de la cérémonie de nomination de Viviane?"

Il bougea, mal à l'aise, sur sa chaise. "N-non. Tu sais que j'ai eu cet accident immédiatement après, n'est-ce pas? Et je crois que je t'ai dit, même si c'était quelque temps plus tard, que le traumatisme crânien avait eu pour résultat une perte partielle de mémoire. Je ne me souviens pas de quoi que ce soit au delà de mon arrivée à Monrepos "

Les yeux de Yelena étaient abaissés vers son assiette, autour de laquelle elle poussait distraitement un morceau de fromage. "Oui. Bien sûr que je sais. Je voulais simplement m'assurer qu'il n'y avait pas eu de changement " Elle soupira à nouveau. "Mais tu sais, n'est-ce pas, que tu as rencontré la…eh bien, la femme qui serait ton âme soeur selon la prédiction de Sibylle. Que tu l'as rencontrée à la cérémonie de nomination, je veux dire "

"Dire que je le sais serait inexact. Ce n'est pas à un niveau conscient—Comment sais-tu cela?" demanda-t-il, soudain alarmé. "Je ne te l'ai jamais dit"

"Oh si, tu me l'as dit. Tu me l'as dit à la cérémonie de nomination "

Secouant la tête d'incrédulité, il dit, "A l'évidence, je l'ai fait, seulement je n'ai aucune idée de la raison pour laquelle je l'ai fait "

"Parce que tu étais dévasté, Severus. Tu étais en mille morceaux et confus et tu ne savais pas si tu devais remercier ou maudire les divinités "

Lentement, il commença à comprendre. "Es-tu en train de dire… es-tu en train de dire que la fille… Viviane…" Il dut poser sa tasse de café, parce que ses mains commençaient à trembler violemment. "Mais… mais… oh, Merlin," s'étouffa-t-il, quand les implications de ce qu'elle venait de lui dire commencèrent à rentrer. La tête enterrée dans ses mains, il marmonna, "S'il te plaît, dis moi que c'est une mauvaise plaisanterie "

"Tu sais que ce n'en est pas une. Je souhaiterais que cela en soit une. Mais tu dois comprendre que je ne pouvais plus attendre. Jusqu'à maintenant, cela n'importait pas tant, sauf que je devais me tenir là à te voir te transformer graduellement en un homme amer et sarcastique. Mais cela aurait pu attendre, du moins jusqu'à ce qu'elle ait fini l'école. Maintenant, cependant… Depuis que j'ai entendu les nouvelles du retour de Voldemort, je me suis disputée avec moi-même jour et nuit. Je sentais que je devais te le dire, parce que c'est important que tu le saches. D'autre part, j'étais sûr de ta réaction négative… ceci n'est pas facile pour toi…"

"Pas facile?" Il sentait l'envie d'arracher ses cheveux, ou de couper profondément son avant-bras avec un couteau—quoi que ce soit qui puisse causer de la douleur physique. Voir son sang jaillir et tâcher la nappe impeccablement blanche fournirait un réconfort; la douleur le distrairait peut-être, peut-être, de l'agonie coupant en tranches son âme comme des griffes aigües comme des rasoirs. "Pas facile…" Il sentit des larmes brûler dans sa gorge, chaudes et âcres; il voulait crier et détruire. Mais il resta assis où il était, immobile et cille une statue, une panique incandescente et impuissante rageant au-dessous d'une façade parfaitement calme. Finalement, il leva la tête et la regarda, avec des yeux secs et brûlants. "Pourquoi?" chuchota-t-il d'une voix rauque, "Pourquoi est-ce que tu me l'as dit?"

"Parce que…" Elle haussa les épaules, un geste d'impuissance et de désespoir. "Parce que je pensais que tu préférerais la connaissance à l'ignorance. Ou à ce qu'on te l'ai dit trop tard. Et si—" elle passa brièvement sa main droite sur ses yeux "—et si quoi que ce soit lui était arrivé, et que le souvenir te soit revenu … ensuite? Pourrais-tu me le pardonner?"

"Je ne sais pas " Soudain il se sentit extrêmement fatigué, fatigué au delà de l'épuisement. "Je ne sais véritablement pas. Ce que je sais, cependant…" une autre contraction pénible de son coeur. "Je ne peux pas l'aimer, Yelena. Pas maintenant. Ni jamais "

"Mais tu l'as attendue, pendant tant d'années! Comment peux-tu dire que tu es incapable—"

L'effort d'ouvrir sa bouche et de former des mots était presque trop pour lui. "Parce que je ne peux pas aimer. Est-ce si difficile à comprendre? Tu me connais, Yelena, tu me connais depuis bien des années. Tu dois être parfaitement consciente du genre de personne que je suis, bien que tu ne connaisses pas toutes les raisons. Je peux être capable de sentir une certaine affection, et certainement du désir… Mais tout ceux-là ne sont que des composants de l'amour, ou c'est ce que l'on m'a dit "

Yelena déplaça sa chaise, pour être assise plus près de lui, et posa doucement sa main droite sur la main gauche de Severus. "Tu es un être humain, Severus. Et en tant que tel, tu es capable d'amour. Cela semble être une vérité simpliste, mais c'est une vérité néanmoins. Il pourrait être difficile de déterrer cette capacité, parce que je suis sure qu'elle est enterrée profondément. Mais elle est là, j'en suis sûre "

Résistant à l'envie de retirer sa main, il secoua la tête. "Non, Yelena. Merci pour ta gentille estimation, mais c'est mal. Et même si ce ne l'était pas, comment s'attend-on à ce que je redécouvre cette capacité, quand son objet est supposé être cette… cette fille?" Le dernier mot fut dit avec du venin, presque du dégoût.

"Est-elle vraiment si horrible que ça?" demanda calmement Yelena.

"Horrible… c'est mal! Purement et totalement mal! Je ne peux pas—Oh, non!" s'interrompit-il, en entendant des pas s'approcher. "Si c'est Black, ou même Lucius… je ne peux pas… je dois partir!"

Il se leva et fuit la pièce par la porte-fenêtre ouverte, presque aveuglé par la lumière du soleil et les premières larmes qu'il avait versées en plus de trente ans.

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D'une manière ou d'une autre, il s'était retrouvé près de l'étang et était simplement tombé dans l'herbe. Il n'aurait pas pu dire combien de temps avait passé, puisque il l'avait passé dans un état d'esprit curieux, qui ressemblait à moitié a un sommeil mis en valeur, sans rêves. Aucune pensée articulée ne traversait son esprit, et s'il y avait des images, elles passaient trop rapidement, trop promptes pour être identifiées et cédaient immédiatement la place à d'autres, également non-identifiables. La sensation prévalant était une douleur lourde, profondément en lui, et le sentiment d'une perte énorme—la seule manière de l'exprimer aurait été un hurlement inarticulé et primitif. Il aurait émis ce hurlement, s'il n'avait pas été trop fatigué pour bouger. Alors il resta immobile sur l'herbe couverte de rosée, inhalant l'odeur humide de la terre mouillée, incapable de faire quoi que ce soit d'autre que dévisager les brins verts, qui semblaient curieusement détaillés et flous en même temps, et d'essayer de ne pas devenir fou. Les larmes qui avaient monté quand il avait quitté la maison s'étaient taries aussi rapidement qu'elles avaient jailli, laissant ses yeux secs et brûlants.

Le contact léger d'une main sur sa joue lui fit tourner la tête, juste d'environ un ou deux centimètres, pour lever le regard dans une paire d'yeux bleu clair. Leur expression était sans aucun doute inquiète. "Narcissa," coassa-t-il.

"La seule et l'unique " Il entendit le bruissement doux de ses robes sur l'herbe comme elle s'agenouillait, passait ses bras autour de son cou et le hissait en une position assise. "Severus," dit-elle, ôtant quelques feuilles de ses cheveux, "Que diable s'est il passé?"

Il secoua la tête. "Rien, Narcissa. Ce n'est rien, vraiment. Je… j'avais seulement besoin d'être seul quelque temps "

"Ah " Elle s'assit à côté de lui et le considéra avec des sourcils levés. "Severus, je suis prête à accepter presque chacun de tes divers mécanismes de défense et à y faire face. Parfois, je les trouve même attachants. Mais pas maintenant. Pas quand tu es plus affligé que je t'ai jamais vu l'être " L'examen minutieux de ces yeux était trop beaucoup; il détourna la tête. Mais elle attrapa son menton dans une poigne ferme et le força à lui rendre son regard. "As-tu entendu ce que j'ai dit?" Il avala simplement et ne dit rien. "Je prendrai cela pour un oui " Elle se mit dans une position plus confortable, croisant les jambes. "Yelena a dit aux autres que tu as dû partir pour une course et que tu pourrais ne pas être de retour avant cet après-midi. Heureusement, Lucius était si absorbé par la Gazette des Sorciers qu'il n'a pas pris la peine de la regarder. Mais moi si. Et crois moi, je sais quand elle ment, alors j'ai lancé un sortilège de repérage "

Severus soupira et se pencha légèrement et rapidement en arrière, pour échapper au contact de sa main. "J' apprécie vraiment cela, Narcissa. Vraiment. Mais c'est personnel—"

"Quand je me suis tournée vers toi pour trouver de l'aide avant d'avoir Selene—ne penses-tu pas que c'était aussi personnel?"

"Oui, mais—"

"Pourquoi, Severus? Pourquoi ne peux-tu pas accepter de l'aide quand elle t'est offerte? Ou penses-tu que je puisse le dire à Lucius?"

"Non, non je sais que tu peux garder un secret " Il la regarda et vit l'inquiétude et la colère sur son visage. "Je suis désolé, Narcissa. Je suppose que ceci sort complètement de travers. Ce que je voulais dire est que ce n'est pas seulement personnel, mais que c'est aussi au delà de toute aide. L'aide de qui que ce soit. Alors à quoi cela servirait-il de te le dire?"

Narcissa cueillit un brin d'herbe et le sépara soigneusement en deux moitiés. Les extrémités de ses ongles étaient maintenant teintées de vert. "Je ne sais pas, Severus. Mais regarde cela à l'inverse: quel mal cela pourrait-il faire? Si tu me fais confiance pour garder ton secret, pourquoi ne me le dis-tu pas simplement ?"

"Parce que…" Il émit un soupir exaspéré. Bien qu'il déteste ce genre d'argument, il devait reconnaître qu'au moins c'était quelque chose à quoi s'accrocher. "Parce que je sais exactement ce que tu vas dire "

"Je n'étais pas conscient d'être si prévisible "

"Ce n'est pas ce que je voulais dire, et tu le sais!" Elle ramassa simplement un autre brin d'herbe et lui sourit. "Ce que je voulais exprimer était qu'il n'y a pas grand chose que tu puisses dire —seulement les conseils normaux de bon sens, et je peux certainement m'en passer "

Elle émit un autre "Ah " sec. Puis elle regarda vers l'étang avec sa surface ondulant sous la brise légère. "Et quels sont exactement tes arguments contre le bon sens?"

"Il y a des problèmes qui ne peuvent pas être résolus en l'utilisant "

"Oh, vraiment?" demanda-t-elle, sa voix pleine d'étonnement moqueur. La brise jouait dans ses cheveux, et elle les tenait rassemblés, épinglés à son épaule droite, avec sa main gauche. "Quel genre de problème as-tu exactement à l'esprit?"

Se chamailler avec elle l'avait tant relâché que maintenant il se sentait capable de s'allonger en arrière, sa main en visière pour faire de l'ombre et plissant des yeux en levant son regard vers elle. "Tu sais exactement quel genre de problème. Quoi que ce quoi qui ait à faire avec des émotions ne peut pas être réduit à un problème logique"

"Foutaises " Une petite fente apparut entre ses sourcils comme elle les fronçait vers lui. "Donne moi une réponse honnête à cette question: quand tu as décidé de trahir Voldemort, était-ce un problème émotionnel?" Il émit un grognement fâché—ceci était un coup bas, mais elle avait, bien sûr, raison. "Tu vois? Et tu as pris une décision basée sur le bon sens. A moins que—" elle tordit la masse blonde de cheveux en un chignon et le fixa à sa nuque "—je t'aie complètement mal interprété, c'était le pire conflit émotionnel auquel tu ais jamais dû faire face de toute ta vie. Correct?"

"Correct," dit-il d'un ton mordant.

"Bien. Alors vas-y, raconte moi"

Sa main qui avait protégé ses yeux de la lumière du soleil descendit maintenant pour les couvrir. "Je ne veux pas de ta pitié," fut sa réponse rauque.

Au lieu de la colère à laquelle il s'était attendu, il fut salué par un carillon de rire argenté. "Je n'ai pas pitié de toi, Severus. Tu es un homme adulte et certainement plus que capable de faire face à quoi que ce soit qui t'arrive. Ce qui ne signifie pas que tu n'aies pas besoin d'un peu d'aide de temps en temps. Nous en avons tous besoin, tu sais? Nous sommes des animaux sociaux, bien que tu fasses de ton mieux pour contredire cette vérité "

Severus sentit ses murs intérieurs s'effondrer; c'était une sensation presque physique, comme être dépouillé à nu par des mains avides, leur dos couvert de poils noirs et raides jusqu'à la première jointure des doigts… Il essaya de chasser le souvenir. S'il n'avait eu pas de la vraie affection pour Narcissa—le fait qu'elle soit une femme ne l'aurait pas freiné le moins du monde—il l'aurait attaquée. Physiquement, comme il l'avait fait avec la fille. Dans l'état actuel des choses, il n'avait simplement plus la force de se défendre. Avec lassitude, il se souleva sur un coude et déboutonna son col, pour récupérer le médaillon. Sous le regard curieux de Narcissa, il sortit le parchemin, lui rendit sa taille et le lui tendit. "Intéressant," fut tout ce qu'elle dit, le lui rendant après l'avoir lu attentivement.

"En tant que litote," dit-il, riant presque, "celle-ci était assez originale "

"Mais précise aussi. Qui est-ce? Yelena?"

Severus renifla. "Non, bien sûr que non. Qu'est-ce qui te fait penser que ce pourrait être elle?"

"Eh bien, c'est la première et la seule personne que tu ais rencontré ce matin, et hier soir tu étais toujours parfaitement toi-même. Oh, et—" Ses yeux s'agrandirent, et sa main vola vers le haut pour couvrir sa bouche "Pas Selene?" souffla-t-elle.

Sa déduction et la réaction à cette déduction étaient complètement imprévues et firent par conséquent d'autant plus mal. Severus dut inhaler profondément avant de pouvoir parler. "Merci pour cette démonstration efficace de l'affection profonde que tu me portes, Narcissa. Mais sois en sure, ta fille est en sécurité "

Avec ces mots, il se remit précipitamment sur ses pieds et s'éloigna dignement vers la maison, combattant l'envie de courir. Il ignora délibérément sa voix qui l'appelait pour qu'il revienne.

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Etonnamment, la colère aidait. La colère était une émotion qu'il connaissait; il pouvait y faire face—au moins mieux qu'avec le torrent d'agonie qui l'avait balayé jusqu'à des profondeurs jusqu'ici inconnues. La colère était bonne, car elle avait une raison, un objet, et pouvait être contrôlée de certaines façons auxquelles il était habitué. La violence—que ce soit physique ou verbale—était le sillon dans lequel le liquide d'un rouge ardent devait être dirigé, pour être infusé dans l'eau glacée du détachement émotif. Un sifflement de trempe, et c'était froid et solide, prêt à être lancé contre le premier objet possible, qu'il mérite ou non de devenir sa cible.

Quand il atteignit la maison, Severus était à nouveau parfaitement composé. Le visage de marbre, il s'avança dans l'ombre fraîche du couloir d'entrée, content d'entendre les talons de ses souliers retentir sur le marbre avec des cliquetis rapides et précis. Passant devant la bibliothèque, il attrapa le murmure de voix dérivant par la porte à demi ouverte. Pendant un bref moment, ils cessèrent, et il s'arrêta pour écouter le silence. Il fut rompu par les tons autoritaires de la fille, et il sentit la colère à nouveau, rugissant profondément en lui et faisant trembler les barreaux de son sang-froid. Comment pouvait-elle oser parler, comment pouvait elle même avoir le toupet d'exister, de démolir ses espérances… Severus sentit ses ongles creuser dans ses paumes et ordonna à ses mains de se desserrer. La voix de la raison, qu'il avait jusqu'ici simplement négligée, éleva la voix dans son esprit; bien que ce fut à peine plus qu'un chuchotement timide, il était bien capable de comprendre ses paroles. Il ferma les yeux pour se protéger de ce son—quelle réaction futile et infantile, se réprimanda-t-il. Mais il ne voulait pas entendre raison. Il voulait sa colère, et il voulait trouver un coupable. Lui faire face et lui donner un coup vicieux, si dur que ses articulations de doigt se fendraient. Voir du sang, sentir du sang, attendre que le premier bruit de douleur soit émis, et frapper à nouveau.

"Sev, est-ce que ça va?"

Lucius. Un de ceux qui ne pouvait définitivement pas être blâmés pour ce désordre. En plus, il possédait plus de force physique, si bien qu'il était plus probable que ce soit Severus qui finisse avec un nez en sang. Il essaya de regagner quelque contrôle sur sa respiration déchiquetée et irrégulière et ouvrit les yeux. "Oui. Parfaitement bien. Je suppose que c'est seulement la chaleur…"

Lucius leva un sourcil. "Vraiment? Ce serait une première. En tout cas, tu devrais peut-être t'étendre un moment—le déjeuner est dans une demi-heure, et manger aidera certainement. Est-ce que ta… euh, course a été réussie?"

"Ma… oui. Oui, très réussie. Je pense que je pourrais suivre ton conseil et me retirer quelques minutes " Il se retira en titubant dans le couloir et en montant les escaliers, vers le sanctuaire de ses chambres.

Même s'il était encore très tôt, Severus alla directement se verser un whisky, qu'il vida d'un coup et ré-emplit son verre avant de se jeter sur le divan. Le petit déjeuner avait été prématurément interrompu, ainsi son estomac était vide, et l'alcool alla droit à son cerveau. Pas que ce fut une mauvaise chose, pensa-t-il vaguement, parce que cela embrumait son esprit et conduisait de la chaleur dans ses doigts et ses orteils, qui avaient été d'un froid glacial. Il trouva son chemin jusqu'à sa chambre à coucher et se laissa tomber lourdement sur le dessus de lit richement brodé. "Ah, Elias," dit-il d'une voix pâteuse quand le battement des ailes du corbeau lui envoya quelque air frais sur le visage. "Au moins toi, tu es un animal social" Il rit tout bas, puis glapit, quand l'oiseau atterrit sur sa poitrine et quand les griffes aiguisées traversèrent le tissu de ses vêtements et s'enfoncèrent dans sa peau.

Elias avait été l'auditoire attentif, même si muet la plupart du temps, de plus d'un monologue au cours des années passées. Severus s'était habitué à lui parler, car d'une manière ou d'une autre cela le calmait toujours. Les yeux noirs de fouine, la tête légèrement penchée et les battements d'ailes ou lissages de plume occasionnels fournissaient exactement la bonne quantité de réponse au flux de mots, sans l'interrompre.

Aujourd'hui, il était presque trop fatigué—et, surtout, saoul—pour parler, mais ce qui bouillait encore comme de la lave sous la surface voulait simplement sortir. Alors il fit l'effort. "C'est elle, tu sais?" dit-il, caressant les plumes de la poitrine d'Elias avec son index. "Le cauchemar aux cheveux broussailleux, celle qui a le chat avec lequel tu joues à l'occasion. Vous vous entendez assez bien, n'est-ce pas?" Le corbeau ne répondit pas, comme il fallait s'y attendre, et il passa simplement légèrement son poids d'un pied sur l'autre. "Eh bien, je suppose que oui. Mais c'est à peu près aussi bien que cela peut l'être. Parce que les relations humaines sont un peu plus complexes, tu sais? Pas que j'en sache beaucoup au sujet des relations…"

Il ferma les yeux et s'assoupit presque, mais fut tiré des débuts du sommeil par un coassement aigu. "Oh, désolé. J'ai peur d'être un peu indisposé aujourd'hui. Tu comprendrais probablement si tu comprenais…" Il rit tout bas. "Combien de fois t'ai-je parlé d'elle? Pas de celle-là, je veux dire. L'idée que j'avais…" Sa voix s'estompa, et il se sentit la gorge à nouveau tendue. "Je ne l'imaginais pas vraiment, tu sais. Je n'avais pas d'espérances exagérées—en beauté, ou en personnalité. Elle était sans visage, seulement une idée. Pas une personne concrète. Je ne me suis jamais posé de questions sur la couleur de ses cheveux ou la longueur de ses jambes. Après tout," soupira-t-il, "ce serait un peu étrange si je devais, entre tous, exiger des attributs de beauté physique, n'est-ce pas? Eh bien, c'est un peu trop compliqué pour toi, je suppose " Il bougea, pour pouvoir reposer sa tête sur le tas d'oreillers, voyant clairement dans son esprit—bien qu'il ne l'ait jamais vraiment vu—le contraste sévère entre le lin blanc amidonné et les brins maigres de cheveux noirs. "Mais je vais te dire," continua-t-il, "ce que m'a si complètement brisé ce matin. C'était aussi en partie de ma propre faute, je vais admettre cela, même si ce n'est que devant toi. En dépit de cette solitude qui me mangeait de l'intérieur, en dépit du désespoir et du désir de quelqu'un qui m'appartiendrait… Non " Il ferma les yeux, sentant maintenant à peine la pression douce du poids de l'oiseau contre sa joue. "Non. Je voulais appartenir à quelqu'un. C'était cela l'envie ultime. Je voulais quelqu'un qui m'accepterait, entièrement et absolument. Je voulais quelqu'un sur qui m'appuyer—je n'ai jamais eu cela, tu sais? Et, pour dire la vérité—" il se souleva sur ses coudes, les yeux à nouveau ouverts et scrutant la salle sans rien chercher de particulier "—je ne suis pas si sûr que n'importe quelle femme errant sur cette terre eut provoqué une réaction différente, une fois que j'eûs appris son identité. Parce que—" il éleva sa main droite, l'index pointé vers Elias "—comme je le disais, en dépit de la solitude, je m'étais tout à fait accoutumé à cette idée vague de quelqu'un. C'était devenu confortable et connu. Quiconque remplaçait cela n'aurait jamais pu s'en montrer digne. C'est la vérité, Elias "

Il se laissa retomber dans les oreillers. "Bien que je doive dire que cette incarnation de mes espoirs est au delà du pire cas que j'eûs pu imaginer. C'est une enfant, Elias. Simplement une enfant. C'est vrai, je pourrais la prendre dans mon lit si je le voulais, car elle a déjà quinze ans. Grâce à ce maudit retourneur de temps," ajouta-t-il d'un ton bourru. "D'autre part, quel bien cela me ferait-il de la prendre dans mon lit? Avec Lestrange, les choses étaient différentes, il avait désiré Tabitha depuis le jour où elle avait été répartie. Je n'ai jamais eu de pensées déplacées au sujet de n'importe lequel de mes élèves, moins que tout au sujet de cette autoritaire encyclopédie sur deux pattes." Elias battit brièvement des ailes puis s'installa sur l'oreiller, à côté de son visage. "N'ais pas le toupet de la défendre. Comprends-tu? Je vais devoir…" Il passa une main fatiguée sur ses yeux. "C'est exactement la question: que puis-je faire ou que ferai-je? Si c'est elle, c'est elle. Trop de prédictions de Sibylle se sont réalisées—je ne doute pas que celle-ci soit aussi vraie que les autres. Alors que puis-je faire, Elias?"

Il s'assit, croisa les jambes et regarda vers le bas ses mains, qui étaient posées sur ses genoux. "Pour le dire sans ménagements, j'ai deux alternatives: l'accepter ou la rejeter. Et honnêtement, je ne sais absolument pas laquelle des deux est pire. Je n'en ai absolument aucune idée. Mais je sais qu'elle devra être mon âme soeur. A bien y penser, cela semble ridicule " Il balança ses jambes par-dessus le bord du lit et se leva, titubant légèrement. "Merde, Elias, je n'aurais pas dû prendre ce deuxième whisky. Peut-être pas même le premier. Mais heureusement—" il passa une main dans ses cheveux en une tentative vaine pour les arranger, mais au moins il réussit à ôter quelques uns des brins herbes perdus "—heureusement je suis un Maître de Potions et je suis ainsi bien équipé pour une telle occasion "

Severus entra dans la salle de bains et prit une fiole dans un petit nécessaire** rempli de récipients similaires. "Une bonne petite gorgée de potion d'insomnie devrait faire l'affaire. En parlant de potions," continua-t-il après avoir avalé le liquide et refermé la fiole, "je dois trouver une façon de lui administrer le Falsitaserum. Si Yelena ne m'avait pas dit ce qu'elle m'a dit, une tasse de chocolat chaud le soir pourrait avoir résolu le problème. Mais dans l'état des choses…" Il regarda son reflet dans le miroir et prit un air maussade, se souvenant de comment il avait fait l'inventaire de son apparence physique il y a tant d'années, après qu'il ait posé les yeux pour la première fois sur Yelena. A cette époque, les choses avaient semblé relativement simples—avec encore toute sa vie devant lui, il s'était senti comme un sculpteur avec un bloc intact de marbre. Il y avait eu de telles choses que de l'espoir, peut-être même des rêves. Maintenant, la sculpture qui était sa vie était plus ou moins terminée, finement ciselée et taillée. Quelques détails pourraient être ajoutés, mais rien d'essentiel ne pourrait plus être altéré sans tout détruire. Et la fille… Viviane, se corrigea-t-il mentalement, Viviane avait été une partie importante, bien qu'involontaire, de cette vie, la formant avec des mains invisibles mais toujours présentes, qu'il apprécie cela ou non. Il devrait la tolérer, et essayer de s'en accommoder du mieux qu'il le pouvait. Sa seule consolation étant que sa vie à elle, et aussi sa personnalité, n'étaient pas encore arrivées à pleine maturité. Peut-être y avait-il une possibilité…

Il secoua la tête à son propre reflet avec exaspération et quitta la salle de bains. Il était temps de descendre déjeuner.

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Sibylle et Owen avaient purement et simplement refusé de venir au Manoir Malfoy tous les jours—Sibylle avait même marmonné quelque chose au sujet de 'babysitting'—et avaient clamé qu'ils avaient le droit d'avoir un peu de plaisir et d'intimité pendant les vacances. Ainsi, Drago et Viviane avaient travaillé dans la bibliothèque tout seuls, surveillés seulement par les coups d'oeil occasionnels que Lucius ou Yelena leur avaient lancé environ une fois par heure.

"Elle peut être une épine insupportable dans le pied," remarqua Lucius, faisant tourbillonner le vin dans son verre avant de le goûter, "mais elle a certainement beaucoup de discipline "

Pour la première fois, Severus sentit le poids de la connaissance que Yelena lui avait impartie lui tomber dessus avec pleine force. D'une manière ou d'une autre, il se sentait obligé de la voir comme une jeune femme plutôt que comme une enfant, mais tout son être se rebellait contre ce changement radical de point de vue. "Eh bien, oui," répondit-il, avec hésitation, "Elle a toujours été très rigoriste pour toutes les règles qu'elle a pu trouver. Espérons que quelque chose de substantiel viendra de leur travail, en tout cas. Où est Black?"

"Je n'avais pas idée qu'il te manque autant," répondit Lucius avec un ricanement. "Mais puisque tu poses la question…" Il prit une petite gorgée de vin, la goûta et hocha la tête. "Excellent—nous avons passé une matinée extrêmement désagréable en compagnie l'un de l'autre, et je pense qu'il en a si marre qu'il préférera déjeuner dans sa chambre. J'espère sincèrement que cet après-midi, je ne devrai pas faire tout le travail tout seul "

"Certainement pas. Mais j'étais un peu… hors jeu ce matin "

"Il semble que tout le monde le soit, aujourd'hui. Mère était distraite, pour utiliser une expression polie, et Narcissa s'est enterrée dans ses chambres " Il regarda par la fenêtre et secoua la tête. "Voyant que le temps ne semble pas changer, je ne peux pas tout à fait croire que c'est une migraine, mais c'est ce qu'elle m'a dit"

Déchiré entre se sentir coupable—bien que pas trop, car la réaction de Narcissa l'avait véritablement blessé—et amusé du déplaisir évident de Lucius à ne pas être le soleil autour duquel les membres féminins de la maisonnée tournaient d'habitude, Severus fit un signe de tête diplomatique. "Quoi que ce soit d'intéressant?" demanda-t-il, quand Lucius tira une copie de la Gazette du Sorcier de sa poche et la lui tendit.

"Tu peux certainement dire cela "

Severus déplia le journal. Le gros titre était 'RITA SKEETER DISPARUE SANS LAISSER DE TRACE—APPLICATION DE LA LOI SANS INDICE' "Je suis sûr qu'ils auraient ajouté 'COMME D'HABITUDE', s'il y avait eu assez d'espace," remarqua-t-il tout en lisant l'article.

"Et ils auraient, bien sûr, eu raison. Pierson ne semble pas être trop en deuil, cependant"

Nathalie Pierson, rédactrice en chef du journal, dont la photo était sur la première page sous une photographie de Rita Skeeter, semblait en effet tout à fait composée. Severus renifla moqueusement. "Je ne peut pas dire que je l'en blâme. Elle nous remercierait probablement à genoux, si—" Il s'arrêta à mi phrase, car la porte fut ouverte par Drago, qui s'avança dans la pièce, tenant la main de Selene, suivi par Viviane.

" Mère a dit qu'elle ne descendait pas déjeuner," informa-t-il les deux hommes, et grand-mère a dit qu'elle lui tiendrait compagnie "

Les enfants prirent place, et Selene fut lévitée sur sa chaise haute à côté de Lucius. "Lene veut l'homme-chien!" se plaignit-elle. "Où est l'homme-chien?"

Drago toussa dans sa serviette de table, cachant ainsi son divertissement devant l'exaspération bien trop évidente de son père, et Viviane pouffa de rire.

"M. Black," dit sèchement Lucius, "ne mangera pas avec nous. Tu devras te contenter de notre compagnie "

La salade fut servie, et tout le monde commença à manger. Severus regardait furtivement les deux jeunes, assis du côté opposé de la table, de dessous des paupières à demi fermées. Les joues de la fille étaient rougies, et elle semblait être en train d'éclater au sujet de quelque chose d'important. Drago aussi, semblait bien plus animé que d'habitude, mais il y avait un scintillement indubitable de jubilation dans ses yeux. Qu'est ce que ces deux là préparaient?

Quand Viviane ouvrit finalement la bouche pour parler, Drago la devança de quelques fractions de seconde. "As-tu vu cet article au sujet de Skeeter, père?" demanda-t-il, ignorant délibérément le regard furieux de la fille. Ou plutôt, pensa Severus, l'appréciant.

"Difficile de ne pas remarquer un gros titre de quelques centimètres, ne penses-tu pas?" fut la réponse sarcastique de Lucius. "Bien sûr que je l'ai lu. Vilaine affaire," ajouta-t-il nonchalamment, transperçant une tomate cerise.

La fille s'étouffa sur la bouchée qu'elle mâchait. "Qu'est ce—" commença-t-elle, mais elle fut interrompue par Lucius.

"Sois gentille d'avaler avant de parler," la coupa-t-il. "Mademoiselle Skeeter ne va plus nous déranger. Le sujet est clos"

Elle rougit, baissa les yeux vers son assiette et continua à manger. Quand le plat principal arriva, cependant, elle avait apparemment regagné ses esprits et était prête à laisser échapper ce qu'elle estimait si important, quoi que ce soit. Mais Drago fut à nouveau plus rapide et demanda, "Père, penses-tu que je pourrais faire un peu d'entraînement de Quidditch cet après-midi? Le temps est splendide—ce serait une honte de rester à l'intérieur " cette fois, Viviane lui donna un coup de pied dans la cheville sous la table—Severus vit cela avec amusement. Maintenant, il avait bien sûr compris ce que le garçon préparait. Pas qu'il fût moins impatient de dire à son père ce qu'ils avaient découvert ou ce à quoi ils avaient pensé. Mais il voulait aussi asticoter Viviane en profitant de la règle d'or selon laquelle personne ne devait interrompre le Seigneur du Manoir. Tout à fait ingénieux, vraiment. Severus fit un clin d'oeil au garçon, qui répondit avec un sourire conspirateur.

Ce qu'il n'avait pas pris en compte, cependant, était l'entêtement de Viviane.

"Cela," dit Lucius, "dépend entièrement des progrès que vous avez fait—"

"Mais c'est que je voulais vous dire depuis que nous sommes entrés dans cette salle!" l'interrompit la fille. "Je pense que j'ai eu une idée et…" Sa voix s'estompa—peu étonnant, car le pli entre les sourcils de Lucius s'approfondissait de manière inquiétante. "Je… je vous demande pardon," bégaya-t-elle, "je ne voulais pas vous interrompre… désolée…" Mais elle ne recula pas devant le regard gris acier.

"Je suggère que, si tu ne veux pas m'interrompre, tu agisses suivant tes louables intentions, ma chère," répliqua-t-il. "Mais considérant le fait que tu va probablement éclater dans les quelques prochaines secondes à moins de nous faire part de tes nouvelles oh-si importantes, sens toi libre de parler " Cela dit, il retourna son attention aux tentatives de sa fille pour enlever les arêtes d'un morceau de poisson.

Viviane rejeta en arrière sa crinière de boucles frisées, se racla la gorge et commença, "Avant de vous le dire, je veux que vous promettiez de ne pas rejeter l'idée simplement parce qu'elle est inspirée par les Moldus."

Comme Lucius l'ignorait complètement, Severus dit, "Peut-être devrais-tu simplement en venir au point, Viviane "

"Bon, d'accord. Vous m'avez raconté ce que le Baron Sanglant vous avait dit, comme quoi les Détraqueurs sont fondamentalement des agglomérats d'énergie négative. Considérant le fait que c'est de l'énergie magique négative, les Moldus ne peuvent pas les voir. Ils sentent simplement leur effet. Pour nous les sorciers, ils apparaissent sous forme humaine. Un des livres mentionnait que les gobelins les perçoivent comme des orques, qui sont—"

"Nous savons tous ce que sont des orques. S'il te plaît épargne nous les explications interminables "

Elle rougit. "Désolée, je me suis laissée emporter. D'habitude je dois tout expliquer…"

"Nous ne sommes pas Potter et Weasley," marmotta Drago, mais il se tût sous le regard sévère de son père.

"Et les livres mentionnent aussi le fait," continua-t-elle, imperturbable, "que le sortilège de Patronus crée simplement une quantité d'énergie magique positive assez forte pour les éloigner. Mais pas pour les désintégrer. On pourrait comparer cela à une clôture électrique—"

"Une quoi?" dit Lucius, évidemment confondu mais intéressé malgré lui.

Pour gagner du temps, Severus décida que c'était le moment d'intervenir. "L'électricité," expliqua-t-il, "est une forme d'énergie que les Moldus utilisent "

"Je sais certainement cela!" grogna Lucius, agitant une main impatiente.

"Ah, je n'en étais pas conscient. Bien, donc une clôture électrique est fondamentalement une longueur de fil non isolé, chargée d'électricité à basse tension. Si on la touche, on sent un choc insignifiant— les Moldus les utilisent pour empêcher de plus grandes bêtes comme les vaches ou les chevaux de s'échapper de leurs enclos. C'est légèrement désagréable, mais nullement nuisible ou blessant"

Viviane lui fit un sourire reconnaissant et continua son tirade. "Exactement. La basse tension est désagréable, assez pour vous faire éviter toute répétition du contact. La haute tension tue. Alors j'ai pensé que ce pourrait être pareil pour les Détraqueurs. Un Patronus les tient à distance. Une quantité massive d'énergie magique positive pourrait les détruire" Elle inspira à fond et fit un sourire rayonnant à tout le monde. Severus trouva cela difficile de ne pas donner dix points à Gryffondor.

"Viviane intelligente!" croassa Selene, brandissant sa fourchette.

"Oh ferme-la, toi," dit Drago plaisamment, "Tu n'as pas compris un seul bout de ce qu'elle a dit "

"Homme-chien gentil! Viviane intelligente!" répéta-t-elle.

Son père roula des yeux. "Arrête ça, Selene. Nous parlons de problèmes importants. Tout cela est très bien," s'adressa-t-il à Viviane, "Mais, autant que je puisse en juger, ce n'est qu'une théorie "

"Pas. Du. Tout " Elle lança à nouveau ses cheveux en arrière, et lui lança un regard triomphal. "Et c'est là que les Moldus interviennent "

"Oh,"dit Lucius, le venin tout à fait discernable dans sa voix, "je pensais qu'ils étaient responsables de la métaphore de la clôture électrique "

Son ironie fit ricochet sur son enthousiasme zélé comme une balle de caoutchouc sur un mur de béton. Elle n'était absolument pas perturbée. "Ca aussi. Mais l'analogie vraiment intéressante est celle avec la physique Moldue. J'ai lu un peu—"

"Oh, vraiment?" Drago battit des paupières. "Et moi, j'étais là à penser que tu jouais tout le temps au Quidditch…"

"Oh, ferme la! C'est si facile, tu sais, tous des sarcasmes parce que je préfère la lecture et l'étude aux autres passe-temps! Laisse moi simplement tranquille!"

"Drago, s'il te plaît," dit Lucius. "Je pense que nous étions déjà d'accord sur le fait que ceci n'était pas sujet à plaisanteries. Sois gentil de laisser Viviane continuer "

"Oui, père " Quand Drago boudait, il croisait toujours les bras devant sa poitrine et regardait fixement ses pieds. Ceci était exactement ce qu'il faisait maintenant, seulement ses pieds étaient cachés par la nappe et donc il devait regarder avec morosité son assiette vide.

"Bien," dit-elle, "je vais essayer de rendre ceci aussi court et compréhensible que possible. Depuis le début de ce siècle, il y a eu une théorie—maintenant ce n'est plus une théorie mais cela a été prouvé par une série d'expériences—selon laquelle l'univers n'est pas entièrement constitué de matière. Les scientifiques fait l'hypothèse et ont finalement prouvé qu'il existe aussi de l'antimatière. Si—" elle avait maintenant une ressemblance étonnante, pour ne pas dire légèrement comique, avec McGonagall quand elle était en plein mode d'enseignement "—de la matière rencontre de l'antimatière, ils s'annihilent l'un l'autre. Mais—" elle leur lança à chacun un regard de pure supériorité "—bien sûr ils ne se dissolvent pas simplement sans rien donner. Cette rencontre crée beaucoup d'énergie. Tant pis pour cela, cependant. Ce qui est important est que la matière et l'antimatière disparaissent toutes les deux "

"Es-tu en train de suggérer," demanda Severus, soudain fasciné, "que ce qui s'applique à la matière et à l'antimatière pourrait aussi s'appliquer à l'énergie positive contre l'énergie négative? L'énergie magique, je veux dire?"

"Fondamentalement oui. Parce qu'il faut considérer le fait que, bien que les Détraqueurs soient seulement un agglomérat d'énergie négative, ils sont aussi assez tangible. Alors de la matière est impliquée. Donc, si nous pouvions réussir à trouver le bon genre de… eh bien, appelons cela de l'Antimatière à Détraqueur, nous pourrions peut-être simplement les annihiler "

"Hmm…" Lucius se pencha en avant, les avant-bras posés sur la table, les bouts de doigts appuyés ensemble. Seule la blancheur de ses ongles, où le sang avait cédé à la pression, trahissait son agitation. "Alors le problème crucial semble être que nous devons trouver le bon genre d'antimatière "

"O-oui. C'est exactement le problème. Mais je pense qu'il pourrait y avoir une solution. C'est encore un peu flou, mais je vais essayer d'expliquer ce que je veux dire. Je n'ai jamais conjuré de Patronus moi-même, mais Harry m'a dit qu'il faut appeler un souvenir très fort et heureux. Est-ce exact?"

"Exact," acquiesça Severus. "Il faut l'appeler dans le sens qu'il faut réussir à revivre ce sentiment, et voir de même l'image apparentée dans son esprit. Une fois complètement immergé dans cet état, on prononce l'incantation "

Elle hocha la tête, apparemment satisfaite. "Et le Patronus lui-même? Est-ce… solide? Tangible?"

"Non. Le Patronus est une projection "

"Alors mon idée pourrait marcher," dit-elle, tordant une mèche de cheveux autour de son doigt. "Parce que vous voyez, ce qui fait marcher le Patronus est le souvenir heureux. Le Patronus lui-même est, comme vous l'avez dit, simplement sa projection. Donc, ce dont nous avons besoin est de ce souvenir sous forme tangible, pour pouvoir littéralement le lancer au Détraqueur. Cela devrait marcher"

"Des souvenirs sous forme solide—bien sûr!" Lucius s'assit tout droit. "Bien sûr! Ce dont nous avons besoin est d'une pensine, remplie de souvenirs—brillant, Viviane, véritablement brillant!"

"Eh bien," dit-elle, "je dois donner le crédit où il est dû: Drago m'a parlé de la possibilité d'extraire des souvenirs. Je savais que les pensines existaient, mais je n'avais aucune idée de comment elles marchaient "

"Attendez, attendez, attendez," Severus interrompit l'enthousiasme général, "je n'ai vraiment pas l'intention de faire pleuvoir sur votre cortège, mais et l'énergie qui pourrait être libérée? Et avez-vous pensé du tout à la difficulté de calculer la quantité de souvenirs extraits dont nous aurions besoin par tête, pour ainsi dire?"

"Non," répondit-elle joyeusement, "j'ai pensé que nous pourrions essayer de découvrir cela ensemble "

"Qu'est-ce que tu veux exactement dire par 'découvrir'?" dit Lucius, plutôt perplexe. "Je sais que tu avais toutes sortes d'idées au sujet des horreurs que tu trouverais au Manoir Malfoy, mais même toi, tu n'aurais pas pu croire sérieusement que j'avais un Détraqueur comme animal favori?"

A cela, elle rit. Severus remarqua qu'elle semblait être beaucoup plus à l'aise avec les hommes Malfoy maintenant. Probablement parce qu'elle sentait finalement qu'elle avait quelque contrôle sur la situation. Et ils avaient tous les deux reconnu son intelligence—à l'évidence c'était le plus important pour elle. "Non, pas vraiment. Mais je pensais que Sirius pourrait peut-être aider "

"Black? Comment pourrait-il—si tu veux dire l'utiliser comme appât pour attirer les Détraqueurs chez moi—"

"Pas ici, bien sûr que non. Mais ne pourriez-vous pas prétendre à Vous-Savez—je veux dire, à Voldemort que vous devez rassembler des informations avant de vraiment attaquer Azkaban? Comme cela nous pourrions aller là-bas et—"

"Si quelqu'un exécute vraiment cet arrangement fou," l'interrompit Severus "Cela sera Lucius, Owen et moi. Tu resteras à la maison "

Elle lui lança un regard belligérant. "J'ai quinze ans et—"

Etonnamment, elle trouva un allié en Drago. "Moi aussi. Si elle y va, je veux venir aussi!"

"Lene veut voir traqueurs! Lene veut voir traqueurs!"

"Silence!" beugla Lucius. "J'en ai assez de ce comportement enfantin! Toi—" il pointa du doigt vers Drago qui rétrécissait à vue d'oeil "—va t'entraîner au Quidditch ! Et toi—" les yeux de la fille s'élargirent "—prend ta nièce et accompagne-le! Je ne veux voir aucun d'entre vous avant le dîner. Et si n'importe lequel d'entre vous a ne serait-ce qu'un bleu ou une égratignure, gare aux conséquences!"

Le trois quittèrent la salle de manière très précipitée, et Lucius se laissa retomber sur sa chaise. "Merlin m'aide," soupira-t-il, "mais deux adolescents et un bébé sont simplement plus que je ne peux prendre. Je me demande comment tu as réussi à survivre à l'enseignement jusqu'ici "

"En les intimidant, bien sûr. Ce qui est une chose que tu ferais mieux d'éviter, je suppose, en ce qui concerne ta propre progéniture. Que penses-tu du.... plan de Viviane, faute d'un meilleur mot?"

Lucius dit d'un ton rogue à l'Elfe de Maison de service de leur apporter du café puis considéra la question de Severus. "Eh bien," dit-il finalement, "cela semble tout à fait attirant. Semble, attention. Mais même si nous réussissons à éliminer tous les problèmes que Viviane semble considérer comme problèmes mineurs, j'ai quelques doute au sujet de se faisabilité "

Regardant avec dégoût Lucius mettre deux sucres dans son café, Severus but à petits coups sa propre tasse—noir, et amer, bien sûr. "Tu veux dire l'expédition à Azkaban?"

"Ca, aussi. Mais ce qui m'inquiète le plus est la question de comment diable toutes les maisonnées magiques de Grande Bretagne vont pouvoir être équipées de pensines au cours des quelques prochaines semaines. De plus, quelqu'un devrait enseigner aux gens comment extraire les souvenirs "

"Eh bien…" Severus fit un sourire moqueur. "Il y a toujours le Vénérable Dumbledore et son intrépide groupe de résistance…"

"Vrai, mais ceci serait une tâche au delà même de leurs capacités. En plus, nous ne savons pas combien de personnes il a "

"Hmm…" Severus se frotta le front. Que le temps soit en train de changer ou pas, il sentait une migraine venir. Peggy devrait s'en occuper avant qu'ils ne continuent leur travail avec Black, ou il ne pourrait pas être tenu responsable de ses actions. "Et si nous essayions de persuader Voldemort de les utiliser comme une sorte d'arme ultime? Au cas où tout le reste échoue. Parce que—" il vida la dernière goutte de café de sa tasse "—s'il les utilise en masse, pour une attaque de concert, disons, sur Poudlard ou le Ministère, ils pourraient être entièrement éliminés, tous en même temps "

"Et que suggères-tu qu'il fasse avec eux entre-temps? Les garder dans une boîte?"

"Nous pourrions lui proposer de créer sa propre prison, où il pourrait incarcérer des captifs. Cela lui plairait, ne penses-tu pas? Et entre-temps, Dumbledore et sa joyeuse bande parcourraient l'Angleterre pour recueillir des souvenirs en bouteille "

"Cette idée a certainement du mérite. Peut-être devrions-nous laisser cela tel quel maintenant et en parler à Owen la prochaine fois que nous le verrons. Et maintenant—" il se leva de son siège "—attaquons-nous à Black " Il rit tout bas. "Je ne peux pas attendre de voir son visage quand il entendra la tâche que nous lui avons choisie "

"Attends que nous lui disions de qui était l'idée," dit Severus.

L'idée l'égaya considérablement, et il quitta la salle à manger à la suite de Lucius, d'une bien meilleure humeur qu'il y était entré.

** en français dans le texte