Spoilers sur tout le manga jusqu'à la fin. Avertissements pour... pour la relation entre Louis et Caesar en général.


Louis, de sombre humeur, s'acharne sur des expérimentations culinaires. Les feuilles de thé ont été cent fois clonées, toujours exactement identiques. Personne ne les déteste. Louis veut de nouvelles saveurs, plus par orgueil que par gourmandise. Il sirote les quelque gouttes qu'il a versées dans le verre.

"C'est de la merde," s'exclame-t-il, pris de fureur, "la merde que nous utilisons pour les cultiver !" Il projette le verre au loin, si fort que le recul l'envoie visiblement vers l'arrière.

Caesar saute et s'interpose entre le verre et la cloison du vaisseau, attrape le verre entre ses doigts, par le bord, toujours chaud du thé brûlant et peut-être des lèvres de Louis.

"Je ne le lançais pas sur toi," dit Louis, sa voix lourde de venin. "Est-ce que cela te manque ?"

Caesar n'aurait pas dû s'interposer entre Louis et une autre victime de son ire, une qui n'en souffrira pas. Mais il est trop tard, et autant crever l'abcès.

"Pourquoi ?" demande-t-il.

Louis éclate d'un rire féroce.

"Bonne question. Cherchons une réponse rationnelle. Je suis un artiste. L'architecture n'est pas vraiment une option ici, et j'arriverai à cours de papier bien avant deux cent ans. Si ce verre est brisé, je le refondrai ; plus beau qu'avant, certainement."

Caesar est soulagé. C'est une réponse rationnelle. Il s'excuserait presque.

"Il sera même pour toi." reprend Louis. "Maintenant, est-ce que tu peux le casser en petits morceaux, s'il te plait ?"

Caesar pourrait projeter le verre à terre, le forcer à s'écraser quand la pesanteur refuse de le saisir, comme Louis l'avait prévu au début.

A la place, il ne sait quelle rebellion, quelle provocation le pousse à l'écraser entre ses doigts. Au début rien ne se passe, puis il appuie plus fort. Le verre vole en éclats. L'un d'entre eux écorche la main de Caesar, le faisant saigner superficiellement, pendant que d'autres flottent autour, comme des petits satellites.

La douleur est aiguë, et elle devrait ramener Caesar à la réalité, mais les yeux de Louis sur lui sont plus cruels et d'un cristal plus tranchant. Il prend appui sur la table qu'il utilisait, flotte doucement vers Caesar, vers les fragments de verre au sol aussi, mais c'est lui qu'il regarde, et c'est sa main qu'il prend.

"Penses-tu toujours que c'est beau de souffrir pour moi ?" demande-t-il.

Il n'y a plus de méchanceté dans sa voix, juste une curiosité un peu cruelle peut-être, mais involontairement.

Caesar avale sa salive. Oui, il y a quelque chose en lui qui y trouve satisfaction. Ce n'est pas de l'amour, mais c'est un démon pervers qui s'en nourrit.

"Je ne pense pas que ce soit beau. Mais tu es l'artiste. Dis-moi." répond-il lâchement.

Louis caresse la main de Caesar, puis se saisit du fragment de verre qu'il retient encore, le seul qui n'est pas devenu une ceinture d'éclats tranchants. Il l'appuie contre la peau de Caesar, sur son poignet.

"Je suis l'artiste, et ce serait plus beau si je le faisais," dit-il. Son ton semble détaché. Ce n'est qu'une illusion, comme le silence de Caesar.

Pendant quelques secondes, la tension coule entre eux deux, comme une tempête stellaire. Elle pourrait les emporter tous les deux très loin, elle pourrait les séparer plus encore.

Caesar frissonne de désir. Il veut l'embrasser, il veut d'autres choses auxquelles il s'interdit de penser depuis longtemps - comme le temps de se soucier de ce qui apparaît sur les caméras de surveillance semble loin ! Il veut absolument tout de lui, et n'importe quel fragment imperceptible. Il n'a jamais pu arrêter.

Et en cet instant, il veut que Louis ne s'arrête pas à des mots, et qu'il entaille sa peau. Ce serait une punition. Ce serait un don.

Et s'il ne dit rien, s'il ne plonge pas, rien ne se passera.

"Je veux voir," répond-il.

"Enlève ton tee-shirt, alors."

Caesar n'hésite pas. Son coeur bat la chamade; il laisse des traces de sang sur l'ourlet.

Cela ne fait presque pas mal quand Louis perce la peau de son avant-bras - un peu plus quand il presse la plaie, couvre ses doigts de sang - et ensuite, il commence à dessiner sur l'avant-bras de Caesar ce qui ressemble des flammes. Ou peut-être que c'est seulement ce que Caesar ressent, le sang enflammé sous sa peau, qui veut rejoindre les doigts de Louis.

Louis le caresse avec le bout de ses ongles maintenant, si légèrement, traçant des ombres plus intenses. Plus personne n'est agressé maintenant, plus personne ne joue. C'est juste ce qui est en jeu depuis le début, créer quelque chose de beau, même si c'est dans le sang.

Le dessin se précise ; les flammes sont la trainée d'un vaisseau spatial qui part vers l'horizon, un modèle tel qu'il n'en exista jamais, presque un train comme dans les légendes d'Arata, et les flammes sont aussi une longue chevelure rousse, et le train semble regarder en arrière... Louis fait une nouvelle entaille superficielle et sanglante, dans l'épaule cette fois, peaufine son art...

Louis agrippe soudain les épaules de Caesar, le fait pivoter, le visage contre la paroi. Il rit, s'amusant une fois de plus de comment l'apesanteur annule leur différence de force avec son handicap. Il ramasse à nouveau un des fragments de verre flottants.

"Je pourrais laisser des cicatrices," dit-il, son souffle brûlant dans le dos de Caesar.

"Tu pourrais rendre cela beau aussi," répond Caesar. Malgré la minutie de Louis, l'ardeur des premières minutes n'a pas baissé pour lui. C'est une expérience qui ne ressemble à rien de ce qu'il a connu pendant toute sa relation avec Louis, et cela fait des dizaines d'années d'amour et de blessures...

"Un autre jour peut-être, j'abimerai ton corps ridiculement parfait. Pas aujourd'hui." Louis se moque, mais sa mauvaise humeur semble envolée, dissoute dans quelques gouttes de sang et un voyage au bout du monde.

"Tout ce que tu voudras," murmure Caesar. Il n'a jamais dit cela à Louis. C'était trop dangereux. Cela l'est toujours. Il ne peut pas se retenir.

Un rire un peu fou fait onduler l'air dans le dos de Caesar, si proche que ses lèvres doivent le toucher presque. "Je ne te laisserai plus jamais me sauter, tu le sais." dit Louis. "C'est le passé. C'est mort et enterré."

C'est une punition et un pardon tout à la fois. Caesar ne sait auquel répondre. Il hoche juste la tête. Ses omoplates effleurent les doigts de Louis.

"Mais moi, qui sait ce que je pourrais te faire, un jour." dit Louis, et ses doigts se crispent sur la hanche de Caesar, violents mais tendres, comme jamais il ne l'a touché, depuis toujours, ni avant Gion ni après Gigi.

Le désir et la stupéfaction étranglent Caesar ensemble, et quand il peut enfin respirer à nouveau, quand il se retourne, Louis est concentré, très sérieux, ramassant chacun des éclats de verre, les examinant, jaugeant comment la lumière passe à travers.

Caesar a l'impression de voir de la lumière pour la première fois depuis très longtemps.