C'est l'histoire d'une meuf qui devrait faire autre chose, mais qui a constamment des idées de nouvelles fics.

Bonjour à toutes et à tous !

Une fois n'est pas coutume chez moi, j'ai écrit un Stony, ou plutôt un Stoni, puisqu'ici, Toni Stark est une femme.

TW : mention de torture, de viol et de mort. A part ça, beaucoup de fluff, pour vous réchauffer le cœur ^_^

Bonne lecture !


Carnet de voyage

Thor et Loki disparurent dans un torrent de lumière blanche et multicolore à la fois. Les Avengers restants gardèrent le silence pendant quelques instants, puis le sort fut brisé par Black Widow et Hawkeye. Ils saluèrent pudiquement le reste d'entre eux, montèrent en voiture et s'éloignèrent à petite vitesse. Steve savait que Bruce Banner avait accepté l'offre de Pepper Potts de travailler pour Stark Industries. L'homme timide le salua et partit tranquillement, les mains dans les poches, se fondant facilement parmi les anonymes qui se promenaient dans Central Park.

Il ne resta plus que Steve et Iron Man. L'homme robot, dont personne ne connaissait la véritable identité, n'était pas loquace, pourtant, il prit la parole.

« Que comptez-vous faire, maintenant, Capitaine ? »

La voix artificielle mettait toujours Steve mal à l'aise, mais il avait moins d'animosité envers Iron Man désormais. Un combat victorieux contre un ennemi commun pouvait transformer les plus belligérants en amis sincères.

« Je ne sais pas, admit Steve. Fury m'a proposé de rejoindre le SHIELD, mais je ne veux pas me jeter sur la première offre venue. Pour moi, il y a encore quelques mois, nous étions en guerre. Je venais de perdre mon meilleur ami. Maintenant, s'il n'y a pas de tentative d'invasion de la Terre, je suis un peu désœuvré. Pardon. Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça.

— Vous avez besoin de vacances, résuma Iron Man. »

Il y eut un silence inconfortable, puis l'homme d'acier reprit :

« J'ai entendu dire que les Alpes suisses sont très agréables en cette saison. À plus, Cap'. »

Et l'armure décolla en trombe, laissant Steve seul au milieu de Central Park.

Les retombées médiatiques de la bataille de New York furent intenses. Steve se cacha dans les locaux du SHIELD pendant deux bonnes semaines avant que la presse ne s'intéresse à autre chose. Captain America était plus vite identifié que Steve Rogers, mais il ne voulut prendre aucun risque.

En attendant de pouvoir circuler à nouveau librement, il rêvassa à des vacances bien méritées. Quand il avait présenté son projet à Nick Fury, celui-ci n'avait pas eu l'air surpris.

« Quelqu'un pourra vous aider à acheter des billets d'avion, soupira-t-il. Prenez le temps que vous souhaitez, Captain Rogers. Si vous revenez, je veux que vous soyez sûr de votre engagement. Sinon, on vous aidera à vous réinsérer. Vous pensez partir où ?

— En Europe. Je voudrais en faire le tour et en profiter cette fois. Il paraît que les Alpes suisses sont magnifiques au printemps. »

Steve ignorait combien de temps il voyagerait, mais il n'avait aucun souci à se faire pour l'aspect financier de ses vacances. L'armée américaine avait été obligée de lui verser un dédommagement conséquent représentant soixante-dix ans de salaire, indexé sur l'inflation. La somme était coquette, mais cela ne s'était pas arrêté là.

La CEO de Stark Industries, Pepper Potts, avait tenu à lui octroyer une rente, au nom de l'amitié que lui portait Howard. Curieux et pas dupe, Steve lui avait demandé pourquoi elle avait pris un tel engagement, la femme d'affaires avait eu un sourire triste.

« Captain America était le héros préféré de Toni Stark, avait-elle répondu. »

Steve n'avait rien ajouté. Il était de notoriété publique que ce sujet était très délicat. Virginia Potts, surnommée Pepper par feue son employeuse, refusait la plupart du temps d'en parler.

Steve avait accepté l'argent, et chaque mois une jolie somme était versée sur son compte en banque. Toutes choses considérées, ce revenu était une aubaine. Perdu dans le XXIe siècle, Steve ne savait pas quoi faire de sa vie, mais cela ne retirait aucunement les énormes besoins qu'il avait.

Le plus évident était la nourriture et la boisson. Son métabolisme amélioré grillait plus de calories en quelques heures qu'un homme adulte n'en mangeait en une journée. Il devait donc ingérer des quantités phénoménales de nourriture et d'eau. Certes, il pouvait jeûner pendant de longues périodes, mais alors son corps devenait lourd et lent, et son esprit s'embrumait rapidement.

Son deuxième besoin le plus important était la dépense physique, et par corollaire, les chaussures, vêtements et accessoires de sport. Il usait une paire de chaussures en un mois, avec un rythme d'un footing par jour. Il crevait les sacs de sable comme s'ils étaient des piñatas. Il lui arrivait même de briser les appareils de musculation après seulement quelques mouvements.

Enfin, il y avait tout le reste. Steve n'avait jamais complètement réussi à modérer sa force. Il cassait régulièrement son environnement. Bucky et les Howling Commandos avaient fini par lui interdire de toucher à quoi que ce soit sans supervision.

L'argent n'était donc pas un problème, mais décider de sa destination l'était bien plus.

En définitive, Steve voulut se réconcilier avec les pays de l'Axe, et choisit de faire un road-trip à travers les Alpes, de l'Autriche, jusqu'à la France en passant par l'extrême sud de l'Allemagne, l'Italie et bien sûr, la Suisse.

Trois semaines après la bataille de New York, il atterrit à Vienne où il loua une voiture à une compagnie internationale avec la promesse qu'il pouvait déposer la Skoda Octavia dans n'importe quelle enseigne de la compagnie à travers l'Europe.

Le véhicule était agréable à conduire. Steve déposa son sac dans le coffre et son bouclier (dans une housse bleu marine) sur le siège arrière, puis s'élança sur la route. Il n'alla pas bien loin, quelques quartiers plus loin, où il avait réservé une chambre d'hôtel. La capitale autrichienne était toujours un centre culturel important, et en artiste manqué, il voulait en profiter.

Il prit une semaine pour découvrir le patrimoine culinaire et artistique de la ville. Il ne résista pas longtemps avant de s'acheter de quoi dessiner, et chaque matin, il s'installait à la terrasse d'un café pour prendre un petit-déjeuner et croquer la vie urbaine, bien différente de celle de New York.

Il était en contact avec les autres Avengers (minorés d'Iron Man qui ne souhaitait pas être joignable), et plus particulièrement avec Natasha. La talentueuse espionne lui avait conseillé un itinéraire à travers les pays alpins, et en échange il lui envoyait des photos et des petits résumés de ses visites.

« Je pars pour Salzbourg, écrivit-il dans l'application de discussion instantanée.

Bonne route ! répondit Natasha. »

Steve n'était pas dupe. Natasha faisait son rapport à Coulson, voire directement à Fury. Il estimait que le directeur du SHIELD était mis au courant de ses déplacements dans le quart d'heure. Cela ne l'ennuyait pas tant que cela. Il n'était pas adapté à ce monde, et la surveillance du SHIELD était autant une nuisance qu'une sécurité pour lui.

Ainsi, il traversa l'Autriche, fit une petite excursion en Allemagne, puis descendit presque perpendiculairement jusqu'en Italie. Partout, il visita des châteaux, des musées, des parcs. Il goûta aux spécialités locales et discuta avec des habitants. Personne ne le reconnut. Après tout, il n'était qu'une célébrité nationale, et sans son costume, les gens n'avaient aucune raison de chercher Captain America derrière Steve Rogers.

Deux semaines après son arrivée en Europe, il passa la frontière de la Suisse. Il montait vers le nord après avoir visité le château Savoia Gressoney, quand son GPS dysfonctionna complètement. Les routes étroites en lacet montaient toujours plus haut, et Steve avait l'impression qu'il ne roulait pas dans la bonne direction. Malheureusement, la montagne était aussi belle que peu peuplée.

Il grimpa sans croiser âme qui vive pendant encore une petite heure avant de déboucher sur un cul-de-sac. La route s'arrêtait brutalement par une barrière en bois et un écriteau indiquant Propriété privée — Accès secours. Steve fit la moue. La nuit tombait, il n'avait aucune idée de l'endroit où il se trouvait, et il était certain qu'il n'avait croisé aucun carrefour depuis des heures. Il avait suivi un très long lacet en espérant tomber sur un village, mais apparemment, il s'était leurré.

Néanmoins, tout n'était pas perdu. À défaut de retrouver son chemin sur une dangereuse route de montagne en pleine nuit, il apercevait entre les arbres un peu plus haut un grand chalet, où de la lumière indiquait que quelqu'un habitait là. Il n'avait rien à perdre. Il prit son sac, son bouclier dans sa housse, laissa la voiture sur le bas-côté, et brava le petit chemin pentu derrière la barrière.

Même en juin, à cette altitude, il faisait froid la nuit. Un petit nuage blanc s'échappait de sa bouche à chaque respiration. Steve avançait d'un bon pas pour ne pas se refroidir trop vite. Après quelques minutes, il atteignit un lourd portail en bois et fer forgé qui barrait le chemin. Tout autour de la propriété s'érigeait un haut mur de plusieurs mètres, de briques rouges, et surmonté de piques en fer forgé qui reprenaient des motifs du portail. Visiblement, la personne qui habitait là ne souhaitait pas qu'on outrepassât sa propriété.

Le tout avait un air médiéval, tel que le XIXe siècle l'avait fantasmé. Ennuyé, Steve s'approcha du portail et aperçut avec soulagement un interphone tout à fait ordinaire pour ce siècle. Il appuya sur le bouton. La réponse fut presque immédiate :

« Chalet Versteck. Was kann ich für Sie tun ? »

Évidemment, son interlocuteur parlait allemand, et Steve n'était pas suffisamment doué avec cette langue pour la parler. Il comprenait les bases, et pouvait baragouiner quelques mots, mais expliquer sa situation en allemand était au-dessus de ses compétences.

« Es tut mir leid. Je suis américain. Je me suis perdu, et je n'ai aucune idée du chemin à suivre pour trouver le village avec un hôtel le plus proche.

Veuillez patienter un instant, répondit son interlocuteur en anglais, puis il reprit après un silence. Madame Blunt accepte de vous laisser entrer. »

Steve n'eut pas le temps de remercier l'homme à l'autre bout de l'interphone, il y eut un clac et le portail s'ouvrit automatiquement. Remontant son sac sur ses épaules, Steve s'engouffra sur le chemin qui continuait à monter. Il y avait des traces de voiture assez anciennes, ce qui signifiait que les occupants du chalet ne sortaient pas beaucoup de chez eux.

Le bâtiment présentait une architecture traditionnelle combinée à un confort tout à fait moderne. L'endroit était de toute façon bien plus grand qu'un chalet traditionnel. Quiconque habitait là avait des moyens substantiels.

La distance entre le portail et l'entrée du chalet était presque aussi longue que celle entre la barrière routière et le portail. Lorsque Steve monta les marches du perron, un homme ouvrit la porte avant qu'il n'ait pu frapper.

« Bonsoir, salua Steve. Je suis vraiment désolé de débarquer ainsi.

— Ce n'est rien, répondit l'homme en lui tendant la main. Puis, cela me fait plaisir d'aider un compatriote. Je suis James.

— Steve. Alors vous êtes américain aussi ? Vous êtes en vacances ?

— Moi oui. Je rends visite à ma meilleure amie, qui est la propriétaire des lieux. Elle est très timide, vous ne la verrez pas. »

Cela avait du sens. Un chalet isolé et barricadé, pas de traces de passage fraîches, la propriétaire vivait en ermite.

« Mais entrez, entrez. J'allais préparer quelque chose à manger. Vous devez avoir faim. En attendant, je peux vous proposer un apéritif.

— Je vous dédommagerai, bien sûr, offrit Steve.

— Ne soyez pas stupide. Vous êtes invité. Pas besoin de rembourser ou quoi que ce soit. Anthonia me crèverait les yeux si je faisais payer quelqu'un pour manger ici. »

Steve devina que cette mystérieuse Anthonia était la propriétaire invisible.

L'intérieur du chalet était chaleureux. Le bois était partout, et l'endroit sentait doucement le pin. Un feu crépitait dans une cheminée. Les canapés et fauteuils croulaient sous les coussins pelucheux et les plaids chauds. La décoration alliait le traditionnel, avec une paire de skis vintage, des photos de paysage, et le moderne, avec des tableaux et des statuettes d'art moderne. James conduisit Steve jusqu'à la cuisine, où il lui servit un verre de génépi et quelques gâteaux salés, avant de se mettre aux fourneaux.

« Je ne fais rien de compliqué, dit-il. Le traiteur dépose des plats à congeler, et on n'a plus qu'à les faire cuire et ajouter certains ingrédients. »

Ils discutèrent de tout et de rien. Au cours de la soirée, ils découvrirent qu'ils étaient tous les deux d'anciens militaires.

« Je viens de terminer, avoua Steve. Et maintenant, j'ai aucune idée de ce que je vais pouvoir faire.

— Je comprends, répondit James en hochant la tête. Pendant longtemps, j'ai cru que quand mon contrat arriverait à son terme, je rempilerai, mais… bon, disons qu'il y a eu des péripéties qui n'ont rien à voir avec l'armée, et j'ai décidé que je ne pouvais plus me permettre de continuer. Je regrette parfois. Mais c'est rare.

— Tu fais quoi maintenant ?

— Je travaille pour Anthonia. Je fais la liaison entre l'entreprise et les gouvernements. Et toi ? Tu as des pistes ?

— Oui. Une ou deux. Mais elles ne m'enchantent pas tellement. »

James hocha la tête, vida son verre et les resservit. Ils avaient terminé de manger, mais continuaient à boire. Steve ne pouvait pas être soul, mais il n'avait rien dit à son hôte. James commençait à montrer quelques signes d'ébriété.

Plus tard dans la soirée, James lui montra la chambre où il pouvait dormir. Le chalet était réellement très grand et comportait quatre suites et trois chambres simples.

« Les suites sont nominatives pour Anthonia et ceux qu'elle considère comme ses meilleurs amis. Elle ne reçoit personne d'autre habituellement, mais les chambres sont entretenues quand même. »

Comme le reste du chalet, la chambre était chaleureuse et cosy. Steve déposa son sac et la housse du bouclier dans un coin, puis ressortit pour prendre une douche dans la salle de bain en face. Puis il se coucha et s'endormit sans aucune difficulté.

Il se réveilla aux premières lueurs de l'aube, car il n'avait pas fermé les volets. Tant pis, il devait repartir au plus vite de toute façon. Néanmoins, il se dit qu'il pouvait un peu faire durer le plaisir et prendre son temps. Le chalet était confortable, il s'y sentait bien.

Ici, il n'y avait pas grand-chose d'ouvertement étranger pour lui. Certes, le confort moderne était bien présent, mais les meubles n'avaient pas ce design épuré et froid que le XXIe siècle semblait adorer. La décoration un peu désuète le rassurait, et même le matériel moderne, comme la gazinière dans la cuisine, recherchait une apparence vintage.

Dans la cuisine, Steve trouva une feuille de papier, signée par James, l'informant qu'il avait dû partir précipitamment dans la nuit à cause d'une urgence aux États-Unis. Il insistait pour que l'invité prenne son temps et lui indiquait la marche à suivre pour faire fonctionner la cafetière.

Steve se servit donc un grand mug de café au lait, un péché mignon qu'il pouvait se permettre dans ce siècle. Puis il alla s'installer au salon, face à l'immense baie vitrée qui donnait sur la montagne. Impressionné par la majesté de la vue, il se précipita dans sa chambre, prit son matériel de dessin et retourna dans le canapé.

Il lui fallut plusieurs minutes pour s'apercevoir que la baie vitrée donnait aussi sur le jardin de la propriété. En ce mois de juin, la grande majorité des plantes étaient en fleurs. Une silhouette s'agitait entre les massifs et entretenait le parc privé. Steve l'observa quelques instants.

La silhouette semblait féminine, habillée d'un jean et d'un t-shirt rouge. Une casquette lui dissimulait le visage. Steve hésita. S'agissait-il de la fameuse Anthonia ? Devait-il aller la saluer ? James avait dit qu'elle était timide, et qu'elle ne souhaitait pas se montrer. Il se faisait l'effet d'un voyeur à l'observer de loin ainsi.

Il se concentra donc sur le dessin du paysage qu'il avait esquissé sur son carnet. Il ne remarqua donc pas que la femme rejoignit la maison, et il sursauta quand il entendit :

« Je vois que vous avez réussi à faire fonctionner la cafetière. Bien. »

Steve balbutia des excuses et des salutations.

« Je suis Anthonia Blunt, se présenta-t-elle. »

Elle fit une pause, hésita, puis offrit :

« Mes amis m'appellent Toni.

— Enchanté de vous rencontrer, Toni, sourit Steve. Je suis vraiment navré de m'imposer chez vous. Je vais bientôt partir, ne vous inquiétez pas. »

Anthonia — Toni — s'installa sur le canapé, à l'autre extrémité. La tête à demi dissimulée par un rideau de cheveux et sa casquette, Steve ne pouvait pas voir son visage.

« Ne soyez pas stupide, répondit-elle. Vous pouvez rester aussi longtemps que vous le souhaitez. Je ne vous aurais pas fait entrer si vous n'étiez pas le bienvenu. »

Derrière la masse de cheveux bruns, Steve crut voir un sourire en coin, comme si Toni riait à une blague connue d'elle seule.

« Rhodey, je veux dire James, m'a raconté que vous faisiez le tour des Alpes en voiture.

— Oui, j'ai parcouru l'Autriche, un peu de l'Allemagne, l'Italie du nord, et j'ai passé la frontière suisse hier.

— Vous pouvez rester aussi longtemps que vous voulez, offrit-elle. Le coin est magnifique, avec certains des plus hauts sommets du pays. Et en cette saison, vous pouvez vous promener à pied, en vélo ou en moto-cross. Personnellement, je reste sur mon domaine, mais il s'étend assez loin, donc je peux sortir la moto aussi souvent que je le veux.

— C'est très généreux, répondit Steve, mal à l'aise. Mais —

— C'est donc décidé. Vous pouvez utiliser le chalet comme un hôtel. Nous ne sommes pas vraiment au centre de la Suisse, mais c'est un petit pays. Je vais vous éditer une carte avec les principaux axes routiers à proximité. »

Elle se leva et quitta la pièce, laissant Steve estomaqué derrière elle. Un peu plus tard, il raconta à Natasha son aventure. Son amie lui avait expliqué comment enregistrer des messages vocaux sur l'application de discussion et Steve utilisa cette fonctionnalité pour la première fois. La réponse de Natasha ne se fit pas attendre :

« Cool ! Profite bien ! »

L'ancien soldat abandonna toute résistance et accepta l'offre de son hôtesse. Dans la matinée, Toni déposa une demi-douzaine de cartes de la région et de la Suisse, et en premier lieu les chemins de randonnée autour de sa propriété.

Steve comprit pourquoi Toni était une femme renfermée qui ne recevait personne. Lorsqu'elle lui tendit les cartes, il put la regarder en face pour la première fois. Toni était défigurée. De longues cicatrices barraient son visage et une brûlure grumeleuse mangeait sa joue gauche jusqu'à son nez et sa bouche.

« Moche, hein ? fit-elle avec un sourire cruel.

— Pardon, je ne voulais pas vous fixer.

— C'est pas grave, soupira-t-elle. Tout le monde a la même réaction. Alors, rando ou moto-cross ? »

Quelques instants plus tard, Steve chevauchait une bécane aux couleurs criardes, précédé par Toni Blunt elle-même qui ouvrait la voie. Il ne saisissait pas pourquoi la femme recluse s'ouvrait à son contact, mais son cœur de bon samaritain s'en réjouissait. Il était toujours heureux quand il pouvait aider une personne.

L'air frais du matin giflait son visage. Le chemin cahoteux demandait de la concentration, mais Steve n'était pas un novice. Pendant des mois, il avait parcouru les Alpes à dos de moto, au volant d'engins plus lourds et moins maniables que celui qu'il avait dans les mains. Il savait qu'une ancienne base d'Hydra se situait à quelques dizaines de kilomètres de là, mais il n'avait aucune envie de s'y rendre.

Toni s'arrêta au bord d'une falaise et retira son casque. Ses cheveux cascadèrent sur ses épaules, et Steve ne put qu'admirer la silhouette élancée et droite, qui se tenait devant le panorama à couper le souffle.

« Qu'est-ce que t'en dis ? fit-elle en désignant le paysage du menton. Magnifique, n'est-ce pas ? »

Steve hocha la tête. Les cicatrices étaient laides, mais la femme était belle, rendue plus belle encore par la lumière pure de la montagne.

« Là-bas, ce qu'on aperçoit, c'est une station de ski, et un peu plus bas, il y a un vieux château en ruines. Je crois qu'il était utilisé par les nazis pendant la guerre. Mais sans doute que tu le sais déjà. »

Cette fois, le sourire ironique n'était pas le fruit de l'imagination de Steve.

« Tu m'as reconnu, comprit-il.

— Je peux comprendre que tu cherches un peu d'anonymat, haussa-t-elle les épaules. Ça n'aurait pas été très correct de me précipiter en criant comme une fangirl. Mon domaine s'arrête ici, continua-t-elle en changeant brutalement de sujet. Il est symbolisé par les piquets rouge et jaune qu'on voit régulièrement. Tu as le droit de continuer si tu veux, le sommet est à une heure, trois quarts d'heure en moto. Moi, je n'irai pas plus loin. »

Steve hésita. Il avait des provisions dans son sac à dos, ainsi que son matériel de dessin. Il décida de continuer.

La vue depuis le sommet était splendide et il regretta de n'avoir pas d'aquarelle avec lui. Il prit des photos qu'il envoya à Natasha — puisque désormais on captait la 4G au sommet des montagnes. Il resta longtemps à dessiner et ne se décida à rentrer que lorsqu'il s'aperçut qu'il essayait de croquer Toni de mémoire. Il avait reproduit sa silhouette sur une moto-cross rouge, le casque sous le bras, les cheveux flottant au vent.

Cette femme mystérieuse, ténébreuse même, le fascinait. Pas seulement à cause des cicatrices, mais aussi et surtout à cause de son mode de vie. Extrêmement riche, elle avait les moyens de vivre en ermite sans jamais manquer de rien, mais recevait tout de même assez de visites pour réserver des chambres à ses invités.

Il mangea au sommet de la montagne, puis redescendit à petite allure. Lorsqu'il arriva, le chalet semblait vide. Il laissa la moto dans le grand garage qui contenait de nombreux véhicules de luxe et voulut remonter dans les étages habités, mais il se trouva devant deux portes identiques sans savoir laquelle menait où.

Il tenta d'ouvrir la porte de gauche, mais aussitôt une sonnerie stridente retentit et une voix automatique annonça :

« Accès refusé. »

Steve retira sa main de la poignée et ouvrit la porte de droite. Il y avait bien un escalier derrière et il fuit vers l'étage. Embarrassé, il décida d'occuper ses mains à faire du café, et quelques minutes plus tard, il fut rejoint par Toni. Son pantalon et ses mains étaient noircis par une sorte de cambouis. Elle se lava et accepta la tasse de café avec reconnaissance.

« Tu as essayé de rentrer dans mon atelier ? demanda-t-elle sans malice.

— Je me suis trompé de porte, rougit Steve.

— Personne n'est autorisé à entrer dans mon atelier, reprit-elle. Ce n'est pas contre toi. Comment était le sommet ? »

Soulagé par le changement de sujet, Steve s'enthousiasma pour la magnifique nature de la région. Toni l'écoutait en sirotant le liquide brûlant. Elle avait attaché ses cheveux et on pouvait voir que la brûlure de sa joue descendait dans son cou.

« Il y a une salle de cinéma dans le chalet, révéla Toni quand ils discutèrent du programme de la fin d'après-midi et de la soirée. J'ai une grande collection de bobines et de films numériques. »

Avant que Steve n'ait pu s'en rendre compte, une forme de routine s'installa. Le matin, Steve partait visiter la Suisse, en moto ou en voiture, puis il revenait en fin d'après-midi et passait la fin de la journée avec Toni. Ils regardaient des films, partageaient un verre, discutaient autour d'un bon repas apporté par le traiteur.

Après une semaine à ce rythme, Steve commença à se demander s'il n'outrepassait pas l'offre qui lui avait été faite.

« Je n'ai pas l'habitude d'accueillir des gens chez moi, et si je voulais te voir partir, tu serais déjà parti, déclara Toni quand il lui posa la question. »

Steve n'insista pas. À la place, il envoya ses canons conquérir le Groenland. Toni fit la moue, mais elle avait encore plus d'un atout dans sa manche. Ils jouaient pour la deuxième soirée consécutive à Risk, et tous les deux s'amusaient follement. Régulièrement, ils racontaient des anecdotes sur les endroits du monde qu'ils avaient visité. Toni avait beaucoup voyagé, bien plus que Steve, mais il n'était pas avare en récits à propos du quotidien pendant la guerre.

La case Groenland était plus délicate cependant. Elle renvoyait à un traumatisme immense et encore récent. Il voulut dire quelque chose et les mots restèrent bloqués dans sa gorge. L'ambiance retomba considérablement, mais Toni prit sa main à travers la table.

« Je sais. Crois-moi. Je sais. »

Steve la crut sans l'ombre d'un doute. Ils se tinrent la main longtemps. Toni avait des cicatrices sur les bras, mais moins visibles et horribles que celles de son visage. Steve entrecroisa leurs doigts, les liant plus fermement l'un à l'autre. Il ne connaissait pas son histoire, mais il se sentait proche, très proche de cette femme, encore inconnue dix jours auparavant.

Il déposa un baiser dans sa paume et elle émit un bruit étranglé. Il se leva et l'attira doucement à lui. Avec précaution, il posa ses grandes mains sur son corps et son visage et déposa un baiser sur ses lèvres. Entre ses bras, Toni frémit et répondit au baiser avec autant de lenteur et de délicatesse que Steve.

Entre deux baisers langoureux, elle murmura :

« J'essaie de ne pas criser en étant embrassée par le héros de mon enfance.

— Tu étais fan de Captain America ? demanda Steve amusé.

— Non. De Steve Rogers. Un type pugnace et tête brûlée à ce qu'on m'a dit. Il m'a inspiré toute ma vie. »

Steve devait admettre qu'une telle déclaration l'émouvait beaucoup, mais Toni n'avait pas terminé.

« Ces dernières années malheureusement, je n'ai pas réussi à puiser dans cette inspiration. La plupart du temps, je me hais de ne pas réussir à sortir de ma propriété.

— D'une certaine manière, moi aussi je fuis mes responsabilités, répondit Steve. Ce road trip en Europe est une façon de ne pas regarder mon avenir en face. Tes démons sont terrifiants, plus que ceux de la plupart des gens, mais ils ne sont pas uniques. »

Il l'enserra dans ses bras et elle accepta de s'y blottir. Ils restèrent ainsi longtemps l'un contre l'autre, jusqu'à ce que Toni se mette à bâiller à s'en décrocher la mâchoire.

« On devrait aller se coucher, proposa Steve. »

Il ne fut pas vraiment surpris de sentir Toni se tendre à la simple suggestion. Il se doutait déjà de sa réponse, alors il la devança.

« Pour dormir, clarifia-t-il.

— Je ne doute pas de ta probité, ironisa-t-elle pour masquer son trouble. Simplement, je ne suis pas sûre que tu veuilles de la fiancée de Frankenstein dans ton lit.

— Sans doute pas, admit Steve. Mais je veux définitivement m'endormir dans les bras de Toni Blunt. »

À nouveau, elle eut ce sourire, comme si elle riait à une blague connue d'elle seule.

« Mon corps est très abîmé. Très ironiquement, au moment de l'explosion, mes implants mammaires m'ont sauvé la vie. Le shrapnel s'est logé dans le gel et n'a pas atteint mes organes vitaux. J'ai tout de même failli en mourir, mais si le métal était entré plus loin dans ma poitrine, il aurait pu perforer mes poumons ou mon cœur. J'ai des cicatrices et des brûlures sur tout le corps, mais c'est surtout ma poitrine qui a tout pris. C'est une vraie boucherie. Encore aujourd'hui, j'évite de regarder cette partie de mon corps. »

Steve ne commenta pas. Il savoura la petite tranche de confiance que venait de lui tendre Toni. Il l'embrassa à nouveau pour garder ce contact chaud et tendre avec elle.

« Nous ne sommes pas obligés de dormir nus.

— On peut dormir dans ta chambre plutôt que dans la mienne ? capitula Toni. »

Il tint parole évidemment. Il accueillit la femme dans son lit, la serra contre lui, l'embrassa un peu puis lui souhaita bonne nuit. Il la sentit se détendre tout doucement entre ses bras, jusqu'à ce que le sommeil les emporte l'un après l'autre.

Steve craint brièvement que leur relation soit empreinte de malaise le lendemain, mais il n'en fut rien. Ils se réveillèrent dans les bras l'un de l'autre et Toni lui offrit un sourire ensommeillé, mais éblouissant. Il se sentit stupidement heureux d'être le récipiendaire de ce sourire.

Durant les jours suivants, ils ne changèrent pas leur routine. Steve visitait le pays la journée, puis il rentrait au chalet et retrouvait Toni pour la fin d'après-midi et la soirée. Ils dormaient ensemble, blottis l'un contre l'autre, ou en cuillères, et se réveillaient ensemble.

Steve flottait sur un petit nuage.

Ce soir-là, il revenait content au chalet. Il avait craqué et acheté une palette d'aquarelle, du papier de coton et des pinceaux, et avait étrenné son nouveau matériel en peignant au bord du lac Léman. Il avait essayé d'y ajouter la silhouette de Toni, mais en forçant son image dans un paysage qu'elle ne voulait pas voir, il avait l'impression de la trahir.

Il avait détruit cette page.

Quand il arriva, il faisait presque nuit. Le lac Léman était loin, et il avait pris son temps pour le découvrir. À sa grande surprise, le chalet n'était pas éclairé. Toni était-elle sortie dans la propriété ? Ce n'était pas une mauvaise chose, décida Steve. Elle passait trop de temps dans son atelier, et parfois, il devait frapper à la porte dans le garage pour lui signifier qu'il était rentré et qu'il l'attendait.

Il déposa son matériel d'aquarelle dans sa chambre et s'installa dans la cuisine pour réchauffer le repas du soir. Il ne restait plus grand-chose dans le congélateur, et le traiteur devait déposer les plats commandés le surlendemain. Steve hésitait entre les lasagnes et la ratatouille, quand un grand bruit à l'extérieur le fit sursauter.

Interpellé, il se précipita à la fenêtre, mais l'obscurité était définitivement tombée et il ne discernait pas grand-chose. De nouveau, il y eut un grand fracas, puis plus rien pendant de longues minutes. Steve réfléchissait à la pertinence de sortir dans le noir, sans autre lumière que la lampe torche de son téléphone, quand une voix inconnue retentit :

« Capitaine Rogers, Madame Blunt requiert votre assistance dans son atelier de toute urgence.

— Qui est-ce ? sursauta Steve.

Excusez-moi de vous alarmer ainsi, Capitaine, reprit la voix. Je suis JARVIS, une intelligence artificielle, créée par Madame Blunt. Je suis habituellement cantonné à l'atelier, mais Madame Blunt requiert votre assistance. »

Steve se secoua et décida d'agir et de poser les questions ensuite. Sans doute était-ce une erreur, mais si Toni avait besoin d'aide au point de le réclamer dans l'atelier, alors ce devait être grave.

Il dévala les escaliers et sans hésitation, ouvrit la porte qui menait à la partie la plus privée du chalet. Rien ne le préparait à ce qu'il découvrit.

« Je suis désolée que tu aies à le découvrir comme ça, dit Toni avec une grimace alors que Steve restait figé sur le seuil de l'atelier. »

Toni se tenait dans une armure d'Iron Man, salement amochée.

« La plaque de la jambe droite est tellement enfoncée que je ne peux pas retirer mon pied. Il me faudrait quelqu'un avec une force surhumaine qui puisse la tirer, voire l'arracher. »

Son sourire en coin était déplacé dans une telle situation, à la fois parce que la place de métal s'enfonçait douloureusement contre son tibia, et à la fois parce qu'elle désignait Steve comme son sauveur en armure métaphorique, alors que l'armure était autour d'elle.

Sans un mot, Steve saisit la jambière et tira de toutes ses forces. La plaque de métal enfoncée s'arracha brutalement dans un bruit de tôles froissées.

« Tu es fâché, constata Toni en finissant de se débarrasser de l'armure. Je vois que tu es fâché. Je serais fâchée aussi à ta place. Tu peux me rendre ça ? Je vais en avoir besoin pour réparer l'armure.

— Je ne sais pas si je suis fâché, répondit Steve sombrement en lui tendant le morceau de métal arraché. Je m'aperçois que je ne te connais pas, finalement. »

La jambe de Toni n'était ni blessée ni fracturée, ce qui était une bonne nouvelle. Un bel hématome se formait doucement de part et d'autre du tibia, et elle boitait un peu, mais l'un dans l'autre, elle s'en tirait bien. Steve n'eut pas le courage de lui demander si elle était blessée ailleurs.

Ils remontèrent en silence, juste à temps pour entendre le four annoncer la fin de la cuisson des lasagnes, mais aucun d'eux n'avait très faim. Par automatisme, Steve servit le repas quand même, plongé dans ses pensées. Toni se servit un verre de whisky et en proposa à son invité qui refusa.

« Qui es-tu ? demanda finalement Steve après de longs moments de silence.

— Vaste question, répondit Toni. Sais-tu qui tu es, connais-toi toi-même et toute cette merde pseudophilosophique.

— S'il te plaît, la coupa Steve. Réponds-moi honnêtement. »

Toni joua un moment avec le bord de son verre, puis l'avala cul sec.

« Je suis Iron Man.

— J'ai deviné cette partie-là, répliqua aussitôt Steve. Donc toi qui ne peux pas passer la limite de ta propriété sans faire une attaque de panique, tu enfiles une armure pour aller combattre le terrorisme international et les aliens belliqueux.

— Bien vu Sherlock. L'armure est une armure. Elle me protège. Il n'y a qu'avec elle que j'arrive à sortir de chez moi. »

Sous le coup de l'emportement, de la fatigue et de l'alcool, la peau de son visage avait rougi, faisant d'autant plus ressortir ses cicatrices, mais Steve ne les voyait plus vraiment depuis longtemps. Il était habitué à ce visage déformé. Tout ce qu'il voyait était la crispation de sa mâchoire, les rides de stress autour de ses yeux et de sa bouche, et les larmes qu'elle refoulait avec force.

« Ce n'est pas d'une armure dont tu as besoin, c'est d'une thérapie. »

Livide, Toni se leva et attrapa la bouteille de whisky à peine entamée.

« Si c'est pour dire des conneries pareilles, Rogers, tu peux aussi bien de barrer de chez moi. »

Elle quitta la cuisine d'un pas rapide et sec.

« Bien joué Rogers, marmonna Steve piteusement. Diplomatique et délicat. »

Il se demanda s'il était vraiment congédié ou s'il devait attendre un peu que Toni se calme pour lui présenter ses excuses. Il fixa leurs assiettes, encore à moitié remplies. Steve était pugnace, il décida donc d'attendre. Il mit les restes dans un bocal, fit la vaisselle, puis s'installa dans le salon. La nuit était tombée et il faisait face à l'obscurité la plus complète.

Il n'arrivait pas à croire qu'il avait été si bête. Bien sûr que Toni savait qu'elle avait besoin d'une thérapie, mais elle souffrait d'une forme aiguë d'agoraphobie, incapable de sortir de chez elle. Elle ne recevait aucun inconnu et vivait dans l'angoisse permanente.

Steve essaya de passer le temps en dessinant, mais il n'arrivait à rien. Il laissa tomber aux alentours de minuit, et constatant que Toni ne revenait pas, il décida de dormir un peu.

Le sommeil fut long à atteindre et ne fut pas reposant. Steve se réveilla aux premières lueurs de l'aube. Il avait encore oublié de fermer les volets. Groggy par sa mauvaise nuit, il décida de faire du café et d'en apporter à Toni en offrande de paix, et de lui présenter ses excuses.

Malheureusement, devant l'atelier, il trouva porte close, mais il insista.

« Madame Blunt vous demande de cesser vos essais, Capitaine Rogers, intervint la voix de l'ordinateur. Elle exige, je la cite, de dégager d'ici. »

Le cœur de Steve se brisa un peu. Il resta bêtement devant la porte pendant un long moment avant de se décider à remonter à l'étage. Misérable comme les pierres, il rassembla ses quelques affaires, son bouclier, et rejoignit sa voiture, garée dans la cour du chalet.

Il se demandait quelle pourrait être sa prochaine destination en posant son bouclier sur le siège arrière, quand le portail de la propriété s'ouvrit et une grosse berline noire entra.

La voiture se gara en vrac, de telle manière à bloquer la sortie de la propriété. Steve fronça les sourcils, perplexe. Son expression se fit plus interloquée encore quand il vit qui sortit de la voiture.

« Merci Seigneur, vous n'êtes pas encore parti, s'exclama Virginia Potts en se précipitant hors du véhicule, suivie par le chez de la sécurité de Stark Industries, Harold Hogan.

— Madame Potts, commença Steve avant d'être interrompu.

— Entrons, intima-t-elle. Nous serons bien plus à l'aise pour discuter à l'intérieur. Je vais chercher Toni, pendant que vous vous installez au salon. Happy, peux-tu faire du café pour tout le monde ? Du déca pour moi.

— Bien sûr Pepper. »

Steve fut à nouveau entraîné dans le chalet, bien malgré lui. Penaud, il attendit en silence que Hogan fît à nouveau du café (celui qu'avait préparé Steve avait refroidi). L'ambiance était pesante et embarrassante. Steve avait l'impression de devoir dire quelque chose, n'importe quoi, pour s'expliquer, mais il n'arrivait pas à trouver une phrase qui convienne.

En attendant, il continuait de fixer l'extérieur. La nature se réveillait petit à petit. Les oiseaux chantaient déjà depuis quelques heures, et ils commençaient à prendre leur envol. Steve regardait une mésange bleue se poser sur le balcon et picorer dans les jardinières laissées à l'abandon.

Un élément du décor sur la table basse attira son attention. Son carnet à dessins avait été laissé là. Il avait failli partir sans le récupérer. Un tel carnet était une partie intime d'un artiste, des travaux souvent inachevés sur des sujets personnels. Il s'en saisit et le feuilleta rapidement.

Toute la première partie était consacrée à l'architecture des villes visitées et aux paysages qu'il avait traversés. On pouvait observer une rupture le jour où il s'était perdu dans la montagne. Tout à coup, il ajoutait une silhouette féminine dans les paysages et croquait des détails de son anatomie. Son profil, la ligne de son cou, ses mains. Son cœur se gonfla de tendresse et de tristesse.

« Voilà, déclara Hogan en posant un plateau contenant du café et des toasts. Servez-vous tant que c'est chaud, Capitaine. JARVIS, peux-tu dire à Toni et Pepper que le petit-déjeuner est servi ?

Tout de suite, Monsieur Hogan, répondit l'ordinateur. Madame Potts vous informe qu'elles arriveront d'ici quelques minutes. »

Steve, surpris à nouveau par la voix au plafond, ne posa pas de question. Il hésita un moment avant de se servir un café au lait. Il tournait une cuillère dans le mug d'un air absent, quand Virginia Potts et Toni entrèrent dans le salon. Par réflexe, Steve se leva pour les accueillir.

« Repos, soldat, sourit Potts et il se sentit rougir. »

Toni ne lui adressa pas un regard. Elle se cachait derrière un rideau de cheveux mouillés, et traînait derrière elle une odeur de shampooing et de whisky. Elle s'affala dans un fauteuil, loin de Steve, Hogan lui fourra une tasse de café et un toast dans les mains. Elle grogna et se renfonça dans le fauteuil.

La réalisation l'estomaqua : Toni boudait.

« Bien, dit Potts d'une voix forte. Je suis contente d'être arrivée à temps, pour empêcher le Capitaine Rogers de partir. »

Elle s'assit dans le fauteuil à côté de celui de Toni et ajouta d'une voix plus douce :

« Il est temps de mettre les choses à plat. »

L'heure était grave pour Toni. Ses muscles étaient crispés, sa tête baissée. Elle agrippait la tasse de café beaucoup plus fort que nécessaire. Depuis qu'il avait vu débarquer Potts et Hogan, Steve avait commencé à reconstituer le puzzle dans sa tête, mais il attendit en silence que Toni l'énonce elle-même.

« Je ne m'appelle pas Toni Blunt, dit-elle sans lever la tête. »

Pepper lui prit une main pour la soutenir. Toni leva la tête et planta son regard dans celui de Steve avec un air de défi.

« Je m'appelle Toni Stark et je suis morte le premier mai 2009 en Afghanistan. Il n'y a que mes proches qui savent que je suis toujours vivante. Officiellement, pour tout le monde et surtout pour mes anciens bourreaux, je ne suis plus de ce monde. Et je ne compte pas ressusciter. »

Elle se tut et baissa la tête à nouveau.

« Comment es-tu devenue Iron Man ? demanda Steve.

— En Afghanistan. Pour nous échapper, je veux dire Yinsen et moi, nous avons bricolé une armure rudimentaire. Nos ravisseurs voulaient que je construise un missile pour eux. J'ai fait semblant d'accepter et nous nous sommes échappés. Yinsen m'a sauvé la vie lorsque j'ai été capturée. Je t'ai parlé de l'explosion. C'était un petit missile Stark Industries qui a explosé à quelques mètres de moi. Avec les moyens du bord, il a retiré les shrapnels de ma poitrine et retiré mes implants mammaires. Il a soigné mes brûlures et recousu à tellement d'endroits que je ressemblais à la créature de Frankenstein. »

Elle s'arrêta de parler et fixa l'extérieur par-dessus son épaule.

« Lorsqu'on a mis notre plan d'évasion à exécution, j'étais tellement mal en point… »

Elle hésita à nouveau et Pepper raffermit sa prise sur sa main.

« Je ne vais pas entrer dans les détails, mais quand les secours sont arrivés, j'étais à moitié morte. Personne ne s'attendait à ce que je survive. Quand je me suis réveillée, après des heures d'opération, j'ai demandé à ce qu'on n'annonce pas ma survie, mais plutôt ma mort. Rhodey, James, que tu as rencontré, a été difficile à convaincre. Mais quelques heures après mon réveil, les médias du monde entier annonçaient ma mort. »

Sa voix s'enroua un peu et elle prit le temps de boire du café pour reprendre contenance.

« Je ne pouvais pas supporter de vivre comme Toni Stark. J'ai été torturée et violée par mes ravisseurs. Je pouvais à peine regarder mon meilleur ami dans les yeux. Je tremblais à l'idée de me trouver à nouveau devant des caméras et des appareils photo. Et il était évident que quelqu'un de proche de moi m'avait trahi. J'ai décidé de disparaître, et franchement je n'ai pas eu l'impression que le monde s'en portait plus mal. »

Les expressions de Potts et Hogan racontaient une histoire différente, mais Steve garda sa langue.

« Iron Man était un projet de vengeance. Ça a plutôt bien marché d'ailleurs. Les Dix Anneaux ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes, même s'ils sont parvenus à abîmer l'armure hier. Maintenant, c'est un peu plus que ça. Iron Man est devenu une icône, alors que c'était juste une manière de me venger sans sortir de mon cocon. Voilà. Mon histoire en quelques mots. Si vous êtes satisfaits, je vais me coucher. »

Elle se leva, et quitta la pièce sans un regard en arrière. Potts poussa un soupir lourd.

« Elle avait fait tellement de progrès ces derniers temps.

— C'est de ma faute, s'incrimina Steve aussitôt.

— Pas seulement, expliqua la CEO de Stark Industries. Les rechutes violentes sont courantes dans ce genre de pathologie. Si tu n'avais pas été là, ça aurait été autre chose. Au début, elle ne quittait pas le chalet. Elle n'a pas mis le nez dehors pendant des mois. La première fois qu'elle est sortie, ça a été tellement violent pour elle qu'elle s'est enfermée dans l'atelier pendant quatre jours.

— Qu'est-ce qu'on peut faire pour l'aider ?

— La soutenir. Ne pas dévaloriser ses émotions. Ne pas la forcer non plus, mais quand elle réussit quelque chose, comme sortir par exemple, l'encourager à le refaire. C'est un équilibre délicat. On a souvent envie de la secouer pour lui faire entrer dans le crâne que le reste du monde n'est pas son ennemi. C'est un processus long, et Toni était déjà dans un sale état psychologique avant sa capture en Afghanistan.

— C'est difficile à croire pour les gens qui ne la connaissaient pas personnellement, mais Toni n'a jamais eu confiance en elle, expliqua Hogan. Son père voulait un garçon, donc tout ce qu'elle faisait était une déception.

— Ce n'est pas le souvenir que j'ai de Howard, répondit Steve peiné.

— Tous ses biographes sont d'accord pour dire que votre disparition Capitaine, et son incapacité à vous retrouver, l'ont profondément changé. Howard Stark est devenu un homme amer, obnubilé par ses inventions, puis par le SHIELD, qu'il a cofondé.

— Howard a fondé le SHIELD ? s'étonna Steve.

— Pourquoi croyez-vous que l'organisation porte ce nom ? ironisa Potts. Fondé par Howard Stark, Peggy Carter et Chester Phillips, évidemment qu'ils allaient vous rendre hommage. »

Steve se sentit stupide de n'avoir pas vu que l'organisation qui l'avait retrouvé, sauvé et réintroduit dans le monde avait été fondée et nommée pour lui.

« Bon sang, marmonna Steve. Je n'ai plus personne à engueuler. Peggy est la dernière en vie, et elle n'a plus toute sa tête.

— Si cela peut vous consoler, Stark Industries n'a plus aucun lien financier avec le SHIELD, répondit Potts avec un sourire. Pour en revenir à Toni, je sais que vous étiez simplement en vacances et que vous avez une vie aux États-Unis, mais j'espérais que vous puissiez rester un peu ici.

— Je ne veux pas partir, rougit Steve. Je, hum, me plais bien ici. Si Toni accepte que je reste.

— Elle accepte, assura Potts d'un air entendu. Que dites-vous d'une promenade ? J'ai besoin de me dégourdir les jambes et j'apprécierai de la compagnie. Happy, tu as conduit une bonne partie de la nuit. Tu devrais aller dormir. Le temps d'enfiler quelque chose d'un peu plus approprié, Capitaine, et nous y allons. »

Étonnement, Steve eut l'impression de vivre une journée routinière normale. Il se promena avec Potts, battit puis fut battu par Hogan au poker, et n'entendit pas parler de Toni avant le soir.

Elle finit par sortir de sa chambre, l'air froissé d'avoir dormi toute la journée, alors que Steve avait presque fini de préparer le repas du soir. Elle se précipita sur la machine à café, kidnappa le carafon à moitié plein et repartit aussi vite qu'elle était arrivée en marmonnant un « trop de monde ici ». Après quelques minutes, Potts s'adressa à l'ordinateur de la maison.

« JARVIS, demande à Toni si elle veut manger, et si oui, dans la cuisine ou dans sa chambre.

Bien madame Potts, répondit la voix dans les murs et après quelques instants elle reprit, madame souhaite manger où elle se trouve, dans la chambre du Capitaine Rogers. »

Tout le monde haussa les sourcils de concert.

« Développement intéressant, remarqua Hogan. »

Steve se sentit rougir jusqu'à la racine des cheveux. Dans ces moments, il maudissait son héritage irlandais qui lui faisait une peau bien trop sujette aux rougissements divers.

« Très intéressant, renchérit Hogan avec un sourire en coin.

— Ce n'est pas ce que vous croyez, se défendit Steve, cramoisi.

— Mais on ne croit rien, répliquèrent Potts et Hogan en chœur.

— Prenez deux assiettes et allez manger avec Toni, intima Potts. »

Steve se retrouva ainsi devant la porte de sa chambre, nerveux à l'idée d'ouvrir la porte. Il prit une grande inspiration et frappa doucement. Toni était recroquevillée dans un fauteuil face à la grande fenêtre qui donnait sur le balcon. La grande chambre comprenait en effet une sorte de petit salon avec deux fauteuils et une table basse. Steve posa les assiettes et les couverts.

« Tu sais, tu as le droit de dire non à Pepper, fit remarquer Toni avec un petit sourire en coin. Je sais qu'elle a l'air terrifiante, mais elle est plutôt gentille en fait.

— Je ne voudrais pas m'y risquer, répondit Steve sur le même ton. D'après Coulson, elle mord. »

Toni éclata de rire. Steve se détendit. Les choses n'étaient pas complètement détruites entre eux. Plus tard, dans la soirée, ils s'étreignirent et s'embrassèrent comme s'ils ne s'étaient pas vus depuis des jours.

Cette connexion simple et évidente qu'il partageait avec Toni excitait Steve. Cependant, avec Toni, rien n'était simple.

« Je ne peux pas, chuchota-t-elle quand elle sentit le désir de son compagnon monter.

— Je ne réclame rien. Je n'exige rien.

— Captain America est-il vierge ? ricana-t-elle. »

Steve n'en prit pas ombrage. Derrière cette phrase, il entendit soudainement « dis-moi que je ne suis pas seule à avoir peur ».

« Je ne suis pas vierge, répondit-il avec un sourire. Mais j'admets ne pas avoir une grande expérience en la matière. Pour tout avouer, le sexe n'est pas ce que je préfère dans une relation amoureuse. »

Toni ne répondit rien pendant un long moment. Ils s'allongèrent sur le lit pour profiter confortablement d'un câlin chaste. Steve somnolait, rendu amorphe par la chaleur confortable et leurs respirations régulières.

« Il n'y a pas que la bombe qui a détruit mon corps, dit Toni. Souvent, je me dis que si j'avais été un homme, j'aurais moins souffert.

— D'après ce que tu m'as dit, si tu avais été un homme, les shrapnels t'auraient tuée, parvint à répondre Steve en s'extirpant de sa torpeur. »

Le silence lourd qui suivit en dit plus long que tous les monologues.

« Je remercie le ciel que tu ne sois pas morte, continua Steve. Je suis reconnaissant pour cette rencontre. Je prie le ciel chaque jour pour ton rétablissement, et j'espère qu'un jour tu iras mieux, mais jamais, jamais je ne regretterai que tu aies survécu.

— J'espère qu'un jour je pourrai être aussi sûre que toi. »

Steve referma ses bras autour de Toni et embrassa le haut de sa tête.

« Je ferai tout pour que tu y croies. »

Un étage plus bas, dans le salon, Pepper et Happy feuilletaient le carnet à dessin abandonné sur la table basse.

« Tu penses leur dire un jour que Natasha et toi avez piraté son GPS pour l'amener devant chez Toni ? demanda Happy.

— Je pense que oui. Le jour de leur mariage. »