La nuit était calme, mais Astrid ne baissa pas sa garde pour autant. Ils pouvaient attaquer à tout moment. Sa hache, qu'elle venait d'aiguiser, était posée contre la boîte sur laquelle elle était assise. La fourrure sur ses épaules la protégeait du vent froid d'automne. Elle n'allait pas bouger pendant plusieurs heures tandis qu'ils montaient la garde. Ses coupures et brûlures de la journée avaient été soigneusement pansées par sa mère après l'entraînement, et ne provoquaient maintenant plus qu'une faible douleur qu'elle ignorait facilement. Kranedur avait eu bien pire : Gothik, l'Ancienne du village, avait dû lui remettre l'épaule en place. Astrid avait regardé, impressionnée, la vieille femme manipuler l'épaule avec force et aisance. Kranedur sera forcé de regarder les entraînements sans participer pendant les prochains jours pour qu'il ait le temps de guérir, un fait qui lui avait valut les moqueries de sa sœur, qui allait prendre une longueur d'avance sur lui.
Ce soir tous les jeunes étaient rassemblés autour du feu dans une des tours de défense du village. Ils avaient fini de manger depuis longtemps, mais leur mission pour ce soir était loin d'être terminée. La relève ne se ferait pas avant plusieurs heures. Astrid resserra la fourrure autour de ses épaules, et lâcha les étoiles du regard pour ramener son attention sur ses camarades et leur mentor. Gueulfort continuait de parler, sans se rendre compte que personne ne l'écoutait plus depuis longtemps. Tous, à part peut-être Varek :
« Tu dis que vous les avez traqués pendant plusieurs jours, mais comment traquer un dragon dans le ciel ? » Le coupa l'adolescent dès qu'il en eut l'occasion. « Et à partir de combien de Terreurs Terribles faut-il éviter de les attaquer quand ils sont en groupe ? Et quelle arme est la plus adaptée pour en tuer un ? »
La dernière question en elle-même n'était pas bête, mais Astrid s'imaginait mal trimballer sur elle tout un arsenal durant une attaque pour toujours avoir l'arme la plus adaptée au dragon qu'elle affrontait. Non, il valait mieux choisir une seule arme et devenir un maître dans l'art de la manier, plutôt que d'apprendre à être un guerrier qui sait plus ou moins se battre avec trente six armes différentes.
Les questions de Varek semblèrent avoir coupé Gueulfort dans son élan, et après y avoir répondu brièvement, il se tut, le regard perdu au loin. Enfin un moment de silence, pensa Astrid. Pour une fois les jumeaux ne se disputaient pas. Gueulfort buvait tranquillement sa bière. Varek murmurait doucement, son habitude de parler en réfléchissant ne dérangeant désormais plus personne. Et Astrid était presque sûre que Rustik était en train de dormir. Harold, quant à lui, était parti depuis longtemps, leur laissant la tâche de garder le village. Où était-il parti ? Astrid n'en avait aucune idée. Il se faisait discret depuis que l'entraînement avait commencé. Peut-être voulait-il se faire ignorer après sa dernière connerie qui avait détruit plusieurs maisons dans le village, ainsi qu'une partie de l'estacade. Cela lui importait peu. Astrid avait remarqué son absence parce que c'était ce qu'on attendait d'elle en tant que guerrière et future représente du clan Hofferson, mais elle n'était pas assez intéressée pour essayer de découvrir ce qu'il faisait. Harold était Harold. Il était sûrement en train de planifier son prochain désastre.
Varek s'arrêta soudainement de murmurer, attirant l'attention de la guerrière sur lui. L'adolescent avait les poings serrés sur ses genoux, ces derniers bougeant au rythme de ses pieds qui tapotaient contre le sol. Ses yeux fuyant se posaient sur tout sauf sur Gueulfort. Astrid le connaissait assez dorénavant pour savoir qu'il se retenait de poser une question, et ses mouvements stressés commençaient à lui courir sur le système.
« Crache le morceau, Varek ! »
L'adolescent sursauta, et Gueulfort rapporta son attention sur les jeunes devant lui. Cela ne fit que faire encore plus stresser Varek.
« Et les Marqués ? Quelle est la meilleure arme pour les tuer ? »
Le silence se fit sur la tour, et des yeux écarquillés se tournèrent vers Varek. Puis les jumeaux éclatèrent de rire, réveillant Rustik en sursaut. Il serait tomber de la plate-forme si Gueulfort ne l'avait pas rattrapé par le pied. La chope de Rustik n'eut pas la même chance et alla s'écraser sur les rochers qui s'élevaient de la mer une dizaine de mètres plus bas.
« Tout le monde sait que les Marqués n'existent pas ! » Ricana Kranedur.
Rustik, à peine revenu sur la plate-forme, se joignit à eux dans leurs rires moqueurs.
Les Marqués. Astrid se souvenait des contes que lui racontaient ses parents le soir autour du feu. Tous les enfants connaissaient ces contes : ils étaient la source de presque tous leurs cauchemars. « Tant mieux, » disaient les adultes en voyant leurs fils et leurs filles se glisser dans leur chambre au milieu de la nuit . « Il vaut mieux qu'ils en aient peur, plutôt qu'ils soient tués. »
« Pourquoi ils n'existeraient pas ? » S'indigna Varek. « Personne n'a jamais vu une Furie Nocturne, pourtant personne ne doute de leur existence ! »
« Ouais, peut-être parce qu'elles ravagent notre village plusieurs fois par an... » moqua Rustik.
« Ouais ! » Rajouta Kranedur. « La seule chose que font les Marqués, c'est garder les enfants éveillés la nuit. »
Sa sœur allait renchérir, quand Gueulfort dit sombrement :« Ils existent. »
Les rires des jumeaux se turent, et Varek tourna un regard émerveillé vers Gueulfort. « Qu'est-ce qu'ils sont ? » Murmura-t-il, osant demander la question que tout le monde se posait.
« Des démons, » expliqua Gueulfort d'une voix qui avait perdu tout l'enjouement qu'il avait plus tôt. « Des dragons maudits, coincés dans des corps d'hommes et de femmes. Aussi intelligents que nous aussi. Leur seul but cependant est de détruire. »
« Comment on fait pour les tuer ? » Demanda Astrid, répétant la question de Varek.
« C'est très dur. Dû à leur malédiction, ils sont plein de rage et de haine, et ils sont de redoutables ennemis. Sans compter qu'ils nous ressemblent, enfin, si on exclut leur marque bien sûr. Un Marqué pourrait facilement se faire passer pour l'un des nôtres. Seuls les meilleurs guerriers peuvent les vaincre. »
Les yeux d'Astrid se baissèrent vers l'alcool dans sa chope, son regard sombre se reflétant sur sa surface.
« Même le chef Stoïck n'a jamais réussi à en tuer. Mais heureusement, » reprit Gueulfort, « ils ont les même faiblesses que nous ! Cependant, il y a quelques légendes qui racontent qu'ils sont insensibles au feu. »
Varek se rongeait les ongles, recroquevillé sur lui-même. Il regardait la nuit autour de lui, comme si un Marqué allait apparaître de nul part et le tuer. Normalement, Rustik en aurait profité pour se moquer de lui, mais même lui était silencieux pour une fois.
« Oh, ne vous en faîtes pas ! » Rigola Gueulfort. « Ça fait bien une vingtaine d'années que nous n'en avons plus vu à Beurk. »
« Qu'est-ce qui leur est arrivé ? » Demanda Rustik.
« Ils ont disparu du jour au lendemain, » répondit Astrid, sans lever les yeux de son reflet.
Gueulfort haussa les épaules quand les regards se tournèrent vers lui pour des réponses.
« Soit ils ont migré vers de nouvelles terres à piller, soit ils ont été anéantis. Ce qui est sûr, c'est que le plus de temps passe, le moins il y a de chance qu'on en revoit un jour. »
Les mains d'Astrid se resserrèrent autour de sa chope, et les coupures sur ses phalanges se rouvrirent, gâchant tout le travail de sa mère. Elle n'en avait rien à faire, elles se seraient rouvertes demain matin à l'entraînement de toute façon.
Rien qu'essayer de tuer un Marqué rapportait énormément d'honneur pour le guerrier et son clan. Un honneur pour lequel de nombreux guerriers du clan Hofferson étaient morts au cours des générations. Un honneur, il semblerait, que jamais elle-même ne pourrait recevoir.
L'histoire paraîtra peut-être familière à certains, c'est normal. Ceci est une réécriture d'une fanfiction préexistante. Non, je n'ai pas volé le concept, j'ai juste décidé de changer de compte car c'était plus simple ainsi pour moi. Si vous avez un doute, vous pouvez toujours m'envoyer un message privé sur mon ancien compte pour que je vous le confirme.
Ces dernières années ont été stressantes pour moi (et pour tous je pense) pour plus d'une raison, et j'ai eu besoin de me replonger dans quelque chose de familier. Je tiens à préciser que j'écris cet fic principalement pour moi. Les critiques négatives et même les critiques constructives risquent donc d'être très souvent ignorées, mais sentez vous quand même libre d'écrire tout ce que vous voulez en commentaire tant que cela reste respectueux envers moi et les autres.
- klara
