prologue.
Seul.
A jamais, pour toujours...seul.
Ces mots me blessent, plus que tout.
Bien souvent je me suis demandé pourquoi vivre, puisque je suis déjà mort.
Bien souvent j'ai souhaité qu'il m'ait laisser mourir, il y a deux ans.
J'aurais tant aimé mourir sur scène, pourquoi ne m'a-t-il pas laissé mettre un terme à cette grotesque comédie?
J'ai survécu à l'Ifa mais je reste condamné. Condamné à errer dans un monde vide de tout sens. J'ai juste échappé à la mort pour un temps, je suis en sursis. Je sens que je vais bientôt disparaître, m'effacer.
Quelqu'un pourra-t-il un jour me dire pourquoi, pourquoi j'existe si c'est pour disparaître?
Non.
Personne ne peut me le dire, personne n'existe plus pour moi et je n'existe pour personne.
Mourir? Je refuse.
Je refuse, comme j'ai toujours refusé le destin qu'il m'avait tracé .Mais cela n'a jamais fait que contribuer à tes projets. Je te hais Garland. Car toute cette défiance acharnée n'aura servie à rien, rien qui ne puisse te desservir.
Tu m'a crée pour détruire. Détruire et mourir, tel était mon destin.
Pauvre ange de la mort victime de sa magie.
Quelle vie?
je ne sais plus.
Je ne sais pas.
Lorsque les humains sont tristes, ils pensent aux moments heureux de leur existence.
Mais où sont ces moments pour moi? Evaporés, non , ils sont inexistants.
Cette absence me pèse, je suis seul, je ne suis pas heureux et je n'ai plus de temps pour le devenir.
Personne ne se soucie de moi. Oublié. Perdu à jamais dans les obscurs méandres de mon âme torturée.
Comme un adulte qui contemple son enfance, je me rends compte que j'ai raté ma vie.
Quel idiot je fais! Un bien bel idiot...Garland m'a manipulé comme un pantin. Je ne vaut pas mieux que ces mages noirs. Je m'arrêterais bientôt. Comme un pantin. Il avait prévu de couper les fils qui me maintenaient prisonniers de ses mains habiles. Mais je l'ai tué , les fils ne serviront plus à me manipuler , mais il ne me maintiendrons pas en vie non plus ...
N'ai-je pas des émotions moi aussi? N'ai-je pas droit à la vie ? Puisque...puisque je n'en ai encore jamais eût.
Qui peut me dire ce que c'est, la vie?
Personne.
Car je suis seul.
Quand j'y pense, je me dit que ne suis pas bien différent des humains: eux aussi ont une vie limitée, la mienne est juste plus courte, non?
Pourtant eux ont droit au bonheur, ils l'ont connu et ont pu l'apprécier. Pourquoi pas moi?
Je suis seul, seul dans ma loge : j'ai déserté la scène pourtant le théâtre me survivra, je ne peux pas le tolérer, je ne l'ai pas toléré et me voici donc ici, seul, toujours, à écrire ces mots inutiles, ces mots pour ne pas mourir, ces mots pour qu'il reste une trace, un souvenir
...Pour ne pas mourir...
J'ai peur oui, c'est vrai. Peur de mourir, peur d'être seul, peur des autres, peur de tout et de rien.
Peur de moi même, de ce que je suis car je ne suis rien.
Pour la première fois peut-être je me sens faible.
Comme autrefois.
Il m'avait abandonné sur cette terre inconnue, il m'avait abandonné, moi!
Moi qui suis si beau, moi qui suis si intelligent, moi qui suis...si seul.
Moi : le prototype, l'imparfait , le mage noir raté .Quel ambiguïté dans ma perception de moi même...Je me hais!
Pauvre petit jouet passé de mode que l'on jette, je me meurs doucement consumé par l'absence d'existence qui est la mienne.
Il m'a remplacé par ce petit blondinet impertinent, ce bouffon .
Lui? Supérieur à moi? Comment? Pourquoi ?
Je refuse.
Néanmoins, je sais qu'il a raison...
bonheur, affection , bienveillance , force, amitié...
Voici tout ce qu'il a et que je n'aurait jamais, lui, le bon, le gentil et bienveillant et moi, le mauvais, le perfide, l'essai, le..raté.
J'ai mal. Tout cela me pèse:
L'inutilité de ma vie, cette solitude et ce manque...
Il me manque quelque chose, quelqu'un, je le sais, je le ressent.
Combien de fois ai-je rêvé de lui?
Je peux voir son visage, presque. Je peux sentir la chaleur de son sourire. Je peux respirer son parfum si délicat. Je peux toucher sa peau, si fine, si douce...
Combien de fois l'ai-je déjà vu, en rêve?
Ses ravissants cheveux noirs tombant en cascade sur ses épaules. Ses yeux vert émeraude...
Mais c'est un homme. Quand bien même il existerait, jamais je ne pourrais l'aimer, mon aspect féminin n'y changerais rien...Mais je le désire tellement...Je veux le prendre dans mes bras, juste une fois, juste pour ressentir la chaleur de son corps contre le mien, juste pour respirer son parfum, juste connaître un instant de paix, de bonheur...
Pourquoi penser à cela maintenant? Il n'est qu'un songe , un rêve apaisant et distrayant , certes mais il n'est qu'un rêve , un fantasme , une chimère : Il est définitivement inaccessible , lui , et tout ce qu'il représente.
Je ne peux oublier la réalité de ma condition.
Je suis vide, il me manque ce quelque chose, je suis incomplet.
Pourquoi ?
Dans les abysses de mon coeur je peux ressentir le néant :
Ma petite représentation s'achèvera bientôt et le rideau tombera, lourd masque d'ombre, et puis... plus jamais je ne me relèverais.
