U.A : Et si Jack n'était pas arrivé trop tard pour sauver ses frères et sa sœur et si Billy était parvenu à tenir tête à leur père pendant ce temps-là, non sans pouvoir s'éviter de sérieuses blessures.
C'était presque miraculeux qu'ils aient survécu à cet homme, cette créature violente et cruelle qui méritait à peine le titre d'être humain. Pour eux, il était un cauchemar, un monstre sorti des ténèbres qui avait réussi à s'échapper de prison en Angleterre et à les retrouver aux États-Unis, dans une ferme perdue au milieu de nulle part. Il avait réussi à mettre Jack K.O en le faisant tomber d'un promontoire rocheux et à pénétrer dans le grenier où ils se cachaient malgré la porte barricadée.
Pour eux, son apparition dans leur abri avait était comme une condamnation à mort. Il faisait remonter dans leur échine des frissons d'effroi et nouait leur estomac au point de leur donner envie de vomir. Après tout, cet homme était un voleur, un père et un mari violent, un assassin… il avait déjà violé Jane. Pourtant, Billy parvint à lui faire face, un tisonnier à la main, et à se placer devant sa grande sœur et son petit frère. Peut-être à cause de la colère qu'il avait toujours eue en lui. Ça et son tempérament de tête brûlée lui donnait de la force.
L'adolescent parvint à expédier un grand coup de son arme de fortune dans la tête de leur père mais, d'un revers de main fulgurant, celui-ci le gifla au visage et lui saisit le bras. Ses doigts se resserrèrent violemment pour lui tordre le membre derrière le dos mais, avant qu'il ne le lui brise, Billy réussit à le frapper à nouveau dans l'os du bassin. Simon Fairbairn grogna de douleur et brisa sèchement le bras de son fils, qui hurla et faillit s'effondrer, mais se maintint courageusement. Son père ne lui laissa pas le temps de se reprendre et l'attrapa par le cou pour le traîner contre le mur du grenier et lui cogner la tête dessus. Billy chancela quand du sang se mit à couler de sa tempe mais il demeura résolument agrippé à son tisonnier. Cependant, d'un geste nonchalant, Simon Fairbairn, sans pitié, le lui arracha et le précipita au sol, avant de lui lacérer le ventre avec le morceau de métal.
Ce fut son hurlement que Jack entendit quand il s'arrêta devant les escaliers en chancelant et en appelant sa famille.
« Billy ! cria-t-il en armant le fusil de son père pour faire sauter la serrure. »
Aussitôt, Jane et Sam jaillirent du grenier et dévalèrent les escaliers pour se mettre à l'abri, tremblants de tous leurs membres. Leur grand frère les dépassa au pas de course et bondit dans la pièce, seulement pour voir leur cauchemar ambulant penché au-dessus de son petit frère, le tisonnier plein de sang à la main. Billy était encore en vie, mais ses yeux grands ouverts à cause de la souffrance contemplaient la mort qui s'apprêtait à s'abattre sur lui. Cependant, Jack ne laissa pas le temps à ce monstre de tuer son frère : il arma une nouvelle fois son fusil et lui tira une balle dans la tête.
Simon Fairbairn était certes monstrueux, mais il n'était pas immortel. Le coup le tua et il s'effondra en avant sur Billy, qui poussa un cri de peur mais si ténu qu'il terrifia Jack. D'un bond, le jeune homme rejoignit la scène d'horreur qu'il avait sous les yeux et écarta violemment le corps de son père. Billy ficha ses yeux dans les siens, mais à peine : il était si faible, il saignait tellement qu'un voile avait commencé à se poser sur son regard brun.
« Non, Billy, reste avec moi ! ordonna Jack en lui donnant des claques sur les joues. Billy ! Jane ! Apporte-moi des serviettes ! »
Leur sœur et le petit Sam, dont elle couvrait les yeux pour ne pas qu'il soit témoin de cette horreur, étaient revenus dans l'embrasure de la porte. Jane hocha la tête et entraina l'enfant avec elle en lui disant de venir l'aider.
Pendant ce temps, Jack se concentra sur son petit frère. Billy essayait de continuer à le regarder, la poitrine agitée par des soubresauts de douleur et des gémissements rauques filant de sa gorge.
« Chut, ça va aller, murmura son frère en passant sa main dans ses cheveux blonds. Chutt… Je suis désolé, Billy. Je suis désolé de ne pas t'avoir protégé. »
Son frère lâcha un hoquet étranglé, un peu de sang se frayant un chemin jusqu'à ses lèvres, et commença à papillonner des yeux.
« Non, reste là, répéta Jack. »
Jane revint dans le grenier en courant et lui tendit les serviettes, ignorant délibérément le cadavre de leur père.
« Ça va aller ? s'inquiéta-t-elle en balayant des yeux les épaisses traînées de sang qui entouraient le corps de son petit frère.
-Il faut que ça aille ! rétorqua Jack. Passe-moi une autre serviette. Essaye de dégager son bras. Sam ! Débarrasse le chemin jusqu'à mon lit, s'il te plaît. Voilà, c'est ça, Jane, ne le touche plus. Maintenant, va faire bouillir de l'eau et trouve-moi de quoi confectionner une attelle ! »
La jeune fille se releva et s'en fut en courant une nouvelle fois, trébuchant presque sur le plancher branlant dans sa hâte de bien faire. Jack regarda de nouveau son frère. Billy était en train d'abandonner, sa peau était de plus en plus pâle.
« Non ! s'écria Jack en lui pressant le visage, mais ses lèvres se contentèrent juste d'articuler un son inaudible avant qu'il ne tourne de l'œil. Billy ! Billy, reviens ! »
Désespéré, il balaya son corps du regard, sa main tâtant son cou pour être sûr que son cœur battait toujours. Malgré les serviettes déjà écarlates qu'il pressait fiévreusement contre son ventre, le sang continuait de couler. Ça ne serait pas suffisant… il aurait besoin de points de suture !
« Jane ! cria-t-il en direction de la cuisine. Apporte-moi aussi une grosse aiguille et du fil !
-J'ai déjà tout préparé ! rétorqua sa sœur. »
Jack hocha la tête et, sans perdre de temps, il glissa ses mains sous le corps de son frère pour le soulever dans ses bras. Un bleu énorme et noirâtre avait commencé à se former à l'endroit où son os avait été brisé et sa tête ballotait complètement en arrière, faisant goutter, en « ploc-ploc » réguliers, du sang sur le sol à cause de sa blessure à la tempe. Jack en avait la nausée mais il se reprit courageusement et dévala les escaliers jusqu'à sa chambre, qui était la plus proche du grenier.
Là, l'espace avait été complètement dégagé de tout ce qui l'encombrait d'habitude et le rangement précipité du petit Sam traçait presque un chemin visible sur le parquet. Perché sur son lit, l'enfant le regarda approcher avec angoisse tandis que Jane se tenait à gauche du matelas, prête à porter assistance à leur frère.
« Descends de là, lui ordonna Jack en déposant Billy avec précaution sur les draps.
-Mais je veux lui tenir la main ! protesta le petit garçon. Je veux qu'il sache que je suis là.
-D'accord, mais quand on te dira de t'écarter, tu le feras, c'est compris ? »
L'enfant hocha la tête et rampa plus près du bras valide de son aîné pour serrer ses doigts dans les siens. Jane leva les yeux vers Jack et, sans avoir besoin de parler, ils attrapèrent tous les deux le bras cassé de Billy pour le positionner bien à plat sur le matelas, le membre droit afin de le soigner correctement.
« J'ai l'attelle, déclara sobrement la jeune fille.
-Et moi les bandages, compléta Jack. »
Il souleva légèrement le bras de leur cadet pour que sa sœur puisse glisser le morceau de bois en dessous et lui remit l'os en place d'un coup sec. Sam sursauta, épouvanté, et Jack fut bien content, pour la première fois, que Billy ait perdu connaissance. Il enroula rapidement les bandages autour du membre blessé et serra fermement le nœud. Jane, pendant ce temps-là, s'était relevée pour courir à la cuisine chercher l'eau qui avait fini de bouillir.
« C'est vraiment profond, constata la jeune fille d'une voix blanche lorsqu'ils écartèrent les serviettes pleines de sang. On devrait aller chercher un médecin.
-Non, surtout pas ! l'arrêta Jack. Souviens-toi de ce que Maman nous a dit.
-Jack, je sais ce que Maman nous a dit, mais nous ne pouvons pas faire ça tous seuls ! Si jamais Billy meurt…
-Il ne mourra pas !
-Tu ne peux pas en être sûr !
-Moi, je ne veux pas qu'il meure, renchérit Sam d'une petite voix pleine de larmes.
-Il vaut mieux être séparés mais bien vivants !
-Arrêtez ! s'exclama le frère aîné. Il faut que je réfléchisse. »
Son visage, tordu par l'angoisse et le stress, montrait assez bien à quel point cette décision était difficile à prendre. Comme c'était douloureux, parfois, d'être l'aîné de la fratrie et d'avoir une telle responsabilité ! Il savait qu'il devait choisir, et vite : soit ils allaient prévenir un médecin et prenaient le risque que leur supercherie soit découverte, ce qui les expédierait tous les quatre dans des foyers différents puisqu'ils étaient encore mineurs et sans parents. Soit ils essayaient de soigner Billy eux-mêmes mais risquaient de l'envoyer directement dans les bras de la mort.
Jack contempla une nouvelle fois le visage de son petit frère. Il gémissait et haletait, déjà plein de sueur. D'une main distraite, il lui caressa la joue et écarta une mèche de ses cheveux blonds. Jane et Sam le dévisageaient, fébriles. En baissant les yeux, Jack remarqua également que les saignements s'étaient un peu taris. Peut-être qu'il y avait une chance… peut-être qu'ils pourraient à la fois sauver Billy et leur secret…
« Jane, passe-moi l'aiguille et le fil, décida-t-il alors en se redressant.
-Jack…
-Je vais recoudre la plaie pendant que tu laves le sang. D'accord ? Tu dois te concentrer, Jane, insista-t-il en la regardant droit dans ses yeux bruns. C'est notre seul chance de sauver Billy. »
La jeune fille, effarée, hocha rapidement la tête. Elle saisit une serviette, la plongea dans la bassine d'eau brûlante et l'essora, prête à nettoyer la blessure. Jack fit signe à Sam de s'écarter de leur frère pour qu'ils aient une meilleure emprise et le travail commença.
Désespérément, Jane frotta la blessure avec toute la douceur dont elle était capable et Jack entreprit de recoudre les bords de la plaie. Ses mains faillirent se mettre à trembler à plusieurs reprises, mais il se contrôla. Il devait rester concentré et efficace, sinon Billy ne passerait pas la nuit. Il devait faire ça pour son frère.
Au bout d'une longue heure, l'aîné put enfin couper le fil au bout d'une blessure pas très belle, pas très régulière, et qui laisserait sûrement une cicatrice horrible si Billy y survivait. Mais il avait fait ce qu'il avait pu. Jack prit à peine le temps de se rincer les mains dans l'eau devenue tiédasse, et de toute façon pleine de sang, avant d'enrouler d'autres bandes de tissus autour de la plaie et de les nouer fermement.
De son côté du lit, Jane le fixait tandis qu'il ôtait les draps tâchés et remontait une couverture sur le corps tremblant de leur frère. Sans un mot, elle fit le tour du lit et écarta doucement le petit Sam pour pouvoir nettoyer la blessure superficielle sur la tempe de Billy.
« J'espère que ça ira, lâcha-t-elle au bout d'un moment de silence.
-Oui, moi aussi, souffla Jack en passant doucement sa main sur la couverture au niveau de la poitrine de son frère, comme une caresse. Je vais lui faire prendre un antibiotique pour être sûr que la fièvre ne montera pas trop. »
Il se leva pesamment pour aller chercher le médicament et laissa son frère et sa sœur avec Billy. Il avait du sang partout, pas seulement celui de son cadet mais aussi le sien, qui venait des coups que leur père lui avait administrés. Il avait aussi mal partout et il allait falloir qu'il songe à quoi faire du cadavre de leur géniteur. Il n'avait aucune envie de l'enterrer dans le jardin aux côtés de leur mère, mais il ne pouvait pas non plus demander à la police de venir chercher le corps s'il ne voulait pas que leur secret soit découvert.
Jack fut soudain pris d'un vertige et s'appuya contre le plan de travail. Il se passa la main sur le visage, les doigts tremblants. Comment tout ceci avait-il pu arriver ?! Comment leur monstre de père avait-il pu les retrouver ?! Certes, il connaissait la demeure familiale de leur mère, mais s'évader de prison en Angleterre, prendre le bateau jusqu'en Amérique sans que la douane ne l'arrête, voyager seul dans la campagne du Maine pour venir les débusquer… C'était véritablement un démon. Ils avaient eu tort de se voiler la face en pensant que leur calvaire avait pu se terminer.
Et puis, ce qu'il avait fait à Billy… C'était inhumain. Il était sur le point de le tuer ! Que se serait-il passé s'il était arrivé une seconde trop tard ?
Jack préférait ne pas y penser. Rien que l'idée lui donnait l'impression de devenir fou.
Après s'être repris et avoir calmé la nausée de son estomac, il se lava correctement les mains et but un verre d'eau. Puis, il alla prendre les antibiotiques dans le placard de la salle de bain et rapporta les comprimés ainsi qu'une carafe à son frère.
« Je vais aller nous préparer quelque chose à manger, lui annonça Jane quand il pénétra dans la chambre. Qu'est-ce qui te ferait plaisir ? »
Elle sourit bravement à son aîné pour essayer de le rassurer. Certes, ça ne lui avait pas plu qu'il prenne le risque d'aggraver l'état de Billy, mais ils étaient tous dans la même galère ensemble, comme toujours. Ils devaient s'entraider jusqu'au bout. D'un geste doux, sa sœur lui prit les mains pour les serrer.
« Essaye… essaye de préparer quelque chose que Billy pourra manger, se reprit Jack en lui rendant l'étreinte. Je vais veiller sur lui.
-Jack, tout se passera très bien, essaya de le rassurer la jeune fille. On se relaiera et, si jamais les choses empirent, on ira chercher un médecin. Il n'y a rien de mieux qu'on pouvait faire pour Billy que soigner ses blessures et lui éviter l'infection. Jack… Je sais que tu fais de ton mieux. »
Le jeune homme hocha la tête, les yeux dans le vague. Faire de son mieux n'était visiblement pas toujours suffisant. Mais ça, il commençait le savoir.
« Viens avec moi, Sam, lança Jane à leur petit frère. On va préparer de la purée de pommes de terre et des saucisses, d'accord ?
-D'accord… Mais tu me laisseras écraser les patates, hein ?
-On verra. Si tu as assez de force dans tes petits bras. »
Jack s'écarta pour les laisser passer et se rapprocha du lit. Billy continuait de gémir, mais un peu moins fort, ce qui n'était pas forcément une bonne chose. Est-ce qu'il s'affaiblissait ? Est-ce qu'il commençait à avoir de la fièvre ? Rapidement, Jack lui souleva la tête et lui glissa entre les lèvres le cachet qu'il avait coupé en deux, puis le fit boire précautionneusement. Par réflexe, Billy avala et Jack réitéra l'opération avec l'autre moitié du médicament.
Il fit de même avec leur dîner une fois que Jane et Sam eurent fini de le préparer : il recoupa chaque morceau de saucisse en quatre petites parts et les lui fit ingurgiter une à une, avant de mettre un peu de purée sur ses lèvres. Billy les lécha par réflexe et son frère recommença jusqu'à ce qu'il considère que l'adolescent avait repris assez de forces.
La famille, encore traumatisée, ne parla pas beaucoup. Tous pensaient aux terribles blessures de Billy et au cadavre de leur père pourrissant à l'étage. D'ailleurs, aucun n'avait envie de le déloger. Au terme d'un commun accord, Jack et Jane décidèrent même de murer carrément le grenier plutôt que de descendre son corps. Le frère aîné s'en chargea seul une fois le repas terminé.
Après quoi, commença une longue garde qui dura plusieurs jours.
Jack ne sortait presque plus de la chambre, trop préoccupé par l'état de son frère. Il s'était un peu éloigné de lui pendant quelques temps, mais ça ne voulait pas dire qu'il l'en avait moins aimé. Billy était celui dont il avait été le plus proche… et il savait à quel point son frère avait besoin de lui.
Un matin, il était en train de nettoyer sa blessure au ventre avec un linge mouillé quand le miracle se produisit. Depuis qu'il avait perdu connaissance, Billy ne s'était pas réveillé une seule fois. Ses seuls signes de vie consistaient en des gémissements ténus ou des brusques sursauts dans le lit quand des cauchemars venaient le troubler. Quand son frère et sa sœur lui donnaient à manger, il avalait, mais c'était tout. Il ne se réveillait pas malgré une fièvre qui était restée basse et une bonne cicatrisation. Sans se le dire, Jack et Jane avaient peur que le choc d'être confronté à cet homme qui les terrifiait tellement ait été trop fort et qu'il ne se réveillerait plus jamais.
Heureusement, ce jour-là, l'adolescent retrouva enfin assez de forces pour se réveiller. Jack avait descendu la couverture jusqu'à ses chevilles et, du côté opposé à son bras cassé, il lavait sa plaie, qui était toujours aussi laide. Certes, elle n'était ni rouge ni gonflée, et c'était le principal, mais les points de suture étaient vraiment grossiers et irréguliers. Jack espéra que son frère ne lui en voudrait pas trop, si jamais… si jamais il se réveillait…
Il n'avait pas sitôt formulé cette pensée que le corps de Billy frissonna, mais d'une façon bien différente de ses contractions des derniers jours. Il émit un son, aussi, qui ressemblait davantage à un soupir qu'à une plainte. Jack, concentré, n'y prêta pas attention sur le coup mais quand une petite voix fatiguée lui demanda « Qu'est-ce que tu fais ? », il bondit pratiquement au plafond.
« Billy ? chuchota-t-il en se penchant vers son frère, les yeux exorbités. Billy ? Tu… tu vas bien ?
-Je ne sais pas trop…, murmura son cadet en essayant de se redresser. »
Il s'appuya malencontreusement sur son bras cassé et cria de douleur. Jack s'empressa de poser sa main sur sa poitrine pour le forcer à rester allongé.
« Chut, ne bouge pas…, lui ordonna-t-il. Ton bras est cassé. C'est papa qui te l'a brisé quand tu as essayé de défendre Jane et Sam, tu t'en souviens ?
-Ah… Oui… Attends ! Papa ?! Mais je… »
L'adolescent saisit le bras de son frère toujours posé sur son torse et s'exclama, effaré :
« Ça fait combien de temps que je suis inconscient ? Est-ce que… est-ce qu'il est encore là ?! Tu as réussi à…
-Chut, Billy, du calme, le reprit Jack. Tu ne risques rien. Tu t'en rends bien compte, n'est-ce pas ? Il n'y a rien de dangereux ici. Jane et Sam sont en train de jouer dans le jardin et Papa… eh bien, il ne pourra jamais plus rien nous faire, maintenant.
-Tu en es sûr ? »
Billy le fixa avec fatigue et inquiétude. Il était encore faible et Jack lui caressa doucement la paume de la main pour le rassurer, avant de remonter sur ses doigts et le dos de sa main.
« Tout va bien, répéta-t-il. Je l'ai tué, Billy. Avec l'arme qu'il avait emportée pour nous faire du mal.
-D'accord…, murmura l'adolescent. D'accord… Tu l'as enterré dans le jardin ? »
Il fixa des yeux leurs doigts connectés. De son autre main, Jack lui toucha la joue.
« On l'a laissé dans le grenier, lâcha-t-il.
-Quoi ?!
-Personne ne voulait le descendre de là. Et… on ne pouvait pas appeler la police non plus. »
De ses lèvres pâles, Billy lâcha un murmure d'assentiment. Il prit la main de son frère pour se réconforter et reposa leurs doigts sur la couverture.
« Merci d'avoir défendu Jane et Sam, souffla Jack en s'asseyant sur le rebord du matelas. Je n'ose pas imaginer ce qu'il se serait passé si tu n'avais pas été là.
-Je ne l'aurais jamais laissé les tuer, murmura Billy. Ce monstre nous a déjà fait tellement de mal... il n'avait pas le droit de nous séparer. »
Jack acquiesça dans un souffle. De sa main libre, il chercha un verre d'eau sur la table de nuit et le présenta à son frère.
« Tu as soif ? demanda-t-il. On a essayé de te garder hydraté mais je ne sais pas si c'était suffisant.
-Si je suis toujours vivant, c'est que vous vous êtes plutôt bien débrouillés, plaisanta Billy en essayant de se redresser.
-Non, attends, je vais t'aider, l'arrêta Jack. Il ne faut pas que tu bouges trop, la plaie sur ton ventre est encore sensible. »
Il lâcha sa main et l'aida à s'assoir, puis lui représenta le verre. Billy insista pour boire lui-même et l'eau coulant entre ses lèvres sembla lui faire beaucoup de bien.
« Je crois que ta blessure va plutôt bien, diagnostiqua Jack en jetant un dernier coup d'œil à la plaie. Reste comme ça, je vais te remettre un bandage. »
Il travailla en silence et aida l'adolescent à se rallonger une fois que ce fut fait, puis remonta la couverture sur lui.
« Dis-nous immédiatement si quelque chose ne va pas, ordonna-t-il très sérieusement. On ira aussitôt chercher un médecin.
-D'accord, soupira Billy en clignant des yeux. Mais comme tu l'as dit toi-même, tout ira bien. Surtout maintenant que papa est mort. Je regrette juste de ne pas avoir pu le tuer de mes mains. »
Son visage pâle se contracta en une expression de colère et de douleur en même temps, à laquelle se mélangeaient une tristesse et une frayeur qui lui donnaient l'air plus jeune qu'il ne l'était en réalité. Après tout, ce n'était jamais normal pour un adolescent gentil et équilibré de vouloir tuer son père, mais Simon Fairbairn leur avait fait endurer tellement de choses. C'était difficile de garder en soi une telle haine et cette abominable terreur.
« Allez, c'est fini, le rassura Jack en lui frottant brièvement la joue avec son pouce. Il ne pourra plus jamais rien nous faire et on va s'occuper de toi jusqu'à ce que tu ailles mieux. D'accord ?
-Et même après ? hésita Billy.
-Après quoi ?
-Après que ça ira mieux. Tu t'occuperas de moi ?
-Bien sûr. Pourquoi ne le ferais-je pas ? »
Billy se contenta de hausser les épaules, avant de tressaillir à cause de sa douleur au bras. Jack avait une petite idée de la raison de son inquiétude, mais il n'était pas sûr que ce soit le bon moment pour les discussions sérieuses. Il ne rebondit donc pas et glissa à la place ses doigts dans les cheveux de son frère, avant de lui reprendre la main.
« Tu as l'air fatigué. Tu devrais te reposer, lui conseilla-t-il. Surtout avant que Jane et Sam remontent et se rendent compte que tu t'es réveillé. À ce moment-là, ils ne te laisseront plus jamais dormir. »
Billy gloussa légèrement à la plaisanterie et s'accrocha plus fort, presque inconsciemment, aux doigts de son frère. Après quelques battements de paupière courageux, il finit par céder au sommeil et s'endormit. Jack le regarda pendant un long moment, sa main dans la sienne et les doigts de son autre main pliés sous le menton. Il avait l'impression de pouvoir, enfin, respirer de nouveau normalement.
