Mélusine d'Oratlante

Métaphysique du Psychopompe

Hello évribodi ! Je suis présentement en train de me demander pourquoi j'ai collé un titre pareil à ma fic. Il est sûr et certain que ça doit faire fuir un pourcentage effrayant de revieweurs potentiels. En fait, il est probable que je ne serai jamais lue que par les gens qui me connaissent déjà – comme dirait notre Alo' nationale, l'originalité paie rarement sur ce site. Tuez-vous à trouver des trucs intéressants.

Pas de slashs Sirius/Remus pour moi, merci, ou même de Draco/Hermione, désolée ma Carcynia adorée – mais bien des intrigues compliquées que je suis la seule à suivre, des crossovers tordus et autres labyrinthiques errements au pays des songes. La gloire, c'est pas encore gagné.

J'aimerais cependant justifier ce titre par son euphonie (si, c'est très joli je trouve) et par sa référence évidente à Mlle Nothomb – bref, les dés sont jetés comme dirait l'autre. Jules, qu'y s'appelait. En attendant, elle se fait (pas Jules – je pense pas qu'il touche des droits d'auteurs lui – mais la demoiselle en question) pas mal de pognon, si vous me passez cette expression vulgaire, et moi je n'ai que la pensée de mes lecteurs comme nourriture spirituelle. Heureusement que vous m'êtes si précieux et que je sais m'en satisfaire ! *glousse*

Tout ça pour vous dire que quand je serai auteur à succès, je vous dédicacerai un livre. Voilà. Comment, on s'en fout ? Peuh ! Béotiens…

En tous les cas, je suis navrée d'avoir mis tant de temps à vous fournir ce drôle de machin qu'on appelle un chapitre, mais j'ai de… légers ennuis avec le Net ces derniers temps, et j'ai été privée de fics pendant un long moment. Je n'arrivais plus à écrire après ça, snif ! Je vais essayer de continuer doucettement, et de ne pas faire de chapitres trop nuls aussi, ça peut toujours servir. Au pire, imprimez-les et faites-en du bois de chauffage.

Je voudrais, avant que de vous laisser lire, vous soumettre une requête : comme certains le savent, ma première fic « longue » s'intitule le Livre des Traverses et se passe dans ce monde-ci, celui d'Harry. Comme je l'ai maintes fois expliqué à des lecteurs qui réclamaient la suite, il vaudrait mieux reprendre les personnages et fabriquer d'autres histoires se passant dans d'autres mondes, auxquels les héros accèdent grâce au Livre. Malheureusement, je vais bientôt ne plus avoir le temps – de plus, j'ai d'autres fics en cours – et j'aimerais savoir si quelqu'un souhaite prendre la plume, avec le Seigneur des Anneaux pa exemple (*biiip* cible verrouillée, Commandant) ou une autre fic. Je conçois que cette demande peut paraître un peu déplacée au milieu de cette fic, mais comme vous n'êtes pas sans voyez quelques-uns, seriez-vous assez gentils de me les faire connaître ?

Merci beaucoup à tous, qui malgré tout me lisez, et bons rêves.

Mélusine

Métaphysique du Psychopompe

Chapitre cinquième

Lourdes pierres et réflexions saugrenues

Le pourpre d'un coucher de soleil estival nimbait Altaïr d'un voile étouffant. Tôt dans la matinée, les commerçants avaient baissé de moitié les rideaux de leurs échoppes, et les rues odorantes avaient perdu de l'habituelle animation qui les caractérisait. Ville lumière de renommée certaine, la capitale d'Oratlante ne vivait plus que par le vin et la bière, qui coulaient à flots dans tout ce que le pays comptait de tavernes. Dans le cœur de la ville, personne ne s'aventurait plus loin que l'Auberge Verte, dont l'heureux propriétaire tenait commerce aux abords de la Grande Serre d'Altaïr : il avait le mérite (outre que vendre un nombre conséquent de boissons alcoolisées) de posséder dans chaque pièce habitable une plante de Lémanda, dont les feuilles – qui compensaient ainsi la rigueur de leur désert d'origine – prodiguaient une fraîcheur sans pareille. En vertu de quoi, le brave homme avait pu se frotter les mains chaque jour de canicule depuis l'ouverture de son auberge, et agrandir, aménager, accueillir et détrousser chaque client satisfait de trouver, qui vin doré et qui chambre calme.

Dans tout Altaïr, deux lieux seuls ne semblaient pas partager l'apathie ambiante dans la plus grande des provinces du monde d'Orpadh. En dépit de la chaleur lourde qui écrasait la ville depuis dix jours, ces deux places fourmillaient encore d'une vitalité étonnante. Le quartier des voleurs, d'abord, situé près de la Sixième Porte (désertée depuis longtemps par les gardes pour des raisons évidentes) en aval de la ville, où les diverses guildes ne manquaient jamais d'activité (lorsqu'on ne vole pas, on peut toujours vendre – ce qui revient un peu au même, n'est-il pas ?) et ensuite, dans un ordre d'idées différent, le temple de la Grande Lumière.

Un jour appelé Temple de Lumière Divine, il avait été débaptisé par la mouvance populaire qui, en majorité, reniait ses anciens dieux. Avec une réticence assez compréhensible, les membres du Haut Conseil s'étaient résolus à l'exil, somme toute peu exigeant puisqu'il les obligeait à siéger dans un quartier mieux bâti et entretenu avec l'égard qui convenait, et la distinction s'imposant. Les Pères avaient une fâcheuse tendance à l'aigreur, prenant racine sans doute dans leur âge incertain mais élevé et nul ne se serait risqué à contrarier un prêtre en colère. On choyait donc le Conseil, tout entier logé à excellente enseigne mais jamais satisfait, ce qui contribuait à fournir emplois et contrariétés divers. Peu étonnant donc, que le Temple d'Altaïr fût aussi chéri par le peuple, bien qu'ayant été décrété lieu d'un culte dépassé et l'on disait même que certains y travaillaient sans récompense. Assez curieusement toutefois, le monument avait l'air continuellement en ruines, avec ses hauts murs lézardés et ses colonnes de pierres branlantes, qui menaçaient de s'effondrer sur quiconque éternuait au pied des marches, presque toutes craquelées dans l'entrée principale. Il s'en dégageait cependant une impression de noblesse et de puissance surprenante, qui savait émouvoir le passant étranger à la ville et les touristes ne rataient guère l'incontournable vieille bâtisse, dévorée de lierre et de plantes exotiques, rongée par la mauvaise herbe mais toujours droite malgré les siècles. Populaire était la rumeur selon laquelle le Temple tenait encore debout grâce à une Magie mystérieuse et influente, théorie somme toute valable puisque les seuls résidents de l'endroit était une pléthore de prêtres illuminés, plus ou moins versés dans la restauration d'anciens mythes. Et parmi eux, le maître Alizar de Girade faisait figure emblématique, par sa grande sagesse aussi bien que par son Don reconnu de catalyseur des fluides, fonction importante s'il en était.

C'est par ce jour, d'une telle touffeur que les pavés blancs et roses paraissaient trembler dans l'air brûlant, que Feneriel le Jeune choisit trois marches du temple pour une sieste improvisée. Il était épuisée par une longue route en plein soleil autant que par une tristesse de plus longue durée encore. Cela ferait bientôt trois jours que le Conseil avait rendu la sentence, et quatre que Meliel s'était enfuie et bien qu'il lui fut arrivé de partir plus longtemps, ces quatre jours pesaient sur le garçon plus lourd encore que la moiteur de l'orage qui s'annonçait pour la nuit. Depuis une heure qu'il gisait sur ses trois marches, de longues planches de marbre accotées à une rambarde de pierre rongée d'herbe folle, Feneriel avait repassé en esprit toutes les fois où Meliel avait quitté Altaïr, Oratlante et Orpadh pour le monde extérieur. Elles n'étaient pas si nombreuses, et cela n'avait rien de rassurant : que ferait-elle si elle se perdait ? Si elle ne retrouvait pas son chemin ? Et d'ailleurs, comment pouvait-on trouver un chemin d'un monde à l'autre ?

Feneriel était apprenti au Temple, depuis ses huit ans, voilà plus de sept saisons de ce jour d'été il avait quitté sa mère et ses deux frères aînés, qui vivaient dans un tout petit village à l'ouest des collines d'Endorn, et rejoint à cheval (il n'avait jamais monté, et était terrifié par les cahots et l'odeur) la route de Girade, conduit sous bonne escorte par cinq soldats provinciaux. Dans la Cité des Vents d'Est, il avait rencontré le Faërian d'Altaïr, revenu pour un temps bénir sa ville natale et le garçonnet avait été confié à Alizar pour le reste de son existence, parce qu'il était « Doué » comme lui, et qu'il saurait prendre sa place en temps voulu. A dire vrai, personne n'avait demandé son avis au garçon mais il n'avait pas pensé à le donner. Né dans une famille de paysans appauvrie, qu'aurait-il pu souhaiter de mieux que d'apprendre à écrire, être soigné comme un prince et manger à sa faim ? Et Feneriel était parti pour Altaïr, plein d'espoir et de courbatures, mais fort d'une certitude : il allait être un bon Faërian, parce qu'il n'aimait rien tant que l'idée de l'Ailleurs.

C'était cette même idée qui l'effrayait aujourd'hui. Il sentait confusément qu'il devait à ce mystère permanent, et qui avait toujours exercé sur lui une attirance sublime, la fuite et la perte probable (bien qu'il se refusât encore à le croire) de Meliel et d'autres de ses rêves disparus. Il n'y avait pas de nuages ce jour-là dans le ciel d'Altaïr, mais Feneriel leva la tête bien haut pour chercher, encore une fois, la trace d'un passage jusqu'à d'autres mondes, jusqu'à la Terre, jusqu'à Meliel. Rien. Toujours.

Emergeant de ces sombres pensées, Feneriel commença de descendre les marches fêlées du temple en petits bonds distraits. Il regardait dans le vide, absorbé par la vastitude de ses suppositions plus ou moins fausses, et ne prenait pas garde à où il allait. Ce qui justifia en partie l'épouvantable juron qu'il proféra en dégringolant trois marches plus loin. En partie seulement, car la solide accolade administrée dans son dos (à présent meutri) n'était pas sans cause avec sa chute et l'air perfidement béat du nouvel arrivant laissait augurer un faible pourcentage d'innocence dans l'affaire. Grâce au ciel, il ne s'agissait pas de l'un des apprentis forgerons du quartier voisin, en quête de boisson ou l'ayant déjà trouvée : c'était Rael, un Doué comme lui et apprenti Faërian, l'un de ses meilleurs amis. Feneriel avait tendance à penser que Rael était bien meilleur que lui et qu'il n'aurait aucun mal à devenir prêtre, mais le garçon aux yeux jaunes le rassurait souvent sur ce point, en affirmant que la race n'avait pas d'importance quant au choix des apprentis.

Rael était une créature étrange, selon les critères de sa race. Il était plus bavard qu'un écureuil, plus remuant que le vent dans la montagne. Ses yeux brillaient toujours de malice, et particulièrement lorsqu'il s'apprêtait à voler quelque chose. Agile et furtif comme tous les gens de forêt, il avait développé un art incroyable du larcin, qu'il pratiquait avec une sérénité confondante, pour le simple plaisir de provoquer. Curieux, volubile et insouciant, il ne ressemblait en rien à l'idée que Feneriel se faisait des Elians. Mais il est vrai qu'il n'en avait rencontré guère dans son existence, et que les messagers discrets qui arrivaient des bois d'Est ne suffisaient à la comparaison. Lorsque la nuit était belle et que la journée n'avait pas été trop dure, Rael contait à ses amis des histoires de son royaume, à propos d'arbres et d'animaux étranges, et de palais remplis de belles princesses aux yeux-joyaux. Il refusait cependant de dire davantage que des légendes, arguant que cela lui était interdit aussi Feneriel ne savait pas grand chose des Elians, bien que cela lui tînt fort à cœur : il avait entendu parfois que Meliel était d'origine eliane, et il se murmurait plus encore que ma Grande Faëriane d'Orpadh était née dans la Forêt Sacrée d'Elianor… Mais Rael (avec un art consommé de conteur) refusait d'en dire plus, et cela finalement tendait à confirmer son récit.

« Est-ce que tu te morfonds toujours, ou l'oiseau a-t-il fini de chanter ? » interrogea Rael, affable, mais dont les yeux d'or brillaient plus que de coutume. Feneriel fronça les sourcils mais n'eut pas le loisir de s'interroger sur le sens de l'expression typique, coupé par l'arrivée soudaine (et essoufflée) du dernier membre de la bande : Izrami, le plus jeune d'entre eux et le plus influençable, cible préférée de Rael et des apprenties prêtresses du Temple. Plus petit encore que Feneriel, il avait le visage rond couvert de taches de rousseur, et des yeux noisettes perpétuellement étonnés. En plus d'un don malheureux pour les coquilles, le pauvre Izrami se débrouillait toujours pour atterrir au milieu des ennuis comme cette fois mémorable (car Rael ne manquait pas l'occasion de le rappeler) où il s'était trouvé seul dans une pièce que tous avaient désertés, seul innocent livré à la hargne d'un professeur… Et le petit protégé cependant de Rael qui le défendait toujours contre les autres, bien qu'étant sans cesse en train de l'asticoter lui-même. Feneriel soupçonnait par ailleurs Izrami d'être secrètement amoureux de Meliel, ce qui n'était pas pour l'étonner – après tout, c'était la meilleure source d'ennuis que l'on pût trouver par temps calme.

« Est-ce que c'est vrai ? »

Izrami avait les yeux plus brillants que des fruits d'Ohna, et le ton qu'il tentait de rendre neutre exprimait une excitation des plus indiscrètes.

Pour la vingtième fois au moins de la journée, Feneriel s'apprêta à répliquer par quelque admonestation plus ou moins grossière au questionneur indélicat.

Mais la candeur lumineuse d'Izrami-des-Falaises, son attachement à la fugitive et surtout la lueur folle d'enthousiasme qui brillait, irrésistible, au fond de ses yeux noisette ôta à Feneriel toute envie de l'assommer.

« Est-ce que tu as eu des nouvelles ? » interrogea le jeune garçon, accroupi sur la marche de pierre et sautillant sur place avec impatience. Il offrait un curieux mélange d'angoisse, d'excitation et de folie juvénile, qui lui allait bien. Loin d'être incommodé, son aîné se sentit agréablement rasséréné de trouver quelqu'un, dans cet Imagivers, qui ne fût pas paniqué ou furieux.

Et c'est pourquoi, une fois n'étant pas coutume, il consentit à répondre.

« Pas de nouvelles, Izrami. Mais ça ne veut pas dire qu'elle ne reviendra pas. »

Izrami s'assit d'un mouvement brusque un peu surpris, comme si la réponse ne le satisfaisait pas. Au fond, Feneriel connaissait la réponse qu'avait attendu le garçon : il ne voulait pas simplement savoir si Meliel allait revenir, si elle était perdue à jamais mais il était avant tout impatient de savoir si elle avait, comme le prétendait la rumeur, réellement traversé.

A son propre étonnement, Feneriel ne lui en voulut pas. En fin de compte, c'était de bonne guerre : tout le monde sans exception rêvait de connaître la clef du mystère, toutes races confondues. Y compris…

« Alors, elle est partie pour de bon cette fois ? »

Le dernier membre de l'inséparable trio se fendit d'un sourire éclatant et jeta par-dessus son épaule le trognon mâchouillé d'un fruit indéfinissable. Deux paires d'yeux le considéraient suspicieusement lorsqu'il se laissa choir sur une marche avec une grâce toute féline.

« Je sais qu'elle est partie, pas vrai Feneriel ? et je sais aussi pourquoi. Mais j'aimerais mieux savoir comment elle est partie. Et… » (il ponctua ses paroles d'un clin d'œil) « pourquoi tu n'es pas parti avec elle ! »

Izrami roula sur le côté pour observer une scène intéressante : d'une part, Rael-chat aux yeux d'ambre qui riait comme on n'avait jamais ri, et de l'autre un Feneriel plus que rougissant – et décidément en équilibre instable sur une marche branlante. Izrami se dit qu'une chute eût été bienvenue, car elle aurait débarrassé Feneriel de questions importunes concernant à peu près toutes la nature de ses relations (platoniques) avec une dénommée Meliel, questions qui ne manqueraient pas d'être posées de toute façon.

Résolu au pire, le benjamin du trio se décida à intervenir pour épargner à son ami le pire des cauchemars, avoir à rendre des comptes au sujet d'une fille. Pour ce faire, il usa de son ton le plus sentencieux.

« Ce n'est pas sujet à plaisanterie, Rael. Elle a mis en danger tout notre monde, et la Source, et les autres mondes… »

« … Et a fait ce que tout le monde ici, et ailleurs, et partout où l'on rêve a rêvé d'accomplir. »

Izrami n'avait jamais rencontré plus d'Elians que son ami et une messagère (un jour, lors d'un conseil) et sa connaissance de ce peuple n'était pas spécialement étendue, mais il était de notoriété publique que les Elians ne sont gens de paroles (sauf divines) et surtout, de paroles en l'air. Rael répondait aux critères inverses, en possédant une langue des plus déliées et un tempérament de commère. Malgré tout, c'était un bon ami, et il avait le courage des gens de sa race – et leur agilité incroyable, due sans doute à leur ressemblance avec des chats, ce qui s'était maintes fois révélé très pratique pour le chapardage, sport provincial fort apprécié. Il arrivait cependant parfois que l'étrange Rael effrayât quelque peu son timide cadet, l'impressionnable Izrami dont les ancêtres superstitieux craignaient les races sorcières. Il avait été bercé dès l'enfance par des contes sanglants qui venaient d'Imagivers aussi divers que variés, et sa grand-mère lui avait souvent vanté les exploits appréciables d'un bon nombre d'assassins, démons et magiciens douteux, aidés la plupart du temps par des gobelins, spectres et autres elfes dévoyés. Et Izrami ne pouvait s'empêcher quelquefois que le beau Rael aux oreilles pointues aurait fait fuir sa chère grand-mère..

« C'est bizarre, » pousuivit Rael, imperturbable comme si personne ne l'avait interrompu, « il me semble d'habitude que tu es plus… bavard sur le sujet, » acheva-t-il avec un rictus malicieux. Feneriel ne prit pas la peine de demander de quel sujet il pouvait s'agir. « C'est juste… oh ! et puis il n'y a pas grand chose à dire, en fait. Elle a levé le camp encore une fois, et cette fois cette bande d'entogés du Conseil a la ferme intention de lui courir après. »

Son interlocuteur fit entendre un long sifflement ouvertement admiratif. Prenant des mines d'espion, il se pencha vers l'oreille de Feneriel, agrippant Izrami par la peau du cou, et chuchota d'un air faussement méfiant : « Et je suppose que vous avez rendez-vous quelque part, et… » Feneriel leva la main en signe de dénégation, et ne laissa pas Rael finir par une allusion compromettante. « Je suis sérieux. Elle est vraiment partie, pour la Terre. Enfin, c'est ce que dit Alizar, ou plutôt ce que hurle Viférine depuis bientôt trois jours. Il paraît que c'est très grave, que ça compromet la survie de notre monde et tout ça… » Rael complèta la phrase. « En gros, elle a déplacé trop d'énergie ces derniers temps et ça pourrait occasionner des interférences dans le système de récolte de rêves. Et avec ça, elle risque de rester sur place parce que dans le monde réel les portes doivent être créées et qu'elle n'a sûrement pas le niveau pour, et en plus c'est très dangereux. Ajoutons enfin que si elle fait connaître notre monde aux « Vrais » on va avoir des problèmes sérieux… » Il se tut en fermant les yeux d'un air compassé, faisant des grands moulinets de la main. Izrami ferma enfin la bouche, et écarquilla les yeux de plus belle. « Comment tu sais ça, toi ? Je croyais que tu n'écoutais jamais en classe ? »

Rael lui lança un regard noir, et se drapa dans ce qui lui restait de dignité. Intérieurement, il félicita Izrami et lui-même, car leur habituel numéro avait réussi à tirer une ombre de sourire à Feneriel. Rael se demanda ce qu'il faudrait faire pour que cet idiot se décide enfin à faire en sorte que Meliel ne parte plus aux quatre coins du monde. En vérité, il connaissait fort bien la raison qui poussait Meliel à s'enfuir toujours. Après tout, elle était d'origine eliane, et comment un Elian n'aurait-il pas souhaité connaître autre chose que ce monde artificiel ? Ses amis avaient toujours pressé Rael de leur raconter l'histoire de son peuple, mais cela lui était défendu, et au fond il le savait juste. Comment dire à ces êtres qui lui étaient chers, que les Elians ne venaient pas d'ici, mais d'En-Bas, et qu'autrefois… Rael ne s'inquiétait pas tant pour Meliel que les autres, car il savait que les Elians avaient une grande faculté à traverser les Mondes, bien que cela fût tenu secret depuis longtemps. Mais il savait également dangereux pour ce monde qu'elle volât trop d'énergie, ce qui ne manquerait pas de se produire. Alors que cela était si aisément prévisible… Il fallait donc que la Grande Faëriane en personne eût permi ce voyage. Pourquoi ? A quelle fin ? Et surtout… surtout, Viférine l'apprendrait forcément.

Quel intérêt prenait la Dame de Loessian dans cette étrange affaire ?

« Rael, tu n'a rien dit pendant dix minutes, au bas mot. Tu es malade ? »

« Non, je réfléchissais. »

« Aïe. Là, il est malade. »

« Izrami ? Tais-toi. »

« Quel était le sujet de cette intense méditation ? »

« Probablement la prochaine bêtise qu'il va faire, c'est ce qui arrive quand il pense plus de cinq secondes. »

« Les loups de Kali te courent après cette nuit ! Je me disais seulement que Feneriel devrait parler à la Dame Rouge. »

« Seulement ? »

« Pourquoi toujours Feneriel ? »

« Parce qu'il est le plus concerné par le départ de Meliel, et – »

« Ouais, ouais, le plus concerné… c'est toujours pareil. Moi aussi 'suis concerné d'abord… »

« Non. Il la connaît depuis plus longtemps que toi de toute façon. Preum's. »

« Hey ! J'ai rien à avoir avec… d'accord, d'accord… Ne me regarde pas comme ça. Mais de qu'est-ce que je pourrais bien trouver à dire à la Dame ? Et puis c'est quoi, cette histoire idiote… qu'est-ce qu'elle a à voir avec Meliel d'ailleurs ? »

« Ah ! Je savais bien que c'était un complot ! »

« Izrami… Ecoute Fenn, tout le monde sait dans cette province que Meliel est la plus Douée d'entre nous, à Altaïr la Dame le sait aussi, forcément. Après tout, si c'est bien le cas Meliel pourrait lui succéder. Dans… quelques siècles, quoi. » (Izrami fit entendre un petit bruit étranglé) « … en tout cas, la Dame est pour l'instant la plus puissante créature de l'Orpadh, » (il prononçait étrangement, comme si c'était un mot de sa propre langue) « et elle saura peut-être quoi faire avec Meliel à son retour. »

« Quoi faire ?! » La voix d'Izrami montait dangereusement dans les aigus. Rael poursuivit avec une once d'agacement.

« Evidemment. On ne va quand même pas laisser Mel' se faire jeter dans un cachot ! De toute façon, je ferais n'importe quoi pour déplaire à ce vieux barbu de Viférine. »

« Et moi, n'importe quoi pour qu'il n'apprenne rien de ce que tu viens de dire. »

« Et de ce qu'il a l'intention de faire ! Fen', ce type est cinglé… comment tu veux espérer cacher un truc aussi énorme au Gouverneur le plus important d'Orpadh ? »

« Avec l'aide de Lucrèce de Loessian ! » ponctua Rael avec un sourire radieux. Les mâchoires respectives de Feneriel et d'Izrami rejoignirent la région de leur estomac. Ils considéraient Rael comme si celui-ci était devenu, disons plus fou encore qu'à l'ordinaire.

« Oui, enfin, enfin, b.. bon, tu… » Izrami bégaya un moment avant de trouver ses mots. « Non seulement… c'est interdit, d'abord, et puis elle n'acceptera jamais ! »

« Oh, » assura Rael, à présent sérieux, « j'ai un bon argument. »

« Lequel ? » s'enquit Feneriel, mais il commençait à être plus que d'accord avec son ami. Il ferait n'importe quoi pour aider Meliel.

« Ah, ça… » Rael prit des airs de conspirateur. En lui-même, il hésitait à parler.

Les trois compères se penchèrent de concert pour mieux chuchoter, leurs têtes serrées en un seul point. Rael s'apprêta à exposer son projet, mais se redressa brusquement à la dernière minute. Il était pâle.

Feneriel, alarmé, se tourna vers ce qu'il pouvait regarder, et fit un pas en arrière Izrami, se retournant à son tour, aperçut un prêtre à l'air empressé courir vers eux, en soulevant ses robes. La vision eût été comique, ne se fût-il s'agit d'un messager du Gouverneur, reconnaissable à sa poitrine barrée d'un monogramme en lettres rouges. Les trois garçons, stoïques, attendirent l'heure approchante du jugement dernier.

Rien ne se passa.

Cela devait être dû sans doute au fait que le pauvre homme n'avait plus aucun souffle. Izrami lui tendit sa gourde, sous l'œil mécontent de Rael, et le messager but à longs traits avides. Puis il tendit la gourde – vide – au jeune garçon, et s'essuya la bouche d'un revers de manche (Rael fit une horrible grimace) en soupirant avec béatitude. Feneriel s'autorisa un timide sourire, tandis que Rael prenait un air boudeur. Enfin le coursier sembla prêt à prendre la parole, et le trio suspendit son dernier souffle.

« C'est le jeune monsieur, heu… Fen… 'ttendez. » Il sortit un papier de sa poche, et le tendit à la ronde. Visiblement, il ne savait pas lire. Feneriel y vit un seul nom, le sien.

« Feneriel, Monsieur. Feneriel. Heu… c'est moi. »

« A oui, c'était ça… Ben, c'est vous que vous devez vous rendre au palais. Y a la Dame là-bas, elle veut vous voir. »

Feneriel et Izrami se tournèrent vers Rael, mais il avait l'air encore plus étonné qu'eux.

« Vous… vous êtes sûr de ça ? »

« C'est ben vous, Feneriel l'apprenti d'Alizar le magicien ? »

« Oui, mais… »

« Ben c'est vous qu'al a d'mandé. Y a pas d'erreur. »

Derrière lui, Rael marmonna « la Dame Rouge… Lucrèce de Loessian… »

Haussant les épaules avec fatalisme, Feneriel se mit en route.

A suivre…