CHAPITRE 12 : Godric's Hollow.
Dans la salle de duel, à l'heure où tous dormaient, encore plongés dans un lourd sommeil...
_ Alors tu penses que ces bêtes auraient un lien avec ça? Qu'il n'attaquerait pas à cause d'elles?
_ C'est une idée, rien de plus, convint de répondre Sirius en reprenant sa marche à travers la pièce. Elles sont inoffensives: s'il espère les transformer en machines de guerre, il devra consacrer énormément de temps à leur dressage, quasi impossible, si tu veux mon avis.
_ Il a peut-être commencé à les dompter depuis quatre mois maintenant, c'est déjà pas mal. Voldemort est plutôt expéditif pour un plan demandant autant de patience.
Ses lectures et les anecdotes de son parrain avaient aidé Harry à mieux cerner les procédures de Voldemort en temps de guerre. Faisant distraitement tournoyer sa baguette autour de ce qui ressemblait à un sucrier, il hésitait à croire en cette supposition. Quoiqu'il avait bien attendu un an avant de me recevoir au beau milieu d'un cimetière...
_ Harry, éclaire-moi: donne-moi, ne serait-ce qu'un semblant d'hypothèse, qui expliquerait pourquoi la guerre n'a toujours pas été déclarée bien qu'ils soient armés depuis bientôt un mois, dit Sirius avec l'air toujours aussi incrédule qu'aux premiers jours ayant suivi l'attaque d'Ollivander.
_ C'est ce que je fais: "chercher", depuis bientôt un mois justement, marmonna l'adolescent.
Ne retenant pas sa remarque, Sirius poursuivit:
_ Les vacances commencent ce week-end et nous n'avons toujours aucune idée de ses agissements. Les élèves vont quitter Poudlard et de l'autre côté, Voldemort semble constamment changer ses méthodes. Je t'avoue en plus ne pas complètement aimer l'idée qu'il introduise des étudiants dans ses plans...
_ On ne sait pas si Voldemort était derrière le plan de Nott, dit Harry. Je pense qu'il a préparé son coup sans en référer à lui. Ou peut-être à un mangemort impatient alors... Mais il s'agit plutôt de la signature d'une vengeance de cinquième année, pas d'un mage noir accompli, c'est même toi qui me l'a dit, lui remémora-t-il doucement.
_ Oui, d'accord, admit son parrain. Il n'empêche qu'anticiper les réactions de Voldemort devient maintenant de l'ordre de l'impossible et que nous n'avançons nulle part. Même pour l'élaboration minutieuse d'un abominable massacre, il n'a jamais autant attendu. Voldemort doit certainement patienter jusqu'à un événement propice, une opportunité pour frapper en plein coeur.
_ On a tout passé en revue de ce côté-là, rappela Harry en plissant les yeux vers le sucrier. Dumbledore ne t'a parlé d'aucune autre réunion imprévue ou visite spéciale ces derniers jours?
_ Non, soupira son parrain. Heureusement pour nous, il m'a informé que leurs forces prenaient de l'ampleur, et ce, au niveau mondial.
_ Si nous ignorons quand Voldemort frappera, le risque d'avoir formé ses armées pour presque rien est plutôt grand, sans vouloir être pessimiste, fit remarquer le jeune sorcier.
Quant à la question "où frapperait-il?", elle ne se posait même pas dans l'esprit de l'adolescent. Il se repencha vers l'objet immobile devant lui, l'air pensif.
_ A l'extérieur de Poudlard?, continua-t-il cependant.
_ Quoi?
_ Le portoloin, dit Harry en montrant du bout de la baguette le sucrier, il nous emmène en dehors de l'école, n'est-ce pas? Je n'ai pas réussi à reconnaître de lieu intérieur à l'enceinte de l'école alors...
Son parrain sourit.
_ Exact.
Les aptitudes des sorciers différentes des uns aux autres, Sirius avait très tôt compris que son filleul devait avant tout commencer à ressentir les ondes magiques visibles par un maniement subtil de la baguette et dans des espaces délimités pour ensuite maîtriser les quatre éléments ou ressentir ces ondes lui-même, tout autour de lui.
Cette dernière phase, d'après les explications de Sirius, nécessitait un passage obligé dans un état second singulier auquel il se refusait d'enseigner (du moins, pour l'instant) le processus, sans que l'adolescent ne sache pourquoi.
Depuis la rentrée, Harry apprenait donc à faire apparaître et déchiffrer ensuite ces ondes dans des objets: circulant tels des courants de couleurs dignes des aurores boréales dans la matière, elles donnaient au jeune sorcier des renseignements sur la puissance de l'objet, ses caractéristiques et ses origines.
Et du fait de la complexité des croisements des nuances et des coloris, elles étaient en outre séparées en des catégories de degrés proportionnels à la précision des informations apportées. Elles étaient la carte d'identité d'un lieu, d'un sorcier ou d'un objet. Pour un portoloin, on assimilait les teintes à des endroits comportant des courants identiques, de même vitesse, et ainsi, on était capable d'en deviner les destinations sans qu'il y eut un besoin de toucher l'objet et donc, d'être inévitablement transporté. La mémoire jouait par conséquent un rôle important dans l'apprentissage.
_ Tu sais, Sirius, j'ignore toujours comment reconnaître sa destination si ce n'est pas Poudlard. C'est facile de se rappeler des ondes de beaucoup de salles et des parcs extérieurs, mais ailleurs...
_ On ne continuera pas les promenades nocturnes en dehors, c'est trop risqué, coupa son parrain.
C'était ce qu'ils avaient adopté comme méthode jusqu'ici pour apprécier les couleurs, à priori invisibles, de divers endroits et se les rappeler.
_ Tu mémoriseras leurs particularités à partir d'une carte maintenant, dit-il en s'asseyant devant lui.
Harry prit un air étonné alors que son parrain sortait et dépliait un parchemin de sa poche.
_ Il en existe de nombreux exemplaires. En général, les gens en achètent pour s'en servir lors d'un transplanage vers un lieu étranger. Les Anciens, Rémus, Dumbledore et moi en possédons une davantage complète. Je ne la garderai cependant pas longtemps avec moi. Dès que nous serons en mesure de reconnaître les ondes de divers points de rendez-vous secrets, nous les brûlerons: elles sont trop dangereuses. Tu vois, elles indiquent des endroits incartables comme Poudlard et Alkilan.
Il les indiqua du bout des doigts. Mais Harry ne vit aucune des deux étiquettes.
_ Godric's Hollow..., murmura-t-il en s'approchant.
Son parrain l'observa un moment puis, conscient de la soudaine attirance de son filleul par le simple nom, entreprit de parler de leur futur voyage.
_ Nous nous rendrons à l'est de la ville, Harry. Il faut que tu saches: Godric's Hollow est mi-moldu mi-sorcier. Les moldus qui y habitent sont au courant de notre monde, en grande majorité, à cause de leur famille en partie sorcière généralement... Beaucoup de sorciers aiment aussi y vivre selon les coutumes moldues. Le père de Ron aurait adoré faire construire là-bas si tu veux mon avis, ajouta-t-il dans un sourire. Mais il n'en reste pas moins magique. Tu verras...
_ Je me demande quand Dumbledore me donnera le mot de ma mère..., souffla Harry, perdu dans ses pensées.
La sortie lui tardait.
_ A moins qu'il ne se prenne le pied dans sa robe et ne trébuche lamentablement sur ce magnifique sucrier, je dirai dans les quelques secondes qui suivent, dit une voix malicieuse dans son dos.
Dumbledore s'arrêta derrière eux d'une démarche beaucoup plus réveillée que celle de Sirius à leur arrivée. Harry et son parrain se levèrent.
_ Une mauvaise nuit de sommeil m'a tiré de mes appartements plus tôt que prévu, annonça-t-il d'une humeur pourtant joyeuse. Au lieu de parler au vieil ahuri, très cultivé néanmoins je l'avoue, qui passe constamment son temps dans mon miroir à raconter des histoires aussi farfelues les unes que les autres, j'ai cru bon de vous rendre visite.
Il marqua une pause, se tourna et regarda l'adolescent de ses yeux perçants.
_ Voilà pourquoi je n'ai jamais répondu à ta question sur la raison qui poussait Lord Voldemort à vouloir te tuer, Harry, reprit-il sérieusement en sortant d'une poche cachée par sa barbe un petit mot pris en sandwich entre deux minces plaques de verre. J'ai comme la conviction que tu trouveras la réponse derrière ce message, un message qui ne s'adresse à toi que maintenant. La gravité ne lui fait pas défaut, tu le vois...
Sur la plaque, Harry lisait l'écriture précipitée d'un papier datant de quatorze ans:
Pour Harry,
notre testament, notre malédiction.
A sa majorité seulement, ou si le malheur s'abattait sur lui,
faîtes qu'il lui revienne, je vous en conjure.
Lily Potter.
_ ... je n'imagine pas actuellement d'autres chemins éventuels à suivre pour justifier l'obstination de Lord Voldemort envers toi, bien qu'elle soit assez implicite, je l'avoue, dit, aux oreilles de Harry, une voix lointaine reconnue comme celle du Directeur. Elle est cependant d'après moi d'un abord fructueux.
L'adolescent retourna le papier, espérant un autre mot, une simple initiale écrite encore par sa mère, quand il vit: A Dumbledore / A Sirius Black / A Rémus Lupin.
_ Le papier était destiné à l'un de vous trois, dit Harry alors que son parrain regardait le mot par dessus son épaule. Il vous a trouvé en premier..., murmura-t-il à l'adresse de son professeur.
Il se remémora la peine et l'angoisse qu'avait ressenti sa mère en écrivant ce mot et la panique qui la gagnait. Elle venait de comprendre pour Queudver... Ses doigts avaient tremblé, son corps réprimant des frissons impossibles à contenir... Seuls la chouette et le couffin étaient restés calmes...
_ Je déteste ce don, chuchota-t-il à lui-même en se rappelant Lily et son pressentiment insaisissable qui l'avait parcouru.
L'écriture était très précipitée. Sirius et Dumbledore échangèrent un regard. Au courant de la vision diurne du jeune homme, son parrain commençait à s'inquiéter sur l'étrange développement de son don hors commun. Il ressortait bien trop à son goût.
_ Et comment je fais, alors, pour récupérer cet... héritage?, demanda subitement Harry en sortant de ses songes.
Il répugnait à le recevoir, compte-tenu qu'il avait un lien certain avec ses recherches sur la "tradition" maudite. Ce fut Sirius qui lui répondit.
_ Je vais un peu t'expliquer comment tout procède dans notre monde, Harry. A la mort d'un proche, il se produit différents sortilèges de conservation. Tu connais les sorts d'appartenance? Eh bien, dès l'enterrement d'une personne, ces maléfices attirent inévitablement tous les biens qu'elle possédait en un seul lieu repère: le tombeau. Elles restent là, invisibles jusqu'au temps où le digne héritier décide de les récupérer. Il suffit pour lui de se faire connaître par son empreinte magique, grâce à sa baguette. Cela se passera certainement comme ça pour toi. Pour d'autres familles, si le décédé a organisé un testament au préalable, elles peuvent parfois se retrouver face à des énigmes, souvent farfelues il est vrai, pour accéder ou départager les biens. Parfois dans le but de pouvoir faire passer l'héritage à ses descendants en sautant une génération si jamais la prochaine n'avait pas le temps de le récupérer, une sorte de garantie, pour être certain qu'il demeure dans la famille, si tu veux. Ou bien afin de privilégier un héritier à un autre pour lequel l'énigme resterait insolvable. Tu comprends?
Harry hocha la tête.
_ Cela me fait penser à ce cher Dedalus Diggle, dit Dumbledore, les yeux vers le plafond. Sa famille recherche toujours la fortune qu'aurait laissé son arrière-arrière-arrière grand-mère. Elle leur avait réalisé une charmante charade accessible seulement pour ceux qui la côtoyaient et connaissaient ses habitudes avant sa mort. Bien entendu, cela était sans compter ses problèmes psychiques qui lui faisaient confondre sa propre soeur avec la concierge voisine...
Sirius eut une sorte de petit sourire d'indulgence respectueuse. Harry ramassa la carte qui n'était pour un moldu qu'un assemblage de couleurs mouvantes. Il remarqua alors quelque chose qu'il n'avait pas vu.
_ Je ne savais pas qu'Alkilan avait été construite à... deux ou trois kilomètres de Godric's Hollow.
_ Elle est dissimulée dans une forêt, expliqua Sirius.
Harry se pencha plus près encore.
_ Elle doit être petite pour ne pas dépasser les arbres, fit-il observer.
_ Pas autant que l'on pourrait le croire, sourit mystérieusement Dumbledore.
_ Rémus a toujours beaucoup de travail là-bas, n'est-ce pas?, demanda alors Harry.
Les deux adultes acquiescèrent silencieusement. L'adolescent, une idée naissante, se sentit soudain timide.
_ Euh... Nous prendrions vraiment beaucoup de risques si... si Sirius et moi détournions notre route pour une... enfin, une petite visite?, finit-il d'une toute petite voix.
Il ressentit le regard de son parrain sur lui, à mi chemin entre la répréhension et la compréhension d'un sentiment partagé.
_ Pas de supplémentaire si vous suivez certaines instructions, répondit Dumbledore en toute honnêteté.
_ Lesquelles?, s'empressa d'ajouter Harry.
Son parrain s'était comme retenu de ne pas poser la question lui-même.
_ Votre petit voyage devra se dérouler vendredi prochain, commença d'énumérer Dumbledore.
On sentait qu'il était venu leur rendre visite pour ce principal but bien qu'initialement non prévu.
_ Vous partirez vers six heures. Voldemort agit principalement la nuit, pour la discrétion. Et il vaut également mieux éviter le monde du jour, se justifia-t-il.
Sirius approuva de la tête.
_ Pourquoi vendredi?, interrogea soudainement le jeune homme.
Sentant que sa question avait été peut-être trop abrupte, Harry reprit:
_ C'est juste que je me demandais pourquoi ce jour en particulier, c'est tout...
Il aurait voulu partir plus tôt dans la semaine. Dumbledore lui adressa un petit sourire malicieux:
_ Parce que nous recherchons tous une discrétion absolue pour ton départ et si je ne me trompe, dans quelques heures, les Lions joueront leur premier match de Quidditch de l'année. Je doute que ton absence ne passe inaperçue si tu pars le lendemain d'une éventuelle victoire...
Le château, en effet, retrouva aux alentours des onze heures, ce matin-là, le silence perdu de l'été. Ou presque. Le sifflement du vent violent faisait trembler les fenêtres des vieilles salles de classe et des battants claquaient désagréablement contre les tours de pierre. Rusard, lui, comptait parmi les rares asociaux à rester à l'intérieur, balayant les derniers morceaux piétinés de tartines couvertes de marmelade que les élèves avaient accidentellement fait tomber dans leur bain de foule surexcité à l'idée du prochain match à venir.
Ceux-ci, très loin du concierge à présent, remplissaient ardemment les gradins, se bousculant, se parlant à voix forte, mimant des acrobaties aériennes de leurs mains et se remémorant des anecdotes sur balai volant toutes aussi extraordinaires les unes que les autres, essayant vainement d'ignorer de leur mieux le temps défavorable.
_ Mon chapeau!, s'écriait Parvati en courant après ce dernier, parti dans son envol, emporté par le vent froid, de plus en plus fort.
Elle frôla dans sa poursuite Lee Jordan qui se protégeait de sa cape étroitement serrée et profitait de ses dernières minutes de liberté pour vendre incognito des inventions des jumeaux parmi les Gryffondor rassemblés. Des paris étaient également pris dans son marché. Colin et Dennis, abrités par la barrière du premier rang, se penchaient d'un air grave sur leur appareil photographique, sur le point de rendre l'âme, tandis que Ron, beaucoup plus loin, se tenait dans les gradins surplombant les anciens, plus hauts d'une quinzaine de mètres et légèrement en retrait par rapport aux premiers: il caressait soigneusement l'oeil de faucon de Harry dans un sourire revanchard, indifférent au temps capricieux. Hermione réglait ses multiplettes, assise sur un banc qui servait de refuge à un Patmol aux oreilles sensibles au vent.
Malefoy n'était pourtant qu'un simple spectateur aujourd'hui, à quelques mètres du garçon roux. Les Lions avaient effectivement eu la déception d'apprendre qu'ils joueraient pour la première fois contre l'autre équipe de Serpentard: "une chance sur sept", avait marmonné George en rentrant un jour au dortoir après une séance d'entraînement, tapant du pied dans une pierre. "Ça aurait été trop beau...".
Mais ces dernières heures, la surprise ratée de Malefoy n'était plus de l'ordre de leurs préoccupations premières. Tendus à l'extrême, ils savaient qu'ils devraient obligatoirement gagner le match pour rester dans la course. Stupide deuxième proposition, pensaient-ils tous sur le moment, assis dans les vestiaires. Alicia resserra pour la dixième fois sa queue de cheval, une manie nerveuse. Elle songeait aux merveilleux Nimbus 2000 que possédaient tous leurs colosses d'adversaires...
Harry, en retrait, tenait son Éclair de Feu comme un ami qu'on ne voudrait lâcher pour rien au monde dans un moment de crise, angoissé rien qu'à l'idée qu'il pourrait disparaître d'un coup, sans savoir comment, et avec un besoin de lui plus grand que jamais. Son estomac était aussi noué qu'une drosera marine et il espérait de tout coeur que les hurlements extérieurs qu'il percevait provenaient d'une foule en ébullition et non d'une bourrasque qui s'annonçait très violente. En ce moment proche de leur entrée au stade, il regrettait amèrement d'avoir choisi la deuxième proposition. C'était en outre la première fois qu'il jouerait en tant que capitaine: Et s'il avait très mal préparé son équipe? Noon... Son équipe lui avait assuré que ça allait... Mais... mais si jamais...
La voix de Lee Jordan, étouffée, leur fit comprendre que l'équipe adverse arrivait sur le terrain. Harry se leva, imité progressivement des autres, et se dirigea vers les coulisses. Devant, à l'entrée du stade, ils suivirent tous soudainement des yeux un petit moineau d'une couleur bleuâtre emporté par le souffle terrible, passant devant eux, ses battements d'ailes frénétiques impuissants face au courant inverse.
_ Piou, piou, piou... piou... pi..., semblait-il gémir de désespoir.
Les piaillements s'atténuèrent et durèrent bien après qu'il eut disparu de leur champ de vision. L'équipe demeura silencieuse, le regard encore fixé là où l'oiseau avait disparu. Ils ne sortaient toujours pas du couloir, ne s'avançaient pas vers la pelouse.
_ C'est à ce moment-là que quelqu'un doit nous dire que nous sommes les maîtres du vent et que rien ne peut nous arriver à part gagner..., murmura Fred dans le dos de Harry.
_ Demande à Olivier, répondit platement et sans réfléchir Harry, les yeux toujours tournés vers le même endroit.
Les jumeaux levèrent les yeux au ciel. Le jeune homme regarda le ciel gris ne présageant pourtant aucune averse immédiate, et reprit en s'avançant courageusement.
_ On y va...
L'équipe rentra dans le stade en affrontant les violents courants d'air froid, des vagues se dessinant sur leurs tuniques rouges. George dit à son frère:
_ Il faut un temps d'adaptation, même pour les plus grands. Ça ira mieux au prochain match, si prochain match il y a...
Fred ne répondit rien, tout en se demandant si jamais ils n'avaient connu un discours de capitaine aussi court. Rose et Emile ne disaient rien, eux non plus, terrifiés à l'idée de commencer le jeu. Dans le stade s'élevèrent des acclamations enthousiastes à la venue de l'équipe. Les cols relevés et les têtes baissées, les Gryffondor et les Serpentard se firent face dans une démarche chancelante.
_ Rose Skatlet et Emile Moon, les deux remplaçants respectifs d'Angelina Johnson et d'Olivier Dubois, qui occuperont respectivement les places de poursuiveur et de gardien..., poursuivait Lee dans le mégaphone. Du côté des Serpentard, il faut compter parmi les anciens de Poudlard le petit frère de Marcus Flint, Brutus, qui occupera lui-aussi une place de batteur alors que Soulavski, de Durmstrang, défendra les buts...
Madame Bibine se positionna entre les joueurs en resserrant sa cape autour d'elle.
_ Les deux capitaines, serrez-vous la main.
Soulavski jeta un coup d'oeil méfiant vers les Gryffondor (les jumeaux avaient un sourire goguenard gravé sur le visage) en faisant un pas vers l'avant.
_ ... enfin connaître le fameux capitaine des Lions qui aurait gardé l'anonymat pour mieux... Oooouui! Je remporte les paris!, s'exclama soudain Lee joyeusement et brandissant le point dans les airs. Harry Potter, leur attrapeur, dirige maintenant l'équipe des Gryffondor!, cria-t-il dans le mégaphone. Vas-y, Harry!
Les Gryffondor accueillirent la nouvelle avec des sifflements et des cris de joie alors que Soulavski oubliait de serrer la main qui tenait la sienne, l'air subitement effrayé et le corps figé. Harry la lâcha et recula. Une moitié du terrain semblait avoir perdu sa langue.
_ Enfourchez vos balais, commanda madame Bibine. Attention, à mon coup de sifflet... Trois, deux, un...
Et Harry donna un grand coup de pied sur le sol pour s'envoler et partir à la recherche du vif d'or. Sillonnant l'espace au-dessus du stade, il fit de son mieux pour maintenir son cap le plus adroitement possible. Le hurlement du vent sifflant dans ses oreilles alors qu'il prenait de la vitesse pour une meilleure stabilité, il entendait des bribes des commentaires de Lee réduits parfois à de véritables borborygmes.
_ Alicia en front central...échange de place pour des joueuses de champ différents... technique qui fait ses preuves!... Diversion de Brutus... repasse le souafle et... attention... Moon bloque!...
Harry renonça à tendre davantage l'oreille. Il perçut à peine un cognard qui lui frôla le coude dans un petit sifflement couvert par la rafale et la petite frayeur qu'il lui causa le poussa à mieux se concentrer. Exécutant des cercles horizontaux en hauteur, il réalisait combien le terrain paraissait maintenant gigantesque, plus que lorsqu'il avait fait parti du public pour le premier match de l'année. La superficie du stade en lui-même restait la même mais les gradins et le nombre des tours avaient doublé. Une véritable aquarelle multicolore. En bas, il crut par deux fois voir le vif d'or. Mais ses illusions n'avaient été en réalité que le reflet d'une montre et l'éclat de la boule en cristal surplombant la canne de Grée. Harry se demanda si un véritable professeur de Divination pouvait trouver un match de Quidditch intéressant. Elle connaissait certainement le score à l'avance... Il hôcha la tête. Trelawney ne se rendait jamais au stade et ce n'était pas pour ça qu'elle devinait l'équipe gagnante...
Sur sa droite, plus près du sol, l'un des jumeaux freinait à temps devant une tour pour retaper du pied dessus avec force et reprendre un élan inverse avant de relancer un cognard droit sur le poursuiveur central des Serpentard. Celui-ci piqua de justesse pour l'éviter mais il avait mal estimé l'angle de son balai, trop penché à présent pour le redresser à temps. Il atterrit en catastrophe sur le sol, dans des petits rebondissements successifs, tel un galet sur l'eau, le souafle roulant sur la pelouse et reprit par Rose.
_ Nom d'un chaudron!, s'exclamait Lee dans le mégaphone alors que les Gryffondor hurlaient leurs encouragements à l'adresse de Rose. Les poursuiveuses sont des cannibales, elles aussi ont mangé du lion ce matin!
Il apparaissait en effet que rien ne pouvait arrêter les trois filles dans leurs passes successives. Mais l'offensive de Skatlet échoua par un resserrement des poursuiveurs de Serpentard sur elle et un balancement tardif de la balle rouge. Des "Ooh" de déception se perçurent parmi la foule des supporters tandis que des cris de joie s'entendaient de l'autre côté. Le match devenait tendu: les Lions donnaient du fil à retordre aux Serpentard, malgré leurs excellents balais. Mais les poids de ses derniers les aidaient à évoluer sans trop de problème sous la rafale.
_ 40 à 30 pour Gryffondor!, s'écria Lee dans le porte-voix magique. Et le souafle est repris par Zabini, espérons qu'il va leur servir bientôt de repas...
_ Jordan!
Harry sillonnait l'espace non loin de la silhouette massive de Hagrid lorsqu'il la vit: la petite boule battait frénétiquement ses ailes à peu près un mètre derrière l'anneau de gauche, un des buts de Gryffondor, de l'autre côté du terrain. Son adversaire, un dénommé Blaze, l'aperçut à son tour. Mais l'Eclair de Feu donnait déjà sa puissance maximale. Des doigts dans le public se pointèrent vers eux. Blaze était au centre du terrain, donc plus près. Harry jura intérieurement alors que les courants descendants le ralentissait. Le vent semblait modifier sa trajectoire sur tout le terrain. Saisissant l'unique chance qu'il avait de gagner la course, Harry se força à dessiner une courbe à travers les courants d'air avantageux sur la droite alors que l'attrapeur des Serpentard continuait de tracer son chemin directement, contrant le vent terrible.
_ Harry, le vif d'or n'est pas par l..., commença Lee Jordan alors que la foule entière suivait les deux attrapeurs. Mais regardez ça, l'Eclair de Feu va à une vitesse phénoménale! Il va le rattraper! Il va l'attraper!...
Mais Harry ne l'attrapa pas. Bien qu'il avait réussi à dépasser Blaze, le vent aidant, le vif d'or eut à ce moment-là le malheur de fondre vers le sol puis dans le sens opposé, se dirigeant droit vers le Serpentard. Harry, le coeur menaçant de s'arrêter devant le brusque changement de trajectoire du vif, se saisit d'un côté de l'anneau, tourna autour, et, la force centrifuge aidant, le balai vers l'extérieur, il repartit de plus belle sous les "Ooh!" d'admiration. Blaze, surpris par ce soudain retour, plus efficace apparemment qu'un virage serré, accéléra. Mais le vif d'or semblait aussi capricieux que le temps. Filant vers les gradins, les deux attrapeurs, auparavant face à face, se retrouvèrent bientôt coude à coude.
_ Allez, allez, allez!, hurlait Lee.
Le vent et les encouragements sifflant aux oreilles de Harry, ils virèrent tous deux dans un courant qui les poussaient presque à voler sans balai. Brutus visa bêtement Harry d'un cognard et les deux attrapeurs furent obligés de dévier leurs trajectoires avant de se retrouver. A l'évidence, qu'un membre de son équipe soit blessé dans une offensive contre Harry ne le gênait nullement.
Lee Jordan poussa un juron et s'excusa aussitôt auprès du professeur Mac Gonagall. Harry prit de l'avance sur Blaze... Filant au-dessus des premiers gradins, il donna toute puissance à son balai et... un deuxième cognard frappa de plein fouet le derrière de son balai, venu d'en haut, servant de pierre à catapulte. Harry se sentit désarçonné et propulsé vers l'avant. Il effectua alors un envol au-dessus des premiers gradins, battant l'air avec ses bras, puis les tendant, l'un vers le haut, l'autre devant, alors que le public retenait son souffle. Sa main droite se referma sur la petite balle dorée et, Harry ne sut jamais si cela était du à la formidable puissance du vent, mais il se sentit suffisamment transporté pour attraper le rebord du second gradin, dans un ultime espoir d'éviter la chute catastrophique.
Ne croyant pas à sa chance (ponctuée par des cris et applaudissements à tout rompre), il s'aida tant bien que mal de sa main droite pour supporter son poids, deux doigts seulement serrés autour du vif. Mais il oublia très vite sa victoire éphémère: il allait lâcher prise.
Jetant des regards furtifs au-dessus de lui, il aperçut quelques instants les couleurs qu'arborait le public d'au-dessus: verte et grise. Au-dessous, les élèves se tordaient le cou pour mieux le voir, suspendu et balancé dans le vide.
_ Hey!..., cria entre deux souffles Harry, vers le haut et tentant d'avoir une meilleure prise. Aid... Aidez-moi!
Battant le vide avec ses jambes, il tentait de resserrer ses mains autour de sa prise. L'arrière du public d'en dessous était vraiment très bas. Il ne tiendrait plus que quelques secondes. Des Serpentard, des Serpentard très stupides, se désistaient à le remonter. Pourtant, alors qu'il sentait ses doigts crier grâce en glissant de plus en plus rapidement, et voyait les élèves d'en bas s'écarter (un mauvais présage...), une main forte lui empoigna le seul bras qui le retenait encore de sa chute et le fit monter avec une facilité étonnante.
Hagrid le remit sur pieds, entouré de Serpentard.
_ Merci Hagrid, haleta Harry en se massant les paumes de ses mains endoloris.
_ Tu ne croyais tout de même pas qu'on allait te laisser tomber!, dit-il de sa grosse voix, un sourire apparaissant dans sa barbe hirsute.
De l'autre côté du terrain, les élèves n'en tenaient plus à leur joie. Sautant sur place et hurlant dans l'allégresse générale, ils étaient d'une humeur qui n'aurait pu davantage contraster avec ceux qui entouraient Harry.
_ Allez viens, il faut fêter ça, sourit le garde-chasse en lui frayant un chemin de retour.
_ Gryffondor gagne! Gryffondor gagne!, continuait de scander Lee. 190 à 30! 190! Gryf... Humph!
Le commentateur venait de recevoir le chapeau envolé de Parvati dans la figure. Les Serpentard continuaient de lancer des regards noirs à Harry alors que celui-ci rejoignait enfin son équipe sur le terrain, accompagné de Hagrid, désormais envahi de supporters aux couleurs rouge et jaune.
_ Heu... Hagrid?, demanda maladroitement Harry tant qu'ils pouvaient encore s'entendre. Les Serpentard, vous ne pensez pas... ils n'allaient euh... ils n'allaient pas me laisser tomber? Quand même?, dit-il avec une pointe d'appréhension.
Il savait qu'ils ne l'aimaient pas mais de là à le laisser mourir devant eux sous le regard des professeurs...
_ Noon, répondit Hagrid d'un ton léger. Non, c'est parce que je n'étais pas loin, voilà tout.
Harry lui rendit un faible sourire avant d'être entouré et étreint à son tour par des Gryffondor plus enthousiastes que jamais et criant de joie. Il se laissa peu à peu gagner par l'euphorie générale, Hagrid disparaissant de son champ de vision et Patmol, les oreilles baissées, trop peureux de se faire marcher sur les pattes pour se faufiler parmi les supporters et se joindre à Harry.
Dumbledore était loin d'avoir eu tort en disant qu'il aurait paru très étrange au reste de l'école que Harry parte en ce début de vacances en direction de Godric's Hollow. Sa disparition aurait en effet émit le doute chez nombre d'élèves. Durant le samedi entier, il fut entouré de gens, de la bibliothèque jusqu'à l'entrée de la salle de Sports Moldus, du déjeuner au banquet d'Halloween qui avait lieu le soir même. Il avait été encerclé d'inconnus provenant d'autres écoles, d'élèves qui reparlaient et commentaient sans lassitude ses performances antérieures. Dean s'était même amusé à mimer le retour grandiose de Harry sur le vif en s'accrochant à l'un des poteaux du cloître. Mais son interprétation s'était vite transformée en une sorte de parodie de la chorégraphie "I am singing in the rain", bien que Harry fut certain qu'il en ignorait l'existence.
Comme chaque année, le soir suivant, en l'honneur d'Halloween, la grande salle resplendissait de décors orangés, des dizaines de chauve-souris volaient au-dessus de citrouilles évidées par Hagrid et éclairaient le plafond scintillant d'étoiles, les tables pourvues de mets plus délicieux les uns que les autres. Peeves s'était réjoui à lancer quelques citrouilles remplies de soupe sur la tête de Troisième année de Serdaigle avant d'être stoppé net par l'apparition du Baron Sanglant dans la salle, les yeux toujours aussi vides et le visage émacié. Tous avaient ri et s'étaient rassasiés autour de mets délicats (Ron avait particulièrement abusé de jus de groseilles, dit "délice de vampire") mais personne ne s'amusa autant que lorsque le repas eut pris fin et que les allées séparant les huit tables se transformèrent en un espace de bowling sorcier.
Des sortes de squelettes de gnomes (ou plutôt de nains, comme pour la St Valentin de Lockhart..., avait songé Harry) dansant et les narguant devaient être explosés en un nombre minimum de coups. Neville réalisa l'exploit de réaliser un strike... avec lui-même. Le sol, devenu glissant (gelé avec de la glace) pour un meilleur jeu, l'avait fait déraper tout le long jusqu'à s'écraser au milieu d'un tas d'os.
_ Allez Harry, essaie, dit Ron en lui tendant des "boules". Citrouille ou crâne?
_ Euh, je crois que je vais prendre une citrouille, merci Ron, répondit Harry en s'armant d'une petite bien ronde.
Il s'avança en se frayant un chemin dans la foule, désormais serrée aux quatre coins de la salle, et regarda ses cibles. Un des gnomes jonglait avec sa propre tête. Harry se courba, visant, puis sentit une autre personne faire de même sur sa gauche. Il releva la tête. Le professeur Dumbledore venait de se comporter d'une façon similaire.
_ Oh, pardon professeur, s'excusa Harry, persuadé de l'avoir accidentellement interrompu.
_ Oh non, vas-y. Toi d'abord.
Harry chercha confirmation dans son regard.
_ De toute façon, ma victoire sur tous est indiscutable à ce jeu, ajouta-t-il en souriant.
Le jeune sorcier entendit Seamus et Dean étouffer un petit rire derrière lui puis il s'avança timidement dans l'allée. Il visa les nains, jeta sa citrouille et... des squelettes explosèrent. Un, deux, trois... Le dernier tangua sous le déséquilibre provoqué par la citrouille. Il tenta de regagner son équilibre, non sans mal. Fred, une Bièraubeurre à la main, murmurait:
_ Allez... tombe, un strike, allez, tombe...
Le gnome continua d'exécuter de ridicules pirouettes sur ses petits os des pieds avant de finalement... rester debout. Les jumeaux, Seamus, Dean, Neville et Ron soupirèrent de déception et le gnome ricana.
_ Dommage, dit Lavande en sirotant un délice de vampire avec une paille.
Dumbledore se plaça et Harry se poussa sur la droite. L'air concentré et la position parfaite, il incitait inconsciemment les autres au silence. Puis il lança sa citrouille... un peu trop sur la gauche.
_ Raté, chuchotait Dean à quelques mètres.
La citrouille continua son chemin, puis, au plus grand étonnement et amusement de tous, elle revira elle-même vers la droite, frappa en plein élan un, deux, trois gnomes. Dean releva la tête. Elle revint ensuite en arrière avant de poursuivre le quatrième. Sous le sourire grandissant des élèves, elle fit alors quelques petits cercles telle une danseuse étoile dans un ballet comique et fonça sur le dernier. Une pluie d'os tomba au sol tandis que les jumeaux riaient à grands éclats de la plaisanterie d'un Directeur qui était pourtant resté tout ce temps-là les mains croisées dans le dos, le regard sérieux, fixé vers la boule comme un véritable professionnel.
_ Eh bien, il me semble avoir gagné... Qu'en dis-tu, Harry?
Ses camarades ne firent que continuer à rire tandis que les os se retrouvaient peu à peu tels des aimants et reformaient des squelettes entiers. Ron restait là à observer la citrouille de Dumbledore en se demandant bien comment il avait réussi à leur jouer un pareil tour sans avoir sorti sa baguette. Pendant ce temps, le professeur Chourave avait prit place pour jouer à son tour, Dumbledore la laissant passer galammant.
Harry s'assit un peu plus loin en face d'Hermione qui discutait avec Krum. Les yeux toujours sur le jeu, il se servit à boire et n'entendit qu'à moitié quand Krum lui adressa la parole.
_ Pardon?, dit-il en se tournant vers lui, conscient d'avoir manqué quelque chose avec «Harrrrrry» à la fin.
_ Je disais "beau jeu" pourrrr ce matin, lui répéta-t-il.
_ Oh, merci, sourit Harry. Ton premier match est prévu pour quand, toi?
_ Fin Janvier, norrrmalement. Nous jouerrrons contrre l'autrrre équipe de Serrrrdaigle, dirrrigée parrr cette fille, là, montra-t-il du doigt.
Le sourire de Harry s'effaça lentement.
_ C'est Cho Chang, informa Hermione en leur remplissant de nouveau leurs gobelets. Harry avait gagné contre elle il y a deux ans. Je ne pense pas que tu auras de problèmes à la ba...
_ Euh... J'ai oublié de dirrre à un ami que..., coupa Krum qui se leva brusquement.
Il s'éloigna en marmonnant une fin de phrase incompréhensible et laissa Harry et Hermione un peu désarçonnés. Le Directeur passa derrière Hermione. Soudain, le jeune sorcier sembla comprendre.
_ Ben oui, aucun problème, dit la jeune fille surprise et un peu vexée par le départ soudain du Poufsouffle en reposant le gobelet rempli de ce dernier un peu brusquement.
Du jus en déborda.
_ Hermione, coupa son ami, sais-tu pourquoi Krum évite continuellement Dumbledore?
_ Quoi?
_ Oui..., s'expliqua-t-il. C'est juste... Tu n'as jamais remarqué? Krum a l'air effrayé par Dumbledore. Tout le temps. Et...
Il hésita à continuer. Tout le reste s'était déroulé il y avait plus de quelques mois.
_ Et le soir où j'ai dit à Dumbledore que Croupton avait une crise de folie, il a accéléré sa marche en apprenant que je l'avais laissé avec Krum... C'est juste une impression, rien de plus, mais...
Il pensait au banquet de fin d'année, la méfiance de Krum, sa peur... Il sentit le regard d'Hermione posé sur lui.
_ Je, je n'avais jamais remarqué, dit-elle un peu déconfite.
C'était elle qui était censée bien connaître le Poufsouffle.
_ Bah, je me fais peut-être des idées, dit finalement Harry en observant son amie.
Hermione regardait toujours dans la direction qu'avait pris Krum en les quittant. Harry la resservit de jus de citrouille avant de remplir son propre gobelet. Au moment où il porta le verre à sa bouche, il sentit des yeux posés sur lui: Rogue, de la table des professeurs, l'observait. Harry, un air impavide traversant son regard, but sa boisson.
Le reste de la soirée se déroula dans une ambiance assez chaleureuse qui fit vite oublier l'étrange attitude de Krum à Harry et fut ponctuée par quelques autres petits événements assez drôles. La citrouille d'Astrarie fut déviée de sa trajectoire par un gigantesque éternuement de la part de Hagrid alors que Pattenrond venait de lui passer la queue sous le nez (le garde-chasse était allergique aux poils de chat) et celle de Malefoy, qui avait volontairement lancé un crâne un peu trop vers la droite, sous la table où passait justement Patmol, ne percuta par manque de chance que le pied que Mac Gonagall, regardant les jeux d'une autre allée, devenue furieuse et intraitable face à la maladresse du blondinet qui avait subitement pali.
La légère euphorie dans laquelle l'école s'était plongée après la victoire des Lions s'évanouit très vite: les départs pour les vacances qui se déroulaient le lendemain concernaient la moitié des élèves. Beaucoup d'étrangers n'avaient pu se résoudre à une séparation d'un an avec leurs proches malgré les événements, sans les revoir de temps en temps: certains étaient rappelés pour la bonne raison qu'en temps de crise, l'esprit de famille reprenait une place primordiale (les rumeurs ne faisaient que prendre de l'ampleur), et d'autres restaient par habitude ou par désir de se protéger au maximum (la sécurité de Poudlard était de renommée internationale).
Les jumeaux s'étaient montrés largement enthousiastes à l'idée de partir: "Enchaînons victoire sur victoire!", avait dit Fred au sujet de leur permis de transplanage. Hermione et Ron, quant à eux, avaient décidé de rester. La jeune fille avait été particulièrement enthousiaste lorsqu'elle avait appris que des cours de musique seraient donnés tous les jours pour qui le voulait bien durant la semaine suivante. Elle avait paru cependant davantage inquiète, tout comme Ron, en apprenant le "petit voyage" de Harry le vendredi prochain. Ils n'étaient pas près d'oublier ce qui s'était produit la dernière fois que Harry s'était retrouvé hors de Poudlard...
Quant à ce dernier, il ne cessait de penser à ce fameux jour: il avait essayé bien des fois, plus jeune, d'imaginer la vie de ses parents et leur maison mais cette fois-ci, il pourrait ajouter des décors réels à ses songes. Seules les options qui se prolongeaient pendant les vacances de façon facultative pour les inscrits et les professeurs parvenaient à le faire sortir de ses rêveries.
En cours de Combat avec Armes Magiques, ils commençaient désormais à maîtriser l'usage de boomerangs créant des lianes sur leurs chemins, ce qui avait demandé une séparation obligatoire des duellistes dans les différentes petites pièces afin d'éviter de retrouver tous les élèves pris dans les noeuds d'une véritable toile de lianes dans la salle principale. A la surprise de tous, Les professeurs leur avait enseigné une manière de transformer leurs vieux bâtons en cette nouvelle arme.
_ Chaque arme dont vous apprendrez le maniement en cours d'année résultera d'une transformation du bâton, avait dit Infly. La fusion avec la baguette sera parfois inutile cependant. Vous ne pensiez tout de même pas que toute sa magie résidait seulement dans Tchocus...
Concernant les Sports Moldus, il s'agissait là d'une autre paire de manches. Dumbledore paraissait profiter des vacances pour se rendre dans différents endroits (à l'aide de portoloins conçus antérieurement) entourant le château, notamment les montagnes, afin d'initier Harry à l'escalade. Jamais l'adolescent n'aurait cru que de telles merveilles entouraient l'école. Des forêts enchantées (les arbres se déplaçaient pour faire perdre le chemin à quiconque ne respecterait pas leur environnement), il avait tenté d'arpenter des falaises aux roches aussi glissantes que du marbre, et de sa surprise à observer des vagues horizontales montant presque à son niveau d'escalade, il était passé à l'effarement devant des scarabées presque aussi grands qu'Aragog (Rita Skeeter n'avait qu'à bien se tenir avec sa minuscule métamorphose...) et qui colonisaient des prairies entières. C'était comme si le Directeur s'était fixé pour objectif de lui faire connaître tout des beautés que recelait le monde magique. A ses retours d'expéditions, Ron avait renoncé à croire en les propos incroyables de Harry. Mais ce dernier avait de bonnes raisons de penser que le garçon roux réagissait ainsi plus par peur de voir ses cauchemars d'enfants se réaliser que par manque de confiance.
Enfin, par une matinée au ciel voilé de nuages au gris pâle, le soleil encore absent, le vendredi arriva. Derrière des rideaux blancs entourant l'un des lits des Cinquième année, la lueur d'un Lumos transparaissait légèrement. Harry, assis en tailleur et l'esprit déjà totalement éveillé, regardait une dernière fois les photos de ses parents, l'album sur les genoux. Un petit sourire sur le visage, il referma l'album et le plaça dans un sac à dos moldu, avec l'air de quelqu'un qui s'apprêtait à revoir des gens proches qu'il n'avait pas revu depuis longtemps. Entièrement vêtu (jean, sweat noir et chaussures de sport _ son parrain avait précisé "habits moldus" , plus discrets dans cette banlieue _ ), ses affaires prêtes et son lit fait, il passa près de Ron en chuchotant un "A plus tard" sans timbre pour recevoir un "A plusszz" latent (Harry était déjà à l'entrée du dortoir) et endormi, les yeux gardés fermés.
Patmol était en dehors du dortoir, à l'attendre. Il avait récupéré un peu plus tôt les portoloins dernièrement fabriqués par Dumbledore et tenait dans sa gueule l'un d'eux: une mornille envelloppée dans une poche plastique. Harry la prit et la mit dans sa poche. Il l'utiliserait dans un lieu où ils seraient certains de ne pas être suivis, ne serait-ce que par Miss Teigne: la salle de duels. Pendant leur trajet silencieux, Harry continua de penser à son voyage: il allait sortir. Il serait en dehors de Poudlard. Il ne serait ni au Chemin de Traverse, ni à Pré-Au-Lard ou à Privet Drive. Les principaux lieux où s'était déroulait toute sa vie en dehors de l'école (inutile de citer son école primaire ou Azkaban). Non pas qu'il se sentait emprisonné par les murs du château mais il éprouvait un étrange sentiment de liberté et d'excitation, pourtant calmé par ce que représentait ce nouvel endroit: l'univers de ses parents.
_ Prêt?
La voix de Sirius le fit sursauter. Il ne s'était pas aperçu qu'ils étaient parvenus dans la salle.
«Prêt», voulut-il répondre en sortant la mornille de sa poche et se sentant simultanément transporté, toujours avec l'impression qu'un anneau le tirait par le nombril au beau milieu d'un tourbillon de couleurs. La potion novox faisait encore son effet et il était en fait resté muet, mais pour plus que quelques minutes maintenant...
Ses pieds heurtèrent lourdement un sol de terre dure. Harry, essayant de dissiper son tourni passager, observa autour de lui tout en réprimant un frisson: il faisait vraiment froid ici. Son parrain et lui avaient atterri au beau milieu d'une forêt moldue (en opposition avec des forêts dignes de la forêt interdite...). Harry commença à faire quelques pas mais Sirius le retint par le bras.
_ Attention, murmura-t-il doucement. Regarde.
Il tendait l'index devant lui. Harry tourna les yeux et s'entendit à apercevoir quelque chose. Mais des habituels frémissements de feuilles aux sifflements matinaux des oiseaux, rien ne semblait sortir de la normalité moldue. Il jeta un regard interrogateur vers Sirius, qui, les sourcils froncés, paraissait observer quelque chose derrière l'adolescent. Son parrain passa près de lui, une main à plat devant. Soudain, elle s'arrêta, comme si elle avait brusquement rencontré un obstacle. Un sourire s'étira sur les lèvres de Sirius. Il plaça sa seconde main devant lui et elle-aussi fut stoppée devant ce qui aurait paru paraître maintenant aux yeux de Harry un mur invisible.
_ C'est ici, annonça son parrain en souriant devant l'air perplexe de Harry. Présente ta baguette et fais-en jaillir quelques étincelles que nous rentrions.
Avant que son filleul ne puisse répondre quoi que ce soit, il se remétamorphosa. Harry obéit et des étincelles rouge et or émirent des lueurs éphémères sur les fougères et troncs les entourant. L'empreinte magique était donnée. A ce moment-là, les yeux du jeune sorcier s'écarquillèrent. Une partie du paysage naturel se figa, comme si elle n'était plus rien qu'une immense photographie exposée sous son nez. Cette partie avait l'air de se délimiter dans des proportions semblables aux dimensions des portes de la grande salle de Poudlard. Le paysage, ou ce poster, ou ses portes caméléons, peu importait, s'ouvrit dans un grand grincement qui se répercuta en écho dans tout le bois, Harry en était certain. Une volée de moineaux sortit du feuillage d'un arbre, affolés.
Harry crut alors rêver. Devant lui, au milieu de la forêt, il avait l'impression de s'être retrouvé soudainement face à une entrée le ramenant directement dans le cloître de Poudlard. Il entra, les yeux grands ouverts.
Le petit trot de Patmol s'entendit dès qu'il commença à marcher sur les pierres. Un Poudlard neuf, moins haut, moins grand peut-être, moins mystérieux, et sans élèves. Telle fut la première pensée de Harry en longeant le couloir extérieur. Un Poudlard sans histoire. Un grand claquement dans son dos lui fit faire volte-face. Les portes s'étaient refermées, des portes en bois massif cette fois-ci. Harry reprit son chemin hasardeux et s'aperçut que Patmol avait pris de l'avance. Il accéléra sa marche, tourna à gauche, contourna une colonne de pierres, entra dans une ouverture où il venait de voir disparaître Patmol et...
L'intérieur était définitivement très différent de Poudlard. Surtout d'un Poudlard sans élèves. Pour la bonne raison qu'il était actuellement dans un hall bondé. Des sorciers s'affairaient de toutes parts, s'éloignant dans des couloirs aux ornements romans, discutant avec des sorcières assises dans un box central, ou prenant une pause en buvant des boissons fumantes distribuées par des mains anonymes sortant parfois d'une ouverture du mur de droite, entre deux bureaux. Un grand brouhaha s'en élevait. Harry ne se ressaisit que parce qu'il allait perdre la trace de son parrain. Il se fraya un chemin dans la foule bourdonnante comme un essaim d'abeilles, évitant de bousculer des personnes particulièrement pressées, des parchemins sous les bras, toutes avec des petits badges indiquant nom et fonction sur leurs poitrines.
Patmol longeait à présent un long corridor dont les pierres révélaient la récente construction du bâtiment. L'espace d'un instant, Harry se demanda si Alkilan avait été autant en ébullition avant que Fudge n'ait décidé d'accepter le retour de Lord Voldemort. Une petite sorcière replète le croisa, la démarche rapide et le souffle court. Elle jetait des regards anxieux à sa montre tous les dixièmes de secondes et marmonnait à elle-même "catastrophe... réunion commencée... stupide tasse de café renversée...". Harry, son regard sur elle, suivait inconsciemment son parrain qui entrait dans un des bureaux jusqu'à ce que... ce qu'il en ressorte. Harry dut s'arrêter net pour ne pas entrer en collision avec le chien, le museau parfois en l'air parfois au ras du sol, reniflant les odeurs, et reparti dans le corridor.
Le jeune sorcier hocha la tête et leva les yeux au plafond devant l'attitude de l'animaux qui ne s'était pas le moins du monde aperçu de l'accident évité de justesse. Patmol avait fait demi-tour dans le bureau réservé à Rémus Lupin. Ils parvinrent quelques minutes plus tard dans un escalier en colimaçon, puis un nouveau couloir, puis d'autres escaliers... Harry se demandait bien où son parrain l'emmenait. Ce qui était sûr, c'était qu'il s'enfonçaient dans le bâtiment construit sous terre. Une ou deux fois, des sorciers affichèrent un air étonné en voyant un adolescent de quinze ans accompagné d'un chien noir à l'intérieur de l'édifice, mais Harry tournait la tête avant qu'ils n'aient le temps de le reconnaître. Après son évasion d'Azkaban, cacher seulement sa cicatrice était devenu inutile. De nouvelles photos de lui avaient fait la une...
Il observa autour de lui. Sirius et lui étaient arrivés maintenant dans un large couloir de pierres claires, éclairé par quelques flambeaux entre lesquels étaient espacées... des cellules. Harry ne put s'empêcher de grogner intérieurement en pensant que les futurs mangemorts enfermés ici seraient beaucoup mieux traités que lui ne l'avait été à Azkaban. Sans compter l'absence de Détraqueurs... A la vue de la mine renfrognée de Patmol (Harry arrivait à très bien lire les expressions du chien à présent, découlement de longs mois d'observation...), il aurait pu dire qu'il pensait à la même chose que lui. On devenait moins indulgent envers le sort des prisonniers quand on avait été soit même pensionnaire de leur prison...
A cause de la récente construction d'Alkilan, l'hygiène et la propreté ne faisaient pas défaut. Harry pouvait observer à volonté l'intérieur des cellules: aucun mur de pierres ou porte ne les dissimulait de lui. Seule une limite magique qui lui rappelait le Charme du Bouclier (dégradé du bleu clair au foncé, malgré tout parfois transparent) bloquait l'accès. Il se demanda alors où était Nott mais se rendit compte qu'il ne préférait pas le savoir...
L'attention que Harry portait à ces installations fut détournée par une conversation rapprochée et le jeune sorcier s'aperçut alors de la présence de Rémus en compagnie de trois sorciers et une sorcière, plus loin dans le couloir. L'un d'entre eux lui avait un visage connu: il s'agissait de l'inventeur pris en photo avec l'ancien professeur il y avait quelques semaines. Patmol aboya et interrompit, un peu brusquement il était vrai, leur conversation. De là où se trouvait Harry, il vit Lupin accueillir joyeusement le chien et se retourner dans sa direction en souriant. Les autres sorciers regardèrent également la nouvelle venue avec des yeux qui s'écarquillaient de plus en plus. L'un d'entre eux eut une expression d'impatience face à l'interruption: il avait l'air des gens pressés qui ont toujours des tonnes de travaux à faire. Un Percy brun avec barbichette dans toute son importance.
_ Bonjour Rémus, dit Harry rapidement. Excusez-nous... Euh, excusez-moi, fit-il au groupe avant de reparler à Rémus. On va attendre plus loin si tu as une réunion... Patmol se montre parfois un peu trop enthousiaste, ajouta-t-il dans un petit rire gêné en tapotant le dos de l'animagus.
Le comportement joyeux du chien avait l'air d'avoir paru déplacé _dans un tel lieu, à un tel moment! _ aux yeux du Percy brun.
_ Non, restez, dit Rémus dans un sourire. Nous avions terminé. Mr Praegrande, annonça-t-il amicalement au Percy brun, je vous présente Harry Potter. Harry, Mr Praegrande est le Directeur de la Confrérie des Enchanteurs et... Voici Mr Lovegood, Melle Campell et Mr Moustein.
Mr Praegrande serra la main de Harry d'une manière solennelle tandis que Mr Lovegood plaçait ses notes sous l'épaule avant de le saluer. Il semblait timide (mais pas autant que Harry ne l'était en cet instant). Melle Campbell avait l'air jeune, joyeuse et adressa un clin d'oeil à Harry en lui serrant la main. Quand il prit celle de Mr Moustein, un homme chauve aux allures de bon vivant, il eut alors le malheur de ressentir la même douleur à la cicatrice que la première fois qu'il avait croisé le regard de Rogue. Un mal fulgurant, l'instant d'un flash.
_ Enchanté de faire votre connaissance, dit l'homme d'une voix un peu aiguë dans un sourire.
Harry hocha lentement la tête, voulant sourire en retour pour cacher la sensation très désagréable qu'il avait appris à maîtriser, mais n'y réussit qu'à moitié. Son regard se fixa sur lui. L'homme avait l'air d'une bonne nature... Mais sa cicatrice...
_ Vous êtes l'inventeur des derniers dômes résistant à l'interiorse, dit Harry à voix basse, ne réalisant toujours pas ce qui venait de se produire.
Moustein eut l'air ravi et rougit en même temps.
_ Oui, c'est exact. J'en fourni à Mr Lupin pour les cellules..., ajouta-t-il en montrant d'un geste vague les limites magiques bleutées. Et nous en vérifions la solidité, l'adaptation... Nous examinions s'il n'y avait aucune interférence, euh... contre-réaction entre les différents dômes, comme ça, côte à côte, ou avec les murs, à l'intérieur...
Il semblait très maladroit dans ses propos. C'était le genre d'homme qui préférait fabriquer que tenir des conférences.
_ Regarde ça, Harry, intervint Lupin en faisant face à l'un des murs. Et regarde bien, car je ne le referai pas deux fois.
Mr Praegrande eut l'air réprobateur de celui qui n'aimait pas étaler les capacités de ses armes devant quiconque, bien qu'il s'agissait de la dernière personne à se tourner du côté de Celui-Dont-On-Ne-Devait-Pas-Prononcer-Le-Nom. Lupin se concentra, tendit une main vers l'avant et un jet de lumière argentée en sortit. Un bruit d'explosion retentit alors que le sort lancé atteignait le mur qui resta tel quel, absorbant le maléfice. Harry se tourna et vit Lupin, les mains sur les genoux, qui tentait de récupérer. Cette vision l'étonna.
_ Euh... c'était bien un Rictusempra... n'est-ce pas?, demanda-t-il dans le doute.
_ Oui, informa la jeune sorcière. Ca va Rémus?
_ Ca va, assura-t-il après quelques secondes. Alors Harry? Tu as vu ça? Une résistance parfaite, pas la moindre faille.
Harry acquiesça, pensa que Rémus devait se sentir faible avec l'approche de la pleine lune (mais s'approchait-elle vraiment?) et poursuivit:
_ Jusqu'à quel niveau de magie résiste-t-il?, demanda-t-il innocemment.
Mr Praegrande intervint brusquement.
_ Vous vous doutez bien qu'il s'agit là d'une information secrète pour une question de plus grande sécurité, grogna-t-il presque. Rassurez-vous, personne ne s'échappera de ses cellules, je m'en porte garant.
Harry se tourna vers lui et Mr Praegrande eut tout à coup l'air moins sûr de lui, comme s'il venait de se rappeler quelque chose.
_ Bien, coupa Rémus en se redressant enfin. Alicia, voudrais-tu que nous t'empruntions ton bureau quelques minutes?
_ Bien sûr, répondit-elle en souriant aux trois autres sorciers. Veuillez me suivre, je vous prie.
Elle les emmena sur le trajet du retour et Harry et Patmol, bien qu'ils étaient de parfaits outsiders à la réunion, les suivirent. Alors qu'ils défilaient silencieusement dans les escaliers et couloirs, Campbell se pencha légèrement vers Harry, sur sa droite.
_ Nous allons à la Trésorerie, renseigna-t-elle comme si elle venait de lire dans ses pensées. Les sous, c'est moi qui m'en occupe, ajouta-t-elle dans un autre clin d'oeil.
A la pensée qu'ils allaient parler affaires, Harry eut le regard sombre de quelqu'un qui se préparait à l'ennui et l'attente. Il mit ses mains dans ses poches et tourna son oeil de faucon et la petite poche enveloppant sa mornille entre les doigts quand soudain...
_ Rémus, chuchota-t-il en ralentissant l'allure pour se trouver à sa hauteur. Où sont les toilettes?
Entrant dans les toilettes vides du premier étage en dessous du rez-de-chaussée, Harry avait abandonné Patmol à Rémus et aux autres pour utiliser son temps à bon escient. S'enfermant dans une cabine, écoutant les moindres bruits qui l'avertirait de l'arrivée d'un employé du personnel, il enleva son sac du dos et l'ouvrit: il sortit alors de sa chemise deux drôles de pots. Un en terre, rempli, et un petit, vide et en verre. En fronçant d'avance du nez, il enleva le couvercle du premier dont le contenu dégagea aussitôt une forte odeur de vinaigre. Regardant avec dégoût l'intérieur, il releva ses manches en soufflant un bon coup et plongea sa main gauche dans la mixture. Avec la densité du dentifrice, il racla manuellement une grosse couche de moisissure mauve qui recouvrait le reste de la substance _différente_ et la jeta dans le cabinet. Substance biodégradable... Il replongea ensuite la main dans le bocal et en retira une bonne poignée de matière blanche. Au contact de sa peau, Harry eut l'impression d'en sentir le goût (rapproché à celui de l'eucalyptus) dans sa bouche. Il prit de sa main droite sa baguette et une mince volute de poussière profondément encrée dans le sol sembla alors s'élever et atterrir dans le pot en terre. Une lueur blanche éphémère s'en échappa. Harry entreprit alors de badigeonner le pot en verre de cette nouvelle mixture et l'objet l'absorba aussitôt.
Le jeune sorcier essayait en effet de créer son premier portoloin à distance. Et comme il aurait à l'avenir de rares occasions de voyager, il allait profiter de cette sortie. Pour la fabrication d'un tel instrument, il avait appris qu'il devait obligatoirement se trouver aux deux destinations différentes (et additionner ainsi de la poussière du terrain de décollage et d'atterrissage). Ainsi Croupton junior avait reçu un portoloin de Queudver qu'il avait terminé dans le stade et de même Nott junior avait suivi les consignes de mangemorts (ravis de la vengeance du jeune homme) pour finir le sien dans l'enceinte de Poudlard... Harry avait varié la composition des mixtures à poser à l'école puis dans Alkilan pour modifier le champ d'action du portoloin: s'il avait effectivement réussi, il pourrait être transporté de n'importe où (à l'intérieur de l'enceinte de Poudlard) mais retomber normalement... dans ces toilettes.
Sa tâche terminée, il rangea le tout (en prenant le nouveau portoloin à l'aide d'une poche plastique) et se lava les mains avant de retourner auprès de Sirius et Rémus, satisfait.
Réaliser des portoloins pour de tels trajets demandaient davantage de précision dans les mesures d'ingrédients que pour ceux faisant simplement transplaner une personne d'un bout à l'autre de l'école. Il voulait savoir s'il avait réussi... Il tenterait l'expérience à son retour peut-être... Sa curiosité concernant le résultat de son expérience s'effaça lorsqu'il rejoignit enfin Sirius et Rémus, les autres sorciers ayant quitté son bureau. Les deux amis avaient eu le temps de discuter un peu ensemble et échanger les dernières nouvelles. Le jeune sorcier profita alors de leur cercle restreint pour leur faire part de la douleur qu'il avait éprouvé au niveau de sa cicatrice quelques moments plus tôt. Leurs réponses le surprirent.
_ Oh, ce n'est pas grave...
_ Oublie ça...
_ Mais, mais..., bégaya Harry, stupéfait par leur réaction. Mais vous savez ce que cela signifie! Vous le savez! Ma cicatrice, les mangemorts...
_ Oui, nous le savons Harry, répondit paisiblement Rémus.
Il avait l'air malgré tout un peu gêné.
_ Mais ne t'en fais pas, Mr Moustein est de notre côté, nous te l'assurons...
_ Alors il est comme Rogue?!, poursuivit Harry avec empressement. Un ancien mangemort?! Un espion?!
L'expression de Sirius se rembrunit à la mention du professeur de Potion.
_ Non, Mr Moustein n'a jamais été un partisan de Voldemort. Et Rogue n'est pas prêt de revenir l'espionner...
_ ...
_ Nous devrions partir, Harry, reprit son parrain en regardant sa montre. Dumbledore ne veut pas que nous rentrions tard...
Harry ravala avec difficulté son envie de l'attraper par le col pour l'obliger à lui donner des explications plus explicites sur Moustein et consentit à le suivre après un dernier salut à Rémus répondu par un "prends soin de toi" qui, décidément, revenait un peu trop souvent à son goût...
Ils retraversèrent les fameuses portes caméléon et marchèrent d'un pas rapide (histoire de se réchauffer contre le froid matinal) vers leur nouvelle destination: Godric's Hollow. Le coeur de Harry battait étrangement plus fort au fur et à mesure qu'il s'approchait de la lisière de la forêt. Moustein lui était complètement sorti de la tête. Il allait les revoir. Les revoir bientôt.
Les paysages défilaient. Un chemin caillouteux... Des champs cultivés... Des maisons de campagne espacées, calmes... des demeures rapprochées, à peine différentes de celles du Privet Drive, soignées et bourgeoises... Combien de temps leur restait-il? Un quart d'heure? Quelques minutes?... Je vais les revoir, je vais les revoir...
Là, derrière une ancienne demeure rustique. Le brouillard se confondait à une sorte de brume blanche plus dense, une brume qui se dissipait à l'approche des maisons. Dans sa marche silencieuse, Harry vit peu à peu la vieille demeure laisser place à un espace dépourvu d'habitats. Le jeune sorcier sentit qu'il était arrivé. La banlieue était calme, des lampadaires éclairaient toujours la rue qu'il longeait, bien que leurs lueurs semblaient de plus en plus pâles à mesure que le jour se levait. Un soleil encore faible tentait de percer les épais nuages blancs.
Une pierre, puis deux, puis d'autres, sortaient, comme bancales de la brume. Des tombes. Lézardées et entourées de magnifiques roses rouges aux épines menaçantes tel du lierre, elles étaient irrégulièrement espacées, tournées en tout sens, noyées à demi dans une sorte de grand nuage cotonneux évoluant lentement.
Harry, s'approchant à pas muets, eut peu à peu le bas du corps jusqu'aux genoux enfoui dans l'étrange matière blanche. Aucun mur ne délimitait cet emplacement de recueil au reste de la banlieue. Seule la brume marquait une frontière floue entre le monde des vivants et celui des morts.
Harry eut l'impression d'entrer dans un autre monde, ou plutôt dans un état second. Il regardait autour en essayant de trouver la source de chuchotements, ou peut-être celle d'une musique, qu'il entendait; il n'en savait trop rien. Mais il renonça rapidement, s'abandonnant malgré lui (était-ce vraiment malgré lui?) à l'atmosphère envoûtante.
Il était vrai qu'une musique lointaine, comme une douce chorale, les environnait. Elle paraissait être jouée à une dizaine de kilomètres et en même temps, omniprésente. Une ou deux fois encore, Harry sentit l'envie de mieux capter ou comprendre les paroles, les murmures qui narguaient ses oreilles. Mais tandis qu'il se concentrait mieux, ils devenaient inintelligibles. C'était comme s'il avait essayé de retenir de l'eau entre ses doigts. Les chuchotements lui échappaient à mesure qu'il tentait de les saisir...
Lentement, inexorablement, l'esprit de Harry fut transporté dans un état de recueil profond, commun aux rares personnes présentes, immobiles devant des sépultures de proches, agenouillées ou debout, toujours avec cette même expression de tristesse acceptée mêlée de nostalgie. L'adolescent, en passant derrière une vieille femme vêtue de châles noirs, sentit ses battements de coeur cogner étrangement forts dans sa poitrine, comme décalés, plus rapides que la musique insaisissable.
La vieille sorcière resta agenouillée, l'expression de marbre, ses yeux vides fixés vers une photographie mouvante d'une petite fille de six ans faisant de la balançoire, un grand sourire de bonheur innocent éclairant son jeune visage. De là où se trouvait Harry, elle avait l'air d'éclater de rire au photographe. La femme demeura tel un mannequin de cire qui jamais ne pourrait réimiter à la perfection le sourire sincère d'un humain. L'enfant ne perdait en rien de sa joie momifiée, figée dans le temps, tandis qu'une unique larme s'obstinait à ne pas couler des yeux de la grand-mère peut-être, ou alors... Le regard de l'adolescent, tout en poursuivant sa route, lentement, tomba sur les dates de naissance et de décès de la petite fille. Un sentiment de malaise l'envahit aussitôt et il détourna les yeux.
L'époque de l'ascension de Voldemort. Une coïncidence, dit une voix dans la tête de Harry. Les voix flottantes dans l'air étaient toujours là, elles avaient quelque chose de religieux. L'adolescent passa devant d'autres photos qui affichaient elles-aussi des vies perdues, emplies d'instants de bonheur gravés ici pour l'éternité. Un fantôme à l'air morne traversa une mausolée sur sa droite. Le cimetière en était peuplé. Le regard de Harry se posa une nouvelle fois sur les inscriptions d'une autre tombe que la mousse menaçait d'envahir: Lionel et Tania McKinnon. Le jeune sorcier se força à prendre une grande inspiration silencieuse, comme pour faire passer une boule dans sa gorge, un sentiment désagréable. De la buée sortit de sa bouche. Cette fois-ci, il n'avait pas besoin de regarder les dates. Pourtant, ses yeux se tournèrent malgré eux vers elles. A présent, la boule s'intensifiait. Il vit le couple serein lui faire signe dans un cadre érodé, avec pour toute décoration des feuilles de lierre givrées par la rosée matinale.
Ils avaient l'air bien, pensa Harry malgré lui en s'éloignant. Un autre couple qui aurait aimé vivre plus longtemps. Au coeur de ce cimetière, le jeune sorcier ne pouvait songer à autre chose qu'à la vie de ceux qui n'étaient plus. Il passa encore devant des dates. Le sentiment de malaise prenait de l'ampleur. Il se reprocha sa paranoïa à ne voir des morts... qu'à cette période. En marchant, il prenait de plus en plus conscience (même s'il s'en serait bien passé) d'une véritable hécatombe révolue et pourtant qui annonçait son retour fatidique. Imagine que tu rentres chez toi et que tu voies la Marque des Ténèbres flotter au-dessus de ta maison en sachant ce que tu vas trouver à l'intérieur... Perdant la notion du temps, il s'abandonnait peu à peu à une successions d'images alternant des images de bonheur de familles sorcières, de cris semblables à ceux de ses parents, des dates, toujours plus de dates, et des paroles, des paroles récentes rappelant, expliquant le malheur d'antan...Les témoins de l'histoire... S'il savait ce qu'il représente pour nous, les humbles, les esclaves, nous le rebut du monde de la magie!... Je suis Doris Crockford, Mr Potter, c'est extraordinaire de vous voir enfin... Dobby se rappelle comment s'était quand Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom était au sommet de sa puissance! Nous, les elfes de maison étions traités comme de la vermine, Monsieur!... Une tombe. Un nom. Rosier... Pour beaucoup d'entre nous, la vie s'est améliorée depuis que vous avez triomphé de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom... Rosier et Wilkes, deux mangemorts tués par des Aurors, la tombe de Wilkes un peu plus loin... Mais je sais pourquoi vous n'avez pas pu me tuer. C'est parce que ma mère a donné sa vie pour me sauver... Ce fut une aube nouvelle, Monsieur, et Harry Potter brillait comme une flamme d'espérance pour ceux d'entre nous qui pensaient que jamais les jours sombres ne finiraient... La tombe des Prewett... Est-ce que toutes les sépultures des victimes de cette période étaient à Godric's Hollow?!... C'était une sombre époque, Harry. On ne savait plus à qui faire confiance, on n'osait pas se lier d'amitié avec les sorciers ou les sorcières qu'on ne connaissait pas bien... NE MENS PAS! TU L'AS RENSEIGNE PENDANT TOUTE UNE ANNEE AVANT QUE LILY ET JAMES NE MEURENT! TU ETAIS SON ESPION!... Non, c'était un cimetière qui faisait apparaître les tombes, les tombes vers lesquelles nos pensées allaient..., réalisa Harry, totalement englouti par ses souvenirs... Il s'est passé des choses terribles. Il prenait le pouvoir sur les autres. Oh bien sûr, il y en avait encore qui lui résistaient... Mors... Ultima racio, Omnia vincit amor... mais il les tuait. Et d'une manière effroyable... le hurlement de Lily... Alors, il n'a pas souffert? Il faut se dire, Amos, qu'il est mort au moment où il remportait le tournoi. Il devait être très heureux. Harry, comme s'il avait reçu un choc soudain au torse, se força subitement à penser à autre chose. Mais en tournant les yeux, il s'aperçut qu'il était trop tard. Devant lui se tenait la sépulture de Cedric Diggory.
Une pierre récente, entretenue, et dessus, d'inévitables photographies. Le coeur de Harry semblait presque s'être arrêté sous la brusque (brutale?) apparition de la tombe du garçon que l'adolescent avait un jour jalousé, envié. Harry sursauta de nouveau en percevant un cri suraigu de femme qui le sortit de son état second aussi violemment que s'il avait reçu une claque pour le réveiller.
_ Un Sinistros! Un Sinistros!, hurla une femme à la sortie du cimetière en courant en arrière, l'index pointé près de Harry.
Celui-ci regarda dans la direction que montrait l'inconnue, maintenant enfuie à grandes enjambées, et vit Patmol, l'air étonné, le corps à moitié disparu dans la brume.
Le jeune sorcier soupira et lança un regard "c'est pas grave" à Sirius qui avait l'air tout aussi détaché de la réaction de cette femme que lui. Harry regarda autour de lui. Le cri l'avait sorti de ses songes et rappelé ce pourquoi il était venu. Il ferma les yeux et se concentra. Je veux voir la sépulture de mes parents... la sépulture de mes parents... Lily et James Potter...
Il rouvrit les paupières et regarda les noms qui l'entouraient. Aucune des tombes n'était celle de ses parents. Faisant quelques pas, tournant sur lui-même, revenant vers d'autres pierres, il n'aperçut rien. Lily et James Potter... Lily et James Potter...
Rien. Harry s'arrêta et réfléchit. N'avait-il donc pas de tombe? Dumbledore, aurait-il oublié de lui signaler un moyen d'y parvenir?... Non, Dumbledore n'oubliait jamais rien. Harry se pencha vers Patmol. Lui aussi avait la tête tournée en tout sens.
_ Je ne les vois pas, dit Harry à voix basse alors que de la buée continuait de sortir de sa bouche. Je ne vois pas leur tombe. Tu as une idée de leur emplacement?
Patmol resta un moment immobile, puis, comme soudainement éclairé, il fit signe à Harry de le suivre. Et l'adolescent vit le chien l'emmener... hors du cimetière.
_ Euh... Patmol... Tu es sûr? Parce que là..., commença Harry en passant devant une ancienne demeure avec des petits nains de jardins décorant la propriété, des "petits pères Noël grassouillets avec des brouettes et des cannes à pêche" comme le disait Ron.
Mais le chien garda une démarche déterminée. Le jeune sorcier passa derrière des haies bien taillées, aperçut quelques fenêtres éclairées derrière lesquelles s'affairaient des familles avant de se rendre à leur travail respectif, une sorcière agitant sa baguette devant des poêles et couverts volants dans sa cuisine, un bonhomme encore endormi sortant sa voiture du garage, puis... Harry ralentit sur le coup. Entre deux maisons à l'aspect entièrement moldue, un espace assez grand pour pouvoir y faire construire une maison était recouvert de la même brume blanche se dissipant à l'approche du trottoir ou des demeures voisines. En dessous, on y devinait une pelouse unique, vierge de toute plante autre que de l'herbe, simplement, et au milieu (Harry inspira profondément une fois de plus) une grande pierre tombale.
Il avança prudemment, les yeux fixés sur la tombe, et pénétra peu à peu dans la brume. La musique, qui l'avait lentement quitté en sortant du cimetière, revint, plus douce et plus belle encore, toujours insaisissable. Ainsi avaient-ils été enterrés sur le lieu même de leur mort, la maison détruite déblayée. Une sorte d'hommage...
C'était ici qu'ils avaient vécu. Tous les trois. Pendant un an.
Harry ne se rendit pas compte que Patmol était resté en arrière, respectueux, et se rendit encore moins compte du bruit du frappement d'un tapis plein de poussière par une femme, à la fenêtre de la maison d'en face, qui commençait son ménage, puis s'arrêtait et l'observait. L'adolescent sortit les mains de ses poches et s'avança.
Harry ne pensait plus qu'à ses parents. Il ne voyait pas la pierre tombale mais leurs visages souriants et pleurants à la fois (celui de sa mère) en lui faisant signe dans le miroir du Riséd. Et il entendait. Il entendait leurs voix. A son plus grand malheur, ils ne les connaissaient qu'exprimant la peur démesurée, l'angoisse et la peine.
Non. C'était faux. Ils se rappelaient de leurs voix calmes. Ton père arrive. Il veut te voir... Tout ira bien... tiens bon... Oui, tout irait bien, pensait-il. Il s'approcha encore. La silhouette immatérielle de son père apparaissait maintenant plus clairement dans son esprit... comme un fantôme... Lorsque le lien sera rompu, nous ne resterons que quelques instants... Mais nous te donnerons le temps... Harry avait du temps maintenant, ils avaient du temps, il voulait qu'ils le sachent... beaucoup de temps... Il s'agenouilla devant la tombe, se noyant un peu plus dans la brume, sans l'avoir décidé vraiment. Elle était vraiment grande à côté de lui et était entourée de roses blanches givrées très épineuses. Dessus, un seul cadre. Un portrait d'eux deux dont Harry avait le double dans son album. Maintenant, il avait du temps. Tout son temps. Il avait vu leurs échos... leurs fantômes ou autre... il y avait quelques mois seulement. Il était prêt à les revoir. Comme tous ces fantômes dans le cimetière... Ils revenaient d'ailleurs...
Harry ne sut combien de temps il resta devant, leurs visages plus clairs que jamais, des détails affluant, revenant à la surface de sa mémoire, notamment sur sa vision d'Azkaban (Avait-il noté alors la présence d'un vif d'or minuscule volant légèrement au-dessus de son lit d'enfant? Et les couleurs claires, les décorations? Tout ce que son esprit avait enregistré malgré l'état de stupeur et d'effroi dans lequel il se trouvait en regardant, impuissant, la scène révolue). Comment avaient-ils vécu? Joyeux, insouciants et indifférents face à la terreur environnante? Ou dans une tension constante, quand ils n'apprenaient pas la mort de connaissances?
Patmol restait en retrait. Harry ne fut même pas sûr d'avoir bien entendu quand il perçut le grognement du chien montrant des dents, plus loin.
Personne ne vint. Peut-être... peut-être mon empreinte les ferait venir... L'espoir de les revoir était si fort qu'il était sûr qu'ils allaient surgir d'un instant à l'autre de derrière la croix celtique. Harry sortit sa baguette et fit jaillir une gerbe d'étincelles rouge et or. Alors, devant un regard rempli d'émerveillement, les étincelles, au lieu de retomber ou de s'éteindre, se rejoignirent en un petit filet qui s'éleva dans une volute de lueurs au centre de la tombe, à un mètre au-dessus d'elle, et tourna de plus en plus rapidement jusqu'à ce qu'on ne distingue plus qu'une sphère, aussi large qu'une balle de volley-ball. Une sphère magnifique. Sa surface était comme parcourue d'ondes magiques. Des ondes avec trois courants distincts de lumières harmonieuses: celles des empreintes de ses parents.
Harry, les yeux brillants devant le phénomène, se releva et, comme attiré de façon inéluctable, voulut toucher la surface de la sphère. Son coeur battait la chamade. Déclencherait-il une ouverture pour son père et sa mère? Viendraient-ils?
Au moment même où ses doigts effleurèrent la boule, elle s'évanouit dans les airs. D'abord surpris, il ressentit ensuite en lui une très grande frustration. Il recula, les yeux toujours fixés là où la sphère avait été, quand il s'aperçut de la présence d'un carton sur la pierre tombale. Il venait juste d'apparaître.
A la fois déçu par ce qu'il croyait être un moyen de communication entre les morts et les vivants et curieux, il se saisit du carton dont il se rendit très vite compte le poids non négligeable, et l'ouvrit.
A l'intérieur, des cahiers, des vieux parchemins, des carnets déjà servis. Tous entassés comme si l'on s'en était débarrassé. Harry prit un des cahiers et lut la première page. D'une écriture qu'il reconnaissait typique à celle des plumes à papote, il reconnut la présentation des brouillons, là où... voyons... sa mère avait pris des notes. Des pensées, des idées, toutes sans dessus-dessous. D'autres étaient ceux de son père. Toujours pareil. Des dessins en tout sens, des ratures, des idées sans aucune logique et parfois des analyses, des commentaires. Harry ne put s'empêcher de penser qu'ils avaient la même façon de raisonner par écrit que lui, comme il l'avait si souvent fait cet été.
Ainsi donc, cela était son héritage. Les biens de ses parents restés inutiles dans leur lieu de travail. En quoi cela l'aiderait-il? Sa mère les avait jugés si importants qu'elle s'était assurée de leur récupération après sa mort... Mais il trouva qu'il n'avait pas envie de répondre à cette question maintenant. Il n'avait pas envie de jouer les détectives en cet instant. Pour le moment, il était devant la tombe de ses parents et c'était tout ce qui l'importait. Il replia donc le tout, reprit le carton et le posa sur le sol (restait à se mémoriser l'endroit, le carton ayant disparu dans la brume). Et il reperdit rapidement son regard dans le vide, ses yeux fixant un point inexistant vers la croix celtique, les moindres souvenirs le submergeant.
Ce ne fut que lorsqu'il sentit le museau humide de Patmol sur sa main qu'il dut reprendre contact avec le monde réel. Malgré lui. Et qu'il dut repartir. Malgré lui. Les horaires et convenances de son monde lui paraissaient pourtant si lointaines et superficielles, inutiles, à ce moment-là. Cachant encore quelques secondes son visage de Patmol, il se passa rapidement une manche sur ses joues moites et se leva. La baguette sortie et pointée vers la croix, il murmura une variante de Orchideus et de splendides chrysanthèmes apparurent sur la pierre. Patmol les toucha du museau, comme s'il avait voulu les mettre bien en place, les rajuster, regardant lui aussi la tombe, les yeux perdus dans un autre monde. Il recula doucement et repartit silencieusement.
Le carton sous le bras et Patmol le précédant, Harry avait l'esprit blanc, vide. Il ne savait plus trop ce qu'il ressentait. Un sentiment était en train de naître en lui mais il n'arrivait pas à le déterminer avec précision. Sortant de la brume, la musique surnaturelle toujours présente dans sa tête, il se retourna une dernière fois... Et vit quelque chose qui lui avait échappé à son arrivée. Une inscription. Un écriteau sur un panneau planté devant la propriété.
Patmol grognait toujours. Il grognait en fait à l'adresse de gens qui se dépêchèrent de lui tourner le dos et de faire comme s'il ne l'avait jamais vu. Des passants. Des familles sortaient de plus en plus, la vie de la banlieue reprenait peu à peu et les lampadaires s'étaient éteints malgré un soleil toujours impuissant face aux épais nuages. Il était étrange de revenir dans un monde aussi vivant après sa visite au coeur d'un domaine embrumé, noyé par les souvenirs de personnes décédées. Harry lut l'inscription:
Mémorial édifié en l'honneur des parents de Harry James Potter,
décédés le soir où le Survivant triompha de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom.
Leurs noms n'étaient même pas cités. Aucune référence à leur courage, rien. L'inscription ne donnait que son nom et celui de Voldemort. Une rage soudaine l'envahit, une colère aussi puissante que celle qu'il avait éprouvé face à Rogue lorsqu'il avait insulté son père. Sans même l'avoir planifié, sans l'avoir calculé, de même que pour la tante Marge, un phénomène se produisit: l'inscription s'effrita, sous le regard étonné et presque effrayé de Patmol. De nouvelles lettres se formèrent, dans le feu ayant brûlé l'ancienne phrase, et un nouveau message apparut:
Mémorial édifié en l'honneur de Lily et James Potter.
Patmol cligna des yeux quelques secondes, de même qu'un couple voisin, avant de devoir repartir suivre Harry, maintenant éloigné.
Harry ne se rappela pas très bien de son trajet retour. Il était comme déconnecté de ce monde rempli de vie qu'il côtoyait maintenant. La tête plongé dans ses songes, il avait en effet regagné Poudlard en passant devant des élèves étonnés, le carton sous l'épaule (une fois de plus, il n'avait pas prit garde à sa tenue vestimentaire réglementaire) et rejoint la tour Est. Il était ensuite monté au dortoir vide et avait tiré les rideaux de son lit pour un peu d'intimité. Patmol l'avait quitté dans le château, sentant le besoin de solitude chez Harry. Et pendant des heures, il feuilleta les divers carnets, brouillons de rapports, mémorandum, analyses mises sous forme de journal privé... Ron et Hermione n'étaient pas venus le voir et Harry soupçonnait Sirius de leur avoir demandé de le laisser un peu seul, ce dont il lui était grandement reconnaissant.
Les notes se séparaient de petits signes, de schémas et de runes dont l'association n'avait parfois pas beaucoup de sens aux yeux de Harry. Mais il était à présent néanmoins certain d'une chose: sa mère avait ici écrit toutes ses hypothèses sur la vieille magie et effectuait des recherches sur le sujet. Et maintenant, il comprenait pourquoi Voldemort était assuré que sa mère l'avait protégé par de la vieille magie: c'était sa spécialisation. Pourtant des phrases... des sous-entendus... des remises en questions laissaient entrevoir qu'elle avait peut-être découvert autre chose... autre chose de différent... une source de pouvoir différent... et ça?, se demanda-t-il en lisant quelques lignes brouillonnes, des phrases tournées en journal intime, en raisonnement rapide:
15 Juin: attaque gratuite au village de Loutry Ste Chaspoule.
Bilan: quinze morts dont six moldus et cinq sorciers issus de famille moldue.
Journée de fête foraine. Beaucoup de monde. Beaucoup de moldus.
D'après la gazette, témoins: un groupe de vingt moldus encerclés par des partisans à Voldemort dans un coin du village.
Tous vivants. Pourquoi? Voie libre, aucun obstacle.
Auraient pu... mais vivants. Vivants alors qu'aucun sorcier n'était présent, vivants mais traumatisés.
Ils avaient tous les yeux fermés au moment de l'attaque... apparition de sorciers?... aucune confirmation...
Défense autonome du village. Se situaient-ils sur la barrière magique?
Et ainsi de suite. Plus loin des phénomènes identiques, d'autres contradictoires (bilan: dix-sept moldus, soit tous les gens présents n'appartenant pas au monde magique. Ils sont tous morts). Sa mère cherchait une explication, la réponse à une question qui n'était jusqu'ici jamais venu à l'esprit de Harry, pour la bonne raison qu'il avait toujours vécu en tant de paix: pourquoi la population moldue n'avait pas été en grande partie (si ce n'était entièrement) exterminée lors de l'ascension de Voldemort? Voldemort ne reculait pourtant devant rien pour plus de pertes... Si en un sort, un sorcier aussi lamentable que Pettigrow pouvait tuer plus d'une dizaine de passants alors en groupe organisé de puissants mages noirs...
Harry continua de feuilleter les grimoires de sa mère, allongé ou assis, sur le ventre ou le dos, essayant de comprendre, d'associer ses idées, ses formules... En même temps, il revoyait défiler dans sa tête Godric's Hollow et ses tombes. Harry commençait à mieux cerner le sentiment qui l'avait travaillé en s'éloignant des sépultures de ses parents: il leur en avait voulu. Voulu de ne pas être venu, voulu de se montrer uniquement lorsqu'il avait frôlé la mort, et... déçu. Il s'était aussi senti coupable justement de leur en avoir voulu, tout cela parce qu'il était convaincu quelque part qu'il allait les retrouver après des années d'attente. Revenus en fantômes... Un faux espoir.
_ Cedric Diggory ne reviendra pas, lui avait dit un jour d'Août Nick Quasi-Sans-Tête dans le dos de Harry au moment où celui-ci s'y attendait le moins.
Harry avait ce matin-là une tête affreuse des suites d'épuisants cauchemars.
_ Des gens reviennent d'outre-tombe pour apporter la preuve de leur existence passée, avait-il continué d'une voix triste et résignée.
Sans doute avait-il ressenti le besoin de Harry d'en savoir davantage sur eux.
_ Nous n'avons la preuve de notre existence uniquement parce que nous restons dans les souvenirs et le coeur des autres. Des personnes qui ont été aimées et chéries n'ont nullement besoin de... revenir pour qu'on se rappelle d'elles.
_ Et vous? Et... Et les autres?, s'était inquiété Harry.
_ Des vies solitaires ou sans attache, aventurières, des vies repoussant le partage des sentiments, regrettées pour la plupart bien sûr, avait convenu le fantôme, mais des vies perdues.
Harry pensa alors à Mimi Geignarde détestée de ses camarades, le moine retiré (et qui tentait de "vivre" maintenant, semblait-il...), le baron sanglant... Tous ces gens n'avaient même pas de famille qui s'était attachée à eux?!... Il s'était senti tout d'un coup plus de compassion pour chacun d'entre eux...
_ Et Peeves?
_ Ah! Un étrange phénomène celui-là!, avait dit dans un rire sans joie Nick. Je ne sais pas. Sans doute qu'il faisait parti des rares êtres humains qui n'attachent guère d'importance, au plus profond de leur coeur, d'être aimé, si ça existe... Un esprit qui voulait simplement continuer sa... vie égoïste et sans attache, avait-il fini, l'air un peu écoeuré.
Harry était resté là, perdu dans ses songes et Nick était parti.
Je connaissais ton papa et ta maman et c'étaient les gens les plus charmants qu'on puisse imaginer... Bien sûr que ses parents n'allaient pas revenir, pensa le jeune sorcier sur son lit. Comment avait-il pu se montrer aussi stupide?! Ils ne reviendraient jamais, ils avaient été aimés. Ils ne reviendraient pas, pas après ce qu'avait dit Hagrid et Dumbledore sur eux... Ils sont morts, avait-il convenu de se dire lui-même trois ans plus tôt. Ils sont morts et entendre des échos de leur voix ne les fera pas revivre.
Au dixième grondement sonore de son estomac, Harry consentit finalement à laisser de côté ses livres (il n'avait toujours pas lu ceux de son père) pour se restaurer.
_ Lavande et Seamus?! Tu plaisantes!, s'écria Ron en déposant une louchée de carottes dans son assiette.
_ Et non, soupira Dean. Et en tant que meilleur ami du principal concerné, je me vois maintenant dans l'obligation de passer du temps avec... (il retint son souffle pour un plus grand effet) non seulement sa chère Lavande, mais aussi sa grrrande amie, j'ai nommé la très spirituelle Parrrvati!
Ron eut un petit rire.
_ Je te plains, dit-il après s'être repris. Si tu veux, on pourra faire passer quelques rumeurs dans le journal, un truc défavorable à la formation de couples... Attends voir... Elles croient à fond à l'astrologie... Tiens, par exemple: tous ceux du signe...
_ Scorpion, coupa Dean.
_ ... Scorpion avec ceux du signe...
_ Bélier.
_ ... Bélier sont soumis à la forte influence de Mars qui...
_ A moins que ce ne soit Poisson...
_ Poisson ou Bélier?
_ Poisson... Ah non, je crois que ça change en fonction des années bissextiles...
Il y eut un drôle de bruit. Ron venait de se cogner la tête contre la table, volontairement et de façon désespérée.
_ Encore un peu de poisson?, suggéra Hermione à Ron en lui tendant un plat.
La grande salle, partiellement vidée durant la semaine, se faisait tout de même assez bruyante. Les Cinquième année restés discutaient de la dernière rumeur défrayant la chronique pendant que Hermione tentait vainement de les faire virer sur des sujets beaucoup plus sérieux comme les contrôles à rendre le lundi suivant. Harry écoutait silencieusement, assis à côté d'un quatrième année qui murmurait quelques paroles, les mains jointes.
_ Oui, parce que Hagrid va enfin nous donner le sujet de notre rapport pour les BUSES et que ça risque de nous surcharger...
_ Pourquoi Hagrid a-t-il tellement attendu pour nous distribuer le sujet, croyez-vous?, coupa Ron, ce qui vexa légèrement Hermione.
Rose haussa les épaules.
_ Parce qu'il n'avait pas d'idée avant...
_ Labor omnia vincit improbus...
Harry se retourna brusquement.
_ Non, Hagrid est du genre à préparer ses cours longtemps à l'avance, dit Hermione.
_ Qu'est-ce que tu viens de dire?, demanda Harry au garçon qui priait.
Celui-ci le regarda et eut l'air à la fois surpris et intimidé.
_ Ah bon?, continuait Seamus.
_ Je, j'ai dit que..., bafouilla le garçon. J'ai dit qu'un travail opiniâtre venait à bout de tout, oui, je prie parce que je pense ne pas avoir assez travaillé et que...
_ Non, pas ça, coupa Harry. Ce... Ce que tu as dit dans une autre langue?
_ Je n'ai pas dit que je trouvais que Hagrid bâclait son travail, se défendit Seamus après une réplique sèche d'Hermione.
_ En latin, souligna Harry.
_ Oh, dit le garçon. Euh... Labor omnia vincit improbus, répéta-t-il.
Les yeux de Harry s'agrandirent.
_ Harry, dis-leur toi que s'il aime les bêtes dangereuses, c'est uniquement parce que... Harry?
_ Et ça vient d'où? C'est quoi? Une incantation de magie ancienne?
_ Non. C'est... c'est juste une prière moldue, rougit le garçon.
Les yeux de Harry furent écarquillés au maximum.
_ Merci.
Il se leva.
_ De rien...
_ Euh, Harry? Qu'est-ce que tu fais? Où vas-tu?, s'inquiéta Hermione.
_ A la bibliothèque, répondit-il en quittant la table.
_ Et voilà, je le savais. Ca devait arriver, dit Seamus. Elle lui a passé le virus...
Mais Harry n'entendait déjà plus. Traversant le Grand Hall à grandes enjambées, il répétait les paroles du Quatrième année.
_ Labor omnia vincit... improbus, labor omnia vincit impro..., labor omnia, omnia vincit... omnia vincit amor... Vae soli!
_ Harry!
Hermione et Ron accourraient derrière lui pour le rattraper.
_ In hoc signo...
_ Harry! Qu'est-ce qui se passe?! Qu'est-ce que tu as tout à coup?!, enchaînait Hermione, le souffle court.
_ Hoc volo, sic jubeo... c'est du latin, et ce sont des prières moldues! Pas de la vieille magie! Pourtant...
_ Qu'est-ce que tu racontes?, s'exclama Ron, également essoufflé. Du latin? Des prières moldues?... Depuis quand ça t'intéresse?
_ Il faut que je vérifie... Bonjour Mme Pince!
Ron et Hermione se calmèrent subitement et sortirent un "bonjour Mme Pince" tout aussi charmeur en essayant de passer devant elle le plus silencieusement possible pour ne pas éveiller ses soupçons (quiconque entrait presque en courant était forcément un voyou venant perturber la concentration des autres). Une fois éloignés, longeant les étagères, Hermione chuchota:
_ Pourquoi tu t'intéresses à ce que ce garçon t'a dit?
Harry, le doigt caressant tour à tour des ouvrages de "Etudes des Moldus", l'arrêta soudainement et prit le volume qu'il ouvrit directement sur la table à côté, ne prenant pas la peine de s'asseoir.
_ Parce que ce garçon a prononcé des formules avec une petite suite identique aux incantations que ma mère m'a lancée le soir où Voldemort l'a tuée, dit-il en feuilletant rapidement le livre entre ses mains.
Après un frisson commun, Ron et Hermione eurent un air ébahi, la bouche grande ouverte.
_ Elle a prononcé des incant...
_ Des formules moldues... Mais comment tu le s...
_ Tu as eu une vision sur...
_ Ah!, dit Harry sur un ton triomphant. In hoc signo... Et là, sic jubeo...
Mais son sourire s'effaça rapidement.
_ Elles sont connues... ce sont des prières très connues... Pourquoi les sorciers ne s'en auraient-ils pas aperçu? Pourquoi n'auraient-ils pas vu leur pouvoir?, interrogea-t-il à haute voix.
_ Parce que... parce que..., bégayait Ron qui n'arrivait pas à assimiler les dernières nouvelles.
_ A moins que...
Harry ferma les yeux pour mieux se rappeler. Sa mère le plaçait sous la trappe... elle prononçait les formules... elle le fixait dans les yeux... elle avait ce regard... Le regard des gens qui disent quelque chose et en pensent une autre avec une concentration extrême... comme lorsqu'il apprenait les maléfices trompeurs... non, pas des maléfices trompeurs, des maléfices doubles... pensées et incantations différentes... Voldemort disait que c'était de la vieille magie... Il disait qu'elle avait placé sur lui une protection sans le vouloir... mais elle l'avait voulu... et ses notes...sa tête lui fit mal. Il ouvrit les yeux.
Ron et Hermione le fixaient toujours.
_ Quand est-ce que tu as appris que ta mère avait lancé des incantations sur toi?, demanda la jeune fille à voix basse.
_ Au cours d'une vision. A Azkaban. Elle...
Mais il s'arrêta.
_ Elle quoi?, dit Ron.
_ Ses notes. Il faut que je regarde ses notes, leur expliqua-t-il.
Ils échangèrent un regard et Ron fit pour toute réponse un geste des bras signifiant "on y va...". Et tous les trois partirent en direction du dortoir des garçons. En chemin, le cerveau de Harry bouillait.
Sa mère avait peut-être trouvé une magie au coeur du monde moldu... Et Dumbledore qui pensait que le monde moldu était magique... Mais cette magie était trop voyante pour ne pas avoir été soupçonné durant tout ce temps. Si elle devait être associée à une autre magie pour fonctionner?... Et ce regard... L'autre magie, c'était dans les pensées... oui, elle pensait des incantations de, de vieille magie sûrement, une magie fondée sur les sentiments et en disait d'autres de cette autre magie... Deux magies confondues... C'était possible?... Si c'était le cas, cela devait être réellement difficile... Il se souvint de l'essoufflement de sa mère après avoir fini de lui jeter le sort de protection...
Parvenus à destination, Harry se saisit directement d'une sorte de petit agenda, feuilleta les dernières pages. Tout collait. Son raisonnement était à l'évidence très probable. Puis, dans un sourire, il dit à ses amis:
_ Je pense avoir compris comment ma mère m'a sauvé ce jour-là.
Ebahis devant la nouvelle, ses deux amis s'assirent de chaque côté de lui et tous trois se penchèrent sur l'écriture brouillonne où ils purent lire une simple phrase, une conclusion, pensée par sa mère, qui disait:
Après tous ces miracles impromptus et hasards insondables, je suis forcée d'en venir à une seule interprétation, échappée de tous par son aberration pourtant véridique (Harry n'en avait alors pas compris le sens jusque là) [...] Je commence à croire en l'existence d'un équilibre entre nos deux mondes.
