EQUILIBRE

CHAPITRE 1: Une rentrée avancée.

Trois heures dix du matin. Privet Drive semblait une petite banlieue paisible, endormie. Les lampadaires avaient cessé de fonctionner depuis quelques heures maintenant. Les maisons étaient plongées dans l'obscurité la plus totale qu'offrait cette nuit sans lune. Or, dans l'une de celles-ci, la lumière d'une lampe de chevet persistait. Un jeune homme ne trouvait pas le sommeil. Remuant et retournant les couvertures de son lit, son esprit était en proie à des agitations toutes aussi pénibles à endurer que celles de son corps. Il laissait la lumière éclairée sa chambre, le rassurant. Le noir, l'absence de connaissances du monde qui l'entourait, le rendait vulnérable. Dès que l'obscurité régnait, le tourment reprenait. Une ombre sortait de la brume, le visage de la silhouette se précisant, révélant ainsi la plus abominable des créatures... Les yeux d'un rouge perçant et cruel, deux fentes remplaçant ce qui aurait pu être un nez, l'air squelettique et la démarche flottante, le meurtrier de ses parents se tenait devant lui. Dés lors, une multitude de flashs surgissait alors que Lord Voldemort s'approchait : une lumière verte aveuglante, un homme hideux à deux têtes, Hagrid, "Je savais qu'il reviendrait", les cris de la foule "Cedric Diggory est mort!", un bébé ou... une chose noire avec un visage de serpent aux yeux rouges, les regards méprisants des élèves, des gradins flous, Mr Croupton en pleine crise de folie, bloquant les jambes de Harry, "Harry Potter... le Seigneur des Ténèbres... plus puissant... Harry Potter", une centaine de détraqueurs et un basculement dans le vide, "Pas Harry, pas Harry, je vous en supplie, pas lui!", le cri de Queudver, un moignon sanglant, "IL A TUE MON PERE ET MA MERE!", un oeil sortant de l'orbite de Maugrey... non, de Croupton junior..., "tu crois qu'il faut sortir les baguettes ?", Trelawney, "le Seigneur des Ténèbres surgira à nouveau, plus puissant et plus terrible que jamais", Voldemort à deux mètres, "A trois, d'accord ? Un... Deux... Trois", Voldemort à un mètre, "Endoloris!", Avery hurlant de manière inhumaine, Voldemort plus près, le basilic ouvre sa gueule, "Tue-le", Voldemort encore plus près, "Expelliarmus!", "Avada Kedavra!"...

Harry rouvrit les yeux. Les cheveux collés à son front en sueur, il inspira soudainement, en manque d'air. Les membres encore tremblants, il tenta de se calmer. Il respira lentement, à la manière de relaxation moldue, et chassa tant qu'il put les images terrifiantes de sa vie. Après quelques minutes, il se redressa maladroitement et sortit de son lit. Il marchait de manière incertaine, son esprit encore envahi par ses habituelles visions d'horreur. Tue-le... Un seul objectif le maintenait debout, aussi stupide soit-il : atteindre la porte. Alors qu'il la tirait vers lui, un grincement se fit entendre. Il l'ouvrit alors plus lentement. Les Dursley dormaient et il ne souhaitait en aucun cas les réveiller. Entendre la grosse voix de l'oncle Vernon lui crier dessus la journée était amplement suffisant. Il se dirigea à pas de loup vers la salle de bain. Ne brise pas le lien. En passant devant la chambre de Dudley, il perçut un ronflement digne d'un beau cochon. Pour une fois, il l'enviait. Lorsqu'il fut entré dans la petite pièce, il ouvrit un robinet et s'aspergea le visage d'eau. Je ne vous dirai rien du tout! De l'eau froide... non, de l'eau glaciale. Il se réaspergea. On t'as appris à te battre à te battre en duel, Harry Potter? Une deuxième fois. A présent, détache-le, Queudver, et rends-lui sa baguette magique. Une troisième fois. Incline-toi devant la mort, Harry... Quatre, cinq, six! Pense à autre chose Harry!, se commanda-t-il. N'importe quoi! Regarde autour de toi!

La pièce était décorée par endroits de photographies de son cousin : celui-ci s'y brossait les dents, aller prendre un bain ou prenait simplement la pause. Allez, dit la première chose qui te vient à l'esprit... Une autre voix répondit: Si avec ça, il ne devient pas narcissique... La première reprit: Oui, c'est ça Harry, reste sur ça, uniquement ça. Il prit une serviette et s'essuya. Sa vision était floue et il ne distinguait pas nettement les détails de chaque décoration. Non pas qu'il en tenait compte, d'une manière ou d'une autre. Cependant, l'intérêt qu'il portait à sa contemplation d'objets futiles ou superficiels offrait un aspect avantageux : Harry abandonnait peu à peu ses pensées cauchemardesques qui le hantaient en permanence. Sachant pertinemment qu'il ne se rendormirait plus, _ son teint pâle et des cernes indiquaient que ce n'était évidemment pas la première fois _, il s'installa à son bureau et commença à écrire. A chaque fois qu'il pensait avoir un "trop plein" de questions, il les mettait sur brouillon. A défaut de posséder une pensine, il tentait de poser à plat chaque idée qui le perturbait. Sa première ligne affichait ainsi un problème essentiel: Pourquoi les Dursley ? Il savait que Dumbledore souhaitait à Harry une protection maximale compte tenu des événements dramatiques qui avaient pris place dans sa vie un peu plus d'une semaine plus tôt, lors de la finale du Tournoi des Trois Sorciers. Il savait aussi que Poudlard était réputé comme le lieu le plus sécurisé du monde des sorciers. Alors pourquoi n'était-il pas resté là-bas ? Pourquoi avait-il été obligé de rester ici, là où il était largement détesté ? Les Weasley avaient proposé de l'héberger, mais son Directeur avait une nouvelle fois refusé. Le monde des moldus était pourtant facilement accessible à Voldemort, il se serait davantage senti protégé au coeur d'une famille de sorciers. Elle m'a dit que Dumbledore avait ses raisons, Harry... Mais Harry ne pouvait s'empêcher d'éprouver un peu d'amertume envers celui qui le condamnait. Car il s'agissait bien là d'une condamnation.

A peine avait-il franchi le seuil de la maison que son cousin Dudley l'avait poursuivi pour le battre une nouvelle fois. Instinctivement, Harry avait fait allusion au fait qu'il était sorcier et à son parrain, histoire de faire naître en lui une peur quelconque et cessait ainsi de le torturer. Malheureusement, son cousin avait continué jusqu'à avoir obtenu satisfaction. A moitié assommé, l'oncle Vernon s'était approché et lui avait murmuré à sa plus grande peine quelque chose qui avait anéanti en lui tout espoir de vie "à peu près normale" chez les Dursley.

_ Mon garçon, sache qu'aucun d'entre nous ne se laissera désormais avoir par tes stupides réflexions sur un parrain, qui semblerait-il, n'attache aucune importance à ton égard. Tu penses bien que son manque de visites chez son "filleul adoré", malgré ses tentatives de fuites à la police, a fait naître en nous certains doutes quant à la véracité de tes propos et sur le fait qu'il soit véritablement ton parrain. Ceci vérifié après quelques recherches administratives. Maintenant, monte dans ta chambre et restes-y.

Harry n'avait rien trouvé à redire, sachant pertinemment que Sirius ne viendrait pas tant qu'il serait recherché ou que les projets que lui réservait Dumbledore le retiendraient. Et ce n'étaient pas des fichiers moldus qui allaient prouver qu'il était réellement son parrain. C'eut donc été avec tristesse qu'il avait monté les marches de l'escalier en songeant qu'il devrait être heureux de garder la seconde chambre de Dudley. De toute façon, il était maintenant trop grand pour entrer dans le placard.

Comme si ce n'était pas suffisant, le régime de Dudley avait pris fin : il était donc beaucoup plus lourd. En effet, ses parents, affectés par son redoublement, avaient renoncé à le priver, une "compensation" à la soi-disante déception et tristesse qu'il éprouvait lui-même à refaire une année. Heureusement, la rapidité acquise de par ses entraînements au Quidditch permettait à Harry d'échapper à ses énormes poings.

Harry reprit la plume et écrivit : Fidélité de Rogue ? Son professeur de Potions le haïssait davantage que les années précédentes, si s'était possible. Et il avait appris que celui-ci se trouvait être un ancien mangemort. Pourquoi diable Dumbledore lui accordait-il sa confiance ? Lui avait-il sauvé la vie ? Comment être sûr qu'il ne rejoindrait jamais le Seigneur des Ténèbres ? Après tout, il avait peut-être attendu son heure, lui aussi... Les questions bouillonnaient.

Harry, sentant qu'il ne trouverait pas la réponse cette nuit changea de sujet et écrivit "Fudge". Ce personnage l'intriguait. Sa personnalité comportait en effet des facettes qu'il n'aurait jamais cru percevoir un jour. A première vue, il avait semblé une personne bienveillante, prenant soin des autres quand ceux-ci étaient placés sous un danger potentiel. Au cours de sa troisième année, il avait personnellement veillé sur lui pour le protéger du prétendu "dangereux Sirius Black". Pourtant, il s'était révélé borné et faible. Il avait préféré croire à un article de Rita Skeeter qui décrivait Harry comme un "fou dangereux" alors que cette journaliste s'en prenait régulièrement au ministère de la magie plutôt que ce dernier. On aurait pu penser que Fudge n'accorderait aucune importance à ce qu'elle écrivait... Harry avait eu tort. Le ministre refusait l'idée d'un retour possible de Voldemort et accusait Dumbledore d'être trop naïf pour accorder autant de confiance en Harry. D'une certaine manière, le comportement du ministre lui rappelait celui de Queudver. Faible, il accordait plus d'importance aux gens de sang pur et souhaitait garder une haute position de puissance. De plus, il était en train de se retourner contre les seules personnes susceptibles de combattre Voldemort. Il faudrait surveiller ses actions... Je vous recontacterai demain pour parler un peu de la façon dont cette école doit être dirigée... Harry espérait profondément que sa stupidité ne porterait aucun changement sur Poudlard. Certes Fudge ne voulait créer aucun mouvement de panique parmi les gens en les laissant dans l'ignorance, mais s'en prendre au collège n'était pas la meilleure façon de se préparer à l'avenir. Cela ne ferait que doubler le nombres de problèmes auxquels était déjà confronté Dumbledore. Le monde des sorciers devait, à l'heure qu'il était, être sans dessus dessous. Si seulement on voulait bien le croire... Savez-vous ce qu'est ceci, Potter ? C'est du Veritaserum, un sérum de vérité si puissant que trois gouttes suffiraient à vous faire révéler vos secrets les plus intimes devant cette classe toute entière. L'usage de cette potion est soumis à un règlement très strict du ministère... Bien sûr, Harry n'avait jamais abordé sérieusement l'idée d'en boire pour raconter sa rencontre avec Voldemort mais si les choses s'aggravaient... Ce qui était certain était qu'il ferait tout pour contrer les actions du mage noir. Même si boire du Veritaserum risquait de lui ôter une partie de son amour-propre. On ne savait jamais, certains pourraient en profiter et le questionner sur ses sentiments. Malefoy en serait ravi. En ce moment, celui-ci devait certainement savourer la situation catastrophique du ministère. Trop tard Potter! Ils seront les premiers à partir, maintenant que le Seigneur de Ténèbres est de retour! Les Sang-de-Bourbe et les amoureux des moldus en premier! Ses paroles faisaient naître en lui une inquiétude grandissante. Après tout, son père était un mangemort. Quoi de plus naturel que le fils en devienne un... Harry se demanda à partir de quel âge Voldemort "recrutait" ses adeptes. Bien sûr, la puissance d'un sorcier était une qualité primordiale mais Drago Malefoy... Il serait un excellent atout compte tenu de sa place à l'école. Harry écrivit alors : Malefoy égal espion ? Si lui le devenait, alors il pouvait ajouter Crabbe et Goyle. Mais Harry pensa intérieurement qu'il ne les "emploieraient" jamais à la place de Voldemort. Tout ce qu'ils risquaient entreprendre était de faire échouer leurs plans avec une maladresse presque aussi légendaire que celle de Neville. Pourtant, Malefoy et ses deux acolytes donneraient des informations à leurs pères à coeur joie. En particulier sur Harry... L'année suivante promettait d'être dangereuse. Malheureusement, au lieu d'agir et d'aider comme il l'aurait aimé auprès de ses amis, il se retrouvait coincé ici. Parce qu'il semblait être la cible numéro un de Celui-Dont-Le-Nom-Ne-Doit-Pas-Être-Prononcé. Alors pourquoi les Dursley ? Sentant qu'il tournait en rond, Harry jeta un coup d'oeil au vieux réveil de Dudley : 7H34. Le temps passait plus rapidement quand il se lançait dans ses réflexions.

Il décida donc de se préparer. Vingt minutes plus tard, il s'assit à son bureau et examina ses devoirs de vacances. Cours de Potions : Écrire les ingrédients requis et commenter la préparation de la potion Telepathiaros en expliquant en outre les moyens de la déceler chez un individu. Génial... Il prit un parchemin et commença à la décrire: "Telepathiaros, plus communément appelée potion pour la télépathie, permet à deux personnes de communiquer mentalement...". Il continua ainsi à écrire avec une aisance qu'il n'aurait jamais soupçonné. Il ne recourait à aucun livre, aucune aide. Rogue, l'année précédente, l'avait souvent pris à part pour le questionner sur des leçons hors programme sous les regards apeurés de ses camarades qui ne percevaient ses murmures. Tout cela, dans le but unique d'enlever des points à Gryffondor, évidemment. Mais l'attention qu'avait indirectement eu Harry sur les réponses que lui lançait par la suite son professeur, étalant ainsi son savoir, avait porté ses fruits. Harry connaissait à présent des recettes inconnues de la majorité des "Quatrième année". "Verser simultanément la solution préparée antérieurement et la poudre de cervelle de dragon séchée dans le chaudron...".

_ Harry!, s'exclama une voix familière.

Harry sursauta. Il se retourna et aperçut au beau milieu de sa chambre un Mr Weasley au teint pâle et apeuré.

_ Mr Weasley? Que... Que faîtes-vous ici ?

Mr Weasley jeta des coups d'oeil rapides à la valise de Harry ainsi qu'à ses autres affaires avant de lui répondre. L'inquiétude de Harry pour le père de son meilleur ami se fit alors sentir.

_ Harry, prépare-toi. Ramasse tes vêtements et rassemble tes cahiers. Il ne faut pas perdre de temps. Je t'emmène. Je te raconterai tout quand nous serons partis. Je viens de transplaner mais avec tes affaires, nous allons utiliser un portoloin. Il nous entraînera à destination dans cinq minutes exactement.

Il regardait l'heure tout en désignant à Harry un livre à l'air moisi. Ce doit être le portoloin... Sans perdre de temps et ne cherchant pas à comprendre _ il était bien trop heureux de quitter les Dursley _, il rassembla ses livres, son balai, ses robes de sorciers, sa carte, son scrutoscope..., la cage d'Hedwige enfin, le tout au milieu de la pièce. Tout en s'exécutant, il ne manqua pas de remarquer le teint livide de Mr Weasley et la crainte qui se lisait sur son visage ne tarda pas à se montrer contagieuse chez Harry. Que s'était-il encore passé ? Cela ne faisait que quelques jours qu'il était parti en vacances, Voldemort n'aurait pas pu le retrouver aussi rapidement ? Car il sentait bien que son départ était lié à Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom. Comment pourrait-il en être autrement ?

Une fois les préparations terminées, Mr Weasley sortit une lettre qu'il posa sur le lit de Harry. Sans doute pour prévenir les Dursley... Ils prirent alors le tout dans leurs bras et touchèrent _difficilement_ le portoloin. Encore trente secondes... Mr Weasley ne cessait de regarder anxieusement autour de lui. 17 secondes... Allez, on y va, murmura Harry entre ses dents. Il lui était insupportable d'observer une telle détresse sur le visage du père de Ron. 4 secondes, 3, 2, 1... Et ils partirent. Toujours avec la désagréable impression qu'un crochet le tirait en avant, Harry atterrit dans un endroit qu'il n'eut pas de mal à reconnaître. En effet, à sa plus grande surprise, devant lui se tenait le quai 9 3/4.



Harry jeta un coup d'oeil à Mr Weasley. Son teint avait reprit quelques couleurs malgré une anxiété toujours présente. Il se pencha vers lui tout en surveillant les alentours.

_ Je ne sais pas exactement si je dois moi-même t'y accompagner ou s'il s'ag...

_ M'emmener où ?

_ Je suis là.

Harry se retourna. Le professeur Mac Gonagall se tenait devant lui, droite et l'air sévère, comme à l'accoutumée.

_ Bonjour Mr Weasley. Mr Potter...

Et elle le salua. Harry fit de même.

_ Bonjour Mlle Mac Gonagall, dit Mr Weasley.

Le professeur lui fit face.

_ Je vais l'emmener. J'ai été libérée. Cela évitera des complications inutiles.

Mr Weasley acquiesça puis se tourna vers Harry et posa ses mains sur ses épaules.

_ Harry, le professeur Mac Gonagall t'expliquera. Le temps me manque. Surtout prends soin de toi.

Et il transplana. L'inquiétude que Harry avait perçu dans les yeux de l'adulte ne le quittait pas. Que s'était-il passé? Voldemort avait-il découvert l'accès à son domicile ? S'apprêtait-il à l'attaquer ? Où se rendait-il maintenant qu'il était hors de sa portée? Et pourquoi le prenait-il pour cible ? Il avait désormais récupéré ses pouvoirs _ou presque_, il était capable d'attaquer les plus grands sorciers, les moldus, les "Sang-de-Bourbe" (même si Harry ne souhaitait en aucun cas qu'il le fasse)... Alors pourquoi lui ?

_ Nous allons nous installer ici.

Le professeur Mac Gonagall le sortit de ses pensées. Pendant ses réflexions, il n'avait pas prêté attention à son emplacement : il se trouvait à présent dans le train, à suivre machinalement son professeur de métamorphoses. Il entra dans un compartiment situé près de la cabine principale _ Mac Gonagall était allée prévenir le conducteur_, qui était plus grand que ceux dans lesquels il s'installait habituellement en début et fin d'année. Il n'avait jamais été autorisé à monter dans ce wagon auparavant. Maintenant qu'il y pensait, il devait être destiné, étant donné sa dimension, à des responsables, peut-être des professeurs ou des gens qui veillaient à la bonne marche du train. Il était étrange de remonter dans le Poudlard Express quelques jours après seulement son dernier voyage à l'intérieur, qui plus était, sans élèves... Il hissa ses bagages sur le marchepied et s'assit en face de son professeur revenu rapidement ( il semblait à Harry qu'elle ne voulait pas le perdre d'une semelle). Alors qu'un lourd silence s'installait, son professeur prit la parole:

_ Vous allez devoir vous installer à Poudlard cet été. Vous n'aurez droit à aucune visite et vous serez interdit de sortie, même à Pré-Au-Lard. Vous serez soumis aux mêmes règles intérieures que celles mises en place durant l'année scolaire et aucun courrier ne devra être transmis. Vos amis et vos proches ont été mis au courant par le professeur Dumbledore. Quant au personnel, vous en verrez rarement. Bien sûr, les professeurs se rassemblent de temps en temps mais sinon... Le concierge est toujours là, si vous avez besoin de quoi que ce soit...

"Non merci", pensa Harry. Il était impressionné par la vitesse des propos de Mac Gonagall. Tout le monde semblait être pris par une montagne de travail. Le professeur, en continuant à énoncer les interdictions ("de la magie sans abus", "pas de promenades nocturnes"...), se radoucissait, se calmait. Au fur et à mesure de son discours, il redécouvrait en elle la femme qui avait tant insisté auprès de Dumbledore pour qu'il soit emmené à l'infirmerie après sa rencontre avec un mangemort prénommé Barty Croupton. Elle avait du mal à cacher sa sympathie pour le jeune homme mais tentait de conserver un maximum de sévérité, une manière pour elle d'affirmer son impartialité face aux élèves, quoi qu'ils aient vécu...

Elle s'arrêta un moment puis reprit plus doucement :

_ Inutile de vous dire que tout ceci était imprévu.

Son regard s'assombrit. Comme beaucoup d'événements ces temps-ci...

_ Vous ne bénéficiez plus d'aucune protection chez vos tuteurs légaux et aucun de nous n'a pu vous prendre sous notre toit pendant ces deux mois...

"Nous" ? Qui, les professeurs ? Habiter chez l'un d'eux ? Harry imaginait la crise cardiaque qu'il aurait eu si jamais Rogue avait du accepter...

_ Donc vous logerez là-bas. Ne profitez pas de votre solitude, Mr Potter. Les murs ont des yeux.

A cette dernière phrase, Harry se demanda s'ils en avaient vraiment. Cela faisait quatre ans qu'il connaissait le monde de la magie et il ne cessait pourtant de découvrir des phénomènes étranges. D'ailleurs, les moldus ne disaient-ils pas que les murs avaient des oreilles ? Étrange ressemblance... Ce proverbe avait-il des fondements magiques ? Il faudrait demander à Ron. A cette pensée, Harry soupira. Pendant deux mois, il n'aurait plus de nouvelles de lui, ni d'Hermione...

Le professeur Mac Gonagall le fit sortir de ses pensées en ajoutant avec un petit sourire en coin :

_ Cependant, le terrain de Quidditch vous reste accessible. Profitez-en pour vous entraîner.

Harry sourit. L'enthousiasme qu'éprouvait son professeur quant à la victoire de sa maison à ce jeu chaque année était légendaire. Ainsi, malgré toutes les restrictions imposées, ces vacances allaient devenir les plus inoubliables que Harry ait jamais vécu. Il lui était possible de jouer au Quidditch quand l'envie le prenait et les Dursley ne seraient plus sur son dos. Cependant, il n'oubliait pas que toutes ces offres pour le moins inattendues étaient le résultat de mesures prises d'urgence contre Voldemort. Il l'aurait presque remercié. Presque...

_ Professeur ?

_ Mmmh...

_ Savez-vous en quoi consistait ma protection à Privet Drive ?

_ Eh bien, peu après la finale des Trois Sorciers, _sa voix tremblait légèrement à l'évocation de la période maudite_, le professeur Dumbledore a demandé à Mr Weasley, au cours d'une entrevue, de devenir gardien du secret...

_ Un sortilège Fidelitas ?

Mac Gonagall hocha la tête.

_ Oui. Ainsi, Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononçer-Le-Nom serait dans l'incapacité de vous retrouver.

_ Mais..., encouragea Harry.

Il avait hâte de connaître la suite. De toute évidence, Mr Weasley ne l'avait pas trahi. Jamais Harry n'aurait pu croire une absurdité pareille et Dumbledore ne l'aurait pas laissé l'approcher pas plus tard que ce matin.

_ Mais une Ancienne que vous connaissez sûrement _Arabella Figg_, spécialisée dans le domaine de la sensibilité, un art subtil de la magie, nous a confirmé l'approche de Vous-Savez-Qui ainsi que de ses adeptes près de chez vous.

_ Comment ont-ils...

_ Nous l'ignorons.

On sentait une pointe de frustration dans sa voix. Savoir et comprendre étaient primordiaux pour la plupart des professeurs. Ils détestaient avancer à l'aveuglette.

_ Dumbledore ne soupçonne pas pour autant Mr Weasley. Il pense à une autre raison.

_ Pourquoi n'avez-vous pas utilisé le sortilège sur la maison de Mr Weasley? J'aurais pu passer l'été auprès d'eux et comme ils sont d'excellents sorciers, ils m'auraient... protégé tout en étant protégés eux-mêmes.

_ Le sortilège est d'autant plus difficile à lancer que le nombre de personnes qui connaissent le secret. Contrairement à votre famille (Harry grimaça au terme employé), les Weasley sont très connus au ministère, et leur adresse aussi par conséquence.

_ Vous avez dit que Madame Figg avait senti la présence de Voldemort (le professeur frissonna), pardon..., elle devait donc être au courant pour le sortilège si elle vous a prévenu...

_ Oui, mais cela ne le brise pas. Elle avait décidé de veiller sur vous, et ce, depuis presque quatorze ans maintenant. Elle a donc été inclue _avec Mr Weasley_ dans le sortilège.

_ Elle avait décidé de veiller sur moi ? Mais... Je ne risquais rien... avant.

Harry trouvait aberrant l'idée qu'une personne soit prête à passer des décennies auprès de lui, qui n'était alors qu'un bébé, puis un petit garçon, pour s'assurer de sa protection.

_ Mme Figg admirait vos parents dans leur travail et... je pense...je pense qu'elle aurait voulu faire quelque chose pour eux. Après la chute de Vous-Savez-Qui, elle a arrêté tout contact avec le monde de la magie, malgré ses performances remarquables dans la lutte contre ses adeptes. Elle a cessé d'être une sorcière et refuse de parler de son passé. Cette femme a vu trop d'horreurs dans sa vie. Et son don ne l'aidait pas. Elle a réagi violemment à la mort de vos parents et de... sa famille. Elle a été massacré le matin même de ce jour fatidique. Elle ne connaissait pas vraiment James et Lily mais elle a dû se sentir lier à vous, étant donné que le même drame vous a atteint... Et la même journée.

Elle fit une pause. Les souvenirs affluaient, certains plus terribles que d'autres.

_ Cependant, reprit-elle plus sûrement, Dumbledore a tenu à lui faire part du retour de Vous-Savez-Qui et des récents événements. Nous pensons qu'elle va revenir et rejoindre nos rangs, finit le professeur sur une note plus joyeuse.

Harry, lui, était bouleversé par l'histoire de cette femme, qui, au premier abord, n'était rien d'autre pour lui qu'une vieille folle amoureuse éperdument de ses chats et dont la maison sentait affreusement le chou. Il se prit à éprouver de la compassion à son égard. Pour une fois, ce n'était pas quelqu'un qui lui manifestait de la peine devant sa tragédie mais bien lui qui en ressentait pour une autre personne.

Le professeur Mac Gonagall avait été plus prompte que le jeune sorcier à mettre ce sujet de côté pour revenir à ses objectifs premiers.

_ Potter, sachez que vous ne pourrez hélas cette année acheter vos fournitures scolaires vous-même. Mr Hagrid s'est volontairement proposé de vous remplacer dans cette tâche, dès sa mission accomplie. Si vous souhaitez vous procurer d'autres affaires, faîtes-lui en part à son retour.

Harry acquiesça silencieusement en signe de compréhension.

_ Bien, si vous n'avez pas de questions...

Elle commença à sortir un livre de son sac.

_ Euh... A vrai dire, hésita Harry.

_ Oui, Potter ?, l'encouragea-t-elle.

_ J'aimerais savoir... Pourquoi Voldemort s'en prend-t-il à moi ?

Sentant le ridicule de la question (Voldemort vous en veut de lui avoir volé presque quatorze années de crimes...), il s'empressa d'ajouter :

_ Le professeur Dumbledore m'a dit que je saurai pourquoi il a tenté de me tuer cette... nuit-là, avec mes parents, quand je serai plus gr... quand je serai prêt, mais je veux dire qu'aujourd'hui... à ce jour... Il peut attaquer n'importe qui et ce n'est pas que je souhaite qu'il s'en prenne à quelqu'un, loin de là, mais..., s'embrouilla-t-il, mais... Pourquoi...moi ? Je ne suis qu'un... Je n'ai que quinze ans. Il ne va pas se "priver" de continuer à massacrer des gens, si tel est son plaisir (il grimaça), juste pour moi ?...Il n'est pas rancunier (il trouva le terme mal approprié, c'était plus de l'ordre du harcèlement...) à ce point ?

_ J'ignore pourquoi en effet, dit sèchement son professeur, visiblement énervée de devoir le contenter une fois de plus de cette réponse. Et honnêtement, poursuivit-elle, jamais je n'aurai pensé qu'il déploierait autant de moyens pour retrouver un enfant.

Ravalant son amour-propre, Harry oublia rapidement qu'il n'était qu'un "enfant" aux yeux de son professeur, un petit garçon, comme lui avait gentiment fait remarquer Fleur DeLacour l'année précédente, pour lui demander enfin :

_ Quelles mesures avait-il pris?

Mac Gonagall sembla en proie à un dilemme fâcheux. Elle hésitait à lui répondre. Mais l'air assuré de Harry la décida.

_ Arabella Figg nous a confirmé la présence d'une vingtaine de mangemorts aux alentours de votre quartier.

Harry fit des yeux ronds.

_ Voldemort a de nouvelles recrues..., souffla-t-il.

Soudain, une pensée terrifiante lui traversa l'esprit.

_ La prison d'Azkaban ?

Mac Gonagall baissa les yeux tristement. Elle allait lui répondre mais Harry fut plus rapide.

_ Les Détraqueurs l'ont rejoint, n'est-ce pas ? La prison a été détruite, le professeur Dumbledore n'a pu raisonner Fudge..., ajouta sombrement Harry en affirmant plus qu'en questionnant.

Mac Gonagall acquiesça d'un signe de tête et elle se redressa aussitôt. L'abattement était inutile, elle se reprenait facilement, pensa Harry. Il reprit :

_ Espérons que Hagrid et Madame Maxime réussiront à ramener les géants de notre côté.

Mac Gonagall fut surprise et bientôt une fureur sans nom s'inscrit dans son regard envers le pauvre garde-chasse.

_ Je l'avais deviné quand le professeur Dumbledore avait parlé avec Fudge et qu'il avait demandé à voir Hagrid rapidement dans son bureau.

Son professeur ne cacha pas son soulagement. Respecter un secret était une garantie de confiance, un de ses plus valeureux principes certainement.

_ Professeur, Vol..., pardon, Vous-Savez-Qui, a-t-il attaqué dernièrement ?, demanda-t-il en tremblant légèrement à l'attente de la réponse.

Il avait du mal à se déculpabiliser de la mort de Cédric et se sentait coupable du risque encouru par tous ses sorciers, effrayés, cachés, ou à la poursuite de l'être abominable "ressuscité" grâce à son propre sang. Il ne cessait de se répéter qu'il avait tenté tout son possible, le malaise ne disparaissait pas.

_ Aussi incroyable que cela puisse paraître, aucune attaque n'a été relevée en dehors de la prison d'Azkaban.

_ Il doit rassembler des troupes, former de nouveaux alliés. Il prépare quelque chose.

Le professeur sembla surprise par le ton dur et sévère qu'avait pris le jeune sorcier. Elle fronça les sourcils puis conclut :

_ Bien.

Elle rapporta son attention à sa lecture. Harry aussi finit par abandonner le sujet pour se pencher discrètement. Par curiosité, il lut le titre de l'ouvrage : Limites de la magie blanche. Autrement dit, les sorts les plus offensifs que les professeurs puissent lancer. Belles perspectives sur l'avenir, pensa Harry. Il détourna la tête pour observer le paysage défilé hors du train. Il restait encore quelques heures avant l'arrivée, aussi décida-t-il de s'occuper. Il se leva et se dirigea vers l'emplacement de ses bagages. Il ouvrit un de ses sacs et en retira ce qu'il cherchait. Du coin de l'oeil, son professeur ne cillait pas, profondément absorbé par le sujet. Avec sa concentration à toute épreuve, Harry ne put s'empêcher de sourire légèrement en imaginant Hermione vieillir ainsi. Il se réinstalla, face à son professeur, et commença à écrire du mieux qu'il put, ce qui n'était pas des tâches les plus aisées quant à prendre en considération les secousses inévitables du train en marche. Il fronça les sourcils, sortit sa baguette de sa poche _ il ne s'en séparait plus _ et murmura :

_ Stabilisarium.

Il se remit à écrire, cette fois-ci correctement. Mac Gonagall jeta un coup d'oeil discret par dessus son livre. Alors qu'elle semblait repartie dans sa lecture, elle parla :

_ Un devoir de Potions, Potter ?

Ce dernier releva la tête, visiblement surpris que son professeur engage la conversation.

_Oui, répondit-il.

Puis, il murmura entre ses dents:

_ Et pas des plus faciles.

_ Vous avez pourtant écrit deux rouleaux de parchemin, semblerait-il, ajouta-t-elle sans lever pour autant les yeux.

_ La quantité importe peu face à la qualité, soupira-t-il, comme s'il avait déjà subi la remarque.

Le professeur sourit à la remarque de son élève.

_ En commençant dès maintenant, la qualité d'un devoir ne peut faire défaut. Excepté pour les cas désespérés. Ce n'est pas comme si vous vous y preniez au dernier moment...

Elle avait ajouté ce commentaire en fronçant les sourcils. Elle pensait certainement à des élèves peu soucieux de leurs devoirs de vacances.

_ Je suis sûre que le professeur Rogue devra, tout comme moi, corriger des copies avec une écriture énorme pour accéder à la longueur demandée, comme chaque année, continua-t-elle sur un ton désespéré.

_ Et moi, je suis certain de récupérer une affreuse note rouge à mon devoir, comme chaque année, dit-il en concluant son devoir, la tête basse.

_ Vous êtes fataliste Potter. Donnez-moi ce devoir, il ne peut pas être si terrible.

Harry fut étonné par la proposition mais tendit ses rouleaux promptement. Son professeur ajusta ses lunettes et commença sa lecture. Son visage demeurait impassible. Harry ne put se résoudre à quitter son regard, guettant chacune de ses expressions qui aurait pu lui donner un indice quelconque quant à son avis sur le contenu du parchemin. Mais le rouleau défilait et il ne savait toujours pas quoi penser. Les minutes passèrent et seuls les bruits du moteur et les crissements des roues du Poudlard Express sur les rails se faisaient entendre. Enfin arriva le moment où elle lui rendit ses rouleaux. Harry la regardait d'un air suppliant dans l'attente du verdict. Mais elle reprit son livre et s'y reconcentra. Désarçonné, Harry resta bouche bée devant l'attitude pour le moins imprévisible de son professeur. Ne voyait-elle pas ce qu'il endurait ? Était-elle plus sournoise encore que Rogue? Son devoir était-il si mauvais qu'elle s'était abstenue de tout commentaire ? Alors qu'il sentait perdre en lui toute contenance ou courage, il reprit ses rouleaux et les rangea honteusement.

_ Une seule remarque, Potter, dit-elle au moment le plus inattendu, : Appliquez-vous autant pour votre devoir de métamorphose.

Le sourire de Harry s'élargit d'une oreille à l'autre. Mac Gonagall venait de le complimenter, un exploit extraordinaire quand on la connaissait bien. Il savait qu'il recevrait une "note affreuse" mais il était soulagé d'apprendre qu'il s'agirait uniquement de la conséquence de la haine qu'éprouvait Rogue pour lui. Il décida à prendre ses cours de botanique. L'appréciation de son professeur l'avait motivé pour continuer son travail. Une fois réinstallé, il se plongea dans sa lecture.

_ J'avoue être surprise de ne pas vous voir avec un livre de métamorphoses entre les mains.

Harry posa son livre.

_ Pourquoi ?

_ La plupart des élèves aiment montrer à leurs professeurs combien ils prennent leurs matières au sérieux, du moins, en apparence, soupira-t-elle.

Elle reprit plus sournoisement :

_ Vous ne faîtes pas votre devoir de métamorphoses devant moi. Vous avez peut-être déjà lu le sujet. Serait-ce une preuve d'un manque d'assurance ? Auriez-vous peur de ne pas savoir le faire, Potter ?

Un défi. Elle lui lançait un défi. En quatre ans, il n'avait jamais soupçonné cet aspect de la personnalité de son professeur. Harry n'en crut pas ses oreilles. Mais il se détendit : elle voulait "jouer", elle serait servie. Contre toute attente, il ne rougit pas. Il gardait un air impassible et il reprit son livre, comme Mac Gonagall l'avait fait auparavant. Alors qu'elle paraissait stupéfaite par son comportement, il prit la parole :

_ Une seule remarque Professeur Mac Gonagall : les professeurs ne sont pas mes ennemis. Ils ne me feront jamais peur.

Il ajouta plus doucement :

_ Même si je dois admettre qu'ils prennent parfois des airs terrifiants.

Mac Gonagall eut un semblant de rire. Cependant, elle s'arrêta brusquement et se pencha pour faire face à Harry.

_ Subtile réponse, je l'avoue. Mais vous n'avez répondu qu'à une partie seulement de mes questions et évité ainsi la difficulté.

Un sourire sadique se dessina sur son visage. Harry croyait rêver devant cette attitude mais il n'en laissa rien paraître et demeurait immobile.

_ Mon devoir de métamorphose fait trois rouleaux de parchemin, a été terminé il y a plus de deux jours et repose actuellement au fond de mon plus petit sac.

Son professeur accusa le coup avec le sourire. Harry eut beaucoup de mal à contenir le sien. Mac Gonagall venait de lui offrir une facette de sa personnalité surprenante. La sévérité l'avait quittée, du moins momentanément. Elle se mit à l'aise et poursuivit d'un air dégagé.

_ Je gagne dans tous les cas.

Avant de recevoir une réponse cinglante, elle le coupa brusquement en levant la main devant elle.

_ Cependant... Serait-ce trop demander de prouver vos dires ?

_ Me prendriez-vous pour un menteur, Professeur?

_ Seriez-vous un bâcleur, Potter ?

Harry resta stupéfait par le jeu question-question lancé par Mac Gonagall. Pris au piège par son amour propre, il se résigna à lui tendre les rouleaux attendus. Et l'examen du jugement se répéta. Pourtant, à la différence du premier, elle s'était munie d'une plume et d'encre rouge. Harry fronça les sourcils. Mac Gonagall, le remarquant, l'interrogea :

_ Vous aviez fini ce devoir, n'est-ce pas Potter ?

Harry acquiesça.

_ Alors vous ne m'en voudrez pas de m'avancer dans mon travail de la rentrée prochaine.

Harry approuva une nouvelle fois bien qu'il n'en soit pas moins nerveux. Elle commença alors la correction. Elle avait pour habitude de noter, compléter, ajouter ses idées ou opinions entre les lignes, si bien qu'à la fin, une copie était toujours à dominante rouge, même les meilleures. La voir écrire autant n'aurait pas dû inquiéter Harry mais celui-ci était incapable de se convaincre qu'il s'agissait là peut-être d'un signe positif. Harry n'était pas un élève particulièrement tendu quand un professeur lui rendait ses parchemins mais observer ses devoirs être corrigés devant soi était une autre affaire. Et s'il avait écrit une absurdité sans pareille, Mac Gonagall se contrôlerait-elle ou se mettrait-elle dans une fureur qui lui donnerait la terrible démangeaison de se jeter à son cou pour l'étrangler et lui faire reprendre la raison? Heureusement, rien de tout cela ne se produisit.

_ Excellent devoir, Potter. J'avoue que je suis étonnée. Vous prenez-vous toujours autant à l'avance l'été pour les faire?

_ En réalité, non, répondit le jeune sorcier en cachant la soudaine fierté qu'il éprouvait. Mais ces temps-ci, j'avais besoin de... m'occuper l'esprit.

Merci bien, le professeur ne demanda pas d'explications supplémentaires sur son attitude inhabituelle.

_ Dans votre essai, vous faîtes souvent référence à la métamorphose humaine. Un sujet qui vous tient à coeur ?

Harry approuva doucement de la tête.

_ La métamorphose humaine est le domaine le plus complexe et impénétrable de cette matière. C'est là que s'offrent à nous les plus vastes possibilités. Bien sûr, le temps reste l'un des paramètres les moins accessibles. Viktor Krum, se rappela-t-il, les yeux dans le vide, nous a montrés la difficulté de maîtrise de sa transformation en requin qui a duré un peu plus d'une heure et pourtant, il était en septième année et armé de sa baguette. Alors imaginez l'endurance à acquérir pour parvenir à ce résultat sans aucune aide magique...

Harry s'était emporté dans son discours en se souvenant de son père devenu animagus lorsqu'il avait été à Poudlard. Il en éprouvait un grand élan de fierté. Mon père était meilleur que Viktor Krum... Et il avait oublié qu'il se trouvait face à un animagus. Il remarqua soudainement que Mac Gonagall l'observait avec des yeux ronds et prit conscience de son égarement. Il rougit à ses propos. Harry n'était pas élève à exposer ses connaissances et se montrait habituellement réservé en cours. Et devant ce professeur, il venait d'avoir la tirade la plus longue qu'il ait jamais osé faire de son plein gré. Il s'entendit bredouiller un "pardon" tout à fait inapproprié à la situation et ne s'en sentit que plus ridicule.

_ Il n'est pas interdit de s'intéresser à la magie ancestrale et aux... animagi, Potter.

Mac Gonagall tentait de cacher sa réception à la flatterie du jeune sorcier, qui ne lui était pourtant pas destiné.

_ Vous semblez avoir beaucoup lu ses jours-ci, je me trompe ?

En effet, Harry venait de "parler comme un livre". Ceci se produisait souvent en période de lecture intensive chez les jeunes élèves.

_ Non, dit simplement Harry, toujours aussi embarrassé.

_ Dormez-vous normalement ?

Cette question le prit au dépourvu. Il resta un moment sans voix, ne sachant quoi répondre. Remarquant sa gêne, Mac Gonagall reprit :

_ Je vais poser ma question différemment : combien d'heures avez-vous dormi cette nuit ? Réfléchissez.

Harry se souvint des différents affichages du vieux réveil de Dudley et se rendit compte de son véritable manque de sommeil.

_ Quatre heures environ, dit-il dans un souffle.

Il n'en revenait pas. Il savait qu'il dormait peu mais n'avait jamais apporté une grande attention au compte exact. Mac Gonagall, elle, semblait prise de pitié. Elle le cachait cependant. Elle poursuivit donc :

_ Et ce, depuis... que vous êtes rentré chez vous ?

Elle avait hésité à dire "les incidents survenus" mais s'était retenue. Harry comprit très bien. Il hocha la tête.

_ Le reste du temps, vous apprenez.

Il hocha une nouvelle fois la tête. En prenant du recul, il réalisa que ses recherches scolaires, plus qu'approfondies, étaient un moyen pour lui de ne pas sombrer dans la "folie". Non pas qu'il se sentait aussi mal, mais elles l'empêchaient de revoir sans cesse des images cauchemardesques affluées à son cerveau. Elles constituaient un barrage à Voldemort. Afin de mesurer l'impact de ses souvenirs sur lui, il commença à se remémorer des leçons dans chaque matière. "L'abome ne peut se présenter que sous forme de poudre... Elle ne doit jamais être mise en contact avec de l'huile de fois de souris...", "la première étape de l'entrée en transe d'une créature est l'anesthésie à la douleur pour une prévention des chocs à venir...","la transformation unisens constitue un danger potentiel: en cas d'échec, il est impossible d'inverser le processus...",... Harry continuait ainsi, les yeux de plus en plus horrifiés. Chaque titre, chaque phrase, chaque remarque ou prise de notes étaient gravés en caractères gras dans sa mémoire. Que ces livres soient sous ses yeux ou rangés dans sa valise, il accédait à n'importe quel programme de l'année avec la facilité de Merlin (une correspondance à Einstein chez les Moldus). Terrifié par son état, il sortit de ses réflexions et jeta un coup d'oeil à Mac Gonagall. Elle semblait lire dans ses pensées. Alors qu'un malaise s'instaurait en lui, elle n'ajouta pas un mot et se remit à sa lecture. Harry se réfugia derrière son livre, évitant les coups d'oeil en coin de son professeur, si coups d'oeil il y eurent, et fuit une fois de plus ses problèmes. La sensation de malaise ne le quitta pas d'un moment.

Les heures passèrent à une rapidité étonnante. Si Harry avait appréhendé un climat tendu (les élèves et les professeurs se jugaient en permanence, il ne servait à rien de le nier), il en avait été bien autrement. Ils avaient fini par s'habituer à la présence l'un de l'autre et avaient adopté un air dégagé. Peu avant l'arrivée, Mac Gonagall rompit le silence.

_ Préparez-vous Potter, nous arrivons bientôt.

_ Est-ce que je dois porter mon uniforme ?

_ Non. Toutefois, je vous suggère de ranger votre travail.

Harry obéit.

_ Quand nous serons dans l'enceinte de l'école, je vous laisserai. Vous connaissez le chemin. Seuls Mme Pince et Mr Rusard sont présents en ce moment. Quant à moi, je dois rejoindre le Directeur pour affaires. Le mot de passe de l'entrée du dortoir est Expelliarmus.

Harry ne répondit rien. Des questions bouillonnaient dans sa tête et il aurait aimé avoir davantage de renseignements sur les activités du professeur. Il se retint cependant. Il n'était qu'un élève. Il devait donc rester extérieur aux plans menés par Dumbledore. Il soupira. L'emploi du temps des personnes qu'ils côtoyaient était plus chargé que jamais...

Le train s'arrêta. A partir de ce moment-là, l'attitude de Mac Gonagall changea du tout pour tout. Elle se mit sur ses gardes, ses yeux à l'affût du moindre signe étrange. La méfiance et la vigilance se lisaient sur son visage.

_ Restez près de moi Potter et faîtes-en sorte de ne pas traîner.

La convivialité du trajet prit fin, l'allure sévère du professeur reprit le dessus. Avec ses ordres stricts, elle donnait l'air d'un soldat en mission. Harry dut fournir d'importants efforts pour suivre la démarche rapide de Mac Gonagall tout en maintenant ses bagages. Ils arrivèrent à une calèche protégée par une demi-sphère semblable à une grosse bulle se savon. Mac Gonagall murmura des paroles inaudibles et le champ de protection disparut. Ils montèrent à bord et aussitôt la calèche prit son chemin. Pas un mot ne fut échangé. Le voyage, bien que court, fut stressant. Ce n'est qu'à Poudlard que Mac Gonagall sembla soulagée. On aurait dit qu'elle avait retenu sa respiration tout au long du trajet.

_ Bien. Vous pouvez descendre. Suivez le règlement et n'oubliez pas que nous avons assez de confiance en vous pour vous laisser seul ici. Ne nous décevez donc pas. J'espère vous revoir très prochainement. Au revoir Potter.

_ Bonsoir Professeur.

Le ton mal maîtrisé de Mac Gonagall laissait présager qu'il ne la reverrait certainement pas avant plusieurs jours. Dans un dernier regard, il vit la calèche se confondre à l'horizon. Il se retourna et leva la tête. Poudlard. Il était de retour chez lui. Harry se sentit rassuré. L'endroit était pour lui un antidote idéal au stress. Il était par définition magique. Harry se dirigea vers la tour Est tranquillement. Le château était étrangement calme. Les élèves bruyants avaient laissé place à un lourd silence. Il était difficile d'imaginer qu'une semaine plus tôt, l'école était encore peuplée d'adolescents qui chuchotaient et le pointaient du doigt alors qu'il passait. A présent, ses pas résonnaient en écho dans les couloirs. Arrivé au tableau de la Grosse Dame, il vit cette dernière discuter avec Violetta, la sorcière borgne. Devant son apparition, elles ne montrèrent aucun étonnement.

_ Ah, voilà notre petit protégé.

_ Et champion, ajouta Violetta.

_ Cela fait plaisir de voir une autre tête à l'école. Le chevalier du Catogan me porte sur les nerfs et seuls Violetta et lui me rendent visites.

_ Vous allez rester ici tout l'été ?

_ Oui, répondit platement Harry.

_ Voilà encore un prisonnier.

_ Allons Violetta, il reste libre. Des mesures ont été prises seulement pour assurer sa propre sécurité. Quant à vous, il existe un nombre incalculable de tableaux dans ce château, ce n'est pas comme si...

_ Expelliarmus, s'empressa de dire Harry.

Le cadre bougea.

_... pauvres gens avec un seul cadre...

Harry se faufila dans l'entrée. Il eut le plus grand mal à faire passer sa valise devant lui quand deux yeux globuleux surgirent de derrière.

_ Dobby!

_ Monsieur Harry Potter! Quel bonheur de vous revoir monsieur! Dobby savait que vous viendriez Harry Potter, monsieur le Directeur l'a dit à Dobby, alors Dobby est venu!

Harry rit doucement, Dobby était un elfe étrange, lui dévouant une admiration sans limites et qui plus était, un elfe libre.

_ Je suis heureux de te voir Dobby. Comment vas-tu et comment va Winky ?

_ Dobby va bien monsieur et est aussi très content de vous voir Harry Potter. Mais Dobby n'a plus de nouvelles de Winky Harry Potter.

_ Ah bon ? Pourquoi ?

_ Winky a un nouveau maître Harry Potter. Mais Dobby ne sait pas qui c'est. Monsieur le Directeur a dit que Winky était HEU-REU-SE et qu'elle n'était pas payée Harry Potter. Monsieur le Directeur a dit qu'il ne pouvait pas me dire qui est le maître de Winky monsieur.

_ L'important, c'est son bonheur.

Tout en conversant, Harry tenta à nouveau d'amener sa valise vers la salle commune.

_ Oh, mais laissez Dobby aider Harry Potter, monsieur!

Dobby claqua des doigts et ses bagages furent aussitôt en lévitation, prenant le chemin de l'escalier.

_ Merci Dobby.

Harry entreprit alors de s'épousseter un peu mais ne lâcha pas ses valises du regard jusqu'à ce qu'elles disparaissent de son champ de vision.

_Dobby..., reprit-il, tu as de grands pouvoirs...

Le jeune sorcier encouragea l'elfe à lui en apprendre davantage sur le sujet. Dobby rougit.

_ Oh merci Harry Potter. Nous, les elfes, sommes très efficaces, ajouta-t-il, une pointe de fierté dans la voix.

Dobby prenait de l'assurance depuis sa libération. Il cessait peu à peu de se considérer comme un être inférieur.

_ Oui, je vois ça... Enfin, je l'ai surtout vu avec Malefoy, ton ancien maître.

Un sourire se dessina sur le visage de Harry à l'évocation de ce souvenir. Lucius Malefoy avait été projeté dans les escaliers alors qu'il tentait de s'en prendre à Harry en deuxième année, et ceci, grâce à l'intervention de l'elfe.

_ Oh oui... Mais Mr Malefoy s'est vite remis. Il n'a pas subi de chocs.

Harry fronça les sourcils.

_ Comment ça, pas de chocs ? Tu l'as bien vu, tu l'as proje...

_ Dobby l'a repoussé monsieur, coupa l'elfe. Mr Malefoy n'a pas eu de mal, même en tombant. Il a seulement été humilié. Dobby ne peut pas faire de mal. Aucun elfe ne peut faire de mal, Harry Potter.

_ Vous êtes incapable de faire du mal ? Même si vous le voulez ?

Harry était ahuri pars les révélations de Dobby.

_ Oui Harry Potter. Impossible, confirma l'elfe.

_ Décidément, vous êtes des créatures étranges...

Son regard s'assombrit.

_ Mais, si on vous attaque..., reprit le jeune sorcier, inquiet pour la survie de l'espèce.

_ Oh nous avons de grands pouvoirs de défense. Nous savons nous protéger.

_ Vous devez être l'espèce la plus innocente au monde, vous les elfes!

Dobby rougit et se tortilla sur place, gêné. Puis il releva vivement la tête, comme s'il venait de s'apercevoir de quelque chose.

_ Que se passe-t-il Dobby ?, demanda le jeune homme visiblement surpris.

_ Dobby doit retourner aider monsieur. Dobby voulait voir Harry Potter mais Dobby doit vite retourner travailler.

_ Oh bien sûr, vous profitez de l'absence de monde pour nettoyer le château...

Dobby hocha la tête.

_ Au revoir Harry Potter !, dit-il précipitamment.

_ Dob...

L'elfe avait claqué des doigts et avait disparu mais il réapparut de suite en entendant Harry l'appeler.

_ Monsieur ?

_ Juste une chose. Dis aux autres elfes de ne pas se cacher de moi lorsqu'ils travaillent. Je sais que votre priorité est la discrétion absolue face aux sorciers mais cela ne me gêne pas et me ferait très plaisir de vous voir au contraire..., expliqua-t-il rapidement.

Dobby sourit et s'agita frénétiquement.

_ Je leur dirai avec grand plaisir Harry Potter!

_ A plus tard Dobby.

_ A plus tard monsieur le grand Harry Potter !

L'elfe disparut, cette fois-ci pour de bon. Harry fut à nouveau seul, seul mais chez lui.