Chers, très chers lecteurs (et revieweurs potentiels, hem) je vous souhaite l'après-midi pleine de rêves merveilleux.

Me voilà en train de terminer ce chapitre, dont je suis sûr qu'il va plaire aux amateurs de bizarre et de fantastique (moi, surtout) et à ceux, n'en déplaise aux fées d'Avalon, qui vouent un culte idolâtre et malsain à Edgar Allan Poe. Sous vos zieux zébahis, le remake sanguinolent de La Maison de l'Horreur et de La Chute de la Maison Usher, assaisonné d'un peu de sauce pot-pourri comportant, selon l'humeur du moment, mes phantasmes (sisi, ph, ça existe) et ma vieille peur du noir, un goût immodéré pour Tim Burton et ses squelettes grimaçants (aussi poussiéreux que mon humour) sans oublier, bien entendu, une bande-son composée par John Williams lui-même : Meeting Tom Riddle, si cela puit vous être utile… oui oui, piste 14 sur le CD de la BO de La Chambre des Secrets.

Personnellement, j'adore ce chapitre, mais c'est une question de point de vue.

Amitiés à tous,

Mélusine.

Métamorphose du Psychopompe

Minuit dans le Jardin du Bien et du Mal

Vie et Mort en l'Heure enchanteresse…

« L'amour est au cœur du mal » Rosinski, La Complainte des Landes perdues

La maison était immense, noire et vide. Sa silhouette sombre se découpait sur le ciel nocturne, violacé par les lueurs troubles d'une ville. L'air y était rare, enfumé d'ombre et de poussière l'atmosphère laçait autour de la bâtisse comme une toile d'araignée qui poissait les doigts et lui faisait un voile. Le plomb de cette chape insolite coulait sur les murs lépreux, veinés de crevasses et de lierre moisi.

La végétation inextricable d'un jardin abandonné rampait comme un long serpent verdâtre et venimeux, étrange, malsaine, nauséabonde, inconnue. Là où devaient autrefois pousser des fleurs multicolores, prospérait le chiendent et ce seul nom évoquait à lui seul l'aspect fantomatique et étouffant de la baraque, qui paraissait animée malgré sa mort flagrante. Il n'y avait pas un bruit, et le vent grinçait dans les lézardes.

Les mains qu'il retira de la barrière sentait l'humus, et ses pieds foulaient un sol humide et grumeleux. Il avait dû geler, la nuit dernière, pour que la pluie tourne ainsi la terre en caillots. Avec un frisson désagréable, il arracha ses semelles de crêpe à la boue noirâtre (qui produisit un léger chuintement) et remonta en hâte la fermeture Eclair de son blouson. D'une main, il saisit sa mallette – de l'autre, il poussait la porte.

Les gonds dévorés de rouille poussèrent un grincement sinistre, dont l'écho sépulcral se répandit à travers les murs épais, et glissa sur le vernis passé de la haute rampe. Un courant d'air piquant jaillit d'une porte entrebâillée pour se couler sur le parquet, et l'éclair lugubre d'une lampe-torche jeta des lueurs funestes sur le bois noueux de portes lourdes et branlantes. Depuis les fondations incertaines jusqu'au souffle inquiétant, tout sentait dans la maison l'abandon et le mystère, un ennui mortifère et un désespoir sans nom. Les crépitements occasionnels que l'on pouvait entendre revenaient aux souris, logées à bonne enseigne et l'air devait porter les mouches dont végétaient de discrets arachnides qui tissaient au plafond. Pas une vie humaine, aucune trace de chaleur : les propriétaires décédés n'avaient pas laissé d'enfants, bien que ceux-ci, potentiels, aient pu refuser de restaurer la ruine… Des années d'abandon en avaient fait un fantôme. Dressée dans la nuit noire, stoïque et attentive, la maison semblait défier l'intrus.

Mais ce soir-là, l'intrus se sentait plein d'un divin courage et cette solitude venteuse et glacée venait comme une grâce, la manne idéale et céleste qui offrait le réconfort inespéré d'un gain sans lutte, d'une victoire sans heurts. De bien étrange manière, le sort qui avait frappé les occupants jadis – cinquante longues années – favorisait ce soir cet être qui venait, confiant, puiser dans la corne d'abondance du vestige abandonné.

Avec un soupir de satisfaction sonore, il se mit au travail, piochant ses outils dans la sacoche ouverte. Elle était vieille, elle aussi – elle avait appartenu à son père. Monte-en-l'air de père en fils, un commerce florissant. Tenace, aussi le métier, il l'avait dans la peau. Cette pensée le fit sourire, un rictus un peu fou qui tirait son nez tordu vers la gauche, qu'il s'était brisé un jour, il y avait de cela fort longtemps. Un coup de poing. Une bagarre dans une cour. Toujours pareil, les enfants, se battre – et après, ça prend un flingue.

Une grimace appliquée tendit un instant son visage, lui fit plisser les yeux, qu'il avait petits et plutôt rapprochés, mais perçants. Il avait les yeux du 'Pa, qui n'avait jamais porté de lunettes, qui avait toujours tout vu avec précision. Un grand artiste, le 'Pa, un grand maître. Il lui devait tout. C'était lui qui lui tout appris, qui lui avait montré comment sentir avec les doigts les froids trous de serrure, le plaisir presque sensuel de pénétrer dans ce gouffre insondable, à tâtons, doucement, comme pour une fille et l'angoisse des premières minutes qui se dissipait, jouissante, vive, et qui laissait la place à l'euphorie du travail bien fait.

Le pêne céda enfin, et il put pousser la porte, de l'index, en un geste théâtral de fierté conquérante il produisit un claquement de langue satisfait : de la belle ouvrage.

Il passa une main sale dans ses cheveux d'un blond douteux, dont la frange trop longue lui mangeait le front, faisant ressortir ses yeux d'un bleu layette. Son teint un peu brouillé restait assez pâle et rose, et lui donnait un aspect juvénile que démentait l'éclat terne de ses yeux circonspects : il avait derrière lui une longue expérience. Son 'Pa le lui avait souvent dit : « Richie, y'en a bien des qui peuvent se vanter d'être les rois d'la cambriole, toi et moi mon fi', on est des artistes. » Alors Richie était devenu artiste, lui aussi, par la force des choses. Et puis les études, c'était pas pour lui. Pourtant, il en avait fait, à sa manière : les brocs qu'ils assistaient, lui et son père, ils lui en avaient appris et il avait gagné du flair. Des gens sérieux, dans la famille. Pas des pigeons. Il avait pris de la graine avec le temps, le p'tit, et peut-être parce qu'il tenait du 'Pa, il avait l'œil pour dénicher les bonnes affaires. Il savait reconnaître les bonnes occases, Richie. Et là, il en tenait une bonne.

Cette maison-là, il était passé cent fois devant, l'envie au ventre, la tête pleine de plans il s'y était arrêté quelquefois, pour humer l'odeur de pestilence, observer les alentours déserts et moribonds. Il avait toujours senti que quelque chose n'allait pas : parce que là-bas, même si tout était calme et ouvert à tous vents, il n'y avait jamais personne. Et puis, à ce qu'on disait, elle était intacte : comme ça, personne ne l'avait encore visitée. Et voilà qui plaisait à Richie.

Il fallait bien dire aussi, qu'elle avait mauvaise réputation la baraque, chez les collègues pour tout dire, la plupart des pros du coin étaient plutôt mitigés. Ils trouvaient ça suspects, paraît-il, trop facile, qu'ils disaient la maison vide, les meubles à l'intérieur, et les gens silencieux. Mais il faut bien que chaque culture ait ses démons et il y a toujours, au sein de chaque peuple, l'athée impie qui professe l'irréligion. Ce mécréant s'incarnait dans Richie-la-Pincette, trop curieux pour avoir peur, et par-là même en butte à la crainte de ces concitoyens effrayés. La superstition du milieu avait fait du « Manoir Vert » un temple nouveau de la cambriole, un lieu sacré que personne ne violait, mais que les plus intrépides rêvaient de pénétrer. Ils jalousaient alors celui qui bravait l'affront, et osait, téméraire, la profanation.

Philosophe à ses heures, Richie s'était moqué, et vainquait l'anathème d'un moulinet victorieux de sa chope de bière. Il n'était pas peureux, il comptait sur sa chance c'était bizarre, disaient les autres, Freddy, Rick, Slim et ses potes : on ne pouvait autant tenter le diable, et il finirait comme son 'Pa, en prison, ou pire – quand on a une chance de pendu, ça dit bien ce que ça veut dire. Peine perdue, et les collègues n'avaient pas jugé bon de l'en dissuader : Richie irait seul à la Maison, il en ressortirait les poches pleines, les copains bisqueraient et lui pourrait payer la caution à son 'Pa, qui sortirait de taule, et qu'il installerait quelque part au milieu d'une ferme. Richie avait déjà pris sa décision.

Le souffle un peu court de ses projets d'avenir, Richie jeta un regard circulaire pour prendre la mesure de la pièce : parfaite. Si la maison paraissait grande vue de l'extérieur, l'intérieur montrait à quel point elle devait être immense. Et partout du bois, du marbre, du fer forgé et même un peu de bronze – et cette statue, là, près de l'escalier, combien elle devait valoir ? Cher, sans doute, assez pour qu'on s'y intéresse. Il ne pouvait pas l'emporter, elle était bien trop grosse mais de toute façon, il pourrait revenir, avec la camionnette de Slim, qui lui devait un petit service depuis la fois dernière.

Le hall d'entrée se mouvait dans l'ombre de la torche. Les murs lambrissés baignaient dans une lueur dorée, malgré le manteau de poussière qui recouvrait toutes les pièces. La lumière ne coulait cependant pas jusqu'au sol, que l'on pouvait seulement deviner à travers un filtre opaque et gris. Le bruit des pas y était étouffé, et le son seul de l'écho mourant offrait le soutien d'un timbre familier. Chaque pas soulevait un petit nuage, qui retombait toujours un peu à côté de sa place initiale, comme s'il n'avait attendu que ce moment de grâce pour s'animer. L'ombre et la lumière mêlés faisaient de petits fantômes qui couraient sur les murs et sous les pas, et glissaient avec un éclat bref sur le métal terni des serrures. Toute une bande de petits lutins dont on était pas sûr qu'ils fussent amicaux, mais dont la vivacité attirait. La fascination se faisait morbide, par le truchement du silence étouffant et glacé il en résultait comme une main serrée autour du cœur. Serrant la sienne autour de sa torche, le visiteur se força à rire, d'un rire sans joie mal assuré. Le faisceau lumineux trembla un peu moins.

Richie fit halte au pied d'une colonnade de marbre. Le moins qu'on pût dire, remarqua-t-il, était que la maison possédait un goût assez baroque bien particulier. La pierre noble servait de support à une petite statue dorée, peu vraisemblablement d'époque mais bien imitée, représentant une femme à l'air passionné tenant son ventre à deux mains. Sous les nombreux plis magnifiquement travaillés de la longue robe qui la recouvrait tout entière, mis à part le visage exalté de la sainte, il reconnut Anne, mère de Marie. Richie se demanda si ces gens étaient catholiques, et vénéraient ainsi la Vierge enfantée par la pieuse Anne. Richie grogna. Une maison hantée par les fantômes belliqueux de catholiques probablement Irlandais, des cochons d'Irlandais parvenus, voilà qui allait être plaisant. Ou peut-être étaient-ils simplement amateurs d'art et de belles reproductions ? Levant à nouveau le visage vers l'extase dorée de la sainte, Richie sentit son cœur se serrer à l'évocation de sa propre mère, disparue quelque sept ans plus tôt, après avoir affirmé sept ans durant que son père et lui la feraient mourir de chagrin. C'était fait. Richie considéra un moment le visage serein de la statue, le bonheur qu'elle affirmait la main sur le ventre, l'enfant qu'elle portait et qu'elle allait mettre au monde, et ce regard trouble et mystérieux, à la fois vide et inquiétant, qui commençait à le mettre mal à l'aise.

D'un geste rageur, il fit disparaître Sainte Anne au fond du grand sac de sport qu'il portait en bandoulière, et le sourire étrange de la statue s'effaça au creux de l'ombre.

Poursuivant son inspection minutieuse des tableaux poussiéreux de l'entrée, Richie s'attardait quelquefois au pied d'une toile de maître, soupesant prix et beauté d'un même élan, transporté toujours davantage par la richesse glacée de l'endroit. On eût dit un musée : les émaux, l'argenterie, les tableaux, les sculptures – et, oh ! superbe gravure à l'eau forte – et autres boiseries étaient un enivrant régal pour la vue gourmande d'un homme si plein de conscience professionnelle que lui. Il ne se préoccupait plus de savoir à qui revendre il y avait tant qu'il pourrait même garder quelque chose, une toile peut-être, ou…

La main de Richie se crispa fébrilement sur la poignée du sac en tissu bleu. Il s'agenouilla brusquement sur le sol rendu rugueux par la poussière, et fit jouer d'un geste sec du poignet la fermeture Eclair du sac. Il plongea les deux mains dans les profondeurs froides, comme un chercheur d'or qui trouve un filon dans le lit d'une rivière, et amena Anne à ses yeux. elle souriait toujours, oublieuse de son emprisonnement. Il lui trouva un air de ressemblance avec sa mère, soudain, et sur qu'il voulait la garder. Dangereux, sifflait la voix de la raison dans son esprit, interdit de se promener avec ce que tu voles, n'oublie jamais ce que 'Pa t'a dit… Richie fronça ses maigres sourcils et la voix disparut. Anne souriait plus largement. Pourquoi le regardait-elle ainsi, l'air mystérieux et un peu ironique ? Que voulait-elle lui dire ? Richie, machinalement, se tourna pour observer derrière lui pas si nerveux, mais curieux de savoir où voulait en venir sa statue.

Il y avait le long couloir bordé d'acajou, de meubles, de marbre, et au bout…

L'escalier.

L'étage.

Le coffre aux merveilles.

Il déposa Anne au creux de son linceul bleu, et se redressa, frémissant d'anticipation. Le plaisir lui étreignit la gorge, et il fit un pas en avant pour chasser son angoisse. Il leva les yeux vers l'étage, au haut des degrés, où une porte entrouverte faisait un jour livide.

Un jour ?

Richie secoua la tête pour chasser ces sottes pensées dues à l'imagination. Il était minuit, et si la porte était bien ouverte à son tiers, il n'y filtrait pas la moindre lueur. Saisit par le désir d'aller à la rencontre de son destin, Richie, serrant le sac contre son ventre, les mains serrées avidement par la cupidité, amorça l'ascension de sa Fortune.

*****

Surpriiiiiiiiiiseuh !

Et oui, fin du chapitre (ne hurlez pas mes chéris, moi aussi je déteste les cliffhangers) mais vous aurez très bientôt la suite !

Je pense que vous devez avoir quelques hypothèses croustillantes sur ce qui va suivre, mais je vais vous donner quelques indices supplémentaires : Richie va trouver le trésor de Rakham le Rouge, devenir riche et épouser la princesse. Des questions ?

Bien, ça vous apprendra à jouer les détectives amateurs. Je connais mon métier, quoi ! Et d'abord, qu'est-ce qui m'empêcherait, franchement, de vous mitonner une fic mary-suesque ? oui, enfin, à part le fait que c'est pas mon genre – mais vous devez bien le craindre, hein ? hinhinhin… *ricanement voldemesque*

Bon, d'accord. Richie ne finira peut-être pas tout à fait comme je l'ai dit.

Et alors ? C'est mon droit de faire de la publicité mensongère non ?

Boudeusement vôtre,

Mélusine.