Chapitre Deux : Dobby's Warning (20/07/2003 ; upd 25/07/2003)
– CHAPITRE DEUX –
Dobby's Warning
Rook arrêta son chariot à quelques
centimètres de la créature. Il avait reconnu un
House-Elf – il y en avait suffisamment à Twilight
Castle pour qu'il sache à quoi ceux-ci ressemblaient.
Assez petit, de grandes et larges oreilles de chauve-souris,
et d'immenses yeux verts et globuleux. Guère de
moyen de s'y tromper. Celui-ci avait un long nez,
fin et étroit, et ne portait qu'une vieille taie
d'oreiller usée et sale, percée de quelques trous
pour laisser passer ses membres. Ces créatures étaient
entièrement dévouées au Maître qu'elles servaient,
et obéissaient scrupuleusement aux ordres de celui-ci.
Rook ne savait pas combien exactement servaient
au château, mais il y en avait au moins un qui lui
avait été spécialement assigné et qui s'occupait
de satisfaire à ses moindres caprices. Scroutch
était assez dégourdi et d'une loyauté à toute épreuve,
mais malheureusement il était désespérément imperméable
à toute forme d'humour.
Rook regarda plus attentivement
la créature qui n'avait pas bougé à son approche,
comme pétrifiée. Qu'est-ce que ce House-Elf faisait
seul par ici ? Il n'y avait plus personne d'autre
sur le quai à part lui… il n'était donc pas venu
chercher quelqu'un. Rook s'éclaircit la gorge.
'Pardon… ? Je peux passer ?'
fit-il assez sèchement.
La créature sursauta, ses grands
yeux fixés sur lui avec béatitude, et se déplaça
de quelques pas sur le côté. Rook voulut avancer
son chariot au travers du passage – on accédait
au quai 6 ½ en passant au travers du pilier
central – mais compris à l'instant pourquoi
le House-Elf avait pu demeurer appuyé sur
celui-ci : l'avant du chariot heurta bruyamment
les briques. Le passage était bloqué.
'Qu'est-ce que… ?'
Le House-Elf était toujours là
à le dévisager, mais il avait soudain pris un air
très ennuyé… coupable, même, pensa immédiatement
Rook. Le même air que Scroutch prenait quand il
savait avoir fait quelque chose que Rook désapprouvait,
comme ouvrir un de ses livres de Magie – Scroutch
adorait les livres.
'C'est toi qui a fait ça ?!'
fit Rook, apostrophant le House-Elf.
Comme il s'y attendait, la créature
hocha tristement la tête, clignant ses grands yeux
larmoyants. Ces House-Elves étaient en effet aussi
incapable de mentir que d'abandonner leur Maître
volontairement, aussi mal celui-ci put-il les traiter.
Ils étaient destinés à servir la famille de leur
Maître jusqu'à leur mort. Le seul moyen de se débarrasser
d'un House-Elf était de lui offrir des vêtements.
Ce qui signifiait la honte ultime pour eux. Ils
préféraient encore souffrir mille morts plutôt que
de se voir libérer de ce qui n'était après tout
qu'une forme d'esclavage. Car aussi étrange que
cela puisse paraître à des yeux non avertis, ils
semblaient aimer cela… Ces créatures ne semblaient
n'avoir d'autres buts dans la vie que de servir.
Le House-Elf se prosterna soudain devant lui, son
long nez touchant presque le sol.
'Oh Dobby est désolé, Monsieur !!'
glapit-il d'une voix aiguë qui fit grincer des dents
à Rook. 'Vraiment profondément extrêmement désolé et
confus, Monsieur ! Cela faisait si longtemps,
Monsieur… Si longtemps que Dobby souhaitait rencontrer
Celui-Qui-A-Survécu, Monsieur !! C'est un si
grand honneur pour le pauvre et insignifiant Dobby… !'
Rook eut un soupir un rien exaspéré.
Si maintenant les créatures magiques se mettaient
aussi à lui courir après…
'Ce n'était pas la peine de bloquer
le passage pour cela, Dobby ! Voilà, tu m'as
vu… Laisse-moi partir maintenant !'
Mais la créature secoua tellement
fort la tête qu'on entendit battre ses oreilles
comme un gros oiseau qui tenterait de prendre son
envol.
'Oh Dobby ne peut pas faire ça,
Monsieur, vous comprenez ? Dobby est tellement
désolé… affligé… effondré ! Mais Dobby ne peut
pas laisser passer Celui-Qui-A-Survécu !
Dobby se doit d'avertir Celui-Qui-A-Survécu, Monsieur !
Il se doit de l'avertir… Celui-Qui-A-Survécu
doit retourner chez lui, Monsieur !!'
Interloqué, Rook resta un instant
sans trouver ses mots. Ce House-Elf refusait de
le laisser passer. Il lui bloquait le passage et
refusait de le laisser passer… Mais qu'est-ce que
c'était encore que cette histoire ?!
'Nom d'un serpent ! Où est
ton Maître, Dobby ? J'aurai comme deux mots
à lui dire…'
'Oh non non non, Monsieur… Dobby
ne peut pas appeler son Maître, Monsieur !
Mon Maître ne sait pas que Dobby est ici, Monsieur…
S'il vous plait, Celui-Qui-A-Survécu doit écouter
Dobby !! '
Abasourdi, Rook vint s'asseoir
prudemment sur le bord de son chariot. Cet House-Elf
était stupéfiant… sidérant, même. Comment avait-il
pu quitter ainsi la demeure de son Maître sans que
celui-ci le lui ait ordonné ? Comment avait-il
pu oser bloquer le passage vers les autres quais
sans ordre express de celui-ci ?! Et pourquoi
est-ce que ça tombait encore sur lui ??!
'Alors ton Maître n'est pas au
courant… ?' fit-il, tentant désespérément de
comprendre.
La créature soupira tristement.
'Oh non, Monsieur… Dobby devra
se punir très sévèrement même pour cela, il devra
se coincer les oreilles très fort dans la porte
du four, et même deux fois… Mais ce n'est pas grave,
Monsieur… Dobby à l'habitude… Et Dobby devait prévenir
Celui-Qui-…'
'Mais si tu te coince les oreilles,
ton Maître va le voir… il voudra savoir pourquoi
tu te punis, non ?'
'Oh non, Monsieur…. Dobby doit
toujours se punir pour quelque chose, Monsieur…
Le Maître de Dobby se moque de savoir pourquoi Dobby
doit être puni… Il laisse ce soin à Dobby… Parfois
il dit même à Dobby de se punir encore. Il dit que
de toute façon Dobby sait pourquoi, Monsieur…'
'Et bien, voilà une charmante
famille…' ricana Rook avec un reniflement de mépris.
'Hélas, pas vraiment, Monsieur.
En fait, ce serait plutôt…'
Mais la créature s'interrompit
aussitôt, les yeux écarquillés, semblant horrifiée
de ce qu'elle avait failli dire. Le House-Elf commença
alors à consciencieusement se cogner la tête contre
le pilier en hurlant : 'Méchant Dobby… Méchant Dobby
!!'
Rook grimaça et lui attrapa le
bras, le tirant vers lui. Dobby resta un instant
à tituber, les yeux troubles, en balbutiant 'V…
vilain Dobby…'
Rook avait rarement vu comportement
aussi extrême chez un House-Elf. Bien sûr, lui-même
s'amusait fréquemment à mettre à l'épreuve la loyauté
de Scroutch, le plaçant devant le dilemme quasi
insoluble pour son espèce de choisir entre sa loyauté
envers son jeune Maître et celle due envers tout
membre de la maisonnée… Il était très amusant de
voir la pauvre créature tiraillée, tentant de retenir
de la main gauche le geste de la main droite, marmonnant
excuses et suppliques jusqu'à ce que, apitoyé, Rook
lui ordonne de fermer les yeux, le temps d'exécuter
lui-même le délit – par exemple la pose d'un Amplification
Spell sur le réveil-matin de Luca –, assuré ainsi
de ne point être trahit par le House-Elf puisque
celui-ci n'avait rien vu.
Mais jamais il n'aurait poussé
le jeu au point d'obliger Scroutch à s'infliger
des coups en punitions d'actes déloyaux réels ou
imaginaires. Ce n'était guère une façon bien digne
de traiter un être tenu en un rang inférieur, qui
n'avait de toute façon pas d'autres choix que de
subir votre suprématie.
Rook savait qu'il n'avait guère
besoin de le bien traiter pour s'attirer la loyauté
de Scroutch. Mais il savait surtout que cela était
une chose sage, car en plus de sa loyauté, il s'assurait
ainsi aussi de son affection. Scroutch n'aurait
jamais osé quitter, lui, le château sans ordre express
de son jeune Maître… Dobby l'avait fait. Il suffirait
à Dobby de se punir, sans même avoir à informer
son Maître de sa faute, et toute culpabilité lui
serait ôtée. Si Scroutch avait osé pareille chose,
il serait instantanément mort de honte. Et pas seulement
au figuré…
La mansuétude envers ses serviteurs
n'est pas un signe de faiblesse, mais est un moyen
bien plus fort de se les assujettir que les menaces
ou le chantage. Les paroles de la Grand-Mère
étaient sages et justes, il en avait l'exemple vivant
sous les yeux. Il était toujours plus difficile
de trahir quelqu'un qui vous avait toujours bien
traité.
'Bon alors, Dobby, je t'écoute…'
fit Rook en soupirant. 'Pourquoi selon toi ne dois-je
pas retourner à Hogwarts ? Tu sembles oublier
que c'est mon école…'
'Celui-Qui-A-Survécu ne doit pas
retourner à Hogwarts, Monsieur !' s'exclama
de suite la créature de sa petite voix criarde.
'De très mauvaises choses se préparent là-bas… Un
complot, Monsieur !! Il y a un terrible complot
qui se trame, Dobby sait, Monsieur ! Un danger
mortel !!'
'Tu retardes, Dobby !' fit
Rook avec un rictus. 'Le complot et le danger mortel,
c'était l'année dernière…'
'Oh non non, Monsieur !!
Dobby sait qu'il y a plusieurs semaines Celui-Qui-A-Survécu
a encore une fois de plus échappé au Seigneur des
Ténèbres. Mais il s'agit de cette année, cette année !!
Celui-Qui-A-Survécu ne doit pas retourner à Hogwarts !'
'Je dois retourner à l'école,
je n'ai pas le choix…'
'Celui-Qui-A-Survécu doit rentrer
chez lui !! Il doit écouter Dobby !! Celui-Qui-A-Survécu
doit aller à Durmstrang… Pas de danger à Durmstrang…
Bonne école… Celui-Qui-A-Survécu doit écouter Dobby !!'
'Je. N'irai. Pas. À. Durmstrang,'
articula sombrement Rook, les mâchoires serrées.
'Il n'en est absolument pas question…'
Mais Dobby à nouveau, en proie
à une détresse sans nom, se tordait les mains et
secouait la tête, ses grandes oreilles battant faiblement
l'air comme de grotesques ailes de chauve-souris.
Un léger sourire échappa à Rook qui se remémorait
Shadow, l'amusante pipistrelle de Marius… Mais le
sourire s'évanouit. Il ne voulait pas penser à Marius.
Celui-ci ne s'était pas même rappelé son anniversaire…
'Que sais-tu de ce complot, Dobby ?
Comment es-tu au courant ? Est-ce que ton Maître
est impliqué ?'
Stupide question, se morigéna
immédiatement le garçon. Dobby à nouveau avait essayé
de parler. Mais à peine avait-il ouvert la bouche
qu'il avait secoué violemment la tête, s'accrochant
au chaudron de Rook pour s'y cogner le crâne en
poussant de grands cris.
'Okay, okay !!' fit hâtivement
Rook en lui retirant le chaudron des mains. 'Tu
ne peux pas me le dire, je comprends… Mais pourquoi
me préviens-tu, moi ? Je ne suis pas
le seul élève étudiant à Hogwarts… À moins que…'
Rook s'interrompit un instant,
se mordillant la lèvre inférieure, une idée venant
subitement de le frapper. Dobby avait cessé de geindre
et le regardait de ses grands yeux exorbités semblant
chargés d'espoir.
'Est-ce que… Est-ce que ça a un
lien avec Lord Vol…' Rook s'interrompit de suite
en voyant le rictus du House-Elf. 'Je veux dire…
Tu-Sais-Qui… ?'
Dobby soupira et secoua la tête.
'Cela… Cela ne concerne pas… Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom,'
insista alors curieusement la créature, ses yeux
semblant vouloir lui monter qu'il y avait là un
indice…
Rook se sentait complètement largué.
Il se rappelait n'être pas extrêmement doué pour
les questions de logique, c'était là un des atouts
de Blaise… Mais il chassa vite Blaise de ses pensées.
Blaise, le petit Blaise, n'avait même pas daigné
lui écrire…
'Je ne vois pas qui d'autre pourrait
tenter quoi que ce soit à Hogwarts… Après tout,
il y a Dumbledore, non ?'
'Dobby sait, Monsieur… Dobby a
entendu parler du professeur Dumbledore. Mais il
y a des pouvoirs, Monsieur, que même le professeur
Dumbledore… Des pouvoirs… qu'aucun sorcier digne
de ce nom ne…'
Avant même que Rook ait pu l'en
empêcher, Dobby avait saisi un gros grimoire de
ses bagages et s'en servait à nouveau pour s'en
frapper, ses glapissements aigus se mêlant aux bruyantes
protestations du livre.
Avec agacement, Rook reprit le
volume et le remit dans ses affaires. Il s'était
levé et marcha quelques pas, faisant des aller et
retour le long du quai, réfléchissant. Dobby ne
le quittait pas des yeux, attentif.
À la fin, Rook revint se planter
devant le House-Elf.
'Bon, je te suis très reconnaissant
de m'avertir, mais ma décision est irrévocable.
Il est hors de question que je rentre au château.
De toute façon, on n'y désire pas trop ma présence…'
ajouta-t-il avec un rictus sans joie.
Peu après l'arrivée du
hibou, il avait à nouveau eu une discussion avec
la Grand-Mère. Elle avait encore cherché à le faire
changer d'avis… lui assurant que son année en Angleterre
ne serait pas un trop gros handicap pour pouvoir
entrer en deuxième à Durmstrang. Mais il avait encore
refusé, et avait dû se retenir pour ne pas se mettre
en colère. Quelques jours plus tard elle lui avait
apporté le billet de train, lui disant qu'il pouvait
tout aussi bien partir maintenant afin de compléter
ses fournitures à Londres et rester là-bas jusqu'à
la rentrée.
'Mais peut être qu'ici aussi personne
ne désire la présence de Celui-Qui-A-Survécu ?'
l'interrompit alors Dobby d'une petite voix sournoise.
Rook resta un instant silencieux,
les sourcils froncés. Oui, en effet, il semblait
à l'évidence que ni Blaise ni Marius ne voulaient
le revoir, et que c'était pour cela qu'ils…
'Et attends une minute !
Qu'est-ce que tu veux dire par là ?' fit-il
brusquement, un doute l'assaillant.
Soudain paniqué, Dobby balbutia
avant de lâcher précipitamment : 'Dobby
disait juste… Dobby disait que peut-être les amis
de Celui-Qui-A-Survécu ne voulaient pas qu'il revienne…
Que c'était peut être pour cela que les amis de
Celui-Qui-A-Survécu ne lui avaient pas écrit… ?'
'Et comment sais-tu, vile créature,
que mes amis ne m'ont pas écrit ?' s'exclama
alors Rook, ses yeux gris acier étincelants. Il
saisit à l'instant Dobby par ce qui tenait lieu
de col sur l'absurde taie d'oreiller le vêtant et
le fusilla du regard.
POP !
Le House-Elf disparut soudainement
pour réapparaître quelques mètres plus loin, geignant
et tenant dans ses mains un petit paquet de lettres.
'Dobby est désolé, Monsieur…'
couinait-il. 'Mais Dobby croyait que peut être Celui-Qui-A-Survécu
ne retournerait pas à Hogwarts, si Celui-Qui-A-Survécu
pensait que ses amis l'avaient oubliés… '
Il était prudent que Dobby se
soit éloigné, car Rook bouillonnait tellement de
rage qu'il aurait pu l'étrangler de ses propres
mains…
'Donne. Moi. Mes. Lettre,' siffla-t-il,
contenant difficilement sa colère.
'Celui-Qui-A-Survécu doit promettre,
Monsieur…' fit doucement Dobby en reculant prudemment
d'un pas. 'Il doit promettre qu'il rentrera chez
lui, qu'il n'ira pas à Hogwarts…'
Mais Rook avait saisi sa baguette
et en menaça le House-Elf.
'Tu me donnes ces lettres tout
de suite, ou sinon… !'
'Celui-Qui-A-Survécu ne peut pas
faire la Magie en dehors de l'école, Monsieur… !!'
glapit Dobby qui avait fait un bond en arrière.
'Celui-Qui-A-Survécu doit promettre à Dobby et Dobby
lui remettra les lettres… !!'
Rook serra les poings. Il avait
oublié ce stupide décret interdisant aux sorciers
mineurs d'user de la Magie… Il ne s'en était pas
préoccupé chez lui, le château étant suffisamment
protégé de toute inquisition – fut-ce même du Ministère
roumain – pour que rien qui puisse s'y passer n'en
transpire. Et le nom de Krásnyi était encore suffisamment
craint pour qu'aucun officiel n'ose s'en inquiéter.
Mais il était de retour en Angleterre, ici… Rook
serra les dents et articula lentement : 'Pour la
dernière fois, Dobby, je ne retournerais pas en
Roumanie… Donne-moi mes lettres…'
La créature prit alors un air
profondément désolé et accablé, secouant tristement
la tête.
'Celui-Qui-A-Survécu ne donne
pas le choix à Dobby, alors… Dobby ne voulait pas
en arriver là… Mais Celui-Qui-A-Survécu doit savoir
que Dobby ne fait cela que pour son bien…'
Et avant que Rook ait pu commencer
sérieusement à s'inquiéter, le House-Elf avait claqué
des doigts, et l'entièreté de ses bagages s'était
soudain élevée en l'air. Un autre claquement de
doigts, et le tout fut projeté au travers du pilier
central – le passage soudainement réouvert – et
Rook entendit le fracas de son chaudron heurtant
le sol du quai côté Muggle. Avec un CLAC, Dobby
disparut instantanément.
'Oh le con…'
Horrifié, le cœur battant, Rook
se dirigea vers le pilier, et après un instant d'hésitation,
se décida à le franchir. Si jamais il y avait eu
des Muggles de l'autre côté au moment où tout ses
bagages avaient surgit du pilier, il allait pouvoir
s'attendre à d'énormes problèmes… Mais après un
rapide coup d'œil alentours, Rook put constater
que le quai était aussi désert que celui qu'il venait
de quitter. Il n'y avait eu aucun témoin. Lentement,
il se laissa glisser au sol, avec un profond soupir
de soulagement. Mais à peine toucha-t-il terre qu'un
hibou surgit, lâchant une lettre sur ses genoux
et disparut. La lettre était cachetée du Ministère.
'Ça c'est le bouquet…'
Le cœur serré, Rook ouvrit la
lettre, dépliant la feuille de parchemin.
Comme il le craignait, le Ministère
avait été informé de l'usage d'un Hover Charm, ce
soir, quai 6 ½ gare de King's Cross à 1 heures 13
minutes, et semblait croire qu'il s'agissait de
lui… Aussi, on lui rappelait aimablement qu'aucun
sorcier mineur n'était en aucun cas autorisé à faire
usage de la Magie en dehors de son école (Decree
for the Reasonable Restriction of Underage sorcery,
1875, Paragraph C) et on l'assurait que la prochaine
incartade serait immédiatement et sévèrement punie
par l'expulsion pure et simple de la-dite école.
Le tout était suivi d'un non moins aimable deuxième
rappel que l'usage de Magie en un lieu où cela pouvait
être remarqué par des membres de la communauté non-magique
(délicieuse métaphore pour le terme de Muggles)
était gravement délictueux selon la section 13 de
l'International Confederation of Warlocks' Statute
for Secrecy. Yours sincerely et blablabla…
Rook soupira à nouveau de soulagement.
Il s'en tirait somme toute assez bien… Après tout,
c'était le jour de son anniversaire, et il était
là, seul, en pleine nuit, épuisé après un voyage
de plus de 18 heures, avec ses bagages éparpillés
tout alentour, interdit de faire usage de Magie,
avec un premier avertissement du Ministère qui le
menaçait de renvoi à la prochaine erreur, et complètement
abandonné par ses amis
Non, ses amis ne l'avaient pas
abandonné. Il avait au moins cette certitude, puisque
Dobby avait avoué avoir intercepté les lettres.
Mais qui pouvait dire maintenant si ceux-ci n'allaient
pas être offensés de son silence ? Après tout,
n'était-ce pas ce qu'il avait ressenti lui-même ?
Peut-être qu'ils ne voudraient même plus lui adresser
la parole… Mais il lui était impossible de les contacter…
pas ici. Il ne pouvait utiliser de Magie, et Jet
ne serait pas là avant deux jours… Elle détestait
les longs voyages. Avant de partir, il avait toujours
envoyé un message par hibou – sans grand espoir
– à Blaise et Marius, les informant de son retour,
mais ceux-ci ne l'avaient jamais reçu : il
avait reconnu les enveloppes dans la main de Dobby.
Rook se releva péniblement et
commença à lentement entasser ses bagages sur le
chariot. Puis il gagna le hall de la gare, et sortit
sur la grande avenue. À part quelques rares voitures
passant rapidement tous phares allumés, la rue était
déserte. Rook leva sa baguette et l'agita doucement.
BANG
Un immense autobus à double impériale
d'un violet vif venait d'apparaître soudainement
de nulle part. Sur le pare-brise on pouvait lire The
Knight Bus. Un jeune homme en descendit automatiquement.
Il portait un uniforme violet, des oreilles décollées
et pas mal de boutons sur la figure.
'Bienvenue dans le Knight Bus,
transport d'urgence pour sorciers ou sorcières en
perdition, ânonna-t-il d'un air blasé. 'Faites juste
un signe avec votre baguette magique, montez et
nous vous emmènerons où vous voulez. Mon nom est
Stan Shunpike et je serai votre contrôleur ce s…'
'Je veux aller au Leaky Cauldron,
à Londres,' le coupa Rook. 'Combien ?'
'Heu…11 Sickles… Mais pour 13
vous avez droit à un chocolat chaud et pour 15…'
Mais Rook avait déjà payé sa place
et était monté, hissant péniblement ses affaires
dans le bus. Stan vint lui donner un coup de main
quand il s'immobilisa soudain, ses yeux fixés sur
le front de Rook. Irrité, le brun ramena ses cheveux
devant sa figure pour masque la cicatrice.
'Ça… ça alors…,' balbutiait Stan.
'Mais mais… tu es…'
'Pressé et fatigué…' lâcha sèchement
Rook. 'Vous m'aidez ou vous regardez ?'
Stan, peut-être un peu vexé, ferma
sa bouche et aida Rook à transporter tous ses bagages
au fond du bus. Celui-ci ne comportait pas de banquettes
mais des lits en cuivre, et les fenêtres étaient
masquées par des rideaux. Le bus étaient quasi désert.
Stan lui désigna sa place.
'On refait un rapide saut en Écosse
– c'était là qu'on était avant que tu fasses signe.
On doit y déposer ce bonhomme…' Stan fit un signe
du menton vers un bonnet de nuit dépassant des couvertures
du lit en face. 'Après on repassera à Londres pour
te déposer…'
Rook s'était simplement assis
sur les couvertures. Il n'avait pas plus envie de
dormir ici que dans le Transilvania Express. Il
jeta un regard interrogateur à Stan qui était toujours
là…
'Euh… Excuse-moi mais… Est-ce
que tu es vraiment….'
Rook poussa un soupir, et hocha
la tête, tournant ensuite ostensiblement son regard
vers la fenêtre dont il tira les rideaux pour jeter
un œil à l'extérieur. Stan laissa échapper un gloussement
horripilant et rejoignit le conducteur à l'avant
du bus. Il y eut un BANG, et Rook dut se retenir
à la paroi pour ne pas basculer en arrière, déséquilibré
par le démarrage.
À l'extérieur, le décor avait
changé, et lui rappelait vaguement le paysage de
Hogwarts. Le Knight Bus se déplaçait de la même
façon que le Transilvania Express au plus fort de
sa vitesse, à cet exception près que le bus ne devait
pas rester dans des rails. Il ne semblait pas considérer
devoir rester sur les routes non plus, car il montait
régulièrement sur les trottoirs, où les réverbères,
les boîtes aux lettres et les poubelles devaient
faire un bond pour l'éviter. Rook essayait de se
concentrer sur le trajet afin d'éviter de penser
à l'avertissement de Dobby.
Stan se leva et vint réveiller
le sorcier en face, alors que le Knight Bus s'arrêtait
dans un crissement de frein. Encore tout ensommeillé,
l'homme descendit en baillant, n'ayant même pas
pensé à ôter son bonnet de nuit. Un autre BANG et
Rook vit qu'on était de retour à Londres. Il suivit
vaguement de l'œil les immeubles et les bancs publics
s'écarter du chemin du bus, puis le conducteur écrasa
à nouveau la pédale de frein. Le Knight Bus vint
s'arrêter en un long dérapage juste devant un pub
d'aspect miteux. C'était le Leaky Cauldron, au fond
duquel se trouvait le passage magique vers la Diagon
Alley.
Stan aida Rook à descendre ses
affaires. Le jeune homme resta un moment immobile
à contempler Rook, semblant hésiter à lui poser
les questions qui lui tournaient dans la tête, mais
heureusement, le conducteur l'appela soudain. Un
nouvel appel de Manchester. Stan regagna hâtivement
le bus et celui-ci disparut dans un dernier BANG.
Rook était harassé… Il avait dû
se lever à l'aube pour prendre son train, et depuis
n'avait pas fermé l'œil. Il traîna misérablement
ses affaires jusqu'à la porte, et dut y frapper
à plusieurs reprises avant de parvenir à réveiller
le vieux Tom. Celui-ci, en robe de nuit, le regarda
bouche-bée (cette fois, il l'avait reconnu du premier
coup d'œil) et l'invita prestement à rentrer.
'Vous avez l'air épuisé, mon jeune
Monsieur… Non, non laissez cela, les House-Elfves
vous apporterons tous ça… Montez, montez… La même
chambre que l'année dernière, cela vous convient,
Monsieur ? Vous voulez boire quelque chose
avant de vous coucher ?… Je préviendrais qu'on
ne vous réveille pas trop tôt. Vous n'avez rien
de prévu pour demain, n'est-ce pas ? Attendez,
je vais vous aider à vous débarrasser…'
Rook se laissa guider et ne réagit
même pas quand Tom lui retira sa cape de voyage.
Trop épuisé, il se laissa tomber sur le lit, et
ne se rendit même pas compte qu'il s'endormait.
Tom lui retira doucement ses chaussures, le couvrit
et quitta silencieusement la chambre…
'Bonsoir et bonne nuit !'
lâcha d'une voix endormie le miroir quand le vieil
aubergiste passa devant lui.
Mais si la nuit fut bonne, elle
fut malheureusement bien courte. Malgré la promesse
du vieux Tom, Rook fut réveillé vers 8 heures à
peine par une cavalcade dans les escaliers. Sa porte
s'ouvrit en grand et une voix bien connue cria son
nom. Il fallut quelques instant à Rook pour reconnaître,
à travers ses yeux clignotants, la petite silhouette
inquiète de Blaise.
