Le Nom de la Rose

Guillaume de Baskerville & Adso von Melk


Adso n'était pas du tout tranquille dans ce monastère, ça se voyait même s'il essayait de garder son calme et sa contenance. Ses grands yeux bleus écarquillés qui s'accompagnaient d'un halètement discret mais plutôt inquiet, à chaque fois qu'on leur annonçait une autre mauvaise nouvelle, laissaient assez peu de doutes sur la question.

Guillaume de Baskerville essaya de lui montrer que seule devait compter l'enquête qu'ils étaient en train de mener. Qu'il était absurde de se laisser gagner par une frénésie d'effroi et de souffrance alors qu'ils étaient les seuls à avoir vraiment du recul sur tous ces mystères. Mais, évidemment, il se doutait qu'un jeune garçon de dix-sept ans comme Adso ne pouvait pas s'astreindre à une telle logique et un tel détachement aussi facilement. Il angoissait, il ne pouvait pas s'empêcher de croire un peu aux démons sur lesquels on rejetait la faute, il voyait des ombres dans les coins, c'était normal. Un jour, il apprendrait à contrôler ses élans humains et à se concentrer sur l'essentiel : le calme et un raisonnement bien huilé.

En attendant, ça lui faisait quand même de la peine de le voir en proie à de terribles cauchemars, nourris par les sermons et les paroles d'apocalypse que répétaient sans cesse les autres moines. Le pauvre garçon s'agitait sur la couche qui lui avait été attribuée, dans la même cellule que son maître, il gémissait et reprenait les paroles terrifiantes de leurs confrères : c'était le Diable qui était à l'œuvre, il était parmi eux, ils allaient bientôt tous mourir…

Sans essayer de le réveiller, Guillaume s'approcha et posa sa main sur sa tête pour tâcher de le rassurer. C'était presque un réflexe; il était, de son côté, plutôt occupé à guetter les bruits divers provenant des autres pièces. Mais, sous ses doigts qui lissaient les mèches douces et épaisses d'Adso, il sentit le novice se calmer instantanément. Ou, tout du moins, le jeune garçon cessa de donner des tours dans son lit et ses marmonnements effrayés se transformèrent en souffles ténus.

Guillaume retira sa main, mais son élève n'était visiblement pas prêt à laisser le réconfort de cette présence chaude, douce et rassurante s'éloigner de lui. Il se jeta sur le côté et saisit son bras alors que le maître Franciscain allait s'éloigner; ses plaintes se changèrent aussitôt en murmures quand il se blottit contre lui. Il n'avait absolument pas conscience de ce qu'il faisait, mais il savait que ce bras-là lui apportait douceur, protection et réconfort.

C'était plutôt touchant, même si Guillaume était, désormais, complètement coincé. Pour deux raisons : d'abord, parce qu'Adso avait enfoui sa joue contre son avant-bras et le tenait à deux mains, sans doute de peur qu'il s'éloigne. Ensuite, parce que s'il s'en allait, Guillaume était sûr que ses angoisses allaient le reprendre. Il aurait très bien pu se dégager, peut-être même sans réveiller son novice, mais avait-il le cœur à faire ça ? Non, probablement pas. Il était encore tellement jeune et influençable, Guillaume n'avait pas envie de le jeter de nouveau en pâture à ses cauchemars et à ses angoisses.

Alors, il prit son parti de demeurer à côté de l'alcôve d'Adso, pour le reste de la nuit si c'était nécessaire, et s'appuya contre le mur froid. Il pouvait bien, pour cette fois, lui laisser son bras auquel son élève s'accrochait comme à un doudou réconfortant et apaisant.

Car à quoi pouvait bien servir un mentor si ce n'était à rassurer son élève à chaque fois qu'il en avait besoin ?