Hey !

Est-ce que je commence encore un recueil d'OS ? Oui. Mais au moins, cette fois, ça s'est pas fait pendant une nuit du FoF. (Même si je l'alimenterai sans doute à cette occasion).

Cette fois, ce recueil sera centré sur une seule et même histoire, en lien avec le quatrième OS de Nouvelle partie, Tu ramèneras du pain. On va suivre l'histoire des deux zigotos de manière décousue selon ce que j'aurai envie de raconter, et… Voilà. (Du coup, on part sur une relation pas saine, donc attention si c'est un sujet sensible !)

(TW en fin de page !)

Bonne lecture !


Tous les chemins mènent à ta porte

.

Le lit est petit, il couine dans Neku se retourne. Mais ça fera l'affaire.

– Hésite pas à me réveiller si t'as besoin de quelque chose.

– D'acc.

– Oh, et pour demain matin, y a des Frosties dans le placard au-dessus de l'éviter. Et du chocolat en poudre. Et du lait dans le frigo, mais ça fait un moment que je l'ai ouvert. Vérifie qu'il ait pas une odeur bizarre avant d'en boire.

Il vérifiera. S'il a faim. Mais pour l'instant, il a juste un vide immense au fond du ventre, et une fatigue sale sur les épaules. Ses muscles noués sont bien incapables de se détendre, même sur le matelas que Shiki a gonflé pour lui. Alors il lâche de petites réponses, jusqu'à ce qu'elle ferme la porte du bureau.

– Merci, il dit trop tard.

Et il ferme les yeux, pour ne plus chercher son regard dans l'ombre de la pièce.

xoxoxox

– Quand tu veux, j'lui casse la gueule.

– Laisse.

Il fait beau, beau avec un grand soleil trop plein d'une lumière qui l'aveugle. Alors Neku s'est assis à l'ombre, contre Beat. Sa tête abandonnée sur son épaule. Là où ça sent le sel rassurant de la sueur. Sous lui, l'herbe fraîche et humide. Et autour, des gens qui passent, du bruit. Un monde.

Il déglutit.

Juillet est déjà là.

– Sérieux, il t'a fait quelque chose ?

– Non.

– T'as l'air au bout de ta vie, mec.

Neku laisse sa main trop large aller autour de sa taille. Avec Beat, il sait que ce n'est pas intéressé.

– J'ai juste l'air fraîchement célib'.

– Mouais.

Il doute. C'est le cas, pourtant. Un tout récent célibataire qui squatte chez sa meilleure pote parce que ça fait deux mois qu'il a rendu sa chambre étudiant. Deux mois, et il n'a pas pensé à chercher un appart. Pas besoin. Il y avait de la place, chez lui. Un immense lit double. Surtout, il y avait lui.

Neku déglutit. Deux jours. Deux putain de jours. Et c'est encore une plaie à vif.

– Y a une fête foraine ce soir, on y va avec Rhyme. Ça te tente ?

– Quelle heure ?

– 20h, un truc comme ça. On ira manger kebab ensemble avant, si t'es chaud.

Kebab. Depuis combien de temps est-ce qu'il n'a pas mangé kebab ? L'autre détestait ça. Déjà qu'il fallait insister longtemps, pour qu'il accepte les pizzas. Et encore, il ne commandait pas n'importe où. Ouais, toujours à critiquer ses histoires de mal bouffe, le gars. Avec ses discours sur l'hygiène et la propreté.

Mais fallait voir la gueule de son salon. Les cartons entassés, la poussière, les couverts dans un coin et cette noirceur partout jusque sous leur peau, comme une crasse qui refusait de partir, une horreur, et-

Non. Merde.

Il doit arrêter de penser à lui. Au moins, d'y penser tout le temps.

– Ça marche.

Il doit le chasser de sa tête, et oublier les palpitations de sa gorge fine sous sa main.

xoxoxox

Un verre de plus. Neku sera sans doute minable en quittant l'appart, mais tant qu'il retrouve le chemin du métro, tout va bien. Puis Shiki est là, et Shiki n'a pas bu, alors elle le ramènera. Ça va le faire. Ouais. Ça va le faire.

Il y croit, et puis une heure plus tard, il vomit sa bière dans les chiottes. Son ventre se tord et plus jamais, il pense. Plus jamais. Puis il vomit encore, et l'odeur âcre le pousse à cracher le peu de bile qu'il lui reste.

Heureusement qu'il n'a pas cours demain.

Contre les murs le bruit cogne, la musique lancée à fond qui se jette et frappe les paroies de l'appartement et fait trembler l'endroit. Neku la sent juste sous sa peau, la musique. Un truc electro qui embrouille le cerveau et donne envie de danser comme si le temps s'effaçait. Ça hurle à l'intérieur.

Il déteste ça d'habitude, le bruit. Pour ça qu'il se trimballe casque sur les oreilles. La ville est une agression constante, les gens lui font peur. Il y a leur voix, les pas qui s'emmêlent, les pubs et les cris et ceux qui courent, toute cette vie qui grouille et l'envahit. Ça le tue. Et ce soit c'est lui qu'il tue, à se remplir la tête de musique qui hurle. Il sent comme ça cogne partout en lui et comme ça monte. Ça fait mal, un mal à l'intérieur qui tremble et le renverse, ça monte et ça pourrait exploser, mais il s'y accroche. Encore. En pleine fête, à se perdre dans le bruit.

Et le son l'a écrasé. Pourtant, il est toujours en vie. A bout, épuisé, à rendre tout ce qu'il a bouffé dans les chiottes d'un pote à Shiki. Mais en vie.

– Neku ?

Shiki justement, elle est là. Ses yeux qui brillent sans qu'il ne comprennent pourquoi. Et bientôt, c'est froid sur son front. Sa main. Ses doigts qui retiennent ses longues mèches rousses.

Ça le frappe.

Soudain, deux yeux mauves. Des chaussures en cuire, un pantalon lisse. Un sourire. Une autre main qui remonte sa tignasse dans un geste délicat alors qu'il vomit au frais dans un jardin. Son ventre qui se tord et son cœur qui éclate. Parce que soudain, ces yeux. Un inconnu, un éclair qui le traverse.

Il se souvient.

– T'es dans un sale état.

Mais la voix de Shiki vient chasser l'illumination subite qui l'a transcendée, et il n'y a plus qu'un toilette sale et un arrière goût qui lui brûle la gorge.

Ce n'est pas lui, non. Evidemment.

Et Neku la fixe, ses petits yeux pleins de déception luisant sous la lumière crade de la pièce.

Il se sent minable. Il ne sait plus pourquoi.

xoxoxox

Jour six, l'ombre l'avale. La couette est tendre, mais elle n'a pas la consistance cotonneuse de celle à laquelle il s'est habitué. Tant pis. Il va devoir s'y faire, à ça et au bruit qu'il fait chaque fois qu'il se retourne. Ça prendra juste un peu de temps.

Mais il se tourne et se retourne, ferme les yeux, les rouvre. Il serre les dents. Enfouie sa tête dans l'oreiller, inspire, se tourne encore. Jure. Serre les paupières, imagine des moutons, cherche une mélodie lointaine qui pourrait le bercer.

Rien à faire.

Il serre la couette. Si molle, dans son poing. Pleine de sa propre chaleur. Trop grande. Est-ce qu'ils tiendraient à deux, là-dessous ?

Il rouvre les yeux et, dans l'ombre découpée de maigre touche de gris, il imagine une chevelure blanche comme un jour de neige qui s'enroule autour d'un visage familier.

Il invente son bras maigre tendu vers lui, venu caresser son dos. Ses doigts qui remontent jusqu'à son épaule. Ses iris tremblants sous la lumière imaginaire d'une lune qui passe par la fenêtre. Et son sourire. Ses lèvres sans mot qui le narguent. L'incroyable douceur dans ses gestes.

Joshua est là.

Il rappelle à lui sa respiration calme, sa voix qui souffle dans le secret de la chambre pour dire des mots qui apaisent. Ses vérités noires qui s'accordent à la réalité de Neku.

Et doucement, au son de cette berceuse sordide, il s'endort.

.

Les gens sont complexes. C'est toujours infiniment difficile de se lier à eux. Épuisant. Angoissant. Tant d'énergie pour si peu de résultats.

Ils ne comprennent pas, hein ? Ils ne comprendront jamais. C'est comme ça. Ils ne peuvent pas voir ce qui se passe là-dedans.

C'est là, la solitude. La vraie. Celle qui demeure au milieu des autres, même auprès des gens que tu aimes.

C'est un chemin trop compliqué. Vous ne vous trouverez jamais vraiment. Il y aura toujours un mur entre toi et les autres.

xoxoxox

– Eh, ça va ?

Non. Jamais.

– Mm.

– J'suis là, mec.

Oui. Beat est là. Il s'assoit près de lui, il passe un bras autour de ses épaules. Sa chaleur traverse sa peau comme une main qu'il tend, à l'intérieur de lui. Une forme de soutien. Il ne lui pose pas de questions, enfin, pas d'autre. Il sait que dans ses mauvais jours, Neku n'y répondra pas.

L'autre, il s'abstenait parce qu'il en connaissait déjà les réponses.

Dehors, le soleil se lève. Le matin s'étend alors que l'eau boue sur le feu. Shiki dort encore, Rhyme n'est pas restée cette nuit. Et dans sa tête, une douleur familière réveille la nausée.

Il croit sentir l'odeur évasive du thé qui infuse. Des épices mêlées dans le petit sachet.

Il entend une musique qui n'existe que dans sa tête, légère comme le murmure du vent. Des paroles qui lui reviennent.

Sa tête roule sur l'épaule de Beat comme un appel au secour, alors que la large main enveloppe sa hanche. Il attend les mots, mais rien. Rien ne vient. Le silence. Il lève les yeux vers lui, croise les siens. Ce regard tendre et lisse.

Beat lui sourit, et Neku sait qu'il ne trouvera pas chez lui ce dont il a tant besoin. Ces paroles qu'il l'affament, désespérément.

Peut-être qu'il y a trop de nœuds sur leur chemin.

Ils ne se trouveront jamais vraiment.

xoxoxox

Les gens, enfin, la majorité des gens, ne peuvent pas se rapprocher les uns des autres. Il font comme si. Mais il y a toujours une barrière quelque part. Un terrain où ils ne se comprennent plus.

Tu le sens, hein ?

Ça t'effraie ?

xoxoxox

La nuit est pleine. De l'encre noir dans les rues, jusque sous les fenêtres des maisons. Quelques lampadaires moisis qui éclairaient leur pied, et, parfois, la route de Neku.

3h du matin, et la vie a perdu son sens.

Et dans ses oreilles, la musique se répète.

Un chat passe, et puis un chien aboie. L'oiseau de nuit se promène mains dans les poches, avance et oublie aussi fort qu'il peut ce visage qui revient, là, ce souvenir. Ce rire blanc et ces doigts trop fins qui caressent ses cheveux pendant qu'il dort. Ces doigts qui descendent parfois le long de son dos, sur et entre ses jambes.

Non.

Si peu de lumière, et tellement d'étoiles au-dessus de sa tête. Autant de soleils qui ne le réchauffent pas. Le sien aussi, il est froid. Si froid. Il prend sa chaleur quand il s'en approche trop.

La nuit demeure, et Neku avance au hasard des rues. Il s'arrête parfois sur une fleur, une plante amusante, plisse les yeux contre les phares d'une voiture qui passe. Il attend sur le trottoir et il pense, vite, un instant, bref instant, il pense et la honte le prend aussitôt mais c'est trop tard. Il pense qu'il pourrait avancer, et que tout serait fini. La voiture, le choc, et plus rien.

Il serre les poings.

Tu crois qu'on peut se jeter à deux sous un train ?

Cette idée n'est pas la sienne, non. C'est quelqu'un d'autre qui l'a plantée, il veut le croire. Croire que ça ne vient pas de lui. Que ce n'est pas sa faute.

Doucement, il enlève son casque. Un vent froid taquine ses oreilles. Le silence l'accueille. Si peu de bruit.

Pour un instant, la ville n'est plus une éternelle agression. Il n'y a que le vent, les chouettes et la voiture qui s'éloigne. Pas de lumière, pas de bruit, pas de foule. Personne pour le toucher. Un immense abri noir.

Et dans sa tête, un sourire blanc.

Il déglutit.

S'il rentre, Shiki lui posera des questions auxquelles il ne saura pas répondre. Elle lui demandera de trouver des mots qu'il n'a jamais eus, et Beat… Beat n'est qu'une moitié de solution. Une amitié épuisante, comme tant d'autres. Il faudra sourire, et rire, ou supporter leur gêne qui l'écrasera. S'enfouir dans un lit qui couine, seul avec son fantôme.

Neku inspire.

Son casque autour du cou, il reprend sa route. Il trouvera bien un coin tranquille où fermer les yeux. Un banc, peut-être. Un pont. Il n'aura qu'à dormir, son sac serré contre son ventre.

Imaginer des bras qui se mêlent aux siens.

xoxoxox

La foule. Et donc, le bruit. Des bras qui se frottent contre les siens. Ses couleurs, partout. Des voix, des mots qui s'entrechoquent, des rires qui crissent, un mélange de conversation qui entrave ses propres pensées. Et des corps, tellement de corps. Il faut avancer, se décaler, éviter, esquiver, reculer, s'échapper. Et encore, recommencer. S'excuser, tracer. Chercher du regard le bon chemin, la rue qu'il faut, s'engouffrer. Et dans l'ombre où les voix ne sont plus que des échos, où la lumière s'apaise, il faut taper le code et pousser la porte en verre, chercher l'ascenseur. Traverser le couloir, caresser la poignée. L'enfoncer.

Sentir tout l'épuisement du monde qui lui tombe brusquement sur les épaules alors que son corps se relâche, à bout.

Et affronter le sourire de Shiki.

– T'es déjà de retour ?

– J'ai eu…

Ça casse. Là, à l'intérieur de lui.

– J'ai…

La goutte d'eau qui a tout englouti.

Son appartement. Il est passé devant, enfin, pas devant devant, pas loin, pour aller à son entretien d'embauche. Il avancé et il a reconnu la rue, le bougainvillier qui pétille de fleurs roses au tournant, les ombres sur les murs, les trottoirs fraîchement refaits. Il s'est souvenu du chemin qu'il faisait, souvent, de la porte neuve, de l'odeur dans les couloirs et de la boîte aux lettres avec le nom de Joshua dessus.

Il a encore, dans son sac, le badge pour ouvrir.

Il l'a imaginé, ses bras maigrichons ouverts pour l'accueillir, sa force faible autour de lui, son corps fragile à presser contre le sien, et…

– C'est pas grave.

Shiki attrape sa main. Sa paume est énergique, et pourtant si délicate. Quand il la serre, ses articulations ne lui font pas mal. Sa peau est chaude, et elle sent la lavande. Il n'y a pas de poubelle qui traine dans le couloir, les volets sont ouverts.

Ses mots sont tendres et sincères.

– T'essaieras une autre fois. Quand tu te sentiras prêt.

Ce ne sont pas ceux qu'il a besoin d'entendre.

– J'ai fait du thé, t'en veux ?

– Ouais.

– Installe-toi dans le canapé, je t'apporte ça.

Il l'écoute. S'assoit. Et avec le délicieux liquide sucré, il ravale sa déception.

xoxoxox

C'était trop, hein ? Le bruit, la foule, le soleil. Tous ces gens qui se pressent contre toi sans même te voir. Et puis leur conversation au téléphone, toute leur vie que tu n'as pas envie d'entendre. L'odeur de leur cigarettes et de leurs déodorants quand ils te bousculent. Et ceux qui essaient de te parler… Ils t'ont abordé ? C'est dur de répondre hein ? Horrible.

Viens.

Il n'y a personne ici. Pas de bruit. Juste moi.

Toi et moi.

xoxoxox

Neku déglutit. Sur son épaule, son sac. Dans sa main, un sachet de pain de mie. Et dans son cœur, une honte immense face à l'abandon.

Il a échoué.

Pire.

Il s'y est résigné.

Trois coups, il toque. Trois coups, et mille histoires horribles explosent dans sa tête. Et si Joshua n'était pas là ? S'il avait déménagé ? Non. Deux semaines, c'est trop court. Il n'a pas pu… Non. Et si… Et s'il avait franchi le pas ?

Son ventre se serre. Il imagine la corde, le tabouret. Un couteau, une baignoire pleine et dedans...

Ou une arme. Du sang partout, et bien d'autres choses étalées sur les murs. Une odeur insupportable. Ça lui ressemblerait bien, ça. Une balle.

Mais il aurait laissé la porte ouverte, hein ? Pour que Neku le trouve. Pour qu'il le voit là, étendu, pour qu'il-

Des pas. La poignée qui s'abaisse. Et soudain, c'est une libération. Une libération amère.

Le battant s'ouvre, et la nuit s'éclaire d'une chevelure cotonneuse enroulée autour d'un sourire inébranlable.

– J'ai failli attendre.

L'envie de le gifler est aussi forte que celle d'aller se blottir contre lui. Neku doit faire un effort, un immense effort, pour les contenir toutes les deux.

– Connard.

– C'est un bien vilain mot, ça. Surtout quand on s'adresse à quelqu'un qu'on a abandonné pendant deux longues semaines, tu sais ?

Abandonné. Il ne devrait pas se sentir mal comme ça. Pas quand l'autre affiche ce sourire satisfait, ses doigts enroulés autour d'une mèche toujours plus longue que les autres. Une mèche qu'il a déjà empoignée, alors qu'il écrasait son corps contre un mur, sa bouche contre la sienne.

Sans répondre, il lui jette de pain de mie dans les bras, et il passe la porte.

Dedans, ça sent le propre, à nouveau. Plus de cartons de pizza. La table est lisse, l'évier est vide. Les bougies proprement alignées sur un meuble, posées dans une délicate assiette en porcelaine. La lune partage un coin de fenêtre avec les toits de la ville. Il reste une odeur de Paic citron dans l'air, un truc trop propre.

Le rire de Joshua envahit la pièce.

Sa main, abîmée par de trop nombreux lavages, se pose sur sa taille.

– Tu sais, quand je parlais de pain, je pensais plutôt à une baguette.

Il ne pose pas de questions. Il passe sous silence la fatigue qu'il sent peser sur ses épaules, et les cernes sous ses yeux. Il sait déjà.

Enfin, Neku est de retour à la maison.


[TW : Depression, description de suicide]

Voilà. C'est pas trop trop joyeux, mais j'adore cet UA, donc je vais sans doute y revenir souvent. J'aime leur relation bancale et nécessaire, et j'ai pleiiin d'idées pour Joshua. Alors à bientôt !