CHAPITRE 11: Tel père, tel fils.


_ Ouvrez... votre champ de... vision..., Potter!, avertit Lyth en faisant trébucher Harry d'un croche-patte, peinant à parler.

Le jeune homme fit volte-face et le combat reprit, coups droits et coups bas, crochets, revers ou fouettés. Les mains moites s'activant aux manipulations agiles des manches, le souffle court et les pieds en feu, les deux adversaires luttaient incessamment dans une pluie de battements d'air. Le maniement des bâtons parfaitement connu désormais, les techniques se multipliaient et les improvisations payaient. Parfois tournoyant au bout des doigts, effleurant à peine la peau, ou serrés avec force et détermination, ils filaient vers des rencontres fracassantes.

Lyth s'avérait être une redoutable guerrière, dissimulant ses talents de combat en cours de Défense contre les Forces du Mal où elle privilégiait l'observation aux démonstrations. Elle s'appuya de son bâton planté sur les tatami, et dans un terrible élan accompagné d'un cri étouffé, se redressa presque à l'horizontal pour frapper des pieds joints droit dans l'estomac de Harry qu'il protégea dans un virement in extremis sur le côté. Le jeune homme n'eut pas le temps de soupirer de soulagement qu'il dut se contorsionner dans d'ahurissantes positions pour parer les coups suivants. Elle ferait une excellente adepte au saut à la perche..., eut-il cependant le temps de penser au sujet de l'aptitude du professeur à s'élancer dans les airs.

Lyth, en tant qu'adversaire, montrait une suprématie indiscutable que seul Rogue, peut-être, aurait pu équivaloir. Le jeune homme en ignorait la raison mais le maître en potions avait dévoilé au fil des duels, mis à part son agressivité, une adresse inégalable, presque surnaturelle si on la comparait aux exploits pourtant pour les moins remarquables de ses collègues entraînés au duel. Avec son aspect osseux et sa peau malade, il aurait convaincu quiconque à parier sur ses défaites s'il ne brillait pas dans ses yeux cette assurance à faire douter les plus musclés.

Harry tomba volontairement sur les genoux, le dos vers l'arrière et réussit à frapper dans un geste fortuit. Lyth reçut un coup au postérieur et son corps fut parcouru d'une secousse. Instantanément, le jeune sorcier rougit. Cette seconde d'inattention lui valut un balancement direct au tapis. Furieux contre lui-même de s'être laissé aller, il se releva d'un saut (finalement, la gymnastique moldue avait ses avantages...) et refit face à son professeur avec, malgré tout, un sourire d'excuse sur le visage. Dans ses élans, il s'appliquait à l'atteindre sans porter trop d'attention aux "emplacements" particuliers visés et en éprouvait parfois un certain embarras. Lyth dissimula sa fatigue et sourit à son tour.

_ Et si je n'étais pas une femme..., suggéra-t-elle alors en changeant alternativement le bâton de main, un air de défi passant dans ses yeux noisette.

Harry se sentit à la fois étonné par l'audace de son professeur, gêné d'avoir été ainsi aussi facilement percé à jour et puis, la fierté aidant, il replongea dans une succession d'attaques effreinées. Les armes s'entrechoquaient dans un rythme rapide, jamais régulier, comme des percussions jouant des doubles croches aux noires à un temps. Les pieds glissaient, rasaient le sol, se tordaient pour rétablir avec espoir des équilibres délicats. Les collisions donnaient lieu à un concert de tissus froissant l'air, de respirations saccadées, de tapes brusques au tempo presto. Seul l'arrière-fond sonore de tambours faisait défaut dans cette danse guerrière africaine où le plaisir de combattre primait sur l'enseignement.

Les accrochages s'exécutaient malgré tout dans une sorte de jeu, chacun cherchant à déstabiliser l'autre. Lyth y réussissait très bien dans le domaine psychologique. Contrairement à Rogue, elle n'agressait pas verbalement mais décourageait son adversaire à la battre de plein gré: sa nature féminine y comptait pour beaucoup dans cette manipulation...

Harry faillit crier de terreur, sa bouche restant muette, en voyant le bois solide foncer vers sa mâchoire mais réussit une fois de plus à contrer l'offensive, les deux combattants se déplaçant involontairement vers un coin de la salle, emportés dans leurs assauts résolus. Lyth n'hésitait jamais à porter des coups forts, sa pédagogie réfutant catégoriquement la "gentillesse" synonyme de pitié. La mansuétude dont elle faisait (trop?) preuve en Cours de Défense contre les Forces du Mal était irrévocablement remplacée par l'intransigeance sans scrupule qu'elle lui vouait durant cette option. Encore une différence entre les moldus et les sorciers: les associations de défense des personnes battues ne devaient pas exister dans ce monde étrange...

Un poteau empêcha le jeune sorcier de reculer et l'arme du professeur lui frôla le ventre, rentré en lui. En une fraction de seconde, il dut se placer derrière et éviter ainsi le fulgurant retour du bâton. Aussitôt, les duellistes jouèrent de cet accessoire: s'y agrippant pour frapper des jambes ou s'en servant de bouclier, ils tournaient autour en tapant dans tous les stratèges possibles, défiant leur équilibre dans des tentatives osées.

Harry, se pliant soudainement en forme de pont, le torse tourné vers le plafond, se demanda l'espace d'un instant comment il avait fait pour en arriver à cette position sans tomber ou se fracturer la colonne vertébrale. Après une petite pensée de remerciement pour Dumbledore et ses cours, il se remit à la charge dans une hardiesse à toute épreuve. Ses attaques _ auxquelles il ne songeait même pas il y a quelques temps _ devenaient plus fréquentes bien que manquant un peu d'assurance. Sa souplesse était vraiment son point fort (l'anaconda se révélait extrêmement utile...) et sa timidité... son point faible.

Il détourna une de ses attaques qui aurait du atteindre la poitrine de Lyth et son professeur lui flanqua un coup droit dans l'estomac. Encaissant, il ne put s'empêcher de lui lancer involontairement un regard signifiant "Vous y allez un peu fort quand même".

Pour toute réponse, il reçut de son professeur un sourire quelque peu fatigué. Melle Lyth se servit de son bâton comme point d'appui et décida de se reposer un instant. Dans leur pause silencieuse, Harry se rendit compte à quel point il était essoufflé.

_ Il ne faut... plus hésiter, parvint-elle à dire dans sa récupération.

Harry ne songea même pas à répondre. Il mourrait de manque d'air dans la seconde s'il arrêtait de respirer, ne serait-ce que pour dire un mot. Encore un peu sonné, il regarda autour de lui.

Quelques rares Septième année, longuement observés par Infly, calme et les mains dans le dos, poursuivaient leur lutte. Au fur et à mesure des cours, les élèves avaient préféré se disperser dans les petites pièces rattachées à la salle normalement attribuée pour un espace où personne ne les bousculerait. Les professeurs allaient d'une pièce à l'autre et conseillaient. Dans la salle principale, ils n'étaient plus que sept. Les coups ne risquaient plus d'atteindre un élève non visé. Bientôt, ils feraient tous la connaissance d'autres armes et ces séparations deviendraient alors nécessaires...

Infly vint vers eux dans sa démarche flottante, sa longue robe blanche glissant sur le sol et passa devant une porte ouverte en y jetant un regard soupçonneux. Harry savait qu'il suspectait les jumeaux de discuter tranquillement, leur emplacement trop silencieux au goût du professeur en Enchantements. Fred et George se débrouillaient toujours pour rester dans le niveau sans se fouler vraiment. Ils auraient sans doute leurs ASPIC et leur mère crierait qu'ils auraient pu obtenir de meilleurs résultats...

_ Je vous remplace?, proposa Infly à sa collègue.

Encore!, fit tout ce qui vint à l'esprit de l'adolescent. Il venait de passer... il ne savait plus combien de temps (mais certainement trop) face à Lyth et ne souhaitait aucunement enchaîner dans un second duel. Infly avait en outre la manie de transformer leurs batailles en un test différent à chaque fois. Il jouait sur tout ce qui était susceptible d'être une qualité ou un défaut chez Harry et le lui faisait sévèrement comprendre.

Le jeune homme observa à nouveau autour de lui. Les Septième année n'étaient guère plus grands que lui et Harry pensait avoir largement acquis "les bases" du combat. Après tout, pour les autres aussi, il s'agissait de leur première année de Combat avec Armes Magiques. Il pourrait sans problème se mesurer à l'un d'eux sans risquer de sortir de cours avec la possibilité de s'inscrire au club des chasseurs sans tête...

Lyth acquiesça d'un bref signe de tête au professeur et se tourna vers Harry qui avait peine à reprendre son souffle, lui-aussi.

_ Continuez, c'est très bien, le complimenta-t-elle avant de partir.

Harry hocha la tête. Il la regarda s'éloigner, un peu déçu. Infly, ses longs cheveux blonds coiffés en une fine queue de cheval, se plaça à trois mètres de lui. Harry avait encore la respiration quelque peu saccadée. Le professeur en Enchantements exécuta de rapides échauffements pendant que le jeune homme inspirait longuement une dernière fois.

_ Professeur, osa-t-il alors interrompre, je peux... enfin je pense que je peux combattre un Septième année, si vous voulez...

Il ne voulait pas donner l'air rebuté à l'idée de l'avoir comme adversaire mais que les deux adultes se relaient avec lui était un peu gênant.

Infly sourit étrangement.

_ Non, je préfère comme ça. Dans cette salle?, indiqua-t-il de son bras, l'air mystérieux.

Harry accepta non sans curiosité la proposition et s'avança dans une des petites pièces restées vides. Seuls quelques matelas au sol la décoraient. Le jeune homme se retourna et aperçut son professeur sortir un masque de la poche de sa robe. Harry l'observa.

Le masque était noir, un peu comme ceux de Carnaval, en forme de visage, inexpressif. Infly regarda Harry et sourit, toujours étrangement avant de porter le masque à son visage. On entendait à présent uniquement quelques bruits étouffés de cognements de bâtons dans la salle de cours.

_ On va monter le niveau d'un cran, dit le professeur alors que sa figure semblait comme aspirée par l'objet maléfique.

Aussitôt (et Lee qui avait été propulsé devant l'entrée se figea sur place pour mieux observer), une fumée grise l'enveloppa et se dissipa dans les quelques secondes qui suivirent. Au milieu, Infly avait disparu. Harry ouvrit des yeux ronds pendant que Lee clignait les siens de stupéfaction: il en avait oublié son adversaire.

Le professeur n'était plus là. Instantanément, la phrase d'Hermione "On ne peut pas transplaner à Poudlard" surgit dans son esprit. Le jeune homme demeurait immobile, un peu ridicule à rester là en solitaire, et fixait l'endroit où Infly était quelques secondes auparavant. Peut-être n'étaient-ce que des préjugés, mais les couleurs du masque et de la fumée disparue l'inquiétaient quelque peu. Il se mit sur ses gardes.

_ Ceci est un masque d'ombre, dit soudainement la voix du professeur, comme s'il était derrière Harry.

L'adolescent sursauta de surprise et se retourna brusquement, faisant face au vide. Lee fit signe à son camarade invisible de se taire. La voix reprit:

_ Un objet extrêmement rare. Il me donne les caractéristiques et les capacités d'une ombre. Je peux me tordre, me projeter sur différentes surfaces et même... me dédoubler selon le nombre de sources de lumière de l'espace. On va commencer par une seule source, Potter.

Harry saisit son arme avec force, tourna sur lui-même, mais ne voyait strictement rien. Je devrais peut-être me contenter d'une petite salle bien tranquille pour m'allonger lors du prochain cours..., songea-t-il en pensant aux jumeaux qui échappaient à la leçon sur l'invisibilité. Il se dit ensuite qu'il avait l'air bien stupide à essayer de combattre le vide. Harry voulut rapidement rompre ce silence embarrassant.

_ Et si je suis dans une totale obscurité, le défia-t-il, vous ne pourrez plus m'attaquer, n'est-ce pas? Les ombres ont besoin de lumière pour exister, non?

_ Bien sûr, dit Infly dans une voix malicieuse venant de la gauche du jeune homme, mais l'entraînement prendrait fin. Imaginez être dehors par une belle journée ensoleillée...

_ Bien sûr..., répéta Harry dans un murmure, les yeux à l'affût du moindre danger.

Il continua de tourner sur lui-même puis ajouta encore.

_ Comment je fais alors pour battre une ombre? Je crée des interférences lumineuses? J'utilise Lumos?

Harry perçut un petit rire.

_ Vous avez l'esprit vif, Potter.

Le jeune homme grogna imperceptiblement. La dernière fois qu'on lui avait dit ce compliment, l'auteur était un mangemort des plus redoutables et qui plus est, lui avait généreusement dressé l'éloge de son imbécillité, une fois son identité révélée.

_ Effectivement, un Lumos paraît l'idéal pour me repousser, convint de répondre Infly.

Le professeur n'attaquait toujours pas. Il laissait du temps à son élève pour s'adapter à la nouvelle situation. Harry sortit sa baguette du bâton et murmura Lumos avant de reformer son arme. Lee Jordan continuait de profiter de l'éloignement de Lyth et de son adversaire (sûrement parti après une légère vexation) pour apprécier le spectacle, le menton reposé sur le bout du manche.

Harry se remit sur ses gardes.

_ Et maintenant?

_ Maintenant..., reprit la voix mystérieuse, cette fois-ci venue de droite, maintenant, il s'agit de faire confiance à ses autres sens que la vue. Certaines ombres sont quasi-invisibles et elles ne créent pas de courants d'air dans leurs déplacements...

Harry se concentra sur l'ouïe. Malgré le masque, Infly peut parler, il n'est donc pas aussi silencieux qu'une ombre... L'unique problème était que les chocs voisins des bâtons étouffaient quelque peu les pas d'Infly. Le jeune sorcier n'y arriverait jamais.

Reprenant une fois de plus sa baguette, il dressa un mur insonorisé avant de la faire fondre à nouveau dans le bois. Merci Hermione..., pensa-t-il au sujet du petit renseignement qu'elle lui avait fourni un peu plus tôt sur les dômes de musique.

A présent, Harry était en tête à tête avec son professeur invisible, dans le silence le plus complet. Lee regardait toujours à travers le mur.

_ Bon début, approuva Infly, certainement devant le jeune sorcier.

Harry aurait juré l'entendre sourire.

_ Si vous êtes une ombre, reprit-il alors, vous ne pouvez être qu'en position de défense, non?

_ Je ne suis pas une ombre. J'en possède les qualités, rectifia Infly de derrière.

Harry fit brusquement volte-face, les poings serrés sur son arme. Le jeu consistant à le prendre par surprise le rendait nerveux. En même temps, il réalisait combien jusqu'ici il n'avait fait confiance qu'à sa vue principalement.

_ Et je peux quitter les surfaces, ajouta son professeur. Je reste humain malgré tout.

_ Que représentent les ombres, en sorcellerie?, enchaîna Harry, les yeux changeant constamment de direction.

_ Pourquoi cette question?

_ Si vous en possédez leurs propriétés, il faut que j'en connaisse les particularités magiques, se justifia le jeune sorcier.

Il murmura entre ses dents "je dois bien me défendre...".

_ C'est juste, admit Infly. Elles n'en possèdent aucune, à moins que nous n'entrions dans le domaine de la magie noire et plus particulièrement, la possession. Un esprit peut s'accaparer de l'ombre d'une personne pour la suivre sans éveiller de soupçon ou l'attaquer par étouffement noir sans que quiconque puisse intervenir "manuellement". Mais là s'arrête votre leçon. En revanche, symboliquement, elles évoquent le passé, parfois, le rappel aux origines, du fait qu'elles se situent derrière les gens dans la plupart de nos représentations d'elles.

Il marqua une pause.

_ A présent, je ne répondrai plus. Ne comptez pas sur moi pour vous faciliter la tâche, sourit-il certainement.

Harry se résigna au silence, son jeu découvert. Il ne profiterait plus de ses paroles pour localiser le professeur. Dans un élan de concentration, le jeune sorcier ferma les yeux et fit pleinement confiance à ses autres sens. Lee, le nez collé au mur transparent, trouvait la scène plus divertissante que jamais, bien qu'il fut étrange de voir Harry parler tout seul. Il sut, par son attitude, qu'ils passaient à la pratique. Les yeux grands ouverts, les mains contre la paroi, il murmura pour lui-même...

_ Que le duel commence...

Et Harry se sentit magiquement projeté dans les airs.


Enfin débarrassé d'Infly, Harry repensait aux recherches scolaires qu'il entreprendrait dès son arrivée dans la grande salle et aux résultats correspondants à ce premier mois qui, malgré tout, aurait pu être qualifié de tout sauf de reposant. Et quelque part, c'en était presque rassurant. Les séances d'entraînements, surtout, prenaient une place prédominante dans son emploi du temps: principalement à cause de Rogue et son penchant à jouer les prolongations gratuites des séances de combat, harcèlement obligeait, mais aussi parce qu'Infly prenait maintenant lui-aussi cette mauvaise habitude, comme s'il y trouvait là une agréable récréation, un comble de frustration pour le jeune homme. Heureusement pour lui, Lyth se montrait plus "cadrée" au niveau des horaires à respecter...

Un Troisième année de Poufsouffle et ses camarades le dévisagèrent en plissant des yeux. Harry les croisa avec désinvolture. L'effet de l'article sur le "mage noir" persistait encore chez quelques uns. Cependant, l'innocence qui traversait autrefois le regard du jeune sorcier quand il rencontrait ces élèves opiniâtres s'était dissolue. Il maudissait son entêtement irrécupérable à poursuivre clandestinement les cours de Lord Rodard et en même temps, savait qu'il le regretterait s'il abandonnait. D'un côté ou de l'autre, sa conscience ne serait jamais totalement tranquille. Harry avait donc décidé de choisir la solution qui permettrait à cette conscience de rester en vie assez longtemps pour le tourmenter. Les restrictions imposées par Dumbledore n'avaient jamais été aussi vues et revues dans sa tête...

Dans la grande salle, des Cinquième année de Gryffondor et de Serpentard s'étaient regroupés à leurs tables respectives, comme s'ils s'étaient donnés rendez-vous sans le vouloir vraiment. Ils étaient plongés dans des tas de grimoires poussiéreux empruntés à la bibliothèque de Mme Pince, cette dernière, que le nombre supérieur d'étudiants avait rendu plus irritable encore, ne supportant plus ce débordement d'allers et venues entre ses rayonnages. Elle leur avait par conséquent conseillé de travailler en ce lieu. Le petit moine gras passait de temps à autres entre les tables en rappelant aux élèves que le silence était le meilleur moyen de parvenir à une plus grande concentration, comme il devait jadis se taire lors de ses prières _ quand il était encore en vie _.

Des chuchotements répétitifs comme on en entend souvent quand des élèves lisent et relisent leurs leçons se faisaient également entendre chez les quelques rares autres d'année différente. La grande salle, immense maintenant, paraissait pourtant bien vide. Harry, les cheveux encore mouillés par la douche, s'approcha de sa classe, la majorité présente et séparée en plusieurs groupes de travail. Hermione, la tête cachée derrière Héritiers et Héritières célèbres, claqua subitement son ouvrage sur la table et laissa apparaître l'expression menaçante qu'elle arborait quand on ne respectait pas une promesse concernant le sujet du siècle: les devoirs.

_ Tu as une demi-heure de retard.

Harry s'affala sur sa chaise, épuisé. Le dévisageant lentement, elle reprit plus gentiment:

_ Qu'est-ce qu'ils ont fait de toi?..., murmura-t-elle alors, compatissante.

Harry eut un sourire fatigué mais heureux de sa journée.

_ Ça te va si je te réponds que je n'ai pas eu à affronter Rogue?

Hermione hésitait. Ron, assis à côté d'elle, eut comme un air de surprise retenu.

_ Où est Patmol?, poursuivit Harry en regardant sous la table.

_ Hagrid a tenu à ce que Crockdur et lui fassent plus ample connaissance en les emmenant se promener ensemble, répondit-elle en réprimant un petit fou rire au souvenir. Il ne devrait plus tarder à revenir.

Harry sourit. Sirius devait être ravi de passer un après-midi entier avec un chien qu'on ne pouvait pas tellement qualifier d'animal extrêmement intelligent...

_ Patmol m'a regardée avec ses airs de chien battu mais je n'ai rien pu faire, Hagrid était trop enthousiaste, sourit-elle.

Le jeune homme sourit à son tour, puis sortit de sa chemise Quand la réalité magique rejoint la fiction moldue. Il se saisit d'un parchemin résumant ses recherches sur Merlin (soit pas grand-chose) et entreprit sa lecture. Il voulait d'abord soutirer le maximum d'informations de la bibliothèque de Mme Pince avant de s'intéresser à celle de Serdaigle: après tout, les Cinquième année étaient censés réussir à établir un rapport sans passer par là. Il s'y rendrait probablement pendant les prochaines vacances...

En réalité, Harry passait plus de temps la nuit dans les Potions et les sortilèges que ses compte-rendus. Rogue le surmenait vraiment en matière de connaissances et ceci, sans aucun lien (on aurait pu le croire) avec leur entretien d'avant-banquet. Le professeur ne lui avait certes jamais rappelé leur léger accrochage, mais ne s'arrêtait pas pour autant concernant les insultes habituelles.

_ Perks a eu de la chance, c'est tout, s'entêtait de dire Seamus en recopiant sa dissertation d'Enchantements, non loin d'eux. Davies n'aurait pas du lâcher son attrapeuse pour l'autre équipe de Serdaigle. Le reste de l'équipe était bien meilleur que les Tsunami.

Dean haussa les épaules.

_ On verra bien, peut-être qu'ils sont plus doués qu'on ne le croyait et qu'ils vont gagner leur prochain match, dit-il à voix basse.

La grande salle se faisait aussi silencieuse que la bibliothèque.

_ J'espère pas, grogna son meilleur ami.

_ Tiens, fit Hermione à Harry. C'est le résumé de mes propres recherches sur Morgane. Au cas où tu y trouverais quelque chose qui t'aiderait... ou qui m'aiderait, finit-elle dans un soupir de désespoir.

_ Merci, dit Harry.

Hermione et lui avaient en effet découvert peu de temps auparavant que leurs deux animagi avaient réellement été de grands rivaux en matière de sorcellerie et de caractères. Par voie de conséquence, ils se montraient régulièrement leurs dernières découvertes et liaient leurs impressions. Malheureusement, seul le rayon concernant l'étude des moldus semblait être au courant de l'existence de ces deux figures ancestrales, un comble pour les jeunes apprentis. Et quand on savait que les croyances moldues étaient souvent infondées, leur détermination à continuer leurs recherches s'en trouvait quelque peu affaiblie...

Astrarie bailla. Neville, quant à lui, dormait déjà, le menton reposé sur son col.

_ Les transes amenant à la con-scien-ce su-pé-rieure de s'ouvrir, lit à voix haute et lente Astrarie, comme si elle en éprouvait un besoin capital pour comprendre le sens de ces phrases, l'esprit se trouve déchiré entre plusieurs per-cep-tions du monde qui impliquent parfois des réactions physiques plus que surprenantes...

Elle soupira.

_ C'est de la Divination, ça, si je ne me trompe pas, dit-elle, se révoltant contre le livre innocent.

_ Qu'est-ce que tu étudies?, demanda Harry à la jeune fille.

Astrarie n'avait jamais exposé un faible pour la Divination et n'était certainement pas le genre de fille à perdre son temps là-dessus.

_ Tout et rien concernant encore et toujours notre très cher Gryffondor, répondit-elle, complètement lasse. Ils disent, dit-elle en parlant des auteurs de l'ouvrage, que Gryffondor avait la singulière manie de rrrrrrrouler certaines lettres quand il parlait lors de ses transes. Il paraît qu'il faut passer par ce stade d'état second pour devenir animagus.

Elle ferma son livre d'un coup sec. Harry pensa que si cette manie avait été héréditaire, Krum aurait figuré en tête de liste des héritiers éventuels.

_ Pfff, ce n'est pas ça qui va me faire avancer, conclut-elle, fataliste.

Mais ses camarades savaient très bien qu'elle n'abandonnerait jamais. Elle avait l'air se s'être fixée pour objectif de percer à jour toute la vie de ce sorcier. Son côté paparazzi ressortait comme il le pouvait...

_ Sur la voie spirituelle des plus grands sorciers, lut Hermione sur la couverture du volume de son amie. Mmmh, c'était sûr, ça sent la Divination à plein nez, dit-elle dans le plus grand dégoût en observant les nombreuses illustrations abstraites figurées au-dessous du titre.

_ Ne sois pas aussi dur avec la Divination, Hermione. C'est une science, tu sais, intervint tranquillement Milia, les yeux fixés sur son pendule qui oscillait légèrement au-dessus de ce qui ressemblait, aux yeux de Harry, à un dessin représentatif d'un terrain de Quidditch pourvu d'un grand cercle central.

Le jeune homme songea qu'elle essayait peut-être d'établir des prédictions sur le tournoi.

_ Elle n'offre pas de stupides suppositions comme beaucoup veulent le croire, mais bien plus, continua Parvati, cette fois-ci d'un ton hautain, et retournant elle aussi à l'étude de ses propres oscillations.

Harry perçut un léger "Humph!" sceptique étouffée par son amie.

_ La radiesthésie (ce qu'ils étudiaient actuellement) est un des outils qui permettent de jeter un pont entre l'esprit analytique et l'intuition, commença à expliquer Milia en levant enfin les yeux vers elle. Tu ne manques de logique Hermione, mais tu ne crois pas assez en tes intuitions, trop irrationnelles selon toi. C'est pour ça que tu n'y accordes aucune valeur.

Le jeune homme ne manqua pas de remarquer le petit rouge qui montait aux joues de son amie. Elle détestait faire l'objet d'une étude psychologique. Harry ne la comprenait que trop bien. Milia aimait lire les gens sous tous leurs aspects et ne cherchait nullement à les provoquer: elle ne connaissait tout simplement pas assez Hermione. En voulant la persuader de la beauté de sa passion et en la jugeant un peu trop hâtivement, elle avait simplement commis une erreur de communication.

La jeune rebelle à la Divination, quant à elle, n'aurait pas répliqué si l'air supérieur qu'arboraient les deux autres groupies de Trelawney ne l'avait pas décidé.

_ Je suis fille de moldus, déclara-t-elle alors, à moitié tournée vers Parvati et Lavande. La magie ne m'ait pourtant jamais apparue comme euh... irrationnelle, dit-elle en montrant ainsi combien Milia avait tort. J'ai rapidement accepté son existence. Seulement, les fondements de cette science sont trop... frivoles, ils ne reposent sur rien de sérieux, finit-elle d'un ton suffisant qui entrait en compétition avec la prétention que dégageaient les deux groupies, beaucoup plus irritante que les propos de Milia.

_ Et hum... C'est quoi au juste?, demanda soudainement Astrarie en montrant une curiosité subite à la carte située au-dessous du pendule, son intervention trop abrupte pour qu'elle soit classée comme naturelle.

Elle semblait très embarrassée par la tournure que prenait l'échange des deux filles qui l'encadraient et venait de couper la parole à Parvati. Milia, qui ne souhaitait nullement que le «débat» ne dégénère, même s'il lui démangeait de défendre sa cause, entra maladroitement dans son jeu.

_ Euh... Oh ça, c'est une charte des maisons astrologiques, lui répondit-elle.

La diversion d'Astrarie n'était peut-être finalement pas une si mauvaise idée quand on voyait le teint qu'avait pris Parvati en voulant répliquer. Légèrement vexée, elle déborda cependant aussitôt de fierté et de revanche: celle qui aurait du soutenir "le camp adverse" s'intéressait à l'astrologie.

Mais Hermione, qui connaissait très bien l'indifférence que portait Astrarie à la matière, ne montra aucun signe de frustration. La jeune fille blonde et Milia se mirent à discuter de la lecture et à se prédire l'avenir.

_ Les Serpentard te regardent, dit subitement Ron à l'adresse de Harry, ce premier les observant depuis un petit moment déjà.

Le jeune homme se retourna. Beaucoup, en effet, le fixaient, comme légèrement rageurs. Mais il s'agissait là presque d'une simple habitude. Malefoy et ses acolytes, quant à eux, détournèrent le regard pour simuler une grande concentration scolaire.

_ Grand bien leur fasse, fit Hermione qui avait replongé son nez dans un autre livre.

_ Il veulent certainement connaître l'identité de l'héritier de Serpentard, commenta Ron d'une voix tranquille.

Harry haussa les épaules. Rose arriva à leur table d'un pas vif.

_ Je n'ai pas réussi à trouver Mac Gonagall pour obtenir le droit d'avoir Légendes apocalyptiques des Anciens de la Réserve, annonça-t-elle d'un air abattu en prenant place. Pas moyen d'obtenir la confirmation éventuelle que Gryffondor a été soumis au maléfice du silence sans fin.

Elle en était arrivée à cette conclusion précipitée faute de renseignements utiles à la bibliothèque. Du fait que tous considéraient Gryffondor comme un célèbre Ancien, elle sautait sur chaque ouvrage qui comportait ce mot ou le terme "fondateur". Elle semblait désespérée d'obtenir sa BUSE d'histoire de la magie.

_ Mais où sont-ils donc tous passés à la fin?!, s'exclama soudainement Seamus qui n'avait pas pu trouvé Flitwick non plus afin de lui demander de lui accorder un délai supplémentaire pour la remise de son devoir.

_ Ils se tiennent peut-être en réunion dans le bureau de Dumbledore, suggéra Hermione en haussant les épaules.

_ Non, ils sont partis à Londres, dit Harry en notant enfin quelque chose d'utile sur son parchemin (les animaux préférés de Merlin, ce qui jouait parfois sur la transformation).

Sa phrase attira toute l'attention.

_ Comment le sais-tu?, s'empressa de demander Ron, visiblement curieux. Dumbledore prépare quelque chose?

Son ton direct dérouta quelque peu le jeune sorcier qui sortit de ses livres. Tous trois aimaient émettre des hypothèses sur ce sujet, d'ordinaire, mais préféraient le faire entre eux seulement. Hermione eut l'air de le sermonner du regard pour son manque de prudence. Le garçon roux parut s'en vouloir.

_ Euh...non. Je... j'ai entendu cette rumeur, mentit Harry pour satisfaire la curiosité de ses camarades qui aussitôt détournèrent le regard vers leurs activités.

Il regarda ses amis, leurs yeux toujours sur lui. Il articula "rê-ve" et prit cette attitude qui leur montrait qu'il leur expliquerait plus tard.

Le jeune sorcier se souvenait malheureusement trop bien de sa dernière nuit. Grelottant de la tête aux pieds, il s'était, à son réveil, emmitouflé dans ses couvertures qu'il avait ramené vers lui comme un cocon assurant sa protection. Le noir avait une fois de plus réussi à le gagner... de l'intérieur... un noir sans fin, celui de la nuit suivant son évasion, avec une nature terrifiante, un calme oppressant, et pendant que ses pieds écrasaient l'herbe grasse, invisible, dans une démarche à la fois fatiguée et déterminée, ses pensées l'avaient envahi... Et la détermination dont il faisait preuve le jour l'avait lâchement abandonné en cette nuit qui se perpétuait dans un couloir sombre relatant à chaque détour des images aussi cauchemardesques les unes que les autres, des souvenirs que nul adolescent de quinze ans ne devrait avoir... "Il t'es déjà arrivé de regarder la mort en face, n'est-ce pas? En quoi cela t'as-t-il affecté?", l'éclat brillant des dents en or de Rita Skeeter s'était confondu en celui doré du portoloin, symbole d'un commencement, un raclement de chaises et de tables, une époque nouvelle, et un seul grondement: "Cedric Diggory"..., le monde allait subir un bouleversement irréversible, les gens méfiants, fuyant le Chemin de Traverse, et très loin, Harry continuait toujours de marcher dans ce couloir, ces pas rythmés par l'angoisse, "Vous ne comprenez donc pas?... Voldemort va revenir!", "Complètement fou. De la démence...", une cellule, tellement sombre..., "Je ne m'attendais pas à ce qu'il soit possible que le ministère ne t'envoie à moi sur un plateau", la baguette pointée sur lui, "Je vous préviens, Mr Potter! Si vous continuez, votre situation va empi...", l'injustice se répercutant jusqu'au plafond enchanté, "DANS TROIS JOURS, IL SERA DEJA MORT! Mort! Mort... mort...", les flots de larmes coulant dans la barbe broussailleuse de Hagrid, un homme essayant en vain de percer une baguette pour en faire un instrument, "Tue l'autre", et quand ce serait son tour..., une femme polissait d'autres baguettes, tranquillement, "depuis quelques mois, maintenant, ma nouvelle cible... c'est toi", pas cette nuit..., "Chéri, passe-moi le pot de peinture numéro vingt-six, s'il te plaît", "NON! Pas là-bas! Pas lui!", un bruit de scie coupant du bois, les dents de cette scie le heurtaient parfois avec fragilité, elle se faisait vieille..., clac, clac, clac, la jambe de bois de Maugrey, "sit... pro ratione... voluntas", clac, clac, clac, les pas lents de Voldemort montant les marches de la maison des Potter, "sa mère est morte en voulant le sauver et, sans le vouloir, elle lui a ainsi assuré une protection que je n'avais pas prévu...", une respiration exténuée, "In hoc signo... vinces...", "...sans le vouloir...", elle le savait..., clac, clac, clac, les ongles créant la musique inquiétante des barreaux de la cellule, "Oh! Saleté de scie, elle est complètement morte maintenant!", des pas s'approchant de la demeure, clac, clac, clac, les secousses du chariot sur les pierres du chemin menant à Azkaban, et dans un dernier élan: "Vae soli!", "Pas ça! NOOON! Pas...", les bruits de la jambe se confondant à des tapes contre une porte d'entrée, cla... Pan! Pan! Pan!

Ses battements de coeur avaient reçus comme trois secousses à faire sortir l'organe de la poitrine. Et le corps du jeune homme s'était brusquement détendu, un repos nécessaire mais éphémère. La scène s'était éclaircie. Des morceaux de bois polis avaient, en ce début de nuit calme, amusé un moldu collectionneur d'objets étranges, sa femme les reliant pour en créer de drôles d'instruments africains. Ce bonheur modeste, que l'on retrouve souvent au coeur des foyers de Londres, avait subitement laissé place au froid, à la sensation qu'on allait à tout jamais perdre l'envie de rire, comme le disait lugubrement Ron. Harry s'était senti fiévreux, de plus en plus réceptif à l'horreur de ses cauchemars. Il était déjà tellement fatigué... Le repos pouvait-il s'avérer aussi épuisant? Roulé en position foetale pour garder le peu de chaleur impuissante face à son corps gelé, il s'était inconsciemment agrippé aux poutres voisines supportant les rideaux du lit à baldaquin, comme pour se raccrocher à une réalité qui lui échappait.

Et cette fois-ci, les actes meurtriers s'étaient déroulés sous ses yeux, non dissimulés dans une grotte quelconque, à l'abri du regard de Voldemort. Ils n'avaient rien compris, les innocents, les bienheureux ignorants. Le "Qui êtes-vous?" avait surgi à l'intrusion illégale des hommes noirs, la colère faisant place à l'étonnement en apercevant des morceaux de bois identiques aux leurs se lever vers eux ("Des vendeurs?"). L'appréhension voilait néanmoins leurs visages. Comment ne pas percevoir le flagrant pressentiment? Comment pouvait-on rester tranquille face à l'entrée soudaine d'inconnus encapuchonnés dont l'un d'eux avait un regard de braise à pétrifier les géants? "A l'aide! Est-ce que quelqu'un m'entend? Aidez-moi! Je suis prisonnier, au secours!" Mais eux ne s'étaient pas débattus, pas comme il l'avait fait, bien avant cette nuit...

Le sourire cruel s'était dessiné sur les lèvres minces, diaboliques, les silhouettes des monstrueuses créatures servant de garde avaient bouché les entrées du domicile convivial, et le couple les avait regardé, trop interloqué pour trembler. La bourrasque verte seule avait réussi à les faire crier.

Les jointures des doigts de Harry devenues blanches, le jeune homme avait serré le bois de son lit avec désespoir et effroi. Un cri inaudible lui avait été arraché de sa gorge suppliante, le torse relevé du lit comme dans un électrochoc. L'éclair, ce fameux éclair annonciateur de mort, lui avait brûlé chaque parcelle de sa cicatrice. Ses draps s'étaient ennoués, on ne savait comment, et avaient violemment été projetés sur le sol par les débattements interminables de ses jambes. De la sueur froide avait tâché l'oreiller, son pyjama s'était froissé et avait été tiré en tout sens, à la limite du déchirement.

Cette quasi imitation de possession du diable avait eu lieu au beau milieu des ronflements naïfs de ses camarades plongés dans un lourd sommeil. "Non...", avait murmuré d'une voix sans timbre le moldu avant de sombrer dans le repos éternel, ses yeux bleus demeurant ouverts, tournés vers le corps inerte de sa femme.

Les prises s'étaient alors relâchées, les bras étaient tombés, du cri, la bouche était passé au souffle, calme et lent. Le corps retombé sur le lit dépourvu de couvertures, le supplice avait cessé. Pour un spectateur qui l'aurait accidentellement observé en cette douce nuit, Harry aurait apparu comme un adolescent passant de l'agonie sans fin à la mort délivratrice.

_ Harry? Harry?

Le jeune homme releva les yeux. Ron le tirait de ses pensées. Hermione, auparavant assise à côté du garçon roux, s'était levée pour emprunter d'autres livres posés plus loin sur la table.

_ Quoi?, demanda-t-il dans le même chuchotement avec lequel son ami l'avait discrètement appelé.

_ Est-ce qu'on pourra partir, d'ici un quart d'heure? Il faut absolument que je te montre quelque chose, dit-il dans un regard insistant.

Harry fronça les sourcils et se demanda si sa sollicitation avait un lien quelconque avec les Serpentard qu'il avait auparavant fixé. Hermione revint et Ron reprit un air décontracté. De toute évidence, il ne voulait pas mêler Hermione à cette affaire. Il continua de le regarder en l'attente d'une réponse. Harry hocha la tête, bien que l'inquiétude se fit sentir en lui. Que voulait lui montrer Ron qui exigeât un rejet complet de leur amie?

Le garçon roux eut l'air soulagé par l'acquiescement de son ami et reprit sa lecture. Harry mit de côté ses interrogations qui, de toute façon, ne tarderaient pas à trouver une réponse. Ces sourcils restèrent froncés.

_ Les centres vitaux d'énergie magiques sont en principe yang, soit positives. Des rayons d'énergie yang partent de ce centre tels que des capillaires et se diffusent du subconscient à la conscience supérieure, du bout des doigts à la tête, bla bla bla bla bla, finit Rose dans sa lecture, ivre de ses devoirs. Ouais, je ne sais toujours pas comment utiliser ça, moi, dit-elle en montrant son pendule du doigt.

_ Tiens-le comme ceci, répondit Milia, patiente. Il t'indiquera où se situe ton centre magique...

Rose soupira mais consentit à l'écouter.

_ Dommage qu'on n'apprenne pas tout de suite à le détecter en Cours de Défense contre les Forces du Mal, ça m'aurait épargné ce problème... Je n'y comprends rien!, explosa-t-elle en feuilletant rageusement son ouvrage à la recherche d'une explication sur les oscillations étranges de son pendule.

Cette fille avait réellement besoin de faire du Quidditch, pensait Harry. Son trop plein d'énergie la rendait souvent hors-contrôle.

_ Tu ne devrais pas le faire ici, conseilla subitement Hermione à Rose. Ce n'est pas bon que quelqu'un sache où ton centre se trouve...

Milia arbora une petite expression triomphale qui disait "Tu y crois donc un peu mais tu ne veux pas l'admettre". Cependant, Hermione s'empressa de rajouter:

_ Ce n'est pas parce que Trelawney a de mauvaises méthodes que tu n'as peut-être pas un don.

Elle défendait sa position de non-croyante aux pratiques de la vieille chouette aux lunettes trop grandes pour elle de toutes ses forces.

_ Un don?!, répéta Rose, incrédule. En Divination?! Jamais je ne réussirai quoi que ce soit en cette matière, crois-moi!, dit-elle en hochant lentement la tête. Même l'hypnose n'a pas réussi à me faire baisser les paupières!

_ Le pendule a réussi à m'hypnotiser, coupa Harry sur un ton désespéré.

Ses camarades eurent un petit rire.

_ Voilà Patmol, annonça Hermione en regardant vers l'entrée de la grande salle.

Harry et quelques autres têtes se retournèrent. Le chien noir, d'une démarche trottinante, se dirigeait vers eux. Le jeune sorcier sourit et Patmol posa ses deux pattes avant sur la table en guise de "Rebonjour tout le monde!". Harry lui frotta gentiment la tête.

_ Alors, cette promenade avec Crockdur?, demanda Hermione d'un air malicieux.

Patmol fit mine de grogner dangereusement. La table éclata de rire. Le moine, volant non loin d'eux, fronça des sourcils qui se relâchèrent aussitôt. Ce fantôme ne résistait généralement pas à la bonne humeur des élèves.

_ Je crois que ton chien comprend parfaitement qui est Crockdur!, dit Seamus d'un ton joyeux.

Patmol s'élança sur le banc et se coucha à côté de Harry, comme s'il méritait bien un peu de tranquillité après cette après-midi ennuyante. Harry et les autres retournèrent à leurs ouvrages.


Le débouché du sentier menait à la source de l'Oeil, un lac ainsi nommé parce que, par les beaux jours, le ciel se reflétait à la surface de la vasque qu'elle s'était creusée dans le sable et le fin gravier, et elle prenait alors la ressemblance d'un grand oeil bleu entre des cils de menthe et de myosotis...


Le jeune homme referma son nouvel ouvrage. La description des petits paradis créés par Merlin ne lui serait d'aucune aide pour la découverte de son animagus. Patmol, qui avait fermé les yeux, les rouvrit et releva la tête, son attention éveillée. Harry l'observa. Le chien noir inspirait fortement l'air, comme s'il y trouvait quelque chose d'intriguant. Il bougea légèrement la tête dans différentes directions et continua de sentir les odeurs, la curiosité le poussant. Il s'arrêta, les yeux sur un Ron abandonné à son livre. Patmol cligna des yeux et réinspira plusieurs fois de suite. Harry regarda à son tour son ami, étonné par la réaction du chien. Puis il eut comme un pressentiment. Calmement, il jeta un coup d'oeil à sa montre. Il eut très vite la preuve d'une révélation qu'il se refusait inconsciemment de croire depuis un petit moment. Heureusement, son esprit légèrement embrumé par les devoirs l'empêcha de commettre une bêtise en agissant impulsivement.

Nerveux, Harry se saisit alors de sa chemise et y appela intérieurement la carte du Maraudeur.

_ Ah, ah!, s'écria Rose victorieusement.

Son pendule s'était mis à osciller de manière régulière. Milia poussa à son tour un petit cri de joie.

_ On va gagner notre prochain match! Les astres nous sont favorables, dit-elle dans un grand sourire à l'adresse de Lavande.

_ Hermione, coupa alors Harry en se levant discrètement, une lueur étrange animant son regard, je crois avoir découvert quelque chose sur Morgane. Ça te dit de vite vérifier à la bibliothèque?

Il était parfaitement réveillé maintenant. La jeune fille acquiesça de joie. Ron lui lança un regard significatif.

_ Je reviens vite, lui dit-il dans un ton qui se voulait maîtrisé. Patmol, tu viens?

Le chien sur les talons, Harry entraîna non sans un empressement évident une Hermione étonnée par la main hors de la salle, sous le regard amusé de ses camarades. Une fois cachés d'eux, il s'arrêta et fit brusquement volte-face. Son coeur battait de plus en plus vite.

_ Harry, qu'est-ce que tu...

_ Hermione, il faut que tu arrives à contacter les professeurs, la coupa-t-il soudainement. Passe par Trelawney, Tambouille, Binns... n'importe qui mais il faut qu'ils reviennent. Leur enquête sur les morts se fera plus tard.

Son amie eut l'air interloqué.

_ Pourquoi? Que se passe-t-il?, demanda-t-elle, cette fois-ci un peu apeurée par le sérieux de Harry.

Elle semblait s'être intellectuellement arrêtée sur "enquête de morts". Le jeune sorcier regarda discrètement dans la grande salle.

_ Nott, enfin son fils, a pris l'apparence de Ron, expliqua-t-il en se retournant vers elle. Patmol l'a senti et je l'ai vu sur ma montre, justifia-t-il pour s'épargner un souhait de certitude.

L'animagus eut l'air pressé d'agir. A l'évidence, il avait su que Ron n'était pas Ron mais n'avait pas reconnu le "possesseur" de l'odeur. La révélation lui donnait la bougeotte. Hermione, estomaquée, commença à porter sa main devant la bouche puis, comprenant les enjeux de la situation, la rabaissa subitement.

_ Et Ron?, dit-elle d'une voix empreinte d'inquiétude.

_ Je ne sais pas. Il n'est pas dans la grande salle, c'est certain. Je n'ai pas non plus réussi à le localiser sur la carte, le château est bien trop grand. Et le temps que je passe tous ses chemins en revue..., dit-il en déglutissant un peu difficilement. Il vaut mieux se dépêcher et prévenir les professeurs.

Après tout, il était peut-être simplement endormi... Il y eut comme un silence poignant. Il s'agissait d'enfants de mangemorts qui ne recourraient jamais aux méthodes douces.

_ Pourquoi a-t-il fait ça?, murmura-t-elle alors gravement.

Elle parlait de Nott, sans aucun doute. La voix de Harry s'enroua. Il connaissait la réponse et elle ne lui plaisait pas du tout.

_ Il voulait m'emmener... quelque part.

La culpabilité revint au galop. En deuxième année, ça avait été Ginny, en Juin dernier, Cedric, et aujourd'hui, Ron. Qui serait-ce à l'avenir?

Son ami avait été ciblé pour une unique simplification d'équation, il était une autre personne considérée comme sans importance, un pion, pour en arriver à lui. Un voile se posa sur son regard alors que la jeune fille avait le sien baissé, réfléchissant à la situation encore toute nouvelle pour elle.

_ Patmol va m'aider à trouver quelqu'un, d'accord, se résumait-elle. Mais toi?

_ Je reste avec Nott. Je n'irai nulle part avec lui, rajouta-t-il pour la rassurer. Vas-y, Hermione.

Son amie eut l'air d'hésiter, prise dans un dilemme, puis hocha la tête en signe d'acquiescement et commença à partir avant de brusquement se retourner et de pointer vers lui un index accusateur alors que Harry allait revenir dans la grande salle.

_ Surtout, dit-elle en s'attirant l'attention du jeune homme, ne prend aucun risque, finit-elle tout en sachant que le danger que représentait Nott était assez faible.

Harry sourit et hocha la tête avant de disparaître de sa vue. Fixant maintenant l'imposteur, il souffla un bon coup, se saisit de sa baguette, la main dans la poche et marcha vers lui, se contrôlant du mieux qu'il pouvait. Déjà, il se sentait partager entre deux choix décisifs: le forcer à lui révéler la position et l'état de son ami ou attendre patiemment la prise en main des professeurs, une attitude peut-être plus raisonnable. Autour de lui, les élèves continuaient de parler à voix basse de leurs devoirs et autre.

_ Oh!, s'exclama subitement un Poufsouffle exaspéré qui sortit Harry de sa nervosité naissante. Tu pourrais pas faire attention! Ton encrier a tâché ma robe!

_ Oh, c'est pas grave... Du noir sur du noir..., tenta de relativiser son camarade fautif, endormi par sa lecture.

Le jeune sorcier continua d'avançer d'un pas indécis, parfois assuré, rageur, parfois calme mais trompeur. En toisant Nott, il se reprochait intérieurement de ne pas avoir vu plus tôt sa comédie. "Comment le sais-tu? Dumbledore prépare quelque chose?". Les différences de comportement entre le vrai et le faux lui sautaient aux yeux à présent. "Les Serpentard te regardent. Ils veulent certainement connaître l'identité de l'héritier de Serpentard". Ruse et appel d'information. Fotts et Malefoy..., se résuma-t-il. "Est-ce qu'on pourra partir, d'ici un quart d'heure? Il faut absolument que je te montre quelque chose..."

Il serra plus fort sa baguette, comme atteint d'une puissante démangeaison. Faîtes que Ron n'ait rien..., pria-t-il intérieurement avant de s'installer et de commencer à "jouer" un rôle à son tour. Dean éclata de rire alors que son ami lui chuchotait quelque chose dans l'oreille. Harry essaya de se détendre: il ne connaissait pratiquement rien de Nott junior, excepté qu'il était plus discret et réservé que Malefoy. Il ne savait que son niveau scolaire, connu comme moyen en général, médiocre en Potions et assez bon en Soins avec Créatures Magiques.

Calme, il ne relâcha pas sa baguette.

_ Tu as abandonné Hermione à mi-chemin?, demanda alors Seamus en étirant un petit sourire.

Harry détacha son regard de "Ron" pour répondre.

_ Elle n'a eu besoin que de ce que je lui ai dit finalement..., répondit-il maladroitement. Je crois qu'elle n'a pas besoin de moi pour le reste.

Il haussa les épaules d'un air qui se voulait dégagé et refixa l'imposteur malgré lui. Le jeune sorcier se retenait vraiment de ne pas le prendre par le col pour lui crier où était Ron. Nott avait une attitude si décontractée... Le sérieux qu'il accordait à sa lecture le trahissait quelque peu cependant. Harry se sentit incapable de ne rien faire.

Il se retourna vers les Serpentard. Malefoy et ses acolytes redétournèrent leur regard de lui, comme dans une mauvaise comédie. Malefoy devait être l'auteur de la potion. Nott l'aurait faite exploser. Les deux fils de mangemorts n'avaient pas mis longtemps à se décider quand on savait qu'il fallait un mois pour la préparation et que la pleine lune avait eu lieu... il y a quelques temps... lors de sa visite avec les sirènes...

Refaisant face à Nott, le jeune Gryffondor se mit à taper ces doigts sur la table dans une geste répétitif et impatient. Une aiguille de sa montre oscillait toujours entre «en danger non immédiat» et «en salle de cours», oui mais quelle salle de cours...

_ Que veux-tu me montrer tout à l'heure, Ron?, lui demanda-t-il alors subitement en repoussant le dégoût dans sa voix.

Hermione, dépêche-toi...

Nott leva les yeux et prit un air neutre.

_ Oh... Hum, une sorte de surprise, hocha-t-il de la tête. Tu verras, ça vaut le coup d'oeil..., tenta-t-il de sourire.

Harry eut les traits du visage qui se contractèrent légèrement et remercia intérieurement Ollivander d'avoir créé des baguettes aussi solides ou la sienne n'aurait pas vécu longtemps, son poing la serrant avec une colère croissante. Il souffla un peu pour mieux se contrôler et se racla la gorge.

_ Si, si, je t'assure, murmurait Parvati à Lavande en gloussant. Je les ai vus ensemble derrière la haie...

_ Et... Nous devons vraiment nous y rendre d'ici quelques minutes?, poursuivit Harry le plus innocemment du monde, l'air presque flegmatique.

_ Oui, dit Nott d'un ton direct gouverné par la nervosité mais qu'il voulait rendre insistant. Sinon, tu manqueras tout.

_ Bien, fit Harry qui continuait toujours de taper discrètement ses doigts sur la table, l'air ailleurs. Pourquoi?

L'imposteur eut un léger rire devant l'obstination de son "ami" à poser des questions.

_ Mais parce que c'est une surprise..., sourit-il.

_ Bien sûr, dit un Harry tout à fait compréhensif.

S'ils y allaient seuls, ils pourraient toujours avoir un petit règlement de compte loin de tous... Les effets du Polynectar s'évanouiraient durant leur tête-à-tête et... aucune preuve ne pourrait être retenu contre Nott. L'esprit de Harry s'opposa sévèrement à ce dénouement de situation. Nott devait être expulsé de l'école. Une décision dure mais nécessaire. Malefoy, lui, resterait impuni, aucune preuve ne pouvait être portée contre lui. Pourtant, Harry n'était pas prêt de continuer à recevoir des menaces régulières d'élèves en plus de celles de Voldemort. Il allait lui aussi simplifier ses équations...

Le jeune homme mima une attention soudaine à la table des Serpentard.

_ Tu crois qu'ils trouveront un jour qui est l'héritier?

Nott eut l'air de le maudire de l'interroger autant, ce qui pourrait le trahir, puis de le bénir (ou presque) de les renvoyer sur ce sujet.

_ Ils sont mal partis, répondit-il en simulant de les détester. Et toi, qu'en penses-tu?

_ Ils perdent leur temps, c'est évident.

_ Ils viendront peut-être te le demander..., dit Nott alors qu'il semblait jurer intérieurement sur la fatalité de leurs recherches.

_ Ils ont trop de fierté pour ça, commenta de suite Harry d'un air dégagé. Ils ne viendront jamais.

_ Mais si c'était le cas?, suggéra Nott à voix basse.

Harry se pencha vers lui et murmura:

_ Qu'ils ne comptent pas sur moi pour leur dire.

L'imposteur parut enrager mentalement. Harry ne le voyait que trop bien malgré la grande performance d'acteur de son "camarade". Il sourit, comme si lui et Ron avaient pour habitude de se délecter des malheurs des Serpentard, et Nott dut sourire aussi. Il mima une concentration sur son livre.

_ Et voilà, un autre livre qui m'aura uniquement fait perdre mon temps aujourd'hui, soupira Astrarie en posant un ouvrage sur une pile précédemment construite. Ron, tu peux me prêter l'exemplaire que tu as pris hier, s'il te plaît?

_ Euh... je ne l'ai pas ici, répondit maladroitement le concerné.

Il fixait Harry d'un air hésitant. Finalement, il parut vouloir oser quelque chose et se pencha un peu vers lui. Astrarie, déçue, réfléchit à son prochain choix de volume.

_ Tu sais... Harry (le Potter s'avalait mal...), tu ne devrais pas garder autant de secrets.

Le jeune homme prit un air étonné devant le conseil soudain.

_ Ben oui..., risqua Nott. Ca... Azkaban..., énuméra-t-il avec une anxiété grandissante, encourageant Harry à lui en dévoiler davantage.

Maintenant que le dialogue s'était instauré, le double jeu devenait subtil. Harry vit immédiatement où il voulait en venir: ce dont il redoutait depuis son retour de la prison et qui avait été la cause de son silence.

_ Je ne dirai jamais comment je me suis évadé d'Azkaban, il y a trop de facteurs en jeu.

_ Seamus, est-ce que tu as ton..., avait commencé plus loin Astrarie. Euh, non, c'est pas grave, je vais faire autre chose, finit-elle avant de tendre l'ouïe vers les deux garçons.

Nott semblait le dévisager et Harry n'aimait pas ça. Les camarades qui laissaient toujours traîner une oreille vers les conversations des autres eurent leurs regards subitement et non moins discrètement tournés vers eux.

_ Quels facteurs?, questionna Nott qui cachait avec un peu de mal sa peur d'être découvert.

Harry adopta l'honnêteté. En même temps, il sut que la vérité devrait être rapidement dévoilée. Il répondait à des questions mais ne recevait aucune information sur eux. La situation actuelle ne lui était aucunement utile. Hermione, il faut vraiment que tu te dépêches...

_ C'est simple, s'accorda-t-il de dire. Imagine que je le dévoile, ne crois-tu pas que les mangemorts recourraient à cette solution si jamais on réussissait à les emprisonner? Ne crois-tu pas que tous espèrent le savoir et ainsi éviter les barreaux?

Instantanément, "Ron", derrière son masque impassible, parut irrité par cette indirecte énonciation de son père enfermé... quelque part. Seamus hocha la tête d'acquiescement, un signe destiné à lui-même seulement...

_ Ooui, accepta d'admettre Nott en se raclant la gorge. Mais à tes amis, tu peux, fit-il remarquer avec une pointe d'espoir.

_ Non, rétorqua Harry en simulant une lecture pas très attentive de son parchemin. Le Polynectar serait dans ce cas une trop facile solution d'approche et d'espionnage.

Les tâches de rousseur de Nott furent un tantinet plus visibles à mesure que son visage palissait. Le jeune Gryffondor ignora ses réactions, tout comme celles de ses autres camarades, désormais très attentifs à leur échange. Astrarie avait discrètement abandonné toute lecture. Harry laissa Nott comprendre qu'il connaissait déjà tout sur la potion en question. Le jeune homme replia son parchemin et le rangea. Hermione... désolé. Il regarda alors son «ami» dans les yeux sans ciller.

_ Mais heureusement que nous sommes capables d'identifier immédiatement les imposteurs, n'est-ce pas Ron?

Le verdict était tombé. Nott commença à se lever, très vite. Il devait partir. Tout se produisit alors en un éclair. Nott voulut se saisir de sa baguette, parfaitement conscient que Harry l'avait découvert, la lueur de colère dans ses yeux verts indiscutable. Harry passa sa main gauche sous la table et attira à lui la baguette de Nott et de sa main droite, pointa la sienne entre les deux yeux de l'imposteur, l'arme ne tremblant pas. Nott était plus livide que la mort. Il se rasseyèrent, lentement, ce dernier n'ayant pas eu le temps de se lever et obligé de suivre le mouvement de la baguette de Harry. Des cris et des chuchotements apeurés retentirent alors dans la grande salle.

_ Harry, qu'est-ce que tu fais?!, s'exclama Astrarie en imitant ses camarades qui reculaient d'un coup.

Neville, entendant de ses nuages une augmentation de volume dans les conversations, ouvrit un oeil, puis les deux de stupeur. Il tomba à la renverse avant de s'écarter d'eux, tout comme les autres.

_ Maintenant, tu vas me dire où-est-Ron?, s'insurgea le jeune homme avec une voix à faire trembler les élèves.

_ Hey, hey, hey! Du calme!, s'exclama cependant Dean en faisant quelques pas en arrière.

Des Septième année furent prompts à réagir: ils sortirent leurs baguettes. Il était clair que, pour eux, le Survivant avait perdu la tête. Et en tant que Seniors de l'école, il leur incombait la tâche de faire maintenir l'ordre en l'absence d'adultes. Le moine gras disparut à travers les murs, parti chercher de l'aide. Astrarie répétait dans un murmure suppliant "Il est là, devant toi, il est juste là...". Nott était comme pétrifié.

_ Potter! Pose ta baguette!, ordonna un Poufsouffle de Septième année avec un petit tremblement dans la voix alors que ses trois camarades l'encerclaient.

Le nombre d'alliés le rendait plus courageux. Le jeune homme réagit aussitôt assez violemment devant sa bravoure factice.

_ Je ne suis pas victime d'une crise de démence, Omski! Les baguettes, c'est sur lui qu'elles doivent être pointées!, fulmina-t-il en les maudissant de le freiner ainsi. Et toi, dis-moi où est Ron!

Les Septième année parurent un peu perdus dans les décisions à prendre dans une pareille situation. Nott demeura silencieux, conscient qu'il avait peut-être une chance finalement de partir grâce à la gêne des élèves sur Harry. Il frémissait cependant de terreur. Ce garçon était un curieux mélange de courage et de lâcheté. Un Gryffondor assis plus loin répétait avec anxiété des prières moldues, les yeux fermés fortement.

_ Potter, dit un autre Septième année blond en baissant le ton, pose ta baguette. Pour l'instant, tu peux encore t'en sortir mais si tu...

_ Alors?, coupa Harry dans sa menace à l'adresse de Nott.

L'imposteur évalua l'assurance du jeune sorcier qui ne se sentait nullement prisonnier des autres gens qui l'encerclaient. Harry enrageait pour la perte de temps qu'ils lui imposaient. Cependant, les Septième année n'osaient faire un mouvement vers le Cinquième année qui, malgré leurs baguettes dirigées vers lui, les ignorait. Le jeune sorcier jouait pourtant beaucoup et pour la première fois de sa réputation et de la peur qu'elle faisait naître chez les gens. Dean lisait tous les regards avec appréhension.

_ Dans l'armoire de Flitwick, celle du premier étage, répondit «Ron» avec une voix empreinte de peur et de haine.

Il n'acceptait pas cette mise en échec. Elle avait été totalement imprévisible. Harry baissa un peu sa baguette. Les Septième année baissèrent complètement les leurs, abasourdis par les propos de ceux qu'ils qualifiaient auparavant de "victime".

_ Dans quel état?, demanda Harry dans un ton cette fois-ci empreint d'inquiétude.

_ Inconscient... pour peu de temps, s'empressa d'ajouter l'imposteur en voyant la colère brillée dans les yeux verts de son adversaire.

Un silence tomba dans la salle.

_ J'y vais, annonça alors Astrarie à Harry. Je vais appeler les infirmières.

Et elle sortit de la salle en courant. Ses pas furent mêlés à ceux d'autres élèves qui essayaient de sortir en douce.

_ Malefoy, Crabbe et Goyle, vous restez ici! Ron n'a pas besoin d'être déplacé ou de subir un sortilège de confusion, dit alors froidement Harry en tournant légèrement sa tête.

Le bruit des pas stoppa. Le jeune sorcier sentit qu'ils allaient répondre. Avec Nott de leur côté, ils réfléchissaient à un possible retournement de situation à défaut d'avoir perdu tous les autres atouts (Ron et Nott ne pourraient échanger de place dans une diversion, le garçon roux ne pourrait perdre la mémoire...). Harry posa la baguette de l'imposteur sur la table, mise en évidence, la main à plat dessus.

_ Et les tours de passe-passe fonctionnent aussi à distance, ajouta-t-il comme avertissement alors que tous constataient que Nott était désarmé.

Les trois Serpentard ne firent plus un geste, se remémorant trop bien l'entrée miraculeuse du jeune homme avec en mains, la baguette de Fudge. Ils n'étaient en outre pas assez idiots pour défendre ouvertement un des leurs qui était, de toute évidence, perdu.

Omski fit un pas en avant, à la fois effrayé et résolu.

_ On fait quoi, maintenant?, demanda-t-il à Harry, comme pour s'excuser de son attitude précédente.

_ Les professeurs ne vont pas tarder, dit Harry d'une voix normale toujours avec une pointe de colère envers l'imposteur. On attend.

Les élèves regagnèrent un semblant de respiration calme. Les Septième année se rasseyèrent, un peu plus loin de Harry, leurs yeux posés sur Nott. D'autres restaient là, à observer, à attendre. Seamus, toujours debout, quelques mètres derrière Nott, regarda Harry.

_ C'est, c'est pour quoi au juste?, demanda-t-il maladroitement au jeune sorcier. Pourquoi tout ça?

La complexité de la mise en scène et son objectif lui échappaient entièrement.

_ Pour... pour se venger, j'imagine, répondit Harry en quête d'un acquiescement éventuel de la part de Nott, essayant de déchiffrer ce qui se passait en ce moment dans sa tête.

Seamus plissa les yeux d'incompréhension. Le jeune imposteur eut la mâchoire qui se crispa.

_ C'est bien toi alors qui l'a fait prisonnier, dit-il au milieu du silence.

Personne n'osa le faire taire, avide d'en savoir plus. Harry ne dit rien.

_ Je m'en doutais, Dumbledore n'en a rien dit mais je le savais.

Il contemplait Harry, les baguettes rangées dans sa robe, avec un regard féroce. Il n'en était pas moins en position de vaincu. Quelque part, Nott faisait toutefois preuve d'un courage supérieur à celui de Malefoy en retrouvant sa langue. Les élèves commençaient à se poser de sérieuses questions.

_ En tout cas, tu étais au courant de quelque chose quand tu as dit que Karkaroff était mort.

Harry ne dit toujours rien, comme stoïque. Nott partit dans un petit rire incrédule et eut l'air de marmonner un "J'y crois pas". Le jeune Gryffondor, quant à lui, trouvait réellement étrange de voir "Ron" dans cette attitude qui n'aurait pu être plus éloignée de la sienne. Dean ne semblait pas avoir retrouvé le bouton «fermer la bouche» depuis qu'il savait que Ron n'était pas lui.

A nouveau plongés dans le silence, l'imposteur questionna froidement:

_ Pourquoi as-tu fait ça?!

Harry ne fit même pas semblant de ne pas savoir de quoi parlait le Serpentard. Question stupide, réponse stupide.

_ Dumbledore ne t'a pas raconté ce que ton père projetait de me faire?, répliqua-t-il avec un soupçon de colère.

Nott s'abstint de répondre. Il le savait parfaitement. L'imposteur dévisagea Harry, lentement, et reprit:

_ Mon père aurait du réussir, murmura-t-il alors en hochant la tête. Il aurait du... Il avait tout prévu. Le moment, le mobile, la calèche... tout.

Ses yeux étincelaient de frustration. Il regarda ailleurs, indifférent à l'attention qu'on lui portait.

_ Et j'ai fait de même. J'avais tout organisé. Mon père aurait été fier de mo...

Il crispa soudainement sa mâchoire sous l'effet de la douleur. Harry appuyait sa baguette sur son front, d'où des étincelles rouges, inoffensives, se répercutaient. Le jeune homme bouillonnait de rage. Ces sentiments fondés sur le plaisir de sa mort le rendait incontrôlable. Dean déglutit difficilement.

_ Il t'aurait remis une médaille?!, explosa Harry. Un magnifique crâne avec une langue de serpent derrière lequel aurait été écrit "de la part de ton père qui t'aime"?!

Il n'attendit aucune réponse.

_ Bien sûr!, continua-t-il sarcastiquement. Quoi de plus noble comme raison pour me, pour me livrer à son maître?!

Le jeune homme tremblait de rage. L'atmosphère était tendue à l'extrême. Nott soutint son regard avec insolence.

_ Je-te-rappelle que tu-as-fais incarcérer mon père!, répliqua-t-il avec tout le courage qui lui restait.

Son corps frissonnait pourtant de peur. Cette raison, amplement suffisante pour Nott, révolta Harry.

_ Ton père, il y a quatorze ans, était lâchement caché sous une capuche en train de se délecter du meurtre du mien!, s'insurgea-t-il, chaque mot dit de plus en plus fort, les yeux plus verts que jamais, la baguette crachant désormais des étincelles inoffensives en abondance sur le front du faux Ron.

_ Harry!

Dumbledore arrivait à grands pas dans la salle, suivi de Mac Gonagall et de Rogue. Le jeu était terminé. Le moine était également revenu, survolant les élèves de quelques mètres. Hermione était déjà entrée, analysant rapidement la situation. La grande salle était muette.

_ Harry, baisse ta baguette, ordonna tranquillement Dumbledore.

Mais Harry n'obéit pas, pas tout de suite, pas maintenant. Il contemplait un visage, pourtant si proche de celui d'un ami, avec le plus grand dégoût. Nott le fixait toujours et il ne le supportait pas. Harry perçut alors un petit gémissement suppliant, près de lui, et une patte qu'il sentit se poser sur sa jambe. Il détourna les yeux. Patmol, de son regard le plus implorant, lui demandait silencieusement d'arrêter. Lui qui avait été un jour retenu dans sa folie meurtrière ciblant Queudver par son filleul lui demandait aujourd'hui de baisser son arme.

Harry regarda Nott à nouveau et vit qu'il le fixait toujours. L'envie de lui hurler dessus le démangeait au plus haut point. Les regards du Directeur et de Patmol se firent plus oppressants. Il ne dit rien.

Harry reposa son bras sur la table, convaincu d'une lâcheté inexpliquée qu'il venait de manifester, et Dumbledore s'approcha de l'imposteur.

_ Mr Nott, veuillez avoir l'obligeance de me suivre, dit-il d'une voix stricte.

Le Serpentard se leva et le suivit, Rogue derrière, l'encadrant. Mac Gonagall les observait, à la fois effarée mais dure quand ses yeux se posèrent sur Nott. Des murmures s'élevèrent de partout. Étrangement, Harry, en les regardant partir, se sentit comme le méchant de l'histoire. Celui qui aurait arraché un père à son enfant puis qui condamnait ce dernier... Deux êtres qui souhaitaient pourtant sa mort... Dumbledore lui jeta un dernier coup d'oeil au-dessus de ses lunettes en demi-lunes avant de disparaître. Seamus souffla. Hermione s'avança vivement vers le jeune Gryffondor.

_ Harry, est-ce que ça va?

Le jeune homme releva les yeux et vit Mac Gonagall venir derrière son amie. Sans préambule, elle leur dit:

_ Suivez-moi.

Ils passèrent devant un Neville qui ne les lâchait pas des yeux et s'arrêtèrent devant elle, près de la petite salle du fond et loin des oreilles indiscrètes.

_ Mr Weasley se repose actuellement à l'infirmerie, renseigna-t-elle alors à voix basse. Mme Pomfresh lui a administré une potion contre le mal de tête. Il a été victime d'un Pierrocrasus, un sortilège d'emplâtrage, et vous pourrez lui rendre visite dans un petit moment.

C'était ce qu'elle avait pensé primordial à dire dès le début. Hermione soupira de soulagement.

_ D'autre part, le courrier des enfants de mangemorts que vous nous avez cités sera discrètement surveillé à présent. L'heure des reçus sera déplacée, le temps pour nous de contrôler les colis. Je dois avouer que je pensais que ces élèves ne joueraient aucun rôle dans les desseins de Vous-Savez-Qui...

Elle parut profondément désolée, probablement trop confiante et persuadée que les prochaines générations suivraient de bons choix. La jeune fille eut comme un regard indulgent envers son professeur préféré. Enlevant ses lunettes rectangulaires qu'elle tint en mains, Mac Gonagall se sentit toutefois dans l'obligation de tenter une justification.

_ Les tactiques employées depuis le retour de Vous-Savez-Qui sont différentes et nouvelles de celles que nous lui connaissions, expliqua-t-elle avec difficulté. Ses hommes visaient autrefois la puissance politique du ministère et se concentraient sur nos armées, en dehors des attaques gratuites, bien entendu. Mais que des portoloins soient envoyés à leurs enfants avec des modes d'emploi pour finir de les créer sur place...

Elle s'arrêta. Ainsi, voilà ce qu'il projetait de lui offrir comme surprise..., songea Harry. Les portoloins et le Polynectar devenaient de l'ordre de la routine ou presque en prenant un recul teinté de sarcasme.

_ Ce n'est pas une excuse mais une constatation: les adultes et les sorciers confirmés ne suffisent plus. Les jeunes élèves entrent en guerre..., souffla-t-elle, comme si elle se maudissait de raconter de pareilles horreurs à deux adolescents.

Les moldus y sont déjà sans le savoir..., s'ajouta mentalement le jeune sorcier. Cette pensée eut un déclic sur une autre.

_ Professeur, intervint Harry, et pour les moldus, vous savez pourquoi?

Mac Gonagall se retourna et le dévisagea, mais ne répondit pas à sa question.

_ Ils sont morts, n'est-ce pas?, demanda-t-elle alors d'une voix quelque peu enrayée.

Harry réalisa que l'affaire ressemblait en plusieurs points à celle de Frank Bryce. Il acquiesça doucement de la tête. Hermione suivit l'échange silencieux avec gravité.

_ Nous n'étions en connaissance que de leur disparition subite, s'expliqua Mac Gonagall en se ressaisissant comme elle seule y parvenait. Le Professeur Dumbledore ne nous a convoqués qu'après l'avoir...

_ ... vu dans la presse moldue, acheva Harry. Oui, je sais. C'est comme ça que j'ai su qu'ils habitaient à Londres, dit-il en relevant les yeux vers Hermione afin qu'elle comprenne. Voldemort agit dans la discrétion, finit-il, le regard dans le vide.

Il perçut des frissons proches de lui.

_ Pardon, dit-il d'un air absent. Mais pourquoi eux?

Mac Gonagall l'observa, fut comme prise dans un dilemme, puis se décida à parler.

_ Ses moldus avaient récupéré des baguettes de sorciers le plus innocemment du monde, expliqua-t-elle dans un murmure, résignée. Elles appartenaient autrefois à des détenus d'Azkaban. Des hommes du ministère chargés de les détruire n'ont pas osé, ce qui, pour eux, constituait un sacrilège. Détruire une baguette est un acte qui relève une énorme responsabilité, sa préciosité, l'application de sa conception... Certains se refusent de les casser malgré les ordres hiérarchiques. Elles sont donc discrètement passées chez des moldus. Je suppose... que ses sorciers croyaient qu'elles resteraient intactes et pensaient que Vous-Savez-Qui n'aurait jamais l'idée de se rendre dans leur monde. Il est de notoriété publique que Vous-Savez-Qui l'évite au maximum. Il a mis un certain temps il est vrai, mais il était attaché à retrouver les anciennes armes plutôt que de s'en procurer des nouvelles. Finalement, il a fini par découvrir leur cachette. Et quand il les a trouvées, dans son enquête, il a du croire que les hommes rattachés aux ordres du gardien désobéissaient souvent pour de l'argent moldu; du moins, c'est ce que le Professeur Dumbledore a émis comme hypothèse. Il a vérifié qu'ils n'avaient pas été victimes d'Imperiums, ce qui aurait pu conduire Vous-Savez-Qui à prendre conscience de notre préparation secrète à la guerre, juste à cause... de ces imbéciles, finit-elle par lâcher.

Hermione et Harry, malgré les mauvaises nouvelles, échangèrent un petit sourire à la vue de leur professeur fidèle à elle-même. Celle-ci eut un soupir conclusif.

_ Quant à nous, nous avions reçu la confirmation de leur destruction.

Ils fixèrent tous les trois le sol sans l'avoir vraiment voulu.

_ Mais... les baguettes?, poursuivit pourtant le jeune homme. Elles ont été percées et repeintes et, et poncées... Elles sont inutilisables, à présent, non?

Mac Gonagall approuva d'un signe de tête.

_ Il y a des chances, bien qu'une baguette magique soit plus difficile à altérer qu'un morceau de bois quelconque. Vous-Savez-Qui va se trouver dans l'obligation d'en chercher d'autres. Il passera certainement par un filon clandestin étranger de fabricants de baguettes maintenant, bien que le Professeur Dumbledore mette tout en oeuvre pour les bloquer, toujours discrètement. Il semble évident que le prochain objectif de Vous-Savez-Qui soit...

_ ... d'armer ses hommes, finit sombrement Harry.

Le professeur hocha à nouveau la tête tristement. Elle les regarda d'un air protecteur et conclut:

_ Vous devriez vous retirer hors de cette salle à présent. Vos camarades vous surchargeront certainement de questions dont vous ne serez pas en droit de répondre de toute façon...

Les deux jeunes Gryffondor obéirent d'un signe de tête. Il fallait attendre que l'envie d'interroger passe, comme le reste... Ils se séparèrent du professeur en métamorphoses et se redirigèrent vers l'entrée de la grande salle.

_ On va voir Ron?, proposa aussitôt Hermione.

Harry acquiesça. Des élèves les suivaient encore et toujours du regard. Ils passèrent alors près de Malefoy, Crabbe et Goyle, restés approximativement à leur emplacement depuis l'ordre de Harry. Malefoy s'approcha de lui par derrière.

_ Les Sang-de-Bourbe n'auront pas ta chance, Potter, murmura-t-il très vite à son oreille.

Le jeune Gryffondor se retourna, lui faisant face, et vit dans le regard du Serpentard rien de plus que l'affirmation donnée l'été précédent. Il était toujours aussi peu au courant des plans du «maître» de son père...

_ Nott n'a pas eu ta chance, Malefoy, répliqua-t-il avant de poursuivre sa route.


_ Non, non, non, et hum... tu sais quoi?... Non!

_ Ooh, tu es impossible!, s'exclama une Astrarie désespérée qui se dirigea vers la sortie de l'infirmerie d'une démarche frustrée et coléreuse.

Elle croisa Harry, Hermione et Patmol puis leur dit vivement:

_ J'espère que vous serez plus patients que moi. Monsieur, annonça-t-elle en haussant la voix, refuse qu'on le voit à cause des effets secondaires du Pierrocrasus raté. Il se cache comme un enfant de quatre ans derrière ses rideaux, finit-elle avant de repartir, le menton haut.

Harry regarda en direction du seul lit caché. Derrière, aucun son ne s'entendait mais il aurait pu parier que son ami y était, légèrement vexé. Il échangea un regard avec Hermione et ils s'y approchèrent.

_ Ron?, appela à voix basse Hermione.

Pas de réponse. Les rideaux blancs refusaient de s'ouvrir: ils étaient magiquement bloqués, comme du plâtre. Patmol cherchait une ouverture. La jeune fille prit l'attitude de quelqu'un qui disait "très bien, aux grands maux, les grands remèdes".

_ Ron, soit tu n'es pas là et j'avertis de suite les infirmières pour qu'elles vérifient devant nous où tu t'es caché, ou, tu consents à ouvrir ses rideaux. De toute façon, tu sais pertinemment que je peux contrer ce sortilège et cela ne doit pas être pire que moi avec ma tête de chat en deuxième année...

Les rideaux retrouvèrent leur aspect léger. Hermione eut un petit sourire de victoire. Harry et elle entrèrent alors doucement. Dans son lit, un Ron avec un tête qui semblait être passée sous un rouleau compresseur leur faisait face, les bras croisés et l'air furieux. Son crâne ne devait pas atteindre cinq millimètres d'épaisseur, son nez était rentré, ses yeux écarquillés au maximum et ses oreilles étaient semblables à des feuilles de choux bougeant légèrement telles des oreilles d'éléphant. Trois véritables galettes avec la centrale plus grosse que les deux autres du côté.

_ Aïe, dit Hermione.

Harry ne dit rien, pour la bonne raison qu'il ne savait pas quoi dire, sa bouche grande ouverte. Patmol faisait un drôle de bruit étouffé sous le lit, comme atteint d'une quinte de toux euphorique.

_ Dîtes "Serpentard" et je commets un meurtre, grogna Ron d'une voix incroyablement aiguë qui ne lui allait pas.

Ses cordes vocales avaient été comme écrasées. Ses deux amis eurent grand peine à ne pas éclater de rire mais réussirent à se retenir en se mordant atrocement les lèvres. Ron n'en fut pas moins furieux.

_ Pourquoi m'ont-ils fait ça?!, se révolta-t-il en serrant des dents sans relief d'un ton rappelant le couinement de Dobby.

Malgré la situation cocasse, Harry et Hermione redevinrent sérieux. Leur ami ignorait encore tout, les professeurs partis en troisième vitesse vers la grande salle. La jeune fille, après un commun accord avec Harry, entreprit le récit des événements antérieurs s'étant produits dans l'immense pièce, avec l'aide de son ami. Plusieurs fois, Harry vit les poings de Ron se contracter sous les couvertures et ses yeux étinceler de vengeance.

_ Il va être expulsé, c'est bien ça?, demanda-t-il alors à la fin pour confirmation.

_ Oui, tu peux en être certain, rassura aussitôt Hermione.

Harry hocha également la tête avec vigueur.

_ Très bien, murmura-t-il en s'interdisant ensuite de parler davantage, sa voix rendant risible chacun de ses sentiments.

A ce moment-là, Mme Pomfresh et Mme Vivebien rentrèrent dans la pièce. Elles revenaient avec des fioles remplies de liquide qu'avaient récupéré les élèves de plantes en cours de botanique comme cela se produisait souvent. Mme Vivebien, après un bref salut, passa dans la salle à côté avec les caisses en mains. Mme Pomfresh resta.

_ Alors, Weasley, ses maux de tête?, questionna-t-elle vivement en l'examinant.

_ Ça passe, grogna-t-il.

L'infirmière lui prépara une dose de potion qu'il dut boire tandis qu'elle continuait:

_ Vous resterez ici cette nuit. Pas d'oreiller. Votre tête doit se regonfler dans le prolongement de votre colonne vertébrale. Elle sera de nouveau normale demain matin, je pense, informa-t-elle.

Ron, malgré son humeur sensible, parut soulagé de ne pas avoir à rester plusieurs semaines à l'infirmerie comme Hermione avec sa tête de chat. Pomfresh surveilla qu'il ait bien tout bu puis s'aperçut de Harry qui le regardait en silence.

_ Et vous, Potter? Vous ne devez plus avoir beaucoup de novox pour la semaine, je présume, se souvint-elle.

Harry se sentit instantanément gêné.

_ Euh... non, en effet, rougit-il alors que ses deux amis l'observaient.

_ Je vais vous en chercher, répondit-elle. Et vous, allongez-vous maintenant, ajouta-t-elle à l'adresse de Ron.

Pomfresh partit d'une démarche rapide à petits pas dans la pièce voisine. Hermione s'assit sur le bas du lit et le garçon roux s'allongea. Harry, étonné de ne pas subir d'interrogations, haussa intérieurement les épaules et prit place sur une des chaises. Un court silence s'instaura entre eux.

_ C'est Sniffle qui nous l'a dit, commença alors Hermione, les yeux sur les draps qu'elle lissait inutilement.

Harry ouvrit de petits yeux surpris.

_ Pardon?

_ Oh, surtout, ne lui en veux pas, s'empressa d'ajouter la jeune fille qui relevait maintenant la tête.

Harry remarqua Patmol qui sortait timidement sa tête de dessous le lit, le drap retombant sur lui comme les voiles des bonnes soeurs.

_ En fait, continuait Hermione, il nous l'a dit une nuit où tu as involontairement réveillé Ron.

Elle échangea un regard avec ce dernier et poursuivit son explication, le garçon roux ne souhaitant aucunement prendre la parole dans un couinement continu.

_ Tu comprends, il a un peu paniqué, c'est normal. Alors il m'a appelée dans le dortoir des filles... sans réveiller les autres, rassure-toi. Et comme moi non plus, je ne savais pas quoi faire, eh bien... j'ai réveillé Patmol. Il nous a emmenés hors du dortoir et nous a expliqués.

_ Oh, dit Harry qui ne trouvait pas de réponse plus pertinente.

Patmol posa une de ses pattes sur la cuisse du jeune homme. Hermione, que le silence gênait, relança:

_ Dumbledore nous avait, enfin, avait prévenu tout le monde, l'avait fait sous-entendre, s'embrouillait-elle, que tu garderais parfois le silence et c'est normal. C'était juste pour te dire que, que nous sommes au courant, voilà.

Le ton de sa voix impliquait également une incitation aux confidences en cas de besoin.

_ D'accord, répondit Harry qui se demandait si jamais il n'avait dit quelque chose d'un air aussi niais.

Il aurait voulu dire «merci». Leur dialogue était plus que décalé. Hermione manquait à sa nature explosive qu'elle contrôlait du mieux qu'elle pouvait. Harry aurait voulu changer de sujet. Ron, pour la première fois, manquait d'expression.

_ Voici les fioles, annonça soudainement Pomfresh en revenant dans la pièce. Leurs concentrations diffèrent des unes des autres. Faites attention aux quantités correspondantes à prendre.

Elle lui montra les étiquettes collées sur les récipients puis les posa sur une table de nuit.

_ Merci, dit Harry en les regardant.

Pomfresh ressortit aussitôt. Les infirmières de Poudlard semblaient en constante ébullition.

_ Tu veux de l'aide?, demanda Hermione en voyant son ami ranger les bouteilles dans un ordre précis qu'était le sien.

_ Je veux bien, répondit-il en lui expliquant tandis qu'elle s'approchait. Verse le contenu des petites dans celles-ci, voilà. Et... celle-là, tu la dilues avec un peu d'eau avant de répartir la potion dans les premières, s'il te plaît.

_ Pomfresh te laisse les préparer?, coupa Ron qui parla malgré sa voix irritante.

_ Non, elles sont déjà prêtes. C'est juste que pour moi, certaines sont trop fortes et le matin, je me retrouve parfois aphone pendant un bon bout de temps. Et d'autres ne le sont pas assez...

_ Tu ne nous raconteras jamais tout, n'est-ce pas?, murmura alors Hermione en douceur en versant de l'eau dans un flacon.

Cela devait arriver tôt ou tard. Il l'avait senti venir. Elle devait se libérer. Ne sachant pas quoi dire (il continuait de préparer minutieusement ses doses de novox à la recherche d'une réponse), son amie reprit:

_ On ne le prend pas mal, rassure-toi. C'est juste que...

_ Non, je ne m'en sens pas capable.

Le courage de son aveu de faiblesse le surprit. Hermione, les yeux comme lui tournés vers les récipients, hocha la tête de compréhension. Ron les observait du mieux qu'il pouvait, sa tête couchée.

_ S'il y a du changement ou quoi que ce soit qui te travaille..., poursuivit alors la jeune fille pour en finir avec une conversation certes courte mais difficile, mets-nous au courant. S'il te plaît.

Elle s'attendit à une promesse, une sorte de pacte entre amis. L'intermède nécessaire et sérieux entre eux était terminé. Harry souffla intérieurement puis croisa son regard insistant.

_ Ooh, vous serez au courant, assura-t-il dans un murmure sans être sûr lui-même du sens de sa réponse.


Le lendemain, Hermione et Harry s'empressèrent de retrouver un Ron tout joyeux d'avoir récupéré une tête normale à l'infirmerie avant de se rendre en botanique. Chourave, à l'arrivée des Cinquième année devant les serres, leur fit signe de la suivre à l'intérieur du château. Ils descendirent vers les cachots, une curiosité croissante. Certains, cependant, appréhendaient quelque peu le chemin sinueux emprunté, enfoncé dans les ténèbres, à l'apparence rappelant vaguement celui d'un labyrinthe sans fin, et regardaient derrière eux dans l'espoir de se rappeler comment ils étaient parvenus jusqu'à leur position. La voix se répercutant sur les pierres froides, accompagnée parfois par les échos de gouttelettes d'eau qui tombaient on ne savait où, le professeur poursuivait:

_ Les coraux sont certes considérés comme des animaux aquatiques mais leur culture relève de soins identiques aux plantes. Quand vous aurez fini, vous trouverez des perles de drosera marines, énormément employées pour la conception des bijoux ensorcelées et pour certains instruments de musique... demandez au Professeur Euterpe.

Elle fit un geste de la main montrant la sans importance du détail. Elle reprit sa marche en poursuivant la leçon du jour quand Hannah Abbot l'interrompit:

_ Mais Professeur, dit-elle d'une voix mal assurée à mesure qu'ils s'enfonçaient dans les profondeurs de Poudlard, si nous devons étudier les drosera marines, pourquoi allons-nous... dans cette direction?

Ses camarades approuvèrent vigoureusement de la tête.

_ Vous allez voir, ce n'est plus très loin, dit Chourave pour toute réponse.

Elle se dirigea vers de nouveaux escaliers.

_ Donc, comme je le disais, les tentacules pourvues de glue des drosera protègent le centre des coraux...

_ J'espère qu'on va bientôt s'arrêter, murmura Ron à l'arrière alors qu'il regardait avec inquiétude les marches qu'il descendaient.

Il songeait à la remontée en classe de Divination. Harry, à côté, n'entendit presque pas, le visage aussi blanc que Justin Finch-Fletchey qui commençait à avoir le tourni à force de dévaler les escaliers en colimaçon. Depuis la nuit dernière, qui avait été une de ses fameuses nuits dont il arrivait à peine à se souvenir des images, le jeune homme éprouvait une désagréable sensation au niveau du thorax, un malaise continu et stable qu'il n'expliquait pas. Au-dessus d'eux, des flambeaux s'enflammaient instantanément sur leur passage.

Après avoir longé des couloirs humides de pierre froide d'où se succédaient des portes de petites pièces encore inconnues, Chourave s'arrêta devant l'une d'elle et l'ouvrit d'un coup de baguette magique.

_ Nous y voilà.

Elle les laissa passer devant elle. Le troupeau qui s'était rassemblait autour d'elle durant le sombre trajet entra timidement dans la salle. Là, Harry ouvrit grand les yeux alors que Neville murmurait un "woaw" sans timbre.

La pièce était petite, rectangulaire et sans torche allumée. Au centre, une sorte de bassin en pierres s'élevait sur un mètre trente de hauteur, relié au mur du fond qui n'était pas un mur. De l'eau faisait office de séparation, retenue magiquement, comme une vitre mouvante. Sur les bords, des roches débordaient dans la pièce. La salle, si enfoncée dans l'école, donnait une vue directe sur des zones abyssales du lac où l'obscurité reignait. Harry vit tout ceci pendant les quelques secondes durant lesquelles un banc de minuscules poissons lumineux passa devant, avant qu'ils ne s'éloignent brusquement, effrayés et fuyant la présence des élèves.

Dans le noir quasi-complet (des coraux sur les roches englouties exposaient également des propriétés fluorescentes), les Cinquième année demeurèrent immobiles, lorsqu'ils entendirent un bruit semblable aux bulles d'air que produit une paille dans de l'eau. Un autre banc de poissons revint, tout aussi lumineux mais qui éclairait différemment la pièce. Celui qui était parti avait créé autour de lui une vue sur le paysage comme en plein jour, une eau bleue claire, une lueur de tout ce qui avait de plus magique... Harry se tourna vers la source du bruit. Chourave tenait un étrange sifflet en forme de coquille de bulot entre les lèvres.

Émerveillés par la splendeur des couleurs des poissons, les élèves, pendant ce temps, ne bougeaient pas.

_ Allons, qu'attendez-vous, avancez!, encouragea le professeur.

Harry, Hermione et Ron s'approchèrent aussitôt de l'écran d'eau, contournant le bassin. Un petit poisson remuait énergiquement ses nageoires en dévisageant Ron de ses deux yeux globuleux à la hauteur de son nez. Hermione, plus sur le côté, observait des minéraux cristallisés en forme de tube à base hexagonale, s'entrecroisant comme le quartz et qui s'accrochaient certainement aux parois de l'école baignant dans l'eau. Elle plissa également les yeux devant une roche poreuse. Elle avait l'air de se mouvoir avec une extrême lenteur. S'approchant encore, elle aperçut deux yeux dans ce qui était en fait un mollusque descendant peu à peu comme une coulée de lave rouge qui ne se refroidirait jamais. Fronçant le nez de dégoût alors que l'animal avait ses deux pupilles qui s'éloignaient l'une de l'autre, elle recula.

_ J'espère ne jamais étudier cette chose, déclara-t-elle.

Harry n'entendit pas, le nez touchant presque la surface de l'eau qui ondulait doucement. Un étrange poisson-lune transparent avec un poisson mort au creux de son estomac nageait en croisant avec indifférence une anguille aux allures de serpent: elle en possédait la langue sifflante.

_ Il existe des serpents qui peuvent nager à cette profondeur, malgré la pression?, demanda-t-il alors à Chourave qui observait patiemment ses élèves collés au "mur".

_ Je ne crois pas, répondit-elle en s'approchant de lui. Mais les profondeurs marines recèlent encore bien des secrets pour nous. Des espèces n'ont toujours pas été répertoriées dans nos grimoires.

Susan Bones, qui avait un doigt dans l'eau, recula d'horreur en poussant un cri soudain.

_ Un Kappa!, s'exclama-t-elle alors qu'un monstrueux habitant des eaux qui ressemblait à un singe couvert d'écailles venait brusquement d'apparaître en tirant des grimaces.

Il avait tenté d'attraper son doigt pour l'attirer vers lui. D'après Lupin, cet animal était avide d'étrangler les imprudents qui s'aventuraient dans leurs mares grâce à leurs mains palmées. Lavande, étonnée, se retourna vers Chourave.

_ Il y en a aussi à cette profondeur? Dans ce lac?

Le professeur acquiesça puis, reculant encore, reprit:

_ Bien, maintenant, tout le monde autour du bassin. Dépêchez-vous. Prenez vos gants en peau de dragon pendant que je vous apporte quelques drosera.

Elle s'arma d'une grande pince métallique de deux mètres qu'elle plongea dans le mur d'eau. Visant des coraux coriaces s'agrippant aux roches à proximité, elle en arracha, poignée par poignée et les emmena vers le bassin dont un des bords se confondait avec l'écran d'eau, sans les mettre en contact avec l'air. Harry regarda celui que Chourave déposait sous lui, dont quatre d'entre eux devaient s'occuper.

La plante était ennouée de partout, une vraie boule tordue, et d'après le professeur, il devait la dénouer vivement avant d'atteindre son centre où une bouche pourvue de tentacules contenant de la glue mortelle dissimulait une perle nacrée. La tâche se révélait plus facile à dire qu'à faire car, dès qu'on avait fini de défaire un noeud, les branches revenaient aussitôt elles-même se renouer. Le jeune sorcier s'aidait de pierres déposées dans le bassin pour immobiliser chaque branche détachée du groupe.

Dans la salle et durant leur travail, les élèves relevaient toutefois assez souvent les yeux vers le "mur" d'eau où passait de temps en temps une espèce des plus surprenantes. Les ondulations du mur, éclairées par le banc de poissons, se reflétaient sur les pierres de la pièce, créant une atmosphère relaxante. Seamus et Dean, les traits du visage contractés sous l'effort, aidaient vaillamment Neville à se débarrasser du corail qui était venu s'ennouer autour de son bras. Ron, le plus près de l'écran, s'acharnait contre la bouche qui refusait de s'ouvrir pour libérer sa fameuse perle. Abandonnant un instant, il souffla en regardant l'écran. Et là, il poussa un cri de frayeur en tombant à la renverse. Harry et Hermione le rattrapèrent dans sa chute, les yeux rivés sur ce qui lui avait presque produit un arrêt cardiaque.

Une araignée marine d'un mètre d'envergure, aux pattes vertes palmées, tombait lentement en parachute dans l'eau à la limite de la séparation. Ses mouvements fluides, laissés allés, rappelaient ceux des méduses moldues. Ron tenta de retrouver une respiration normale, son regard ne lâchant pas l'animal.

Sentant que son ami récupérait, Harry le laissa, s'approchant de l'araignée. Elle continuait de tomber, toujours doucement. Très près d'elle, il aperçut ses nombreux yeux se fixer soudainement sur lui. Elle fut alors comme prise de panique et réagit étonnamment. Rassemblant subitement ses pattes comme si l'on refermait un parapluie, elle piqua en vitesse vers les profondeurs, telle un torpille lancée à toute vitesse par un sous-marin.

Surpris, Harry la suivit comme il put des yeux. Très loin, elle poursuivait son chemin vers le milieu du lac, faisant exploser un banc de poissons sur son passage, pourvu d'une conscience collective. Il se referma derrière elle, la cachant, et prit la forme générale d'une tête de sirène tirant la langue vers l'araignée. Harry continua d'observer le paysage en se demandant si l'araignée reviendrait fondre sur le banc, sa course gouvernée par une petite dose de folie, quand il vit une chose si soudaine qu'il se demanda si elle avait été bien réelle. Le banc de poissons s'était soudainement dédoublé, comme si des poissons invisibles les avaient accompagné, aperçus l'instant d'un flash, formant deux têtes tirant la langue, comme si... comme s'ils étaient passés devant un énorme miroir translucide qui les avaient reflété. Plissant des yeux, Harry regarda mieux les formes de l'eau lointaine.

_ Wow, je hais vraiment ces bestioles, le coupa Ron dans sa contemplation, revenu près de lui.

_ Oui..., commença à répondre Harry en se retournant vers son ami.

Mais Ron n'était pas là. A la place, le corps d'Ollivander apparaissait debout, face à lui. Le souffle retenu, le jeune homme regarda le boutiquier le fixer de ses yeux clairs et tomber à genoux dans la salle, soudainement, obligeant Harry à reculer d'un coup, le regard écarquillé d'horreur. Il frissonna sous l'effet du contact et de la pression de l'eau qui gela une partie de sa tête et de son dos. Les yeux d'Ollivander roulèrent dans leurs orbites et il finit de tomber complètement dans un bruit sourd, sa tête touchant les pieds du jeune homme. Harry étouffa un cri de stupeur et regarda autour de lui à la recherche d'aide. Ses camarades, dont Ron, le fixaient étrangement, indifférents au corps qui... qui n'était plus là. L'adolescent, la respiration saccadée, observa le sol où Ollivander reposait une fraction de seconde plus tôt. Rien.

Il observa à nouveau autour de lui, sortit du mur d'eau, et comprit.

_ Ollivander..., murmura-t-il.

Il courut en dehors de la salle, laissant ses camarades littéralement ébahis devant son attitude.

_ Harry!, eut le temps de réagir Hermione en ne réussissant cependant pas à attraper sa manche au passage.

Le jeune homme, dans sa confusion, poursuivit sa route à grandes enjambées.

_ Potter, attendez!, cria derrière lui Chourave. Vous allez vous perdre!

Harry continua de tourner dans les couloirs et monter des escaliers. Il avait vu Ollivander tomber. Était-il mort? Peut-être pas, peut-être qu'il n'était qu'affaibli, épuisé... ou peut-être pas. Son flash. Il ne dormait pas. Les cauchemars, les visions, c'était la nuit. Et ça, qu'est-ce que c'était? Il ne s'était pas endormi en cours. Il avait été le seul à le voir tomber.

Une patte de lion succéda le pas de l'adolescent. Bondissant dans les escaliers en colimaçon, le félin courait maintenant sans fatigue. C'était ça, la sensation désagréable. C'était Ollivander. Pourquoi avait-elle été aussi continue? Ollivander avait-il subi des sortilèges incessants? Pourquoi Ollivander? Un marchand de baguettes. Voldemort avait besoin de baguettes. Et le filon clandestin? Voldemort avait préféré Ollivander. Pourquoi? Hier, les moldus, aujourd'hui, Ollivander. Les mangemorts étaient maintenant armés. Et ils avaient fait vite.

Reprenant forme humaine, Harry arriva devant une classe où Mac Gonagall donnait cours. N'hésitant pas, il frappa à la porte. Son coeur battait si fort dans sa poitrine qu'il menaçait d'exploser.

_ Oui?, fit le professeur dans une voix étouffée par la pièce.

Harry entrouvrit la porte. Mac Gonagall le vit. Étonnée, elle s'avança rapidement vers lui qui n'osait entrer, les regards curieux des Septième année déjà sur lui. Elle sortit et referma la porte derrière elle.

_ Potter? Que voulez-vous?, demanda-t-elle à voix basse. Vous n'avez pas cours?

_ Mr Ollivander... Il a été attaqué, dit-il sans préambule.

Le professeur pâlit et se tourna vivement vers la gauche du couloir, la direction à prendre pour se rendre dans le bureau de Dumbledore.

_ Il devait être mis en sécurité aujourd'hui par les hommes du ministre, murmura-t-elle plus pour elle-même que pour le jeune sorcier.

_ Voldemort est venu cette nuit, répondit-il. Il vient juste de l'abandonner, je pense...

Il se maudissait de ne pas se remémorer ses cauchemars dès qu'il le souhaitait. Ce qu'Ollivander avait subi cette nuit n'était-il pas assez terrifiant pour s'en souvenir?

Mac Gonagall lui refit face.

_ Je m'en occupe. Restez là Potter, je reviens.

Elle revint dans sa salle de classe et Harry perçut:

_ Parps, surveillez la classe, je m'absente un moment, annonça-t-elle. Pas de bavardage, ajouta-t-elle sévèrement. Finissez vos transformations. Je veux retrouver vingt-six familles de loutres plus vraies que nature à mon retour.

Elle sortit et s'éloigna à grands pas. Harry, le souffle redevenu calme, s'appuya contre un mur. Les vêtements mouillés lui rafraîchirent aussitôt le dos. Les élèves, partis pour parler, passaient de temps en temps près de l'entrée pour vérifier s'il était toujours là, des services de table sur les tables, à moitié transformés en animaux. Le jeune homme attendit. Il pensait et repensait à tous ses récents événements. L'armée de Voldemort, les bêtes inoffensives qu'il "domptait", Nott Senior en prison, Nott junior, mis dans un centre du style de St Brutus, les moldus assassinés, le courrier surveillé, Ollivander... Et maintenant? Maintenant qu'ils étaient pourvus de baguettes magiques, qu'allaient-ils entreprendre? N'était-ce plus qu'une question de jours avant qu'ils ne réussissent à abattre les barrières de Poudlard et donner l'assaut? Continueraient-ils de cacher leur existence au peuple? Les questions bouillonnaient et en même temps, il se sentait devenir incroyablement impatient quant au retour du professeur. Au bout de minutes interminables, il perçut enfin la démarche droite du professeur en métamorphoses et la vit revenir du couloir, un papier en main. Parvenue à sa hauteur, elle l'informa sans attendre:

_ Le professeur Dumbledore semble déjà au courant d'après le mot qu'il nous a laissés dans son bureau avant de partir. Il a reçu un hibou d'un ami à lui, médicomage, expliquant qu'un client, après avoir vu Mr Ollivander inconscient, serait allé de suite le chercher. D'après lui, Mr Ollivander aurait été soumis à un Imperium permanent durant trop de temps pour ne pas laisser de séquelles psychologiques.

_ Un Imperium?

_ Et des sortilèges d'amnésie bien entendu. Je suppose... que Vous-Savez-Qui l'a forcé à coopérer et à aider les mangemorts à se trouver une nouvelle arme sans prendre le temps de connaître son parti. Je ne vous cache pas que Mr Ollivander a eu beaucoup de chance d'avoir été épar... laissé en vie.

Elle se racla la gorge. Mac Gonagall voulait dissimuler son bouleversement. Comme lui plus tôt, elle réalisait que Voldemort et ses hommes étaient à présent armés et prêts à combattre. Harry, quant à lui, repensait à ses symptômes et ses correspondances avec les événements récemment produits.

_ Vous devriez retournez en cours à présent, Potter.

_ Je viens de botanique dans le cachot relié au lac, dit de suite Harry.

Il savait que la sonnerie retentirait dès qu'il atteindrait la salle de Chourave et ne voulait nullement refaire tout le trajet avant de s'aventurer vers la tour nord pour son cours prochain de Divination.

Mac Gonagall reprit immédiatement son air sévère. Une minute de cours pour elle valait sans aucun doute la peine de revenir dans les cachots. Harry ajouta donc d'un air vaincu:

_ J'y vais.

Alors qu'il s'éloignait, il entendit derrière lui:

_ Et restez éveillé, dit Mac Gonagall dans un sous-entendu.

_ J'étais éveillé, répondit Harry sans se retourner.

Et c'est bien ce qui me fait peur...