CHAPITRE 9: La magie des Sports Moldus.
_ Tous à terre!
Les bras tendus devant lui, un Quatrième année que fréquentait Colin Crivey effectua un plongeon spectaculaire au sol en manquant d'écraser un camarade au teint livide, lui aussi. Un boomerang virevoltant dangereusement siffla l'air en rasant la tête de l'élève puis repartit dans les airs rejoindre la soixantaine d'objets ensorcelés qui volaient, menaçants. Dans le hall d'entrée, des cris fusaient de tout côté. Des apprentis sorciers couraient dans diverses directions, hurlant de frayeur, s'élançaient sur le carrelage dans un dernier recours face aux attaques incessantes. Un tapis d'élèves apeurés recouvrait le parterre, attendant impatiemment que les professeurs, encore absents prennent la situation en main.
Couché sur le ventre et les mains sur la tête en guise de protection, Harry guettait l'arrivée des secours. Ron et Hermione s'étaient également étalés près de lui, dans une position de défense identique.
_ Aaaargh!, hurla une Première année, saisie de panique, alors que deux boomerangs la frôlaient, volant en sens inverse, l'un passant sous le nez de la jeune fille et l'autre caressant sa nuque. Ne revenant pas de sa chance, elle ne manqua pas de s'évanouir pour autant, les yeux roulant dans leurs orbites, et se joignant ainsi à l'assemblée couchée au sol.
Beaucoup restaient encore à courir, trébuchant sur leurs camarades déjà à terre, ou s'enfermant dans les placards les plus proches, pris de peur. L'école était dans le désordre le plus complet: un coup de Peeves, certainement.
L'esprit frappeur avait réussi à dénicher les objets envoûtés de l'armoire de Rusard qui contenait les affaires confisquées au cours des années.
_ PEEVES!, vociféra le concierge en tapant du poing sur le sol. Je te promets que tu me le paieras! Que je ne te revoie pas car la prochaine fois, tu es fichu!
Comme toujours, Rusard cherchait à le faire renvoyer, et comme à chaque fois, il échouait. Un frisbee à dents de serpents fendit l'air devant le nez de Ron qui blanchit brusquement.
Tous espéraient l'intervention de professeurs en cet après-midi. Les cours venaient de se terminer (exceptés les options, plus tardives) et l'esprit frappeur avait profité de la cohue habituelle qui accompagnait la dernière sonnerie pour jouer un nouveau mauvais tour. Certains élèves lançaient prudemment des maléfices pour bloquer des hawaïens soniques (cerfs-volants de compétition) mais d'autres provenant des étages supérieurs les remplaçaient en permanence. Harry se demandait comment le bureau de Rusard pouvait tout contenir.
_ Sonnez la retraite!, s'écria joyeusement Dean, plus amusé qu'effrayé par le spectacle.
Les jumeaux imitaient les vrombissements des moteurs d'avions de guerre lors des rasages des boomerangs à mouvement perpétuel, mimant une bataille sans mercie. Personne, cependant, n'osait se relever.
Harry observait la scène et, aussi divertissante fut-elle, il ne put réprimer un long bâillement.
_ Eh ben, en voilà un à qui la blague fait de l'effet!, se moqua Hermione dans un sourire.
Contrairement à ses croyances, Harry ne baillait pas d'ennui mais de sommeil. En ce premier Vendredi de la rentrée (il était difficile de dire que le précédent avait été une rentrée...), Le jeune sorcier se sentait fatigué. En effet, s'il avait cru au premier abord que quelque fusse le nombre d'heures de repos de ses nuits (sans pour autant éviter les quatre nécessaires), il se sentirait toujours en forme, Harry avait pris conscience durant la semaine de cours combien il avait eu tort. La fureur de Voldemort ajoutée à sa rage d'agencer les conspirations les plus maléfiques pour approcher le jeune sorcier l'avait quelque peu troublé dans ses récupérations et il sentait venir avec appréhension de prochains événements néfastes. Ses cauchemars avaient monté d'un cran sur l'échelle de la violence: Harry remerciait silencieusement chaque matin son parrain de lui avoir offert des yltrauscults. La musique, mise à fond juste après ses réveils, l'aidait à oublier ses visions d'horreur. La solution qu'il avait trouvé pour y faire face n'était pas des meilleures mais il préférait y recourir que d'affronter "complètement seul" les images terribles accompagnées de hurlements sinistres. Il en avait des sueurs froides rien qu'en pensant aux impressions qu'avaient laissé en lui ses dernières nuits.
Les sifflements cessèrent subitement. Les cris s'interrompirent pour faire place au silence. Harry releva la tête. Les freesbees ainsi que les autres objets ensorcelés flottaient dans le hall, comme suspendus dans le vide. Ils reprirent leur vol en se reposant doucement sur le sol. Au-dessus des corps de ses camarades, le jeune sorcier aperçut dans l'entrée de la grande salle les professeurs Mac Gonagall et Dumbledore.
Les renforts avaient mis fin à la mauvaise blague. Peeves, qui s'était caché dans une armure pour jouir du spectacle, sortit, l'air boudeur, et traversa le mur de derrière. Le mutisme qui s'était produit lors de l'arrêt des attaques successives fut brusquement interrompu par le retour au tapage habituel des élèves. Ceux-ci se relevèrent, récupérèrent leurs cahiers et s'époussetaient en reprenant cours à leurs occupations, comme si rien ne s'était jamais passé. Le tour de l'esprit frappeur n'avait été en fin de compte qu'une petite pause originale. Mac Gonagall s'avança alors vers le corps de la jeune fille inconsciente et la réveilla doucement. Dumbledore, quant à lui, dut faire face à l'emportement de Rusard envers Peeves ("Vous vous rendez compte, nous l'avons cette fois!...").
Harry, Ron et Hermione, repartis tranquillement, se dirigèrent vers leur salle commune.
_ Alors Ron, commença Hermione, prêt à retenter le patronus?
_ Humph, grogna-t-il.
_ Vous y arrivez?, demanda curieusement Harry. Jeanne d'Arc, dit-il à l'adresse de la Grosse Dame.
_ Ooh non alors!, affirma Hermione en se glissant dans le passage. Ma baguette refuse obstinément de m'obéir!
_ Et moi!, s'exclama Ron d'une mine dépitée. Je ne vois rien sortir d'elle mais je me retrouve à plat dès les premières minutes d'entraînement! Aussi mou qu'un Veracrasse!
_ Ne te décourage pas, Ron, le soutint Harry. Je me suis évanoui plusieurs fois de suite à mon premier cours avec Lupin.
_ Que vas-tu faire, toi, pendant qu'on sera avec Strikken?, coupa Hermione.
_ J'ai Sports Moldus, renseigna-t-il.
_ On se donne rendez-vous dans la grande salle pour dîner, alors?
Dans la chambre des Cinquième année, Harry faisait face à un dilemme. Sur son lit étaient étalées diverses tenues de sportifs. Son parrain n'avait pas plaisanté en disant qu'il lui avait commandé des habits. Un survêtement moldu était posé à côté d'un hakamana, un pantalon bouffant noir que les adeptes du kendoka portaient, un judogi, ensemble composé d'un ample pantalon et d'une veste aux manches larges maintenue par une ceinture, et autres kimono dont le nom ne disait strictement rien à Harry. C'était Sirius qui lui avait laissé un mot où les appellations étaient marquées. Le jeune homme n'y connaissait pas grand chose, mais ce dont il était pratiquement certain était que les autres élèves n'avaient sûrement pas autant de tenues que lui. Il devrait parler à Sirius: depuis l'évasion de son parrain, l'adolescent avait l'étrange impression qu'il vidait son coffre de Gringotts pour lui, et ça, il n'en était pas question.
Finalement, il opta pour le survêtement moldu accompagné de simples chaussures de sport: ses camarades seraient sûrement vêtus de façon identique.
Quand il se dirigea vers la salle indiquée de son emploi du temps, Harry se posait des questions. Il connaissait cette pièce: elle servait autrefois pour les cours d'histoire de Première année et était minuscule. Pourquoi se rendre là-bas? Un groupe de Poufsouffle le regarda étrangement: Harry ne sut si la cause en était les rumeurs circulant sur lui ou sa tenue vestimentaire. L'heure du cours n'étant pas arrivée, il décida néanmoins d'entrer, la porte grande ouverte. Il examinerait les lieux et répondrait peut-être à ses interrogations. Une lumière blanche l'éblouit à son entrée, révélant à sa plus grande surprise, une fois ses yeux habitués (la pénombre de Poudlard faisait apparaître les lueurs d'intensité normales comme aveuglantes), un grand gymnase moldu.
Certes, la pièce était plus petite que sa salle de duels mais elle était en revanche littéralement envahie d'objets de toutes sortes: un cheval d'arçon trônait au centre, près d'anneaux suspendus, des barres parallèles, bref, tout ce qui concernait la gymnastique (donc, pas sa branche de sport favorite). Sur les murs étaient exposés sabres luisants, épées éclatantes, fleurets, armes diverses... Harry, la bouche ouverte d'admiration, s'approcha d'elles et lut sur des insignes informatifs:
Hallebarde, dit naginata: arme d'hast, à fer pointu d'un côté et tranchant de l'autre... [...]... Éventail de guerre, dit tessen ... [...]... Sabre en lamelles de bambou...
Le jeune sorcier, ses yeux ne quittant pas les armes aussi belles les unes que les autres, s'avançait sur les tatami. C'est ça qu'il faudrait en cours de Combat avec Armes Magiques..., songea-t-il, hypnotisé face à une longue lame extrêmement fine, si fine qu'on avait tendance à croire qu'un seul cognement suffirait à la briser en mille éclats. Il continua son exploration, allant de merveille en merveille, lisant les arts des samouraïs, les différences entre le kung-fu et le taekwondo, le regard pétillant. Il était impressionné par la précision de la taille des armes, par leur présentation soigneuse, par la hauteur de la pièce et la brillance des tapis. Comment cette vieille salle d'histoire avait-elle pu s'embellir ainsi? La salle n'avait aucune fenêtre mais on y respirait un air aussi pur que celui du parc.
Finalement, il s'assit en tailleur au centre, les yeux constamment tournés. Il ne savait pas s'il utiliserait quoi que ce soit posé devant lui pendant le cours, il ne connaissait pas non plus le nom de son professeur et ignorait quels élèves s'étaient inscrits. Mais il était certain d'une chose: il ne regrettait pas son choix d'y participer.
Dans le silence paisible, Harry comprit également que la salle était isolée du bruit. A cette heure-ci, les élèves discutaient toujours dans les couloirs. Il fut rapidement envahi par la sérénité du lieu et eut presque envie de s'endormir ici: il y avait longtemps qu'il n'avait pas ressenti ce sentiment.
_ Splendide, n'est-ce pas?
Le jeune sorcier sursauta. Dans l'entrée, le professeur Dumbledore admirait lui aussi l'exposition des armes.
_ Les elfes ont fait un travail remarquable dans l'aménagement de cette salle, continua-t-il d'une voix douce. Bien entendu, le professeur Mac Gonagall a du lancer quelques sortilèges d'agrandissement: la pièce originale était définitivement trop petite.
Il s'avança vers Harry et posa enfin ses yeux sur lui.
_ Tu es en avance, observa-t-il.
_ Euh... oui, répondit timidement le jeune homme. Je voulais voir où mon cours allait avoir lieu.
A présent que le directeur était là, Harry fut étonné de voir à quel point l'état d'esprit du professeur entrait en harmonie avec la place. Le vieil homme commença à longer la pièce, le regard posé sur des lances et des épées. Harry ne put s'empêcher de penser que le ministère ne le réclamait finalement pas tant que ça pour qu'il puisse perdre son temps à observer une pièce en sa compagnie.
_ Tu vois ceci?, lui fit-il en montrant le sabre en lamelles de bambou. Le plus ancien des arts martiaux, appelé le kendo, ou "voix du sabre", illustre le respect qui est porté au sabre depuis fort longtemps dans la tradition japonaise. De nombreux autels shinto en comportent parmi leurs trésors, témoignage d'une vénération presque religieuse.
Il marqua une pause, perdu dans ses pensées, puis observa un Harry tout à son écoute.
_ Les nombreux maîtres qui ont façonné le kendo au cours des siècles ont mis au point un ensemble structuré de techniques très élaborées, les perfectionnant tout en affinant la théorie. Si la plupart des gestes d'autodéfense sont instinctifs, il n'en ont pas moins évolué différemment selon les cultures, ce qui a modifié en particulier la pratique du sabre.
Il se tut de nouveau. Harry restait silencieux: la culture de Dumbledore le captivait.
_ Pourquoi t'es-tu inscrit à ce cours, Harry?, lui demanda-t-il soudainement.
Le jeune homme songea à répondre "Pour faire du sport", ce que tout adolescent aurait dit, pensait-il, mais elle n'en était pas la véritable raison.
_ J'aimerais apprendre à me défendre sans magie, dit-il simplement.
Les yeux de Dumbledore observèrent lentement Harry. Ce dernier attendit, ne cillant pas. Le Directeur demeura muet un moment puis reprit:
_ Qu'appelles-tu magie, Harry?
Cette question prit l'adolescent au dépourvu.
_ Euh..., bredouilla-t-il en cherchant à se définir un terme subitement devenu inconnu. La magie, c'est... c'est la création de l'impossible, l'impossible scientifiquement.
Il n'était pas satisfait de sa réponse, et recherchait une autre explication.
_ C'est... la concrétisation de notre imagination.
Là, c'était mieux, pensa-t-il. Un sourire éclaira le visage du professeur.
_ L'imagination dont notre esprit fait preuve délimiterait donc nos actions, dit Dumbledore en attendant une réaction de Harry.
Celui-ci approuva de la tête, bien qu'incertain de lui. La capacité qu'avait le vieil homme à le faire douter était énorme.
_ La magie puiserait son énergie dans l'imagination, conclut-il, toujours en prenant soin de détacher chaque mot et reprenant sa marche.
Il se tourna vers lui.
_ Comment espères-tu apprendre à te défendre sans ton imagination?
Cette fois, il fut vraiment pris au dépourvu. Rien ne lui venait en tête.
_ Je ne sais pas, avoua-t-il tout penaud.
C'était la stricte vérité. A chaque fois qu'il s'était confronté à un problème, l'improvisation avait eu une grande part dans sa réussite.
_ L'imagination est la clef de la magie, Harry, reprit Dumbledore d'une voix douce. Les plus grands sorciers ont réussi à créer de nombreux sortilèges parce qu'ils les avaient imaginés, fit-il en pointant son doigt sur la tempe.
Il s'approcha de quelques pas vers lui et se pencha.
_ Les Sports Moldus sont magiques, dit-il dans un sourire malicieux devant Harry qui avait les yeux grands ouverts. Et Neutermagia ne peut rien contre cette magie-là.
Un silence s'instaura entre les deux sorciers. Harry ne chercha pas à comprendre comment son mentor avait deviné ses craintes. Il s'était habitué à ce qu'il lise ses émotions. Dumbledore reprit sa marche, contourna des haltères posés au sol, passa derrière un punching-ball et se plaça entre les deux anneaux suspendus, les mains dans le dos.
_ Un art martial nommé budo, qui n'utilisait aucune de ces armes (il fit un geste vague vers l'exposition murale), enseignait une connaissance approfondie et une incroyable volonté mais qui étaient fondés sur la destruction. Le sens du mot "bu" était clair, mais avait été déformé par l'égoïsme et l'agressivité. L'apparition d'une nouvelle technique plus efficace que les autres entraînait obligatoirement l'élaboration d'une autre forme encore plus redoutable qui venait s'opposer à la première. On rencontrait toujours plus fort, plus rapide que soi. Le budo n'offrait que l'alternative primaire de la victoire ou de la défaite. La victoire ne pouvant provenir de la mort de l'adversaire, il fallait donc le battre et la défaite devenait la conséquence logique de cette compétition sans issue.
Harry plissa les yeux en se demandant bien où voulait en venir son professeur. Cependant, le discours lui paraissait fascinant.
_ Dans son analyse de l'évolution du bujustu (l'adolescent ne prit même pas la peine de se demander ce que c'était), O Seinsei vit un moyen de dégager de ses disciplines une dimension spirituelle. Chaque ryu ou adepte, si tu préfères, enseignait des principes, une science de la perfection ne se bornant pas à la technique mais faisant appel à l'union des forces plutôt qu'à la destruction et à leur opposition. De tout ceci se dégageait la vague promesse d'une harmonie suprême.
Il marqua une pause et observa les anneaux.
_ On raconte (et à l'entendre, Harry ne doutait pas de la conviction de Dumbledore à y croire) que lors d'un retrait en montagne, il s'entraîna avec acharnement, allant jusqu'à la limite de sa force physique. Son corps et son esprit une fois vidés, purifiés, la lumière aveuglante de la réalité inonda son âme: il avait atteint la vérité et était entré en communication directe avec la nature.
Son regard se posa sur Harry et un sourire étira ses lèvres.
_ Belle histoire, non?
Harry cligna des yeux d'incompréhension. Il s'était attendu à une morale de l'anecdote, une leçon à retenir, et son professeur s'arrêtait là, presque stupidement. Une fois de plus, ce dernier montrait un comportement que beaucoup verrait comme celui d'un "vieux fou". Pourtant, ses pauses n'étaient pas irréfléchies. Le jeune sorcier savait que le Directeur multipliait les sous-entendus. Et il en eut la preuve.
_ Sirius t'aide à cette communication, Harry, poursuivit-il tranquillement, en examinant les anneaux. Le rapprochement aux quatre éléments ne peut se faire sans un lien direct avec la nature. Surtout, ne brûle pas d'étapes dans ta formation. Le lien doit prendre son temps pour mieux se solidifier par la suite. Et la puissance d'un sorcier n'a aucune influence sur cet apprentissage.
Harry pensa aux cours de son parrain, puis...
_ Sirius m'a dit que vous, que vous aviez quelque chose à me dire...
_ En effet, répondit Dumbledore. J'aurais préféré t'en parler pendant les prochaines vacances, mais soit.
_ Pourquoi pendant les prochaines vacances?
Le professeur releva la tête vers lui.
_ Tu dois récupérer ton héritage.
Harry écarquilla les yeux. Un héritage? Pendant les vacances? Etait-ce lui ou les propos de Dumbledore étaient absurdes. A part l'argent de son coffre qu'ils lui avaient légué, il ne voyait pas de quel héritage il pouvait s'agir. Le vieil homme, en voyant les questions de Harry se bousculer dans sa tête, entreprit une explication:
_ Ta mère m'a fait parvenir un mot concernant leur testament. Elle appréhendait ce qui allait leur...
_ Oui, je sais, coupa Harry qui n'avait pas envie d'entendre une seconde fois que sa mère connaissait son tragique destin. Sirius me l'a dit.
Dumbledore hocha la tête.
_ Ils voulaient qu'il te parvienne à ta majorité ou en cas de menace, finit-il tristement.
_ En cas de menace?, fit Harry en haussant les sourcils. Ma mère s'est sacrifiée pour moi, ils ne pouvaient pas savoir que Voldemort reviendrait! Je ne vois pas à quelle menace ils faisaient allusion!
_ Ta mère a usé d'une magie très ancienne. Les probabilités de réussite totale quant à l'anéantissement de Voldemort étaient extrêmement réduites. Elle pensait t'assurer une protection momentanée, peut-être pas la destruction de Voldemort telle qu'elle s'est produite. Elle attendait peut-être des renforts, de l'aide. Nous n'en savons rien.
_ Et pourquoi aviez-vous décidé de m'en parler aux prochaines vacances?
Dumbledore prit un air grave.
_ Depuis les événements de Juin dernier, j'ai hésité à te faire part de ce sujet. Mais ta présence à Poudlard était pour moi synonyme de garantie de ta protection. J'ai donc décidé de retarder cet entretien. Or je dois admettre avoir accordé une trop grande confiance en l'école et ses barrages et avoir sous-estimé Voldemort, en quelque sorte, bien malgré moi. Ton arrestation a suffit à prouver qu'il n'avait pas besoin de franchir l'enceinte du château pour s'en prendre à toi. Par conséquent (il regarda Harry du regard le plus pénétrant), j'ai demandé à Sirius de t'emmener aux sépultures de tes parents dès que les cours auront cessé, pour une meilleure discrétion de ton départ.
Harry eut l'air abasourdi.
_ Je vais voir les tombes de mon père et ma mère, souffla-t-il dans une voix enrayée, écrasée par l'émotion.
Jamais Pétunia ne l'avait amené au cimetière, elle avait toujours refusé. Le jeune homme, à ses onze ans, en avait conclu que leurs cercueils étaient dans un lieu magique, et c'était ce qui avait repoussé sa tante à faire le trajet, en plus de la haine qu'elle éprouvait envers sa soeur. Mais il n'avait jamais eu l'occasion de savoir où exactement elles étaient entreposées, ni même personne pour l'y conduire. A quinze ans, il allait les voir, enfin...
La voix de Dumbledore le fit brusquement revenir à la réalité.
_ Tu y trouveras leur testament, Harry. Quant à nous, nous déploierons des champs de protection invisibles à Godric's Hollow. Tu porteras sur toi un portoloin enveloppé, capable de te transporter immédiatement ici, en cas d'urgence, de même que Sirius.
Le silence revint s'abattre sur eux.
_ Merci, dit doucement Harry.
Le jeune homme éprouvait une reconnaissance infinie pour ses proches et professeurs. Ils n'étaient pas obligés, il aurait pu rester ici...
_ Nous n'avons pas le choix, répondit Dumbledore dans un murmure dont Harry ne prêta pas attention, trop occupé à penser "je vais voir mes parents, je vais voir mes parents...".
Finalement, le jeune sorcier prit conscience que le vieil homme le regardait et, gêné, reporta son regard à sa montre. Il fronça les sourcils. Sa classe était largement en retard, et son professeur aussi.
Le Directeur eut un sourire amusé.
_ Tu attends quelqu'un, Harry?
_ Oui, je...
Ses yeux s'ouvrirent soudainement de stupeur.
_ C'est vous mon professeur?!, s'étrangla-t-il presque devant sa révélation.
_ Ravi que cela te plaise, fit-il dans un grand sourire malicieux naissant.
Les joues de Harry s'empourprèrent de honte.
_ Euh non, ce n'est pas ce que je voulais di..., s'embrouilla-t-il. Mais où sont les autres?!
Il s'était relevé et tournait sa tête en tout sens à la recherche de camarades.
_ Figure-toi, Harry, dit tranquillement Dumbledore, indifférent à l'affolement du jeune homme, que j'ai été moi-même quelque peu surpris de constater que la liste d'élèves se réduisait à un simple nom.
Harry s'arrêta net. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose qui se rapprochait du "QUOI?!" mais aucun son ne sortit.
_ Maintenant, tu peux toujours refuser. Ce n'est qu'une option, souligna diplomatiquement le professeur.
Le jeune sorcier eut la brève envie de partir en courant. Les cours particuliers le gênaient énormément. Et quand on savait que le plus grand sorcier des temps modernes en allait être le mentor, on se sentait infiniment et définitivement petit. L'avis de Dumbledore avait toujours eu une immense importance pour Harry. Et il craignait l'idée de le décevoir peut-être en tant qu'élève.
En revanche, s'il restait, il bénéficierait d'un apprentissage pour le moins instructif. Il en avait eu un exemple à l'arrivée de Dumbledore. Sans compter qu'il ne voulait pas que son départ soit mal perçu...
_ Honnêtement, je ne vous voyais pas en tant que professeur des Sports Moldus.
C'était sorti tout seul. Harry regretta ses paroles dès qu'elles furent sorties de sa bouche. Il rougit d'embarras. Le Directeur, lui, sourit, le regard pétillant.
_ Ce ne sont pas quelques heures par semaine qui retarderont mes travaux concernant l'école et le ministère. J'ai toujours eu une passion pour les Sports Moldus, dit-il dans un clin d'oeil.
A ce moment-là, le jeune sorcier se souvint de sa carte de Chocogrenouille où il était précisé qu'un des passe-temps préférés du professeur était le bowling.
_ Cela m'étonne quand même d'être le seul inscrit, avoua Harry en pensant à Dean. J'ai des amis qui pratiquaient le football, étant petits, et...
_ Ce sport ne sera à l'évidence pas une de nos activités, coupa Dumbledore. Nous... manquons de joueurs.
Harry sourit à la remarque. Le professeur reprit un air sérieux.
_ Beaucoup oublient la magie propre à leur monde d'origine, Harry. Ils se laissent emporter par les découvertes joyeuses de phénomènes inexplicables en rejetant les plaisirs simples et naturels. Tu as du toi-même le constater. Un enfant a des yeux remplis d'étoiles devant un joli dessin. Mais fais-lui connaître l'animation photographique et il abandonnera vite ses crayons de couleurs pour explorer davantage les secrets que recèle l'art magique.
Harry resta silencieux. Il n'avait rien à dire contre ça. Il pensa seulement C'est dommage...
_ Viens ici, dit doucement Dumbledore.
Il était toujours entre les deux anneaux qui tournoyaient lentement dans le vide et recula de quelques pas. Harry hésita à marcher plus.
_ Approche-toi et place-toi là, commanda-t-il en désignant l'espace entre les deux anneaux.
Harry jeta un regard interrogateur au professeur.
_ Tu ne crois tout de même pas que je vais t'enseigner de la théorie pendant deux heures, lui fit-il remarquer d'un ton léger.
Le jeune sorcier cligna des yeux. Ses jambes l'entraînèrent malgré lui en position. Il ne s'attendait pas à pratiquer cette activité. Au commencement du cours, il s'était déjà imaginé avec un sabre en main, fendant l'air comme les professionnels, mais certainement pas faire de la gymnastique masculine!
_ Etire-toi les muscles des bras et accroche-toi, fit Dumbledore en l'observant par dessus ses lunettes en demi-lunes.
Harry obéit tout en se demandant combien de temps il tiendrait en l'air. Deux, trois secondes? Il serra les anneaux entre ses mains après s'être muni de gants et effectua l'exercice.
Très vite, il sentit ses membres trembler sous l'instabilité, ses poumons crier de l'air alors qu'il retenait sa respiration, la paume de ses mains chauffer sous le tissu et le coeur battre à tout rompre. Il allait lâcher quand...
_ Ne t'arrête pas!, dit fermement Dumbledore, le regard pénétrant. Puise ta force interne dans ton centre vital moldu (il désigna du doigt son ventre, quatre centimètres au dessous du nombril) et concentre-la vers le haut du torse, plus haut que les anneaux...
Moldu? Un centre vital moldu? Il y a un centre vital sorcier aussi? Mais Harry n'eut pas le temps de débattre sur la question. L'aura du vieil homme sembla néanmoins donner du courage au jeune sorcier. Harry tint, tint... et lâcha. Les membres endoloris, il posa ses mains sur les genoux et récupéra son souffle. L'exercice avait été sec, rapide et incroyablement exigeant. Alors qu'il commençait à se reprendre, Dumbledore ordonna:
_ Recommence.
A partir de là, l'entraînement fut des plus sévères. Le professeur associait force physique et volonté, endurance et persévérance. Harry, lui, avait le visage plus rouge qu'une écrevisse. D'un instrument, ils passèrent à un autre, faisant travailler les parties diverses du corps. Les efforts du jeune homme étaient entrecoupés de conseils aussi étranges les uns que les autres ("le point "tan tien" doit irradier ton énergie à travers le corps jusqu'au bout des doigts") ainsi que d'anecdotes, d'"histoires" ("Kano Jigoro fut convaincu que, quelle que soit la méthode, il existait un principe de base consistant à utiliser au maximum l'énergie physique et mentale dans l'accomplissement d'un but défini...", disait-il alors que Harry effectuait un atterrissage en catastrophe au dessous des barres parallèles). Les pratiques étaient rudes et Harry dut mettre son amour-propre de côté en tombant sur les tatami après de ridicules pirouettes déséquilibrées.
_ Je croyais que je devrais m'entraîner à la manière moldue, fit-il remarquer, la respiration haletante.
Dumbledore venait de lui révéler le lien existant entre la force interne des hommes et le flux magique circulant dans le corps des sorciers. Il lui avait demandé de s'aider de ce dernier.
_ En effet, répondit son professeur.
_ Mais... Le flux magique...
_ ... t'aide dans une progression plus efficace, finit Dumbledore. Avec ou sans magie, les résultats demeureront identiques.
_ ...
_ Reprends l'exercice, Harry.
En deux heures, le jeune sorcier eut l'impression de s'activer le double du temps. La gymnastique paraissait inutile pour Harry. Ce n'était pas cette activité qui lui ferait acquérir davantage de réflexes, pensait-il. Il n'osait cependant pas en faire la remarque au professeur quand celui-ci prit la parole.
_ Savais-tu qu'il existe la technique de l'homme ivre en Kung-fu?, dit-il, un sourire en coin.
Harry hocha la tête négativement, à défaut de pouvoir parler. Il retenait sa respiration, exécutant un changement subtil de position entre les deux barres.
_ Elle constitue une véritable performance physique en raison de ses déséquilibres volontaires, reprit lentement son mentor. Ton dos, Harry.
Harry le redressa.
_ Un spécialiste esquive et frappe dans ses chutes. Son apparence d'ivrogne déstabilise l'adversaire en raison de ses ruptures de rythme et de ses rapides changements de direction. Ses attaques mêlent fluidité des mouvements et alternance de contractions et décontractions du corps tout entier. Attention, ton centre de gravité est trop déplacé.
Le jeune homme tomba dans un bruit sourd.
_ Un comble pour les débutants: savoir gérer son équilibre pour mieux réussir ses déséquilibres, dit-il, indifférent au renversement de l'adolescent.
Dumbledore se pencha vers Harry, couché sur le dos, essoufflé.
_ Comment crois-tu qu'ils parviennent à le maîtriser?
_ En pratiquant la gymnastique?, proposa le jeune sorcier, résigné à son sort.
Dumbledore eut un sourire soulignant sa satisfaction. Harry, lui, crut s'évanouir en entendant Dumbledore dire "tes échauffements étaient convenables, nous pouvons commencer". Le professeur lui enseigna alors des enchaînements propres à l'aïkido. Malgré la difficulté, Harry fut ravi de passer à ce sport ("La main à plat, Harry. Utilise au maximum l'effet de détente"). Il apprenait à harmoniser souplesse et promptitude, le tout en écoutant de passionnantes histoires antiques. Son mentor ne perdait jamais le fil de ses idées. Il coupait ses histoires de conseils, les accordant étroitement. Au fil des minutes, Harry avait l'impression de se transformer en un véritable élastique. Il ressentait chacun de ses muscles; ses exercices d'échauffements n'y étant sûrement pas pour rien. C'était comme s'il prenait conscience pour la première fois de quoi il était réellement constitué.
Enfin vint l'heure de partir (Ouf!, fut tout ce que pensa Harry bien que la séance ait été plus que passionnante pour lui).
_ Demain après-midi, habille-toi de ton hakamana. Tu seras plus à l'aise.
Demain après-midi?! Le jeune homme manqua de s'étouffer. Il avait complètement oublié que les options se poursuivaient le week-end. L'espace d'une seconde, il se demanda s'il n'était pas doté d'un esprit tordu pour avoir accepté de suivre ces deux cours.
_ Bien, se contenta-t-il pourtant de dire.
_ Tu as une petite salle pour te changer à droite, l'informa-t-il en lui désignant une petite porte. Je préférerais que tu gardes ton uniforme en venant ici dans les cours ultérieurs.
Harry se sentit gêné en constatant qu'une fois de plus, il avait violé le règlement en se rendant en cours vêtu de son survêtement.
_ Et si tu arrives encore en avance, ajouta-t-il dans un sourire, murmure "fripouille" à la porte. Tu pourras entrer.
Le jeune homme se demanda où son mentor allait chercher de pareils mots de passe et secoua intérieurement la tête.
_ A demain, Harry, finit-il d'une voix douce.
_ Au revoir, professeur.
Courbaturé de partout, Harry inspira profondément les odeurs agréables des plats finement cuisinés que renfermait la grande salle. Il revenait du dortoir, s'était pris une bonne douche, et se préparait à rejoindre ses amis. En descendant, il contourna un tapis et poursuivit sa route. Peeves sortit alors de dessous, frustré. Seuls les Première année se laissaient encore prendre dans ses glissades...
Les élèves parlaient activement dans des bruits de tintements métalliques, fourchettes et louches cognant couverts et plats. Ron se servait abondamment de spécialités tahitiennes. L'amour qu'il portait pour la nourriture d'Angleterre avait cédé devant l'apparence délicieuse du contenu de la grande assiette. Hermione non plus ne lésinait pas sur la nourriture.
En fait, Harry remarqua que la plupart de ses camarades semblaient affamés. Il prit place en face d'eux sans qu'ils le remarquent, trop absorbés à engloutir leur repas.
_ Bon appétit, fit-il sur un ton léger, un sourire en coin.
A l'évidence, ses amis n'avaient pas besoin d'encouragements. Hermione releva la tête, mâcha avec précipitation, avala sa bouchée et lui répondit enfin:
_ Notre cours nous a épuisés, lui expliqua-t-elle, la main sur l'estomac.
_ Je vois ça, répondit Harry qui se servait à son tour.
Ron l'observa.
_ Toi aussi, tu n'y vas pas de main morte, remarqua-t-il.
Le jeune sorcier sourit.
_ Alors, qui est ton professeur?, lui demanda Astrarie, une des rares à ne pas se jeter sur la nourriture.
_ Dumbledore.
Ron manqua de s'étouffer avec un morceau bien trop gros de nem sous le coup de la surprise. Il se donna des coups de poing sur le torse pour la faire passer dans la trachée. Il toussait et Hermione lui donna une grande tape dans le dos: Ron put finalement respirer normalement.
_ Dumbledore?!, s'exclama-t-il en ouvrant des yeux ronds comme des soucoupes, oubliant de remercier Hermione de son geste.
Harry hocha la tête.
_ Woaw, souffla-t-il. Vous avez du avoir un sérieux cours.
_ Qu'avez-vous appris?, demanda curieusement Astrarie.
_ Gym et aïkido, globalement, dit Harry en s'interrogeant mentalement.
La petite blonde avait l'air de commencer son interview sur la nouvelle option pour le compte du Hibou Déchaîné.
_ Gym et quoi?, répéta Ron, toujours stupéfait par les nouvelles.
_ Aïkido, répondit Astrarie. C'est un art martial de dissuasion.
_ Tu a l'air de t'y connaître dans ce domaine, observa Hermione.
_ Je viens du Tibet, bien que ma famille soit d'origine européenne, dit son amie en haussant les épaules. Les arts japonais sont très connus là-bas, mais ils restent inexploités.
_ C'est dommage, commenta Harry. J'ai bien aimé mon cours.
_ Je ne peux pas en dire autant pour moi, grogna Ron. Strikken a du me réveiller cinq fois en deux heures. Je m'écroulais de fatigue. Et en plus, il paraît que j'ai raté quelque chose de divertissant pendant un de mes évanouissements...
_ Ah oui? Quoi?, interrogea Harry.
_ Une petite explosion dans la salle à côté, informa Astrarie. Je le sais, je passais dans le couloir à ce moment-là. Ca venait du cours de Lord Rodard. De la fumée noire avec une odeur pestilentielle s'en échappait (elle fronça du nez à l'évocation du souvenir). Les élèves en sont sortis en courant, mais le plus drôle était que les tables et les chaises aussi!
_ Je me demande ce qu'ils font dans ces cours, fit Hermione, l'air songeur. Jamais je n'aurais cru que Dumbledore accepterait que des cours de magie noire soient donnés à Poudlard.
_ Il veut que le plus d'élèves possible soient ici, je pense, dit Harry en haussant les épaules. Pour leur assurer une meilleure protection. Peut-être que beaucoup auraient refusé de venir s'il avait interdit ces cours. Et puis il doit certainement surveiller leur programme.
Les jumeaux entrèrent à leur tour dans la salle pour se restaurer. Ils arboraient un sourire malicieux mais quand Fred aperçut Harry, il tira subitement son frère par la manche et s'approcha d'un pas vif vers le Cinquième année.
_ J'ai quelque chose pour toi, Harry, annonça-t-il sans autre préambule.
Il prit son sac et fut imité par Georges qui fouilla le sien, ainsi que Ron, au plus grand étonnement de Harry. Apparemment, son ami avait prévu l'arrivée de ses frères.
Chacun d'eux en sortit un paquet d'enveloppes et ils les déposèrent sur la table, sous le nez de Harry.
_ Qu'est-ce que c'est?, demanda-t-il en fixant les lettres.
_ Des colis de tes fans, répondit Georges en réprimant un rire devant l'expression d'incrédulité qu'affichait clairement le visage de Harry.
_ La liste comporte majoritairement Mme Weasley, notre chère mère, Mme Weasley, la mère de notre gentil Ron, Mme Weasley, la femme de Arthur Weas..., commença à énumérer Georges en lui présentant le nom des expéditeurs.
_ Elle nous écrit depuis le début de la semaine, coupa Ron. Elle aimerait prendre des nouvelles de toi. On s'est amusés à les collectionner un moment mais là, ça devient vraiment grave..., continua-t-il dans un sourire. Elle n'a pas réussi à te joindre directement peut-être, alors elle se rabat sur nous, en nous chargeant d'être les intermédiaires...
_ C'est normal, expliqua Harry. Les professeurs ont installé un système de protection pour le courrier, ajouta-t-il en lisant en diagonale le contenu d'une des lettres.
_ Ah bon?, fit Astrarie avidement.
_ Oui, Flitwick récupère mon courrier pour vérifier qu'il ne soit pas piégé ou comporte un portoloin..., souffla-t-il, son attention portée sur l'enveloppe.
Il ne remarqua pas les regards baissés de ses camarades.
_ Il faut vraiment que je lui réponde, murmura Harry en constatant l'affolement qui se dégageait du courrier.
Mme Weasley, dans son écriture précipitée, avait l'air tétanisé de savoir que le jeune homme avait été incarcéré.
_ Ils ne bloquent pas tes envois au moins?, demanda Hermione.
Harry hocha négativement la tête.
_ Bien, fit-il en s'adressant aux jumeaux et poussant le petit tas vers eux. Si vous voulez les reprendre...
Mais lorsqu'il releva la tête, ils n'étaient plus là. A côté, il entendait rire ses amis.
_ Je crois qu'ils souhaitaient s'en débarrasser au plus vite..., intervint Hermione, un petit sourire aux lèvres.
Harry voulut le lui rendre quand il aperçut derrière elle Cho Chang qui s'avançait dans l'allée pour prendre place. Soudain, il voulut la regarder de plus près, inexplicablement. Il ne l'avait pas vu de la semaine, un hasard des plus confortables.
Elle avait l'air bien. Une pensée lui vint en tête: le jeune homme se demanda si elle pleurait encore en pensant à lui. Il ne se rappelait que trop bien de ses larmes, le soir du banquet. Peut-être qu'elle ne songeait à lui qu'en le voyant. Tout comme il pensait à lui en la regardant, elle. Tu y vas avec qui? _Oh, heu... avec Cedric. Cedric Diggory. La jeune fille sourit en rejoignant ses camarades et s'assit, bavardant avec sa voisine. Ou peut-être qu'elle pleurait la nuit, quand lui le revoyait sur le sol, les yeux grands ouverts. Vas-y. _Tous les deux. _Quoi? _On prends le trophée tous les deux en même temps.
_ Harry?
Est-ce que quelqu'un t'avait dit que le trophée était un portoloin? Peut-être était-elle comme lui, se convaincant jour après jour qu'ils s'étaient conduits pour le mieux avec lui, qu'ils n'auraient rien pu faire d'autre. Cedric. La première tâche, c'est d'affronter des dragons. _Quoi? _Des dragons.
_ Harry!
Un brusque éclat de rire le sortit de ses songes. Des élèves, trop gourmands avec les plats épicés, crachaient à présent de petites flammes multicolores. Harry avala sa salive, un noeud coincé dans la gorge, et s'obligea à revenir à la réalité. Autour de lui, les élèves s'étaient livrés à l'hilarité générale devant la dernière farce des jumeaux.
_ Dracopiments! Pour les soirées les plus chaleureuses!, annonça Fred, un grand sourire aux lèvres, en passant ses bras autour des épaules d'Alicia.
_ En vente dès l'année prochaine!, ajouta Georges en adressant un clin d'oeil aux Gryffondor.
Harry essaya de participer à l'ambiance joyeuse de la salle mais n'y parvint pas. Neville souffla du feu mauve sur Parvati qui fit un bond en arrière. Les flammes étaient inoffensives.
_ Gratuit pour toi, Harry, dit Georges en se tournant vers le jeune sorcier. Surtout si tu réponds à notre mère...
Harry sourit, faiblement. Il reporta son attention à son assiette, la tête entre ses mains. Il fallait que cela cesse. Qu'il arrête de revoir Cedric, tout ce qui se rapportait à lui, à chaque croisement avec Cho Chang. Et elle, comment le vivait-elle? Ron éclata de rire. Harry ferma les yeux: il se connaissait suffisamment pour se dire que la fin de ses visions n'arriverait jamais dans les prochains jours. Dans sa confusion, il sentit un regard posé sur lui. Il se redressa et vit Hermione. Elle aussi ne riait pas, elle aussi ne participait pas à la bonne humeur générale. Elle se contentait de le fixer, le visage plus inquiet que jamais. Le jeune sorcier se passa une dernière fois la main sur le front.
_ Ca va, assura-t-il d'une voix rauque.
En s'entendant, il sut qu'il ne pouvait convaincre personne, surtout pas Hermione. Tant pis. Ne supportant plus ses yeux interrogateurs qui le suppliaient de lui parler, de se confier, il détourna son visage et observa ses autres camarades. Mais jusqu'à la fin du dîner, la sensation de malaise ne se dissipa pas.
Des parties d'échecs plus tard, Harry sortit discrètement du dortoir, une fois Ron endormi. Hermione aidait Neville dans ses devoirs de Potions et le jeune sorcier profita du fait que tous étaient occupés pour prendre l'air. Il voulait rendre visite aux sirènes. Sa dernière rencontre avec elles datait, à vrai dire.
Poussant quelques cris perçants au bord de l'eau pour les appeler, le jeune homme attendit ensuite leur arrivée en contemplant calmement le paysage. Il était dans cette partie de Poudlard où, à une dizaine de mètres sur sa droite, le lac rejoignait un côté de la forêt interdite. Entre, une minuscule plage de sable faisait office de lien. Harry ne s'y aventurait pas car, comme tous ses camarades, il savait qu'il s'agissait là de sables mouvants. Il était étrange de voir que de petites vagues s'échouaient sur la plage alors que le reste du lac restait parfaitement immobile en cette nuit de Septembre. La lune était pourtant connue pour n'avoir d'effets que sur les marées des océans et non sur des étangs ou autre point d'eau. Le lac de Poudlard était définitivement magique, lui aussi.
Des petits remous apparurent, avertissant l'imminente arrivée des sirènes. Le reflet de la lune ronde à la surface se brouilla de plus en plus. Puis, silencieusement, des têtes, toutes aussi affreuses les unes que les autres, surgirent hors de l'eau. Une, deux, six... Plus d'une trentaine d'êtres se montrèrent à Harry. Le jeune homme ne s'attendait pas à ce qu'autant de sirènes répondent à son appel. Puis, d'un seul et même cri grinçant, strident, ils manifestèrent leur joie aux retrouvailles. Harry s'obligea à ne pas se boucher les oreilles. Le concert était joué sur des fausses notes.
_ Comment... Comment cela est-il possible?!, parvint à traduire le jeune homme des paroles confuses des sirènes.
Harry en déduisit alors qu'elles n'avaient pas été informées de son évasion, Dumbledore ne connaissant pas les liens d'amitié qui les unissaient. Il entreprit donc d'expliquer les événements qui s'étaient produits depuis son retour, et son entretien avec le ministre. Les sirènes en firent claquer leurs queues sur l'eau pour afficher leur contentement.
_ Fudge est un imbécile, déclara Poséus lorsque le calme fut revenu.
Poséus était encore plus laid et plus vieux que ses congénères.
_ Il est incapable de diriger une armée. C'est à peine si ses hommes de seconde main lui obéissaient.
_ Nous l'avons entendu, expliqua sa femme Arias.
Elle était munie de tant de bijoux en cailloux grossiers (leur vision de la beauté) que le jeune sorcier s'était toujours demandé comment elle faisait pour ne pas rester clouée au fond du lac, écroulée sous le poids des pierres.
_ Les aurors ont fait un tel tapage en s'organisant par groupes autour du château que nous avons tendu l'oreille pour savoir ce qui se passait. Dès qu'ils t'ont neutralisé, dit-elle d'une voix quelque peu tremblante (ils avaient toujours eu une peur bleue des baguettes magiques), notre chef et beaucoup d'autres sont partis directement vers Azkaban, par le tunnel.
_ Nous n'étions pas loin quand tu y étais, reprit Poséus en grimaçant.
C'était sa manière à lui de sourire. Harry pensa qu'ils auraient été bien impuissants face à la forteresse mais il fut touché par leur marque d'attention. Il ne manqua pas de sourire lui aussi au commentaire de la fille de Murcus, leur chef.
_ Et là, j'ai vu un énorme anaconda passer à une dizaine de mètres de moi. La frousse de ma vie! Comment quelqu'un peut-il s'attacher à une telle créature? Il ne m'a pas vue, heureusement! Du coup, nous sommes tous restés un peu en retrait par rapport au château. On ne voulait pas en rencontrer d'autres, bien que nous soyons très forts...
Harry, souriant, se dit que finalement, il n'avait pas été aussi seul qu'il l'avait pensé.
_ Ne t'inquiète pas, dit Isirus en la prenant par les épaules.
Tiens? Tinias aurait trouvé un petit copain?, songea le jeune homme en remarquant les gestes intimes d'Isirus. Harry risqua un coup d'oeil vers Murcus. Le père de la jeune sirène n'avait pas l'air d'approuver totalement...
_ Jamais plus tu n'approcheras ces affreuses bestioles..., la rassura-t-il en l'approchant un peu plus près de lui.
Plus tard, après avoir largement bénéficié d'un concerto de départ, Harry revint dans la salle de Potions qu'il avait découverte peu de temps avant la rentrée. Il avait, bien entendu, auparavant vérifié dans la bibliothèque de Rowena Serdaigle qu'aucun sortilège n'avait été lancé sur elle. Il ne savait pour quelle raison, mais les demandes de Rogue en cours lui paraissaient de plus en plus inaccessibles. Cela lui donnait du travail supplémentaire... Cependant, le point positif dans l'attitude de son professeur était qu'en étant obligé de perfectionner ses préparations dans la petite salle secrète, Harry avait pris conscience à quel point les potions étaient puissantes: contrairement aux sortilèges dont la plupart avaient leur inverse, elles étaient plus coriaces à "partir", à ne laisser aucune trace dans le corps de la personne qui en avait avalé. Les plus prestigieuses étaient celles confectionnées à partir d'éléments rares, ou d'animaux légendaires... Le jeune apprenti se souvint alors comment Voldemort était revenu à la vie. Il a suffi d'un ou deux sortilèges de mon invention... et d'un peu d'aide de mon fidèle Nagini... Une potion à base de sang de licorne et du venin que me fournissait Nagini... Et si l'immortalité qu'il recherchait avait sa solution dans les potions... Après tout, Voldemort était l'héritier de Serpentard. Les Potions étaient donc son domaine fort (il avait lu ça en cours d'histoire de la magie: les directeurs de chaque maison enseignait la matière propre au fondateur correspondant)... Dans ce cas, les seuls moyens pour l'empêcher de vaincre la mort étaient aussi dans les potions... Sur cette pensée, il se concentra activement à ses recherches, des livres de Serdaigle ouverts à côté de mélanges portés à ébullition et de portoloins à moitié réussis...
Le samedi débuta par le cours paternel d'un Sirius aux yeux bouffis. La méditation habituelle du jeune sorcier au commencement de chaque séance lui permettait de récupérer quelque peu, mais Harry savait bien que, décidément, son parrain n'était vraiment pas du matin. La transe accomplie (nécessaire au rapprochement des quatre éléments), Sirius lui fit quelques petites démonstrations. Un vent traversant la salle de part en part leur fouetta alors doucement le visage, Harry en appréciant profondément sa fraîcheur, alors que Sirius marmonnait:
_ Pourquoi je ne l'ai pas fait pour me réveiller...
Le jeune sorcier savait que son oubli était dû au fait que son parrain s'était habitué à vivre durant quatorze années sans baguette, aussi garda-t-il le silence.
Sur le trajet du retour, Sirius conta une fois de plus quelques anecdotes concernant les parents du jeune homme dont certaines étaient remplies de nostalgie et de souffrances, malgré le bonheur qu'ils avaient eu d'être amis avec lui et Rémus. Au fil de la semaine, Harry avait en effet pris conscience de l'impact de l'ascension de Voldemort sur ses proches. Les premiers jours, son parrain lui avait dévoilé la véritable raison de la haine que portait Pétunia envers sa soeur. Bien sûr, elle était jalouse de savoir que Lily était soi-disant (une imagination de Pétunia) préférée à cause de ses talents en sorcellerie mais alors qu'elle était âgée de dix-sept ans, une attaque de mangemorts sur le Chemin de Traverse avait eu lieu, massacrant les parents de Pétunia et Lily.
_ Pétunia a alors rejeté la faute de leur mort sur Lily, en prétextant qu'ils ne se seraient jamais rendus en ce lieu si elle n'avait pas été une sorcière, avait dit son parrain d'une voix pleine d'amertume. A ses yeux, Lily était la seule responsable.
Harry s'était senti profondément peiné de savoir par quelles épreuves était passée sa mère, encore qu'une adolescente. Mais il se rendit compte également que son père n'avait pas été épargné: la grand-mère paternelle de Harry était décédée en le mettant au monde et son mari s'était chargé d'éduquer son fils jusqu'à sa mort, alors que James n'avait que quatorze ans. Le grand-père paternel de Harry n'avait en effet pas survécu à la blessure empoisonnée d'une hydre de Grèce. James avait vécu quatre ans à l'orphelinat avant d'être majeur.
Comme à l'accoutumée, Sirius ramena adroitement la conversation sur des sujets plus légers, afin de mieux "digérer" les nouvelles.
_ Rogue m'a presque aboyé de sortir de sa classe, hier après-midi, informa-t-il. Crois-tu qu'il tentait de communiquer?
La journée se partagea ensuite entre l'entraînement matinal du Quidditch, accompagné de ses coéquipiers, quelques heures à la bibliothèque avec Ron et Hermione, une séance de Sports Moldus classée comme définitivement fatigante et excitante à la fois, et les sélections des autres équipes.
Cette dernière activité porta sans nulle doute ses fruits pour celle de Gryffondor. Tous les membres (exceptés Emile et Rose, histoire de garder leur identité secrète) s'étaient rassemblés sur les gradins, dans une ambiance conviviale. Patmol était vraiment apprécié des jumeaux, surtout depuis qu'ils s'étaient rendu compte que Harry l'avait "dressé" à grogner face aux Serpentard et à aboyer joyeusement aux autres en guise d'encouragement. Il était devenu en quelque sorte leur mascotte. Les joueurs s'étaient fait part de leurs commentaires sur les participants de Poufsouffle, Serdaigle et Serpentard. Harry, lui, s'était muni d'une plume à papote offerte par Hagrid et d'un parchemin. La plume à papote était, en réalité, rien de plus qu'une plume qui écrivait le fond de ses pensées. En lévitation au dessous des marches des gradins, elle avait décrit à l'abri de tous les regards les moindres particularités de chaque joueur. Katie avait salué d'un beau sifflement l'idée de Harry avant de se mettre à huer les Serpentard qui se présentaient sur le terrain.
Quand Lee Jordan arrêta les sélections sans avoir demandé aux Gryffondor de se rendre à leur tour sur le terrain, Malefoy lui en demanda la raison.
_ Ils sont déjà au complet, répondit-il calmement.
Et il partit, laissant Malefoy abasourdi. Celui-ci se reprit cependant très vite et pesta contre l'équipe, leurs remplaçants et capitaine invisibles, sous l'hilarité générale des Gryffondor. Colin Crivey le photographia magnifiquement dans sa colère.
A présent, un sourire gravé sur le visage en souvenir de la réaction du Serpentard, Harry se dirigeait vers la bibliothèque, l'air aux anges. Il aperçut rapidement Mme Pince, derrière son comptoir, en train de lire Le charmeur charmé, un ouvrage qu'elle devait feuilleter pour la dixième fois depuis le début du mois d'Août.
_ Bonjour Mme Pince, fit-il gentiment.
La documentaliste sortit de sa lecture, visiblement mécontente d'être ainsi importunée, mais ses sourcils se défroncèrent vite à la vue de Harry.
_ Bonjour Harry, répondit-elle dans un sourire. Comment vas-tu?
_ Je vais bien, assura-t-il. Et vous?
_ Ma foi, fit-elle en reportant son regard sur son livre, tant que Euréclyce se voilera la face...
Elle soupira et se tourna à nouveau vers Harry.
_ Tu souhaites que je t'apporte mon aide?
_ Oui, dit-il en présentant le mot de Mac Gonagall.
La documentaliste se pencha et le lut.
_ Oh, mais bien sûr, il n'y a aucun problème, répondit-elle, ravie. Viens avec moi.
Elle le conduisit vers la salle des archives, située au fond de la bibliothèque.
_ Tu es le premier à venir me voir. Tes camarades sont moins impatients, fit-elle d'un ton réprobateur pour les autres.
Harry savait à quel point la bibliothécaire admirait les gens sérieux, avec un nez toujours plongé dans les livres. Si elle n'était pas aussi réticente à s'ouvrir sur les autres, elle serait la meilleure amie d'Hermione. Quoique la jeune fille hésiterait peut-être à passer du temps en compagnie d'une femme qui ne savourait rien d'autre que les romans à l'eau de rose...
Le jeune homme attendit qu'elle finisse les incantations murmurées pour ouvrir la porte. Ils y entrèrent et Harry fronça le nez: l'odeur de renfermé emplissait la pièce sombre. Mme Pince fit apparaître quelques chandelles pour l'éclairer.
_ Je suis juste à côté en cas de besoin. Prends ton temps mon garçon.
Et elle sortit. Harry pensa que Mac Gonagall avait tort de suivre des principes qu'aucun autre adulte ne suivait. Mme Pince l'avait laissé sans se soucier. Il pouvait regarder n'importe quel dossier qu'elle n'y verrait que du feu. Pourtant, il ne s'intéresserait pas à n'importe quel dossier. Il voulait juste ceux de ses parents et des maraudeurs.
Parcourant en silence les étagères d'année en année chez les Gryffondor, il s'aperçut que Mr et Mme Weasley avaient plus de sept ans d'ancienneté par rapport à ses parents dont il ne voyait toujours pas le moindre fichier. De même que Henry Finnigan, Stan Parvati... Il remarquait le dossier de Frank Londubat quand un nom attira son attention: Rémus Lupin. Harry hésita, puis le prit. Mieux il connaîtrait les amis de son père, mieux il connaîtrait son père lui-même...
Dès qu'il l'ouvrit, une lumière se diffusa des feuilles: l'empreinte magique de Rémus Lupin. Il le savait pour avoir tenté ce sortilège de Septième année que les élèves jetaient sur leurs fichiers juste avant de partir définitivement de l'école. Pour laisser une trace de leur passage... L'empreinte se modifiait dans le temps: selon les épreuves affrontées par le sorcier, ses aptitudes et son caractère... Celle de Rémus était d'un gris mêlé de bleu avec une touche de jaune. Harry commença à lire et vit que son ancien professeur avait été considéré comme quelqu'un de sérieux mais réservé. Une photo de lui, à dix-sept ans, le fit sourire. Il murmura Replicato, et une copie de la photo se forma à côté. Il la mit dans sa poche. Ses cernes étaient déjà là, preuve de ce qu'il subissait à l'époque durant ses transformations... Il resta un quart d'heure à parcourir son dossier, essayant de préciser selon ses traits de caractères, jeune et insouciant, les liens amicaux qui l'unissaient à son père.
Il le reposa avec un soupir et continua de parcourir les rayonnages, les doigts frôlant les classements. Soudain, il vit celui de Sirius. Comme pour Rémus, il hésita, mais moins longtemps. L'empreinte magique fut nettement plus éblouissante à l'ouverture, malgré les couleurs sombres qui s'en propageaient: le vert et le rouge bordeaux en étaient les principales. Les appréciations de son parrain étaient excellentes. De nombreux parchemins se tassaient entre les bulletins cependant, avertissements de son hyperactivité en cours pratiques et sa tendance à se rebeller contre les Serpentard. Harry rit doucement à la vue d'un papier, copie de celui envoyé probablement à ses parents, qui attestait que Sirius avait cassé le nez d'un camarade nommé Sévérus Rogue. Ils devaient s'adorer... Comme pour Remus, il prononça un Replicato.
Le jeune sorcier plongea inconsciemment dans son monde, traînant entre les rayonnages. Il s'imaginait un monde où ses parents étaient débordants d'énergie, où Sirius ne portait pas encore les marques de douze années d'horreur, où Rémus ne souffrait pas de la solitude et où Pettigrow... complotait. Son dossier, qu'il tenait maintenant, se claqua sèchement entre ses mains crispées. Il était clair qu'il avait été très mauvais en duel, mais pas seulement dans cette matière. Avec une intelligence de rat, on ne pouvait pas avancer bien loin...
Un autre nom attira alors son attention: Lily Evans. Harry demeura immobile, à admirer les lettres creusées sur le bord de la couverture qu'il n'osait prendre. Sirius lui avait bien parlé de ses parents ce matin, mais là, il connaîtrait un avis extérieur, détaché sentimentalement de sa mère. Il demeura comme figé sur place. Puis, timidement, il ouvrit son dossier, les doigts tremblants. Une lumière douce et apaisante l'enveloppa aussitôt: rose pâle et vert émeraude... Pour Harry, c'était la plus belle lueur qu'il ait jamais vu. C'était l'empreinte de sa mère. Un instant, il resta immobile, une impression de sécurité s'insinuant en lui. Au lieu de regarder ses bulletins, il referma doucement le classeur et prit celui de son père, situé à quelques noms de là. Il allait s'installer et les observer. Et il avait énormément de temps pour cela...
_ Wow!, s'écria-t-il en ouvrant le dossier de James Potter.
Une lumière aveuglante l'avait envahi, rouge flamboyant. Une couleur unique. Aucun mélange: ni de vert, ou du bleu, ou encore du doré... Rouge. La lueur diminua peu à peu, laissant Harry se pencher pour se reprendre et mieux lire les inscriptions. A présent, les fichiers de ses parents étaient étalés devant lui, sur une petite table de la salle des archives. Tous les deux étaient d'excellents élèves. Cependant, sa mère donnait l'air d'une Hermione acharnée au travail tandis que son père semblait être doté de facilités étonnantes. Tout comme Sirius, le dossier de James Potter comportait de nombreux avertissements (quoique Sirius en détenait le record), et les Serpentard en étaient la principale cause...
Un bruit de pas se fit entendre. Harry releva la tête. Personne n'était en vue. Le jeune sorcier se leva et commença à marcher le long des rayonnages, silencieusement. Soudain un frôlement trahit la présence d'une autre personne. Harry se rapprocha de la source, contourna l'étagère et...
_ Neville?
Le garçon rond sursauta de peur.
_ Harry? Qu, qu'est-ce que tu fais là?
_ Des recherches, répondit simplement le jeune sorcier.
Neville sembla se frapper mentalement de ne pas y avoir penser. Harry l'étudia attentivement et soudain, il comprit: Neville recherchait lui aussi le dossier de ses parents.
_ Viens Neville, viens avec moi.
Son ami sembla étonné puis le suivit sans discussion. Ils arrivèrent devant une autre étagère et s'arrêtèrent.
_ Là, montra Harry du doigt.
Le dossier de Frank Londubat leur faisait face. Neville regarda le classeur désiré, hypnotisé comme l'était Harry quelques instants auparavant devant ceux de ses parents. Il le prit en main, comme s'il s'agissait du bien le plus précieux au monde, ainsi que d'un autre, non loin de lui, avant de se tourner vers Harry.
_ Comment as-tu su?
_ C'est une longue histoire, sourit Harry. Tu te joins à moi? Je suis à une table du fond.
_ D'accord.
Les deux jeunes sorciers allèrent s'installer, tandis que Neville remarquait les fichiers déjà étalés et la petite lueur qui s'en dégageait.
_ Ce sont ceux de tes parents?
_ Oui, répondit doucement Harry. Alors... Toi aussi, tu as demandé à Mac Gonagall?
_ Oui, peu après que tu sois sorti du cours. J'ignorais ce que tu avais demandé. J'ai attendu à la sortie.
Après un instant de réflexion, il reprit:
_ Je comprends mieux pourquoi Mac Gonagall soupirait tant...
Il prit ses dossiers et les ouvrit timidement. Harry vit le visage de son ami passer du mauve au orange, les yeux émerveillés. Il en étala les fichiers, tout comme Harry, et commença à lire.
Au bout d'un moment, alors que Harry se retenait de rire devant l'appréciation en Potions de son père, dont le professeur n'avait pas tellement l'air d'apprécier, Neville l'interrompit, coupant court à l'humeur joyeuse du jeune sorcier.
_ Harry... Quand tu étais à Azkaban, tu as vu des mangemorts?
On sentait qu'il avait fallu tout le courage du jeune garçon pour oser poser cette question, bien que Harry sentit qu'une autre derrière, était plus grave encore.
_ Oui.
_ Et..., fit Neville tout tremblant, tu as vu les... les Lestranges ou... ou Roo Rookwood?
Le jeune sorcier réalisa que son ami lui demandait s'il avait vu ceux responsables de l'état de ses parents.
_ La plupart avaient leurs têtes cachées. Je ne sais pas s'ils s'agissaient des Lestranges. En revanche, j'ai bien vu Rookwood, oui.
Neville fut parcouru d'un frisson.
_ Co comment étaient-ils? Qu'est-ce qu qu'ils faisaient?
Il demandait davantage d'informations, des détails, parce que même si ça le tuait intérieurement de l'admettre, il voulait tout connaître de ceux qui avaient lancé l'Endoloris sur Frank Londubat et son épouse.
_ Rookwood est venu interrompre Voldemort.
Neville tressaillit.
_ Pardon, dit précipitamment Harry. Il est venu le voir alors que Vol... Tu-Sais-Qui me parlait quand j'étais dans ma cellule. Il lui a dit de venir dehors à cause d'un message que Dumbledore avait envoyé dans le ciel.
_ Il était comment?
_ Je ne sais pas. Ma cicatrice me faisait trop mal pour que je puisse le voir.
Harry repensait à ses événements et maudit ce lien, cette réaction à Voldemort qui l'empêchait de réagir.
_ Ca fait comment? Tu sais... Voir celui qui est...
_ ... responsable de la mort de mes parents?
Neville acquiesça silencieusement.
_ C'est..., fit Harry en cherchant ses mots.
Il contempla les dossiers de ses parents, dont la lueur ne cessait de se diffuser. Cette lumière semblait imprégnée de vie, une vie qui avait échappé à son père et sa mère. Il se souvint alors de leurs hurlements, et la lumière verte qui avait pris le dessus sur ce rouge flamboyant et ce mélange harmonieux de vert et rose pâle, trop pâle...
_ Harry?
_ Tu ne le vois pas.
Neville lui lança un petit regard interrogateur timide.
_ Vol..., lui, je ne le voyais pas tellement quand il était devant moi. Je voyais seulement mes parents, mes parents hurler...
Les images affluaient maintenant, tout ce qu'il avait vu ce jour-là...
Neville, quant à lui, venait d'avoir comme une révélation.
_ Tu, tu t'en souviens?!, s'exclama-t-il presque.
Harry sortit de ses songes. Il se rendit compte qu'il était allé trop loin dans sa confidence.
_ Euh... oui.
Devant l'air estomaqué de Neville, il ajouta précipitamment:
_ Je ne m'en souviens pas comme d'un souvenir lointain, je m'en rappelle à cause des Détraqueurs. Tu te souviens quand je me suis évanoui en troisième année, dans le train et sur le stade?
Neville hocha la tête en signe affirmatif.
_ C'est parce qu'ils me le faisaient rappeler.
_ Tu as tout vu alors... et tout entendu...
_ Oui.
Ils restèrent un moment silencieux.
_ Moi, je ne m'en rappelle pas, avoua son ami.
Harry releva la tête. Neville avait senti le besoin de se confier à son tour, comme s'il lui devait au moins ça.
_ Je ne me souviens pas de mes parents avant qu'ils ne soient fous.
Le garçon rond l'avait dit d'un coup. Harry fut surpris par le courage dont il faisait preuve en l'admettant clairement.
_ Ma grand-mère m'a raconté que mon père était très fort en enchantements, dit-il fièrement. Ma mère, elle, c'était la botanique. Ils se sont connus dès leur première année à Poudlard. Et toi?
_ Je ne sais pas, répondit Harry qui songea à la future question qu'il poserait à son parrain.
Neville regretta aussitôt ses paroles. Contrairement à Harry, il avait toujours une personne de sa famille qui s'occupait de lui, sans le maltraiter, même si ce n'était pas la plus douce des femmes.
_ Ca me fait penser..., continua le jeune sorcier.
Il feuilleta ses dossiers avec précaution et s'arrêta aux dernières pages. Là était écrit le nom de ses grands-parents, leurs dates de naissance et de mort.
_ Je reviens, fit-il à Neville qui hocha la tête tout en l'observant d'un air curieux.
Il traversa les rayonnages en jetant des coups d'oeil à droite et à gauche, s'arrêta et prit deux dossiers supplémentaires. Ceux de ses grands-parents paternels.
Revenu à sa place, il les ouvrit. Neville lisait les siens. Harry les parcourut en diagonale, cherchant à se faire une idée du caractère de chacun, ajoutant des précisions à ceux qui auraient pu être sa famille et regarda une fois de plus les dates inscrites concernant leurs parents, c'est-à-dire celles de ses arrières grands-parents. Une information lui fit froncer les sourcils. Le père de sa grand-mère paternelle était décédé à vingt ans. Etrangement, il voulut en connaître la cause. Peut-être était-ce marqué dans son propre dossier. Il se releva et effectua un nouveau aller-retour. Cette fois-ci, Neville s'était arraché de la contemplation de ses dossiers pour observer plus attentivement l'attitude inexplicable de son camarade. Harry ne s'assit pas. Il alla directement à la fin de ses quatre dossiers. La table était envahie de parchemins.
A nouveau, les sourcils de Harry se froncèrent. Le père de la personne dont il venait d'étudier les fichiers scolaires et où il était marqué qu'elle avait été assassinée par un inconnu était également mort très jeune. Le jeune sorcier avait comme un très mauvais pressentiment et ne se l'expliquait pas. Il repartit dans les étagères et se mit à regarder activement les noms qui défilaient sous ses yeux. Quand il les trouva, il les posa à terre sans prendre la peine de revenir à sa place. Il s'assit sur le sol et agit comme il l'avait fait avec les dossiers précédents. Il murmura:
_ Mais qu'est-ce...
Harry se releva subitement et chercha deux autres noms. Dès qu'il eut les fichiers correspondants en main, son appréhension se transforma en colère. Il ramassa les classeurs restés au sol, revint d'un pas vif à sa table alors que Neville s'était penché en se demandant ce qu'il faisait. Harry reprit vigoureusement tous les autres et se plaça au centre de la salle. Là, il entreprit d'en déposer, dossier par dossier, selon la forme d'un arbre généalogique. D'abord, ses parents, puis ceux de son père... Harry les laissait ouverts sur les dates données des géniteurs de chaque membre. Bientôt, la pièce qui était auparavant presque plongée dans la pénombre fut illuminée par les lueurs multicolores des classeurs, diffusant tour à tour leur propre couleur sur le visage de l'adolescent. Il prit du recul et chercha à comprendre, le cerveau en ébullition.
_ D'abord mes parents... puis ma grand-mère, fit-il en pointant ses bulletins du doigt.
Il passa entre les classeurs à grandes enjambées, les évitant précautionneusement. Neville avait totalement renoncé à lire ceux de son père et sa mère pour observer le jeune sorcier murmurant à lui-même, plongé dans une grande concentration.
_ ... Ensuite mon arrière grand-père..., continua Harry, une boule se formant dans sa gorge. Non, c'est une coïncidence, une simple coïncidence, se convint-il en serrant les dents.
Il laissa son "oeuvre" au sol et revint parmi les étagères, contenant sa rage. Et si c'était ça... Les fichiers ramenés tombèrent sur la table en faisant sursauter Neville. Harry feuilletait les pages énergiquement, allant à l'essentiel.
_ Ah!, s'écria-t-il en trouvant ce qu'il recherchait.
Mais aussitôt son visage exprima l'horreur et une haine incapable à dissimuler plus longtemps.
_ C'est pas vrai!, s'exclama-t-il avec fureur.
Et il repartit dans les rayonnages, devant un Neville pétrifié par sa colère. Il revint quelques secondes plus tard avec deux volumes. En les ouvrant directement vers la fin, il découvrit rapidement des informations qui le firent trembler de rage.
_ Non, dîtes-moi que ce n'est pas vrai!, ragea-t-il.
Il faisait les cent pas, furieux.
_ La tradition! C'est quoi, cette maudite tradition! Tuer le plus de membres possibles de ma famille ou quoi!
Neville se tassait sur sa chaise, se rendant davantage discret.
_ D'abord, mes parents! Par Voldemort! Ensuite, pour ma grand-mère paternelle, morte naturellement mais... Peut-être des menaces, avant... Par contre, mon arrière grand-père! Et mon arrière arrière grand-père! Tous à cause de...
Il fonça vers les étagères et arracha deux autres volumes de leur place. Il poursuivait une lignée spécifique de son père. Sa mère était issue d'une longue lignée de moldus, inclassés à Poudlard. La table était maintenant remplie de dossiers, entassés les uns sur les autres. Il les ouvrit pour apercevoir, avec un emportement sans pareil, leurs dates de décès.
_ Vingt-huit ans! Et eux...
Il s'écroula sur sa chaise, abattu. Le nombre de morts des suites de meurtres s'élevait à... Il ne savait plus. Et s'il remontait plus loin... Il eut le vague pressentiment qu'en continuant ainsi, il en découvrirait d'autres, et d'autres encore... Une personne de chaque génération avait été rattrapée par ce qui pourrait bien être la tradition. Il releva la tête et vit Neville sans le voir vraiment, ce dernier n'osant faire un geste, de peur que sa colère ne se répercute sur lui. Harry se pencha sur son empilement de dossiers. Une lumière intense, notamment pourvue de rouge, les enveloppait. Il regarda plus attentivement, la curiosité prenant peu à peu le dessus sur la rage. Cette lueur... Il commença à séparer les fichiers, les uns de couleurs diverses, les autres d'un même rouge, un rouge flamboyant, le rouge de son père. Se levant, les prenant de l'arbre généalogique improvisé, il les classait. Une fois les deux tas réalisés, il réfléchit: le tas rouge comportait son père, sa grand-mère, son arrière... Soudain, une révélation le frappa à la figure. Les membres de sa famille qui avaient été assassinés étaient ceux de ce groupe. Sauf sa mère... Quant à ta mère, je n'avais pas prévu qu'elle meure... La tradition... Les autres meurtres avaient été prémédités, ceux à l'empreinte rouge, rouge comme le sang... Pas la peine de se demander de quelle était la couleur la sienne... Il prit les dossiers aux couleurs diverses, excepté celui de sa mère, et les reposa à leur place. Puis il se rassit, sortit un parchemin de sa chemise, trempa sa plume et écrivit hâtivement son arbre généalogique, en suivant la trace des victimes. Tout en le traçant, il se reprit peu à peu et murmura:
_ Désolé Neville, je ne voulais pas t'effrayer...
_ C'est, c'est pas grave, balbutia-t-il, encore sous le choc, mais rassuré de sa reprise en mains.
Harry releva la tête.
_ Si je continue, tu vas devoir m'éviter, dit Harry dans une tentative d'humour.
Neville fronça les sourcils d'incompréhension puis se souvint du cours de Melle Lyth et rit doucement, un rire qui lui resta coincé dans la gorge. Il se pencha sur ses dossiers et reprit sa lecture, les mains toujours un peu tremblantes. Harry finit son arbre et décida de continuer. Il allait remonter le temps. Et il allait découvrir pourquoi... pourquoi s'acharnait-on ainsi sur sa famille. Sirius ne pouvait pas être au courant. Il le lui aurait appris. Cette semaine, il lui avait avoué la plupart des événements horribles que ses parents avaient vécu. Il ne se serait donc pas "bloqué" sur ça. Peut-être même que son propre père l'ignorait. A moins que ce soit cela dont parlait inconsciemment Dumbledore. Ou en cas de menace... Peut-être qu'ils savaient... De toute évidence, la tradition atteignait une lignée spécifique de la mère de James Potter. Il ramena tous les dossiers à leur place, exceptés ceux de ses parents _qu'ils ne lâchaient plus_ et le plus ancien à empreinte rouge, le cerveau menacé de surchauffe en inventant toutes les hypothèses: s'ils savaient, ils lui auront laissé une explication...
Il se remit à effectuer en permanence des déplacements entre les étagères et sa place, notant de temps en temps un nom sur son parchemin sous l'air déconcerté de Neville, pourtant bien décidé à ne pas chercher la cause de cet étrange comportement de peur de mettre Harry dans une colère semblable à la précédente. Le jeune sorcier prenait soin de marquer date après date les causes des décès, qui, à sa plus grande impuissance, ne variaient pas: meurtre d'auteur inconnu. Si jamais il découvrait le nom de l'un d'entre eux, il ferait également quelques petites recherches sur lui...
Harry remontait ainsi près de trois siècles quand une information manquante vint le bloquer: un de ses ascendants avait été déposé devant un orphelinat alors qu'il n'était qu'un bébé. Et les dossiers ignoraient l'identité de ses parents. Frustré, il rangea tout, en observant encore et encore son arbre généalogique. Il voulait une réponse, il voulait qu'on lui explique pourquoi...
