Métaphysique du Psychopompe
Chers zamis lecteurs, je vous ai manqué,… j'espère ? Non ? Moui, c'est bien ce que je pensais. Peu importe. Me voilà d'une humeur exceptionnellement clémente cette nuit, et je vais vous faire une petite faveur : pas de pensums en punitions ce soir. Contents ?
Voici donc un choli chapitre tout neuf, dont vous devez vous demander ce que diable il fait ici. Merlin ! c'est bien simple : vous avez droit à quelques explications sur les rapports entre le premier chapitre et le second, parce que pour certains… bê c'était pas évident. J'intercale donc une petite scène anodine paisible (hic ! dirait Winky) sur Altaïr, qui en elle-même n'a effectivement rien à voir avec les ennuis de Richie, mais dont le propos, je l'espère, vous éclairera sur certains points...
Permettez-moi de rappeler aux crétins qui ont mis en place les règles idiotes de l'édition, que nooon, je ne possède pas les personnages créés par Madame Rowling-Murray, dont Warner Bros, Bloosbury et Scolastic Books possèdent une partie des droits et grâce auxquels une poignée de types bizarres se font un maximum de fric pendant que nous, pauvre pécheurs, nous allons baver devant le grand écran d'un air béat. Bon. J'oublie personne ? Z'êtes satisfaits ? (hoc ! beuh)
Ah ! Et si je puis rajouter : pour les plus de treize ans (la législation est moins rude en Oratlante) je conseille fortement la fréquentation de l'Auberge du Thémoracle, dans la belle ville d'Altaïr, qui possède leur meilleur bar dans une bonne partie des Imagivers à la ronde…
Bonne lecture à tous,
Mélusine.
Mélusine d'Oratlante
Métaphysique du Psychopompe
L'éclat doré de l'ambre au fond d'un verre :
Réflexions autour du rhum dans la meilleure taverne d'Altaïr
Milias Poiredebeurré posa sur l'étagère la chope qu'il venait d'essuyer, avec le luxe de précautions que seuls déploient les bons taverniers. Il jeta le linge immaculé par-dessus son épaule à la largeur impressionnante et, le torse bombé par une pense conséquente, toisa d'un air compatissant le jeune homme affalé au comptoir.
Après une hésitation, Milias saisit un petit verre sur une étagère plus haute, puis s'étira pour attraper, sur la dernière, une bouteille de forme étrange emplie d'un liquide ambré. Jouant des coudes comme le professionnel qu'il était, il versa prestement le fluide doré dans le verre qui se mit à scintiller doucement. Sans mot dire, il poussa la boisson dans la direction du jeune homme accoudé, la tête entre les mains, au long comptoir ciré.
Le garçon leva le nez, offrant aux regards le triste spectacle d'un début d'ébriété notoire. Il tenta de focaliser ses yeux sur le petit verre, mais n'y parvenant pas, tendit une main hésitante qui tremblota dans la direction du remontant il parvint enfin à s'en saisir, et penchant la tête en arrière d'un mouvement qui manqua le faire basculer, engloutit le contenu d'un trait sous l'œil réprobateur du tavernier.
« Gnautre, » marmonna-t-il, les mots s'emmêlant dans sa bouche pâteuse. Milias secoua la tête. Il reposa son torchon sur une portion de comptoir qui, chose rare, était libre, et tira jusqu'au bar une chaise sur laquelle il prit place, dossier entre les mains, pour faire face au garçon.
Milias Poiredebeurré, dans sa vie d'aubergiste, avait vu son lot de clients éméchés. Il en avait reconduit, des soûlards professionnels, à la porte de sa taverne ! Oh oui, il en avait vu de belles : des ivrognes chroniques, des désespérés notoires, des amoureux éconduits des rixes, des duels, des concours plus ou moins improvisés, avec pari à la clef… Cela faisait un certain temps, cependant, qu'il n'avait pas contemplé d'homme aussi imbibé d'alcool, et n'en ayant pas l'habitude. Milias doutait d'ailleurs que le garçon eût jamais été soûl de sa vie : il avait néanmoins une exceptionnelle résistance à la boisson, sans doute du fait de sa jeunesse, et en serait probablement quitte pour un gigantesque mal aux cheveux le lendemain – si, toutefois, il prenait la décision d'arrêter les frais dès maintenant. Mais, et c'était malheureux pour lui, il n'avait pas l'air prêt à quitter le bar – sans doute également, parce que ses jambes lui eussent refusé cette dernière dignité pourtant bien nécessaire.
Milias connaissait bien ce garçon pour ainsi dire, il l'avait vu naître. C'était avec une fierté non dissimulée qu'il avait appris sa nomination en tant qu'apprenti d'Alizar le Magicien, un homme pour qui Milias avait beaucoup de respect. Contrairement à bon nombre des gens de sa profession, Milias avait un réel intérêt pour ses clients et pensionnaires et contrairement à bien des gens de toutes professions n'ayant pas trait à la magie, il ne considérait pas les Sages comme des êtres tout à fait abjects. Oh ! Il est avéré que gens de magie sont souvent bizarres, mais quel mal y avait-il à ce qu'ils exercent ? Cela faisant trop longtemps que l'Auberge du Thémoracle accueillait des confréries de mages pour que Milias fût inquiété d'avoir un sorcier sous son toit. Surtout quand le sorcier en question était trop éméché même pour se rappeler son nom…
Milias poussa un soupir des plus profonds, et sortit d'une de ses nombreuses et amples poches un petit flacon verdâtre, empli d'un indéfinissable liquide dont la couleur paraissait osciller entre le brun et le prune. Il saisit fermement le menton du garçon qui ne songea même pas à protester – depuis un moment, il penchait dangereusement vers la droite – et lui enfourna le contenu de la fiole dans la gorge. Un gargouillis assez peu ragoûtant s'échappa de la bouche du poivrot, qui redressa brusquement la tête, les yeux larmoyants menaçant de lui sortir des orbites, et lutta un moment pour retrouver son équilibre, ce qui n'eut pour résultat que de le faire basculer davantage. Il se rattrapa de justesse au comptoir qu'il agrippait comme une planche flottant sur la mer déchaînée, et grimpa de nouveau avec une précaution maladive sur le tabouret haut perché. Il avait pris une teinte assez verdâtre.
« Heu… merci ? » fit-il d'un ton mal assuré à l'adresse du gros homme à l'air affable qui lui faisait face. Le tavernier inclina la tête avec modestie. Derrière eux, un homme maigrichon à barbiche, affublé de vêtements miteux, laissa fuser un rire de crécelle le garçon saisit une phrase qui ressemblait à « c'est ça qu'il nous faudrait avant de rentrer chez nos femmes » mais il n'en était pas certain.
Le garçon se retourna vers Poiredebeurré, assez contrit pour rougir honteusement. Le bout de son nez prenait en ces occasions une belle teinte rose vif cela ne manqua pas de dérider le tavernier, qui colla, en ployant sa haute et imposante personne par-dessus le bar, une titanesque accolade sur l'épaule du jeune homme – qui en tituba de nouveau.
« Alors ? » interrogea le tavernier, qui ne prit pas la peine de dissimuler un large sourire. « Tu as perdu ta langue ? »
Chacun, à Altaïr, savait que Feneriel de Misande était un incorrigible bavard. La seule fois où Milias se souvînt qu'il ne prît point la parole, était cet instant mémorable où sa bouche avait été close, en plein Conseil des Sages d'Oratlante, d'un baiser. Punition délicieuse administrée par la créature sans nul doute la plus jolie de ce côté-ci du Majunivers : l'adorable, légère et indomptable Meliel-des-Forêts. Milias savait par ouï-dire qu'on la nommait à présent Meliel de Loessian, afin de bien montrer qu'elle était une Douée capable de canaliser la Magie de son Imagivers, mais Milias la verrait toujours comme une petite fille indisciplinée. Et Feneriel, lui, devait certainement la voir comme… Milias rit sous cape. Feneriel avait horreur que l'on puisse le soupçonner d'éprouver quoi que ce fût – ce qui faisait, bien sûr, que tout le monde voyait clair dans ses affaires, sauf lui.
En cet instant précis, Feneriel fourrageait dans ses boucles blondes d'un air désespéré, lorgnant de biais vers la bouteille de rhum aux trois-quarts vide. Il était déjà étonnant qu'il y eût touché, mais pour qu'il veuille y faire un sort… l'affaire devait être des plus sérieuses. Milias s'approcha, prêt à jouer les confesseurs.
« C'est Meliel… » commença le jeune garçon, qui donnait tous les signes du plus profond abattement. Aïe, fit Milias en son for intérieur. Qu'était-elle encore allée pêcher comme idée saugrenue ? D'un geste rapide de la main, il fit signe au garçon de poursuivre. Ce qu'il fit.
« Le Conseil… ils la recherchent… »
Milias leva les yeux au ciel, tout en essuyant un broc. Ne pouvait-elle vraiment pas éviter de se mettre dans les ennuis ?
« … pour la tuer. »
Poiredebeurré, en sursautant, laissa tomber son broc. Il ne se songea même pas à se baisser pour le ramasser. « Qu'est-ce que tu racontes, toi ?! » s'exclama-t-il, alarmé.
« La vérité, Milias. »
Toutes les têtes présentes dans la taverne ce soir-là se tournèrent pour observer l'entrée très théâtrale d'Alizar de Girade, Sage d'Oratlante et magicien reconnu. La plupart des clients revinrent à leurs boissons, cartes et disputes avec la plus élémentaire prudence, mais certains suivirent avec des yeux avides le sorcier avancer jusqu'au bar où se tenait son apprenti plus que rougissant.
Milias se redressa, dans une attitude presque défensive. Il avait beau ne pas craindre complètement le vieillard, mieux valait se méfier de la colère d'un Sage prenant sur le fait un tenancier de bar trop curieux, s'apprêtant à recueillir des confidences par trop délicates. Mais à la surprise de Milias, le vieux mage s'assit au comptoir sans rien dire, se contentant de jouer avec le gland du fin cordeau qui fermait son manteau de voyage.
Lui jetant un regard prudent, Feneriel recula sur sa chaise et s'abstint de proférer le moindre commentaire, ou de commenter davantage de boisson.
Sans cesser de tripoter la cordelette, Alizar se tortilla une bonne minute en silence sur son tabouret, puis se pencha en avant avec un soupir las. L'aubergiste crut le moment venu pour lui proposer quelque consommation il ouvrait la bouche pour prendre la commande lorsque le vieux mage rompit soudain le silence qui baignait le bar un moment plus tôt.
« C'est vrai, » marmotta-t-il d'un air sombre, « elle est partie. »
« Partie ? » répondit platement Poiredebeurré, manifestant un intérêt poli alors qu'en réalité il brûlait d'impatience.
« - Yhâtir seul sait où, » jura le vieillard, ayant recours pour une fois aux anciens dieux de son village natal. « Elle a disparu sans rien dire, mais nous avons – j'ai – une prémonition sur l'endroit où elle voudra se rendre.
- Quelle importance ? Ce n'est pas la première fois qu'elle agit ainsi, elle reviendra soyez-en sûr.
- Vraiment ? Je ne crois pas, mon cher Milias. Non, contrairement à vous, je ne partage pas cette vision optimiste des choses. Cela fait un moment que Meliel se farcit la tête d'idées saugrenues sur la Magie, ses pouvoirs, et cet Ailleurs dont elle parle toujours comme s'il s'agissait de la plus belle chose qui soit et…
- Mais c'est la plus belle chose qui soit, » corrigea doucement le gros aubergiste, dont l'air féroce, auquel contribuaient sa taille haute et ses bras de chemise roulés sur des bras musculeux épais comme des branches de chêne, contrastait étrangement avec la tendresse que l'on lisait dans ses petits yeux intelligents. Il soupira. « Nous rêvons tous, à un moment ou à un autre de notre vie, que c'est nous qui tirons les ficelles – que nous avons le Don, nous aussi, de créer des mondes, et que notre existence n'est pas le fait d'un esprit éloigné de nous par le réel… Allons, Alizar, n'avez-vous jamais regretté, vous qui êtes Doué, de ne pas appartenir à un monde où l'on ignore tout du Majunivers ?
- Oh, si… Si, Milias, j'y ai rêvé bien avant cette enfant, et sans doute même avant vous. Je suis si vieux ! Mais jamais je n'avais trouvé dans un Apprenti une telle volonté d'explorer l'extérieur, de pousser la porte… Vous savez, la plupart des enfants qui m'ont été confiés, malgré toute leur curiosité juvénile, ne poussaient que le verrou. Meliel veut savoir ce qu'il y a au-delà de la porte, et elle ne se contente pas d'entrouvrir le battant… elle se jette dans le gouffre, en pensant que sa nature d' « Être imaginé » lui permettra de s'en sortir. C'était sans doute avant, mais…
- C'est donc vrai, ce que l'on raconte ? Elle est une Passerelle ?
- Oh… si ce n'était que ça… je crains qu'elle ne soit Psychopompe.
- Psychopompe ?! Mais alors…
- Oui, Milias. Je crois qu'elle est allée chez Eux. Dans les Terres du Bas. Dans le monde réel. »
Milias Poiredebeurré ne répondit pas tout de suite. Pâle comme un linge, l'aubergiste éprouva soudain le besoin de s'asseoir. Il se laissa tomber sur une chaise, le visage défait, presque au bord des larmes. Il savait pourtant, depuis son enfance, que certains avaient le pouvoir incroyable de s'incarner dans le Vrai, ce monde interdit dans lequel le Majunivers puisait sa source éternelle : les Rêves des hommes. Il avait été révolté, d'abord, puis fataliste devant cette révélation insoutenable de longues années durant. Et, bien qu'il se montrât déçu de n'être pas Doué, Milias avait mené une vie satisfaisante, exerçant avec placidité un métier qui lui convenait. Mais d'apprendre que quelqu'un qu'il connaissait avait eu l'occasion de faire tout ce qu'il avait rêvé de voir pendant tant d'années, cette révélation avait fait ressurgir en un coup toutes ses rancunes et ses vieilles peurs d'enfant.
Agrippant à son tour un verre d'une main et la bouteille de rhum de l'autre, il se versa une longue rasade d'alcool.
« Oh, » poursuivit, imperturbable, Alizar qui contemplait son propre verre, rempli par ses bons soins, « elle en est revenue. Et le pire… le pire, c'est qu'elle était heureuse. Comme… rassasiée. Je crois qu'elle se nourrit des rêves, c'est ainsi que vivent les Psychopompes après tout. Elle a dû trouver cela délicieux, car elle y est retournée plusieurs fois et sans prendre garde à mes remarques, car je lui avait pourtant dit à quel point cette utilisation prolongée des Portes nuit à l'équilibre de l'Energie – mais comment lui interdire ? Une idée lui est venue, je le sais. J'ignore laquelle, mais… elle est partie dans un des Mondes – réels ou non, qu'importe ? – afin d'accomplir encore un de ses rêves, et le Conseil a décidé, une fois pour toutes, que c'en était trop. D'après des sources que je n'ai pas, Samarzed aurait appris qu'elle voulait amener un Être à changer d'Imagivers… »
Poiredebeurré sursauta à nouveau, et engloutit un quatrième verre. « Elle est folle, » marmonnait-il, « elle est complètement folle ! »
« Je crains que oui, mon pauvre ami, » répliqua Alizar en soupirant. « Et qui sait ce qu'elle a l'intention de faire… »
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Yo-ho-ho, et une bouteille de rhum !
Certes, ceci n'est pas une fic crossover avec L'Île au Trésor de Stevenson (Louis Robert, qui n'a pas lu ?) mais je n'ai pas pu m'en empêcher.
Je suis navrée (nyark-nyark-nyark) de faire durer le plaisir et de vous faire languir ainsi, mais j'adore rajouter de chapitres à la dernière minute… d'ailleurs, il était très bien mon chapitre. Si.
Vous n'avez qu'à vous en prendre à ceux qui n'ont rien compris, na ! *boude*
De toute façon, le prochain n'a rien à voir non plus… et oui. Promis, j'explique tout par meil à ceux qui ne pige vraiment rien ^^
Baisers rêveurs,
Mélusine.
