Résumé: Harry subit le contrecoup de la tentative d'enlèvement de Scorpius et du poids de sa culpabilité en cumulant mal au ventre et malaises. Lucius, de retour d'obsèques en Roumanie, confie à Severus qu'ils vont devoir héberger une délégation de vampires au Manoir, et celui-ci craint que cela ne ravive un peu plus le mal-être et les souvenirs de captivité de son amant. Pour leur mettre un peu de baume au coeur, Lucius emmène toute la famille passer une journée en Provence.

.

Bon courage à toutes celles et ceux qui font le Nano et bonne lecture !


.

Lucius était satisfait. Cette petite escapade en Provence lui avait fait un bien fou et depuis, il avait l'impression que tout allait pour le mieux. Le Ministère tournait comme un mécanisme bien huilé et on ne le sollicitait plus pour des bêtises. Jérémy Brighton, le directeur du bureau des Aurors, menait ses hommes avec intelligence et persévérance, et ils avaient obtenu des progrès remarquables dans l'enquête sur les sorciers impliqués auprès de la Coalition. Celui qui avait reçu Harry pour sa déposition et qui l'avait à moitié accusé de complicité avait été écarté du Bureau et relégué aux Archives avec un blâme.

Sans compter que plusieurs États européens venaient d'accepter de participer à la Commission et s'engageaient à coopérer avec eux. La Suisse venait d'ailleurs de lancer une vaste opération de sa police magique à la frontière avec la France, et plusieurs vampires responsables du massacre à Paris avaient été tués. Et enfin, et pas le moins essentiel, plusieurs clans importants de vampires venaient de rallier ceux de Colibita.

Avec détermination et une énergie nouvelle, Lucius préparait la prochaine grande réunion de la Commission qui devait voir la signature d'un véritable pacte de collaboration et d'assistance avec les vampires. Avec Håkon et Mandy, il peaufinait le traité, relisant à la virgule près les textes rédigés par les conseillers, prêtant attention à chaque mot, à chaque interprétation possible pour éliminer toutes les embûches. Le travail était harassant, inintéressant, mais il garantissait la bonne tenue du sommet et l'aboutissement de mois d'efforts pour une politique commune et efficace.

Heureusement, il pouvait se reposer correctement – et parfois même ramener un peu de travail – au Manoir. Les tensions entre Draco et Harry s'étaient apaisées, sans doute par une bonne conversation, ou une partie de quidditch qui avait le même effet apaisant sur les deux hommes. L'équipe de Draco venait d'ailleurs de remporter deux matchs importants, ce qui contribuait nettement à l'amélioration de son moral. Restait la question épineuse de la sécurité de Daphnée et des enfants s'ils retournaient vivre dans le monde moldu, mais après plusieurs entretiens prolongés avec un auror expert en sécurité des personnes, Draco semblait plus confiant pour reprendre sa vie en suspens.

Harry aussi semblait avoir retrouvé toute son énergie et sa bonne humeur depuis leur journée en Provence. Était-ce ce bain de soleil et de chaleur inespéré qui lui avait fait du bien ? Le simple changement d'air ? Ou bien cette journée en famille, oisive et loin des soucis quotidiens ?... Peu importait la raison, le résultat était saisissant : Harry rayonnait autant de bonheur que sa peau était devenue dorée en une journée.

Il était amoureux, tendre, fantasque, attentionné sans en faire trop, toujours prêt à rire, à sortir dans les jardins profiter du printemps enfin présent, ou à jouer avec les enfants. Avec Aria, il était plus épanoui que jamais, et avec eux, plus lubrique qu'un adolescent. Ils étaient même retournés dans l'antichambre tous les trois – sans que Harry ne fasse plus aucun malaise – de manière parfois très brève mais toujours très intense.

Si Harry allait si bien – au point que sa bonne humeur déteignait sur Severus qui avait rarement semblé si détendu –, peut-être était-ce le moment d'introduire doucement l'idée d'héberger un ou plusieurs vampires au Manoir dans quelques semaines... – ou jours, si les projets de Lucius se déroulaient bien... Mais à chaque fois que l'occasion semblait se présenter, que Harry était disponible, disposé et serein, un écueil survenait : l'irruption d'un enfant qui le sollicitait, les pleurs d'Aria ou bien sa couche à changer, un message urgent pour lui ou l'heure d'aller surveiller les potions qui maturaient au laboratoire... Ou bien Lucius n'avait pas le courage de remuer des souvenirs douloureux et de briser cette sérénité qui lui faisait autant de bien qu'à tous les occupants du Manoir.

Il fallait bien, pourtant, anticiper un peu et laisser à Harry le temps de se préparer à cette idée.

.

oooooo

.

Sous les trois derniers chaudrons, Harry baissa le feu et resta songeur un moment. Depuis plusieurs semaines maintenant, il se débattait avec les interactions entre les différents ingrédients, et chaque fois qu'il en corrigeait un, un nouvel effet indésirable apparaissait. L'essentiel de sa formule était valide et sans danger, mais pour corriger les effets secondaires sur le cœur, il avait introduit un peu de xylaire polymorphe, ce qui avait réduit la durée de stabilité de la potion; pour compenser ce nouveau problème, il avait ajouté des fleurs-colibri, mais ce nouvel ingrédient réagissait mal avec l'aubépine... Bref, il tournait en rond et sa composition commençait à contenir trop d'ingrédients pour qu'il puisse en comprendre et en maîtriser tous les effets. Il devait repartir en arrière, se concentrer sur les quatre ingrédients de base et réfléchir autrement.

Levant la tête, il parcourut du regard les réserves d'ingrédients de Severus, devenues les siennes. Sur les étagères remplies de bocaux, de flacons, de sachets et autres pots hermétiquement clos pour les préserver, il avait ajouté bon nombre de produits inconnus sous ces latitudes. Des plantes, des animaux, magiques ou non, qu'il avait rencontrés au cours de ses pérégrinations à travers des terres reculées. Une source inépuisable de recherches et d'idées...

Quittant la paillasse où il travaillait, il s'approcha des réserves, s'attardant sur une étiquette ou une autre, reconnaissant ce qui était de son écriture ou celle de Severus... Il ne cherchait rien, il se laissait juste porter par cette incroyable pharmacopée, et de lui-même, son esprit sautait d'une idée à l'autre, se rappelait un vieux souvenir, une préparation qu'on lui avait enseignée ou bien une plante dont on lui avait parlé autrefois...

.

.

Après un regard dans le Petit Salon et dans son bureau, Harry trouva Severus dans la Bibliothèque, sans doute isolé pour mieux se concentrer sur son livre. Le regard fixé sur son ouvrage, le menton presque posé sur sa poitrine, son amant ne réagit même pas à son entrée peu discrète, ni même à sa voix.

– Sev' ?

S'approchant un peu plus, Harry constata rapidement que les paupières de Severus étaient baissées et que sa respiration, freinée par sa tête penchée, était plus lente et légèrement plus sonore qu'à l'ordinaire.

À pas de loups, il s'approcha encore, se pencha, glissa ses lèvres dans le cou de son compagnon et ses mains sur les muscles de sa nuque.

– Est-ce que par hasard tu serais en train de dormir ?

Severus sursauta, secoua brièvement la tête et frissonna sous ses mains.

– Pas du tout ! Qu'est-ce que tu vas imaginer ?!

– Tu ronflais, Sev', sourit Harry en massant les épaules et la nuque de son amant.

Tu es le seul ronfleur de nous trois ! Ni Luce, ni moi ne...

D'une main sous son menton, il obligea Severus à redresser complètement la tête et le fit taire d'un baiser gourmand.

– Et c'est pour ça que tu me réveilles ? bougonna son amant.

Harry ne cacha pas son sourire espiègle, fit le tour du fauteuil de Severus et vint s'asseoir sur l'accoudoir.

– Non. Vu ton humeur au réveil, je ne suis pas masochiste, moi ! gloussa-t-il. Je venais juste te prévenir que je sors une heure ou deux. J'ai besoin d'ingrédients de potion...

Cela pouvait paraître futile, ou même légèrement humiliant, mais depuis l'attentat, et plus encore depuis la tentative d'enlèvement de Scorpius, il s'efforçait de toujours prévenir l'un ou l'autre de ses amants de l'endroit où il allait quand il quittait le Manoir. Précaution indispensable en temps de « guerre » comme dirait Minerva, ou mauvaise expérience... Il ne voulait pas qu'ils s'inquiètent pour rien. Et puis, vu où il allait, Severus allait sentir la distance s'installer dans le lien...

– Tu vas dans l'Allée des Embrumes ?

– Pas exactement, sourit-il. Je vais dans un endroit que tu as détesté la seule fois où tu es venu avec moi !

Severus grimaça en devinant ce qu'il insinuait mais répondit malgré tout à son baiser.

– Je viens avec toi.

– Je n'ai pas besoin d'un chaperon, mon chéri ! gloussa Harry.

.

.

Severus avait insisté, Harry avait cédé de bonne grâce. Après tout, sa compagnie ne devait pas lui déplaire tant que ça, du moment qu'il ne se plaignait ni de la chaleur, ni de l'humidité excessive, ni d'avancer tant bien que mal à travers la jungle sur des sentiers inégaux.

La progression était certes laborieuse et éreintante, mais la vue, elle, était délicieuse. Harry s'était changé avant de partir, quittant ses vêtements un peu chics pour un de ses vieux pantalons de coton clair et ses sandales d'autrefois. Et surtout, il était resté torse nu en prévision de la chaleur, offrant à Severus, qui marchait juste derrière lui, une vue imprenable sur son dos noueux, sur les arabesques blanchâtres qui parcouraient sa peau et sur ses muscles qui roulaient à chaque fois qu'il levait un bras pour écarter une branche ou quelque liane.

Severus connaissait par cœur toutes les marques qui faisaient partie de Harry. Les cicatrices anciennes, les plus récentes, les marques de sortilège ou celles de sa vie dans la forêt, atténuées par les entrelacs dessinés par sa magie... Et même cette cicatrice immense qui courait le long de sa colonne vertébrale, il en était venu à l'aimer. Sans elles, Harry n'aurait pas été le même. Il l'aurait peut-être aimé autant, mais en tout cas, il ne regrettait rien d'aujourd'hui. Sauf de devoir maîtriser l'envie qui le tenaillait depuis leur arrivée.

– Qu'est-ce qu'il y a ? fit Harry en s'arrêtant brusquement.

Severus se demanda une seconde ce qui arrivait à son amant avant de se rendre compte du grognement sourd qu'il avait laissé échapper. La frustration ne lui avait jamais réussi. Sauf dans l'antichambre.

Il s'était arrêté à un pas de son compagnon, il ne résista pas à la tentation de le prendre dans ses bras.

– Rien. De vieux souvenirs...

Harry fronça à peine les sourcils, sans doute surpris qu'il ne se plaigne pas plutôt d'une racine dans laquelle il se serait pris les pieds ou d'une bête qui lui aurait filé entre les jambes. Puis ses yeux si verts et si fascinants pétillèrent d'une lueur d'amusement.

– Quels souvenirs ?

Severus soupira et leva la tête pour jeter un regard circulaire sur les hauteurs des arbres et les fragments de ciel qu'il pouvait apercevoir.

– La fois où tu m'avais emmené avec toi dans la forêt, c'était ici ?

Cela remontait à très loin, peu de temps après que Harry ait soigné Lucius à Sainte-Mangouste, quand il vivait encore à Poudlard; il lui préparait des potions que Severus était venu chercher et il s'était retrouvé embringué au fin fond de la jungle à la recherche d'un ingrédient farfelu que seul Harry connaissait.

– Sur l'autre versant de cette montagne, fit-il en désignant du menton un escarpement rocheux qu'ils devinaient à travers la végétation. Plus près de la côte, mais dans cette région, oui... Pourquoi ?

– Pour rien. La situation m'y faisait penser, c'est tout. Tu marchais devant moi de la même manière, tu étais habillé de la même manière...

– Oh ! fit Harry avec un petit sourire espiègle. Tu es en train de me dire que tu as du mal à résister à mon charme fou ?

Malgré lui, Severus laissa échapper un sourire en serrant ses bras autour de la peau nue et légèrement humide de son amant.

– Ce jour-là, j'ai eu du mal à ne pas te toucher, c'est vrai... Te voir à moitié déshabillé devant moi, c'était une vraie tentation.

– Moi je me souviens d'un autre jour où tu as été particulièrement cruel avec moi, minauda Harry. Dans le laboratoire à Poudlard, pendant que je tentais désespéramment de préparer une potion, tu ne cessais pas de me tourner autour, de me frôler, de me parler à l'oreille, juste au-dessus de mon épaule... Heureusement que la paillasse cachait bien ce qui se passait en-dessous de ma ceinture !

Severus ricana doucement. Déconcentrer Harry était toujours un plaisir. À l'époque, ils n'avaient pas pu aller au bout de leur désir mais aujourd'hui...

– Heureusement qu'aujourd'hui, je n'ai plus à me priver de te toucher !

– Mais ça attendra un peu ! gloussa Harry en se faufilant hors de ses bras. Je te rappelle que je suis venu pour faire une course, pas pour batifoler !

.

.

Ils marchaient depuis au moins vingt minutes et c'était déjà la énième fois qu'il entendait Severus grogner derrière lui. Il ne protestait pas davantage mais son agacement se manifestait par un grognement à chaque fois qu'une pierre se défaussait sous son pied ou qu'une feuille immense lui revenait dans la figure.

– On cherche quoi au juste ? marmonna-t-il.

Harry gloussa discrètement. Il aurait bien dit une bêtise un peu osée mais Severus n'était pas tout à fait le genre de public avec qui il plaisantait de cette façon.

– Un phallus de Titan... Une plante qui fleurit pendant quelques jours tous les dix ans et dont les graines sont très utiles pour neutraliser certains effets indésirables d'autres ingrédients... Tu ne peux pas la louper : l'inflorescence est... majestueuse, pouffa-t-il. Toi en plante, quoi...

Severus l'attrapa brusquement par le bras pour le retourner et le plaquer contre un arbre.

– Heureusement pour toi que je ne fleuris pas tous les dix ans ! susurra-t-il.

Avec ravissement, Harry renversa la tête en arrière sous les lèvres de son amant. La situation était délicieuse : son dos nu contre l'écorce rugueuse de l'arbre, le corps de Severus pressé contre lui, l'insistance gourmande de ses dents qui mordillaient sa peau... Il n'avait jamais fait l'amour dans cette forêt... c'était peut-être l'occasion.

– Heureusement surtout que tu ne dégages pas la même odeur ! gloussa-t-il. Elle n'est pas des plus avenantes. Et c'est comme la hampe florale, tu ne peux pas la rater !

Une grimace amère sur les lèvres, Severus empoigna son entrejambe un peu sèchement pour lui faire regretter ses moqueries.

– Hey, doucement ! C'est fragile ! gémit Harry en riant tout en se pliant en deux pour fuir la main sévère de son amant. Et ça peut encore servir si Aria veut une petite sœur !

– Parce que tu veux me faire croire que tu n'aimes plus ça ?! susurra Severus qui desserra malgré tout ses doigts.

Harry se redressa et s'adossa à nouveau contre le tronc de l'arbre derrière lui, surpris de constater le regard brusquement sérieux face à lui.

– Qu'est-ce qu'il y a ? murmura-t-il.

– Tu voudras vraiment d'autres enfants ? Un jour ?...

Severus ne plaisantait plus et il attendait une réponse sincère. Harry lui sourit tendrement et glissa les bras autour de sa taille pour l'attirer à nouveau contre lui.

– Je ne sais pas, Sev... C'est une chose à laquelle je n'ai jamais réfléchi. Mais j'imagine que je ne peux pas l'exclure d'emblée... Aria est encore un bébé, ce n'est pas quelque chose auquel je pense, mais dans quelques années... je ne sais pas. Ça t'ennuierait ?

– Je ne sais pas, dit Severus abruptement avant de laisser filer un silence. J'adore Aria, elle est merveilleuse, mais je ne me vois pas...

– Tu ne te vois pas dans quelques années, avec une ribambelle d'enfants autour de toi alors que tu aspires juste à faire ta petite sieste tranquille après le déjeuner ?...

– Fous-toi de moi ! grogna Severus en se reculant.

Avec tendresse mais détermination, Harry l'empêcha de s'éloigner de lui. Il taquinait son amant mais l'ironie lui servait aussi à camoufler sa propre émotion : si Severus ne se voyait pas dans quelques années avec des enfants à élever autour de lui, c'est qu'aujourd'hui, en revanche, il reconnaissait son implication dans la vie et l'éducation d'Aria. Cela n'avait jamais été clairement dit, mais Severus agissait... pas comme un deuxième père, mais plus que comme un simple amant. Et c'était ce dont Harry avait toujours rêvé...

– Aujourd'hui, je ne sais pas, assura-t-il, plongé dans le regard envoûtant de Severus. Et ce n'est pas quelque chose dont j'ai envie. Mais si un jour cela change... ou si Padma et Luna me le demandent, tu seras le premier à le savoir... et tu feras partie de ma décision.

C'était une manière de dire qu'il ne ferait pas les choses contre lui... Et pas même sans lui. Et à l'intensité de son regard, et à ce qui vibrait si intensément dans le lien, Severus l'avait parfaitement compris.

.

.

Il ne savait même pas pourquoi il avait posé cette question et cela l'ennuyait. Harry avait répondu avec toute la sincérité et l'honnêteté dont il savait faire preuve, alors qu'en réalité, cela ne le regardait pas. Malgré sa vie avec eux, malgré leur union, malgré le lien, Harry restait libre de ses décisions et s'il décidait un jour de faire un autre enfant, Lucius et lui devraient accepter cela comme ils acceptaient le reste de sa vie.

Severus restait contrarié, mais pour des raisons qu'il n'arrivait pas à définir. Une impression d'insécurité, qui ne tenait pas qu'à cet endroit dont il se méfiait... Et pourtant Harry était radieux, souriant comme jamais, et il l'aguichait doucement depuis ce matin jusqu'à ce qu'il craque. Tout à l'heure, Severus avait bien cru qu'ils allaient faire l'amour contre ce tronc d'arbre, au milieu de nulle part, comme des adolescents impatients, et puis cette petite phrase sur la paternité de Harry était venue refroidir ses ardeurs... Il s'en voulait d'avoir réagi ainsi.

Il n'y avait pas prêté attention, mais Harry s'était arrêté à l'orée de la forêt et il faillit lui rentrer dedans. De nouveau, il se retrouva avec les bras de son compagnon autour de sa taille et son regard vert lumineux qui tentait de deviner ses pensées.

– Qu'est-ce qu'il y a ? murmura Harry avec douceur.

C'était au moins la troisième fois qu'il lui posait cette question depuis qu'ils étaient là...

– Je vois bien que quelque chose ne va pas, reprit son amant. D'abord tu tiens à m'accompagner ici et tu ne protestes même pas quand je te fais marcher trois kilomètres au fin fond de la jungle. Cette question sur le fait que je veuille ou pas un autre enfant... Et puis je sens bien dans le lien que quelque chose te tourmente... Tu n'es pas le seul à percevoir les sentiments de l'autre, ajouta-t-il en souriant.

– Je ne sais pas, avoua Severus en fronçant les sourcils.

Il ne savait pas ce qui le chiffonnait mais il ne pouvait que reconnaître que Harry avait raison.

Devant eux s'étalait un vallon dégagé aux pentes douces, des blocs de pierre çà et là, et un ruisseau qui courait en chantonnant. Une nature brute, un peu sauvage. Un ciel limpide et pas âme qui vive.

– Tourne-toi, ordonna-t-il en prenant le bras de Harry pour le faire pivoter.

Severus le poussa contre un arbre, l'obligeant à prendre appui, et d'un geste rapide, lui baissa ensemble pantalon et boxer avant de s'occuper de défaire sa propre ceinture et sa fermeture éclair.

– Sev..., murmura Harry.

Il ne protestait pas vraiment, cela ressemblait plus à un soupir docile et de toute façon, Severus ne pouvait pas en tenir compte. D'une main, il prit son sexe et le dirigea vers les fesses de son amant tout en les écartant de l'autre. Et lorsqu'il fut enfin enfoui dans son corps, il posa son front sur son épaule.

.

.

L'accouplement ne dura pas très longtemps, juste assez pour qu'il se sente un peu mieux, mais lorsqu'il se retira, Severus se sentit assailli par la honte.

– Excuse-moi, fit-il en se rhabillant précipitamment, la tête basse. Je suis désolé.

– Sev..., murmura Harry.

Il se retournait pour lui faire face, sans même prendre la peine de remonter son pantalon, et il avait déjà glissé ses bras autour de sa taille.

– Ne t'excuse pas, tu sais très bien que ça me fait autant de bien qu'à toi... Mais si tu me disais ce qui ne va pas, ce ne serait pas plus simple ?

Pour une fois, Severus se serait bien laissé aller dans les bras de son compagnon, la tête sur son épaule, le visage dans le creux de son cou, il se serait bien abandonné... Mais ce qu'il pouvait parfois se permettre avec Lucius n'était pas envisageable avec Harry.

.

.

Ils venaient de rentrer, Harry était descendu au laboratoire pour s'occuper de sa précieuse moisson de graines, tandis que Severus entrait en trombe dans le bureau de son mari et claquait la porte derrière lui.

– Maintenant, ça suffit ! Tu lui parles !

Le regard glacial devant cette entrée en matière, Lucius ouvrit la bouche pour répliquer puis sembla se raviser et la referma sans mot dire. À la place, il lui tendit simplement la main pour le faire venir jusqu'à lui.

– Qu'est-ce qui se passe ?

Severus se laissa happer par cette main, par ces bras, jusqu'à se retrouver assis à califourchon sur les cuisses de son mari. Harry pouvait se permettre ce genre de position, mais pas lui, c'était ridicule.

– Alors ? Explique-moi...

Les yeux gris de Lucius s'étaient adoucis, aussi accueillants qu'un refuge. Severus ferma les siens en posant son front contre celui de son mari.

– Je veux que tu lui parles de ces vampires que nous allons devoir héberger. Je n'en peux plus de savoir et qu'il ne sache pas. J'ai l'impression de lui mentir. De le trahir. Je peux être présent et le soutenir si ça ne va pas, je peux réparer les pots cassés, mais ne pas lui dire ce qui l'attend, je ne peux plus. Ça me ronge les sangs.

Contre son front, il sentit le léger froncement de sourcils de Lucius et sur ses joues, les mains de son mari qui enserraient doucement son visage.

– Je lui parlerai, je te le promets... Je laisse passer le dîner de famille de vendredi, et je lui en parle.

Deux jours et un dîner. Severus pouvait admettre deux jours. Il se laissa embrasser par son mari avant de glisser son visage dans son cou.

.

ooOOoo

.

– Nom d'un chien ! grimaça Harry. Je crois que j'ai jamais eu aussi mal aux pieds de toute ma vie.

Il n'attendit même pas de s'approcher d'un fauteuil ou du canapé, se laissa simplement tomber par terre avant de s'empresser de délacer ses chaussures.

– Désolé pour ça, marmonna-t-il en retirant ses chaussettes.

Alicia gloussait tout en refermant la porte derrière elle tandis qu'il massait ses pieds endoloris.

– Quelle idée de mettre des chaussures presque neuves pour aller danser, aussi ! Et un petit sortilège pour les assouplir ?!

– Au milieu des moldus ? se défendit Harry. Et puis dans le feu de l'action, je n'ai rien senti. Mais on est restés debout pendant des heures !

– Tu ne voulais pas aller t'asseoir ! Tu as passé la nuit à dire que tu n'étais pas fatigué !

Elle posa ses clefs dans le vide-poche sur la console, se débarrassa de sa veste sur le porte-manteau et ricana en le voyant affalé par terre, les pieds entre les mains.

– Ça faisait tellement longtemps qu'on n'avait pas été danser ! geignit-il.

– Tu exagères ! Et puis la dernière fois, c'est toi qui as...

Harry leva la tête, surpris par le silence soudain d'Alicia. Immobile, son regard était fixé quelque part vers la cuisine, et voyant qu'il la regardait, elle se mit brusquement à rougir. La chose était plutôt inédite, d'autant qu'elle devait être drôlement embarrassée pour que ça se voit autant sur sa peau noire, mais il trouvait cela assez savoureux.

Curieux de comprendre, il tourna la tête vers la cuisine, mais de là où il était, il ne voyait pas grand-chose. Sans façon, il se décala en glissant légèrement ses fesses sur le sol afin d'apercevoir un peu mieux le comptoir où ils prenaient souvent le café.

Il y avait là une assiette, des couverts, une carafe de jus de fruits, une assiette de toasts et de viennoiseries, assez de confitures, de beurre et de marmelade pour nourrir un régiment, une théière encore fumante sous un sortilège de conservation, et plus loin, un plat sous une cloche noyée de vapeur qui semblait contenir des œufs brouillés et des saucisses. Et il avait sans doute oublié la corbeille garnie de fruits qui lui faisait de l'œil et qui avait réveillé d'un seul coup ses papilles gustatives...

Enfin, de tout cela, il ne vit qu'un tas informe de vaisselle et de nourriture, tant son regard était happé par la seule chose qui prenait un peu de hauteur : un somptueux bouquet de fleurs dans un vase non moins magnifique, une unique rose rouge dans une masse sculpturale d'orchidées blanches.

Pour ne pas trop sourire, il se pinça les lèvres mais l'exercice était difficile et il sentait de lui-même les fossettes de ses joues qui se creusaient. Alicia hésitait toujours entre l'embarras et un plaisir un peu ému, et lorsqu'elle s'avança de quelques pas pour vérifier derrière la cloison vitrée que son lit était vide, Harry laissa échapper un gloussement jubilatoire.

Elle se retourna brusquement, l'aperçut toujours par terre avec son sourire immense et fronça les sourcils.

– C'est Blaise et c'est pas la peine d'épiloguer ! lâcha-t-elle d'un ton définitif. Il a les clefs de l'appartement.

– Il a les clefs et le sortilège d'accès ? fit-il d'une petite voix doucereuse.

Alicia le fusilla d'un regard aussi noir que ceux dont Severus était capable.

– On n'épiloguera pas non plus sur le bouquet de fleurs ? ajouta-t-il l'air de rien.

– On n'épiloguera pas non plus sur le bouquet de fleurs si tu tiens à repartir après une tasse de thé et avec tes bijoux de famille...

Devant la voix tranchante d'Alicia, Harry éclata de rire avant de se relever péniblement. Poser les pieds par terre, et plus encore supporter tout son poids sur ses pieds, était sacrément douloureux et il étouffa un gémissement en se traînant vers les hauts tabourets qui bordaient le comptoir.

– Tu veux une potion anti-douleur? proposa-t-elle avec un semblant de pitié.

– Non, ça va passer, merci. De toute façon, je vais aller dormir un peu en rentrant...

Au départ, il ne faisait que raccompagner Alicia et il s'était affalé par terre pour enlever ses chaussures mais maintenant, la tentation et la curiosité étaient trop grandes, et il accepta volontiers une tasse de thé et des fruits à grignoter.

– Je suis désolé que notre sortie ait contrecarré tes plans, dit-il avec un peu plus de sérieux. Tu aurais dû me dire que Blaise t'attendait...

– Je n'en savais rien, fit-elle en haussant les épaules. Il a les clefs, parfois il vient mais il ne prévient pas toujours...

Harry cacha son étonnement derrière un coup d'œil discret mais Alicia ne le regardait même pas, occupée à manger ses œufs brouillés avec appétit.

– Et comment ça se passe si tu ramènes un homme après une soirée ?

Alicia n'avait pas besoin d'eux pour sortir, et quand elle partait en chasse, elle rentrait rarement les mains vides.

– J'envoie un Patronus pour le prévenir et il disparaît.

– Je ne t'ai pas vu sortir ta baguette ni envoyer de Patronus, ce soir...

– Un, je sais être discrète. Deux, c'était toi que je ramenais alors je m'en foutais.

Harry dissimula son sourire derrière sa tasse de thé. La formulation était abrupte, digne d'Alicia, mais elle prouvait surtout la confiance qu'elle avait en lui et quelque part, cela lui fit immensément plaisir. Il était peut-être le seul qui savait que Alicia et Blaise se voyaient régulièrement et devant qui ils n'avaient pas besoin de se cacher... Ceci dit, il était plutôt heureux de ne pas être tombé sur Blaise qui attendait Alicia, nu au fond du lit ou sortant tout juste de la douche !

– Et pourquoi il est parti ?

Alicia haussa à nouveau les épaules.

– Il avait des choses à faire je suppose... Il a dû dormir ici, il repassera peut-être plus tard. De toute façon, je dois dormir un peu : je travaille ce soir.

Mais Blaise avait laissé de son passage, fugace et sans doute frustré, un magnifique petit déjeuner et un non moins magnifique bouquet de fleurs devant lequel Harry sourit à nouveau. Il ne comprenait rien aux règles qui régissaient la « relation » entre Blaise et Alicia, mais ça leur appartenait. Tant qu'ils y trouvaient leur compte...

– Mais je croyais que Blaise n'était pas du tout ton genre, la taquina-t-il. Qu'il était trop superficiel, hautain et vaniteux ?...

Il n'avait pas fini sa phrase qu'Alicia pointait sur lui sa baguette menaçante et son regard noir.

– Je te garantis que tu vas repartir en ayant mal pas seulement aux pieds !

– Du calme, je plaisante, gloussa-t-il en écartant doucement la pointe de la baguette de la direction de son entrejambe.

– Et moi, j'ai le droit de changer d'avis.

Harry acquiesça en souriant, puis baissa les yeux sur la clémentine qu'il épluchait.

– Je crois qu'il doit dîner au Manoir demain soir, réfléchit-il à voix haute. Mais je ne sais pas s'il compte rester dormir... C'est vrai qu'on le voit un peu moins ces derniers temps ! acheva-t-il en riant.

.

oooooo

.

De retour au Manoir, Harry prit une douche, dormit trois heures et reprit une douche pour essayer d'être présentable au déjeuner. Malgré cela, il avait des cernes qui descendaient jusqu'au menton, les cheveux plus en bataille que jamais et toujours mal aux pieds.

Daphnée, et surtout les enfants, se moquèrent allègrement de lui, tandis que Draco et Mark le prenaient plutôt en pitié. Heureusement, aucun de ses amants n'était là pour en rajouter et il aurait le temps de faire une petite sieste dans l'après-midi avant leur retour.

L'arrivée de Blaise, en revanche, le prit complètement par surprise et il resta bouche bée devant l'homme qui avait sans doute dormi dans le lit d'Alicia en l'attendant jusqu'au petit matin.

– On dirait que la nuit a été longue ? gloussa Blaise en venant le saluer à son tour.

Harry sourit en le serrant dans ses bras, ravi de le revoir.

– Tu as dormi davantage que moi, je crois..., lui murmura-t-il à l'oreille. Mais un bon petit déjeuner, ça fait toujours effet. Les œufs brouillés étaient délicieux !

Blaise se recula légèrement en le regardant d'un air circonspect.

– On a dansé toute la nuit, ajouta Harry. Rien de plus... Mais je suis désolé de l'avoir accaparée !

– Elle ne m'a jamais rien promis, répondit Blaise en souriant. Et moi non plus. Mais son lit est confortable...

.

oooooo

.

Harry rêvassait en souriant, le regard rivé sur Blaise. Assis à même le tapis, les manches retroussées, le jeune homme tentait de jouer avec Scorpius tandis qu'Iris avait les bras autour de son cou, essayant de grimper sur son dos tout en froissant allègrement sa chemise. Elle y allait des pieds, des mains, l'étranglant à moitié, jusqu'à ce que Blaise la chatouille, lui fasse lâcher prise et rouler sur le sol en se tordant de rire. Puis elle se relevait, reprenait son ascension épique alors que Blaise conservait un calme imperturbable en écoutant Scorpius pérorer sur ses animaux magiques.

Avec les enfants, Blaise était d'une patience et d'une gentillesse à toute épreuve. Il les gâtait, il les pourrissait, mais ils ne l'aimaient pas pour ça. Sa disponibilité, en revanche, sa façon de jouer avec eux, l'importance qu'il leur accordait et son humour faisaient des merveilles sur Minerva et Iris, et Scorpius semblait tout autant idolâtrer son parrain...

Comme ami, il était loyal et fidèle. Discret aussi. Sérieux quand il le fallait, quand les autres en avaient besoin, et plein d'autodérision pour éviter de parler de lui. Cultivé, voire érudit, passionné d'art et capable de discussions enflammées avec Lucius et Severus sur le sujet. C'était étrange parce que c'était un domaine que Blaise partageait exclusivement avec ses amants – et un peu avec Daphnée – et auquel Harry n'entendait rien du tout. Le jeune homme fournissait abondamment les collections de Lucius, parfois il renseignait Severus sur une vente plus spécifique de photographies susceptibles de l'intéresser, mais cette passion n'intervenait jamais dans les conversations qu'Harry avait avec lui.

Tandis qu'Iris roulait une nouvelle fois au sol dans un éclat de rire, il se demanda comment était Blaise en tant qu'amant. Il l'imaginait très tendre et très attentionné, à l'image de ce petit déjeuner dont le jeune homme n'avait même pas profité alors qu'il venait de passer une nuit désespéramment solitaire. Blaise savait sans doute faire preuve de ces petites attentions qui charment, de ce souci du détail qui fait toute la différence... et qui avait fait la différence pour Alicia.

Ils n'étaient pas engagés mutuellement, ils ne se devaient rien, pas même avertir l'autre de sa présence; si Alicia rentrait avec un autre homme, Blaise ramassait ses affaires et disparaissait... mais il avait les clefs de chez elle et la signature magique qui invalidait le sortilège de protection. Personne n'avait les clefs de chez Alicia. Pas lui en tout cas. Pas même Draco. Et Blaise laissait des bouquets de fleurs avec une rose rouge.

Avec un sourire attendri, Harry se lova un peu plus contre Lucius. Il n'aurait pas voulu de cette relation-là, avec personne. Il préférait l'amour profond qui le liait à Severus et à Lucius à cette liberté douce-amère. Il préférait être engagé par sa magie et par un sortilège d'union vis à vis de ses amants que cette relation sans implication et sans promesse. Mais il trouvait cela charmant.

Il n'y avait pas plus réticents à s'engager qu'un Blaise qui avait collectionné les relations futiles ou celles où il s'était fait piégé, et une Alicia qui refusait de dépendre d'un homme et de passer plus d'une nuit ou deux avec le même. Mais ces deux-là s'étaient trouvés, pour dix minutes, pour une nuit, puis quelques autres... et aujourd'hui, Blaise avait les clefs de chez elle et Alicia avouait qu'elle avait changé d'opinion. Il n'y aurait peut-être jamais rien de plus, mais pour eux c'était déjà beaucoup.

À une époque pas si lointaine, Harry avait été comme eux, ou même pire; fuyant les engagements et les promesses, terrifié à l'idée que quelqu'un puisse s'accrocher à lui, refusant de lâcher le moindre millimètre de sa liberté chérie. Et puis Severus avait changé sa vie, Lucius l'avait conquis également, et aujourd'hui, il avait rendu les armes, toutes les armes, et ils vivaient en harmonie tous les trois.

Les personnalités de ses amants avaient été un élément déclencheur : l'humanité bien cachée de Lucius, sa bienveillance, et puis cette espèce d'intransigeance fragile de Severus, cette impression d'un roc qu'un rien pouvait faire basculer... Les sentiments étaient venus, puissants et immenses... Et puis le sexe avait lié le tout.

Le sexe restait d'ailleurs le meilleur baromètre de leur couple. Indicateur des tensions ou des disputes comme de leur harmonie. Montrant la fréquence de leurs rapports ou de leurs passages dans l'antichambre. Soulignant ce qui l'emportait de la tendresse ou de la passion, du manque ou de l'envie de se donner.

Et tandis qu'il imaginait ce qui aurait pu se produire si Alicia n'avait pas voulu aller danser hier soir, Harry sentait poindre à nouveau en lui les lueurs du désir. Il n'avait pas touché l'un ou l'autre de ses amants depuis son accouplement rapide avec Severus le matin précédent, et même si cette brève pénétration sans orgasme satisfaisait le lien entre eux, cela ne satisfaisait pas son envie de sexe. Et même eux devaient sentir son impatience.

Au dîner, il avait été particulièrement frivole, glissant dans ses paroles des insinuations subtiles qui avaient fait éclater Blaise de rire, et mis Draco légèrement mal à l'aise. En passant au Petit Salon, Harry avait invité ses amants à le rejoindre sur le canapé, soulignant avec un sourire entendu qu'avec lui, il y avait de la place pour deux et qu'à présent, ils étaient habitués. Severus avait roulé des yeux en étouffant un soupir et Lucius l'avait incendié du regard.

Depuis tout à l'heure, malgré tout, l'aristocrate tolérait sa présence insistante et même sa main baladeuse qui, sous couvert du plaid dans lequel Harry s'était enroulé, s'était glissée sous sa veste, entre les boutons de sa chemise, pour effleurer son ventre.

Il n'était pas souvent ainsi lové contre Lucius en public, ou du moins en famille. L'aristocrate n'était pas friand de ce genre de démonstration en dehors de leur vie à trois, alors que Severus appréciait au contraire ces moments de contact où il pouvait le câliner en dehors du lit.

Mais ce soir, Harry s'était rapproché de Lucius à dessein, parce qu'il avait bien envie d'obtenir de lui un peu plus que du sexe. Et la façon dont il avait entrouvert son aura pour les envelopper de magie et de désir commençait à les échauffer eux aussi. Lucius avait du mal à tenir une conversation sans s'interrompre brutalement de temps à autre, et Severus réagissait quasiment en même temps d'un grognement étouffé. Aussi, quand Harry annonça qu'il montait se coucher, relativement tôt en raison de la nuit précédente passée à danser, ses amants le suivirent rapidement sous le sourire moqueur de Blaise.

.

.

À peine arrivés dans la chambre, Lucius le plaqua contre le mur pour l'embrasser avec fougue, et deux minutes plus tard, Harry était déjà à genoux tandis que l'aristocrate sortait son sexe par l'échancrure de son pantalon pour le lui mettre dans la bouche.

Après avoir jeté un sortilège de silence sur la chambre, Severus s'était éclipsé dans la salle de bains mais là, tout de suite, les yeux clos, la bouche pleine et les mains sur les fesses de Lucius pour l'approcher encore davantage de lui, Harry s'en fichait. Lucius aussi, qui grondait de plaisir sous sa langue... Mais au bout de quelques instants, il se retira, remit son sexe à l'intérieur de son pantalon et se reboutonna. Harry s'apprêtait à se plaindre quand l'aristocrate lui ordonna d'aller se déshabiller dans l'antichambre. Merlin merci, la soirée ne faisait que commencer.

.

Lucius n'avait enlevé que sa chemise quand il le rejoignit dans l'antichambre, mais sous son pantalon, son sexe tendu déformait le tissu jusqu'au milieu de la cuisse. La scène était malgré tout habituelle : l'aristocrate restait souvent complètement ou partiellement habillé pendant leurs séances. Il appréciait la différence de statut que cela imposait entre eux et lui, le contrôle que cela lui permettait de garder, y compris sur lui-même, et cette frustration volontaire était bien sa seule forme de masochisme.

Harry, lui, était déjà en sous-vêtement, un de ceux qu'il affectionnait particulièrement et qui lui laissait les fesses à l'air tandis que son sexe bombait sous le maigre morceau de tissu. Mais Lucius ne l'entendait sans doute pas ainsi. D'un sortilège adroit, il fit disparaître le slip, le laissant complètement nu et offert aux regards. Et d'un geste de baguette supplémentaire, il fit descendre des cordes depuis les anneaux du plafond pour lui lier les mains au-dessus de la tête.

Un instant, Harry ferma les yeux, ravi de retrouver cette sensation de vulnérabilité et de confiance. Il s'agissait simplement d'une corde enroulée autour de ses poignets, mais elle immobilisait ses mains et ses bras aussi sûrement qu'un sortilège, et elle le soulevait tant qu'il devait se tenir sur la pointe des pieds, incapable d'esquisser le moindre mouvement de fuite ou pour s'en défaire. Une grande simplicité pour une efficacité redoutable... Et tandis qu'il respirait profondément pour sentir la chaleur de la pièce couler sur son corps nu, son sexe gonfla un peu plus.

Ce fut le ricanement de Severus qui lui fit rouvrir les yeux et il le vit debout et encore habillé, appuyé de l'épaule contre le montant de la porte. Harry ne comprit pas tout de suite le motif de ce ricanement jusqu'à ce qu'il voie un petit objet entre les mains de Lucius qui ne lui disait rien qui vaille.

– Qu'est-ce que c'est que ce truc ? marmonna-t-il en se déplaçant légèrement.

– Un anneau pénien, répondit Lucius en souriant. Pas de quoi paniquer, tu en as déjà porté...

– Mais pas un comme ça ! Et il est censé aller où, ce petit tuyau, là ?!

Le ricanement de Severus se fit à nouveau entendre, que Lucius arrêta instantanément d'un regard sombre. Et tandis que Harry tentait de se reculer du bout des orteils, son amant s'approchait de lui avec un sourire entendu.

– Tu as passé la soirée à nous exciter jusqu'à ce qu'on monte avec toi... C'est ta punition. À présent, tu vas devoir attendre pour jouir... Et souffrir un peu.

Harry fut pris d'un long frisson, à mi-chemin entre la peur et l'excitation.

– Non, non ! Hors de question que... Y a rien qui est censé rentrer par là !

D'une main ferme, Lucius attrapa son sexe et ses bourses et son visage vint frôler le sien.

– C'est un défi ? ricana-t-il.

Harry secoua la tête, puis la renversa en arrière en gémissant sous la pression des doigts de son amant.

– Non ! Arrête ça ! Luce !

Les doigts avaient quitté ses bourses pour s'attarder délicieusement sur le rebord de son gland découvert, caressant délicatement la peau lisse et douce tandis que s'approchait le jouet qu'il redoutait.

– « Non » n'est pas un safeword...

De désespoir, Harry se mordit la lèvre pour ne rien dire et ferma les yeux pour se focaliser sur les sensations. Dans le lien, il percevait la présence légèrement distante mais rassurante de Severus, et autour de son sexe, les mains de Lucius qui œuvraient en douceur. Après un sortilège de lubrification, quelque chose de bien trop gros pénétra à l'intérieur de son pénis, sur un trajet que rien n'aurait jamais dû emprunter dans ce sens.

Il avait l'impression qu'il allait s'uriner dessus, ça brûlait, ça piquait, ça pétillait, c'était douloureux et excessivement bon à la fois, c'était comme évacuer les dernières gouttes d'urine quand il allait aux toilettes, ce plaisir chatouillant comme un petit orgasme qui, cette fois, ne s'arrêtait pas.

Puis il sentit l'anneau plus étroit qui passait autour de son gland pour retenir la sonde et les mains de Lucius l'abandonnèrent à son inconfort délicieux.

– À toi maintenant.

La moue de Severus était étonnante, à mi-chemin entre l'hésitation et la réticence. Dans le lien, Harry percevait les mêmes sentiments, surprenants et inédits. Jamais Severus n'avait refusé de venir dans l'antichambre, au contraire c'était le plus souvent Lucius qui n'était pas disponible ou trop fatigué pour prendre le temps d'une séance... Même depuis l'union, tant qu'il n'était soumis qu'à son mari et pas à Harry, Severus appréciait leurs passages ici. Et rien dans l'attitude ou les paroles récentes de son amant ne lui permettait d'expliquer ce manque de motivation.

Il allait libérer son aura pour inciter Severus à les rejoindre mais Harry se ravisa spontanément. En silence, Lucius s'était approché de son mari et il le regardait avec une intensité particulière.

Depuis des semaines, des mois, deux ans... Harry avait eu le temps de les voir s'embrasser ou se caresser. Il les avait vus jouir dans les bras l'un de l'autre, s'endormir en s'étreignant, parfois même s'avouer leur amour en paroles, mais il n'avait jamais vu dans le regard de Severus cette hésitation à s'abandonner. Pas devant lui, en tout cas.

Lentement, Lucius avait entrepris de déshabiller son mari, défaisant un à un les boutons de la chemise qu'il fit glisser le long de ses bras; sa ceinture, son pantalon, qui tomba sur ses chevilles, suivi par son boxer et Severus, qui pour une fois n'avait pas d'érection, fut enfin nu. Lucius avait les mains sur le corps de son mari, sur ses fesses, dans ses cheveux tout en l'embrassant, autour de son visage, autour de son sexe... il l'enveloppait de bras, de gestes et de caresses, et tandis qu'ils reculaient lentement vers le centre de la pièce où il se trouvait attaché, Harry aperçut le dos de Severus. Déjà marqué. Ainsi que ses fesses.

Il frissonna longuement, autant d'excitation que de surprise. D'inconfort aussi, devant son sexe qui venait de se contracter brusquement et qui se rappelait soudain la présence d'un corps étranger en lui. Pendant qu'il dansait avec Alicia la nuit précédente, ils étaient venus là. Sans lui. Peut-être justement parce qu'il n'était pas là. Et c'était sans doute ce que Severus n'avait pas voulu dévoiler en rechignant à les rejoindre.

Il avait dansé toute la nuit tandis que Severus souffrait avec délectation et il n'en avait rien perçu. Et au vu des marques violacées qui persistaient vingt-quatre heures après, il avait choisi les fouets les plus durs et les plus cinglants.

.

.

Juste face à lui, à quelques centimètres de son corps et de son visage, Lucius attachait son mari dans la même position que lui : les poignets joints par une corde unique, maintenus loin au-dessus de sa tête, si ce n'est que Severus avait les pieds posés bien à plat au sol tandis qu'Harry était sur la pointe des pieds. Contrairement à lui, il ne bandait pas, et il avait les yeux fermés comme s'il fuyait son regard.

Sur l'épaule de son amant, Harry aperçut une marque sombre, reliquat des coups de la veille. Il aurait eu envie de l'embrasser, de la lécher, de lui faire comprendre qu'il s'en fichait, que ça n'avait pas d'importance, mais l'épaule de Severus était hors de portée de ses lèvres.

– Tu n'avais pas l'intention de laisser Harry seul sous ma main, tout de même ? murmura Lucius avec un sourire dans la voix.

L'aristocrate était juste à côté d'eux, une main caressante sur le visage de son mari et l'autre en train de masturber doucement Harry. L'anneau que retenait son gland, les doigts de Lucius et la sonde enfoncée dans son sexe. La sensation était terrible, surprenante, merveilleuse... C'était douloureux et indécent de plaisir à la fois. Il aurait voulu que ça s'arrête tout de suite et que cela continue indéfiniment, que cette sensation de brûlure délicieuse devienne un orgasme inconnu... Mais Lucius retira sa main pour poser ses lèvres sur les siennes et il l'embrassa en le pénétrant de sa langue comme il l'aurait pénétré de son sexe. Autoritaire et conquérant.

Le froid saisit Harry quand Lucius s'écarta et il tenta de combler les quelques centimètres qui le séparaient de Severus pour se réchauffer à sa chaleur. Il ne pouvait pas atteindre la marque sur son épaule mais il pouvait embrasser ses lèvres. Il pouvait coller son torse, frotter son sexe dressé contre le ventre de son amant, malgré la douleur causée par le jouet, exciter cette brûlure juste à l'intérieur de son sexe...

Severus se laissait faire, autant sous les frottements de son corps que sous les coups de fouet de Lucius. Il ne réagissait pas vraiment, presque déjà ailleurs, même si son sexe gonflait doucement. Les claquements du fouet s'enchaînaient, résonnaient, les gémissements de Harry comblaient les instants où le silence revenait, il geignait à en perdre la tête, pris d'un désir éperdu, d'une jouissance qui se refusait, heurtant son sexe contre le ventre de Severus plus qu'il ne se frottait, tandis que Lucius se caressait distraitement par-dessus son pantalon entre deux mouvements du bras.

Severus avait posé son front contre le sien, sans plus réagir à ses tentatives de baiser, mais il poussait de longs grondements de plaisir à chaque fois que la main de Lucius s'abattait jusqu'à ce qu'un son rauque ne sorte de sa gorge en continu, montant lentement dans les aigus, pour finir dans un gémissement qui ressemblait aux siens.

Severus ne s'était jamais laissé autant aller dans l'expression de sa douleur, ou de ses sensations, et ce son plaintif qui n'en finissait pas excitait Harry au-delà de ses propres sensations. Il bouillait, il geignait, il pleurnichait sans doute, suppliant pour jouir enfin tandis que Severus gémissait sans discontinuer sous le fouet et lâchait prise complètement.

Le lien fut envahi de plaisir et de souffrance. De culpabilité et de désir. De regrets, d'amour, de tristesse, de déception, de besoin d'être rassuré... Et en même temps que les sentiments de Severus vinrent les souvenirs des disputes, des paroles malheureuses ou blessantes, le souvenir amer de lui avoir imposé sa volonté ou certains accouplements... Et encore ce besoin de réconfort et de sécurité que Harry n'avait jamais perçu chez son amant.

À regret, il ferma son esprit de toutes les barrières d'occlumencie qu'il pouvait lever, occultant presque le lien comme il n'avait jamais encore réussi à le faire. Mais si Severus lâchait prise à ce point, Harry n'était pas certain que son amant souhaite qu'il en soit témoin.

.

.

Lucius avait abandonné le fouet pour les rejoindre, un bras autour de la taille de Severus qui posa sa tête dans le creux de son cou, et l'autre main sur le sexe de Harry, ne lui laissant pas d'autre choix que de jouir sous l'action de ses doigts.

Dans un long gémissement de douleur et de plaisir mêlés, Harry se laissa envahir par l'orgasme, courbé, crispé, presque plié en deux si cela n'avait pas tiré démesurément sur ses bras et ses épaules, et puis, longtemps après, il se relâcha, juste suspendu par les poignets et les jambes molles. Il avait l'esprit vide, il ne pensait plus à rien, épuisé et abandonné à ses cordes.

Quand il rouvrit les yeux, Lucius était déjà devant lui, en train de détacher Severus, cachant le visage de son amant à sa vue. Harry l'entendait murmurer à son mari des paroles incompréhensibles pour lui, il lui massa quelques secondes les épaules lorsque les bras de Severus reprirent une position plus naturelle, puis celui-ci disparut vers la chambre, sans que Harry n'ait croisé son regard, ni même aperçu son visage.

– À toi, maintenant, fit Lucius avec un sourire narquois. Quoique, je me demande si je ne vais pas te laisser ce petit bijou quelques heures ou quelques jours de plus...

– Enlève-moi ça, grimaça Harry tandis que l'aristocrate jouait avec son sexe.

Maintenant que l'excitation était partie, la sensation de gêne et de brûlure l'emportait sur le plaisir. La sensibilité douloureuse de son sexe après l'orgasme, elle, était bien là. Il gémit désespéramment sous les doigts de Lucius, espérant que son amant n'ait pas envie de le tourmenter trop longtemps.

– Tu n'as pas apprécié cette nouveauté ?

Devant le sourire ironique, Harry grogna, et il grogna encore davantage lorsque, après un sort de lubrification, Lucius entreprit de lui retirer cet engin de torture. Pour se faire pardonner, son amant l'embrassa longuement et avec beaucoup de tendresse tandis que ses bras s'enroulaient autour de sa taille.

Harry aurait voulu pouvoir l'étreindre, le toucher, effleurer son torse ou caresser son sexe, rendre un peu de plaisir à celui qui l'avait fait jouir et qui n'avait pas joui, mais il était toujours attaché et il ne pouvait que rendre ce baiser tout en douceur.

.

.

– Où est parti Severus ? murmura Harry tandis que Lucius le détachait enfin. Qu'est-ce qu'il a ?

– Rien... Ça va aller.

Comme à son mari tout à l'heure, Lucius lui massait les bras et les épaules qui en avaient bien besoin après cette position prolongée en traction.

– Il est un peu à cran en ce moment...

– Pourquoi ? s'inquiéta Harry.

Sous la douleur de ses muscles délicieusement pétris par les mains de Lucius, il gémit sans honte et se colla contre le torse de son amant qu'il n'avait pas encore pu toucher.

Lucius éluda sa question d'un geste vague tout en le prenant dans ses bras.

– Ne t'inquiète pas. Dans quelques jours, ce sera passé. Laisse-le faire, en attendant...

Faire quoi ? Harry n'osa pas poser la question. Il avait laissé Severus procéder à cet accouplement rapide dans la forêt parce qu'il avait senti que ça lui était nécessaire sur le moment, mais cela n'expliquait rien. Et il avait essayé de tempérer la honte de son amant après coup...

Il sentait bien que quelque chose n'allait pas, que Severus était anxieux pour des raisons qu'il ne voulait pas lui dévoiler alors que Lucius paraissait savoir, qu'il manifestait un besoin de réconfort surprenant, qu'il avait complètement lâché prise pendant la séance en dévoilant dans le lien des sentiments qu'il n'aurait jamais dévoilés habituellement, et qu'il ne saurait rien...

Harry se serra un instant dans les bras de l'aristocrate. La vulnérabilité de Severus, si elle l'attendrissait, le déroutait également. Ces deux séances dans l'antichambre, coup sur coup, dont l'une sans lui, le surprenaient. Severus semblait vouloir « expier », ou avoir besoin de quelque chose qu'il ne pouvait pas lui apporter, et cette impression de ne servir à rien lui pesait.

Lucius l'embrassa doucement sur la tempe en percevant son désarroi.

– Ne t'inquiète pas. Severus a toujours tendance à sous-estimer les gens autour de lui. Et à vouloir porter le poids du monde sur ses épaules, fit l'aristocrate avec un sourire. Encore plus depuis votre union... Mais je ne le laisse pas faire.

.

.

Lucius fit disparaître les cordes, nettoya et rangea le jouet puis ils retournèrent dans la chambre quelques minutes plus tard. Severus n'était pas dans le lit où ils s'allongèrent avec plaisir, surtout Harry, mais ils entendaient couler l'eau de la douche comme un bruit de fond apaisant. Les yeux fermés, savourant la peau douce et tiède de Lucius contre lequel il était enroulé, Harry écoutait en souriant ce bruit d'eau qui ruisselle, aussi fluide et savoureux que la pluie sur les vitres quand on est au chaud à l'intérieur d'une maison.

Il dormait à moitié quand Severus les rejoignit dans le lit et s'allongea sur le ventre, les deux mains sous la tête en guise d'oreiller. Lucius se souleva légèrement pour attraper un petit flacon dans sa table de chevet et le lui donna. Harry ouvrit les yeux à contrecœur et reconnut l'onguent préparé par ses soins; après deux séances consécutives dans l'antichambre, Severus en avait certainement besoin...

Douloureusement, il s'arracha à la tiédeur des draps et du corps de Lucius et s'agenouilla près de Severus. Son amant gardait les yeux fermés, le visage neutre, mais sa peau était brûlante de cette douche trop longue et enflée des légers reliefs dus aux coups les plus intenses. Harry n'en voyait pas la couleur, ni les marques mais il devinait qu'elles devaient être soutenues.

Il chauffa un instant l'onguent entre ses mains puis entreprit de masser le dos et les épaules de son amant, glissant dans le creux des reins pour en faire pénétrer également au niveau des fesses, et même sur le haut des cuisses, malmenées par des lanières égarées. Il y mettait autant de douceur et de tendresse que possible, caressant Severus comme il n'avait pas pu le faire tout à l'heure, onctueusement.

C'était aussi un moyen de reprendre contact après l'attitude fuyante de son amant, et Harry se doutait que Lucius lui avait donné l'onguent dans cette optique-là, et cela lui convenait parfaitement. Si Severus avait besoin d'être rassuré, il pouvait aussi le faire par des moyens détournés.

– Enlève les barrières que tu as mises autour du lien. Ça me rend nerveux.

Harry n'y avait même plus songé mais il s'empressa de faire ce que demandait Severus. Aussitôt il retrouva en lui la présence stoïque et vaguement réservée de son amant tandis que ses propres sentiments d'amour et de tendresse, sirupeux à souhait, se déversaient dans le lien.

Il n'avait pas réussi à mettre le doigt dessus, à identifier la cause de son mal-être depuis tout à l'heure, mais en réalité, ce contact lui avait manqué. À travers le lien, Severus faisait partie de lui et cette distance était devenue douloureuse.

Ses mains se coulant sur la peau onctueuse comme ses sentiments se coulaient dans le lien, Harry exprimait tout son amour. Les muscles de Severus étaient souples, soyeux, et il finit par s'endormir.

Harry rendit le flacon d'onguent à Lucius qui, lui, ne dormait pas encore et se rallongea contre lui. Le bras de l'aristocrate l'accueillit, s'enroulant autour de sa taille pour le rapprocher un peu plus.

– Est-ce que tu es rassasié, maintenant ? murmura l'aristocrate en souriant. Tu vas pouvoir dormir tranquille ?

– Peut-être, gloussa Harry. Mais vous n'avez même pas pris de plaisir...

La main de Lucius glissa distraitement de ses reins à ses fesses et les caressa quelques secondes.

– Il y a quelques mois, tu avais pourtant compris que plaisir et orgasme ne sont pas forcément liés, reprocha doucement Lucius. Et tu sais très bien que je prends souvent mon plaisir autrement... Quant à Severus, ce n'est pas ce qu'il venait chercher.

Harry grogna discrètement pour ne pas réveiller son amant. Il avait été le seul à jouir, mais il avait encore envie, de faire l'amour cette fois, quelque chose de très doux et très lent, et de les sentir en lui pour leur appartenir.

– Et si j'ai encore envie ?

– Tu attendras demain, gloussa Lucius.

Derrière lui, Harry sentit Severus bouger et venir se coller contre son dos, son bassin près de ses fesses. Et comme dans la forêt, une main vint écarter sa fesse tandis que l'autre dirigeait un sexe ferme vers son intimité. Sans excitation, sans lubrification, l'accouplement fut un peu douloureux et Harry grimaça en essayant de se relâcher. Mais une fois Severus en lui, une fois comblé, le lien s'emplit de tendresse et de sérénité et il se détendit entre ses deux amants. Cette fois, il allait pouvoir s'endormir en toute quiétude.

.

ooOOoo

.

La journée fila doucement, sereine et tranquille, avant le grand dîner du soir. Harry passa deux heures dans son laboratoire, puis deux autres heures à travailler avec Mark pour trier le courrier personnel de Lucius. Ils se lurent en riant les meilleures lettres, parfois cocasses, les demandes en mariage, les sollicitations diverses, jetant au feu les lettres de menaces ou d'injures, puis attaquèrent le courrier professionnel avec un peu moins d'entrain jusqu'au déjeuner.

Blaise avait passé la nuit au Manoir mais il avait disparu pour la journée, et avec un soupçon d'impatience, Harry attendait le soir pour le sonder discrètement et savoir ce qu'il avait fait de son temps. Alicia travaillait la nuit dernière et sans doute aussi celle qui venait, mais entre les deux, elle allait dormir... peut-être pas seule.

Au fil de l'après-midi, Mark était de plus en plus excité, comme à chaque fois qu'il passait la soirée au Manoir, avec ou sans Håkon d'ailleurs... Mais depuis qu'il était plus familier avec Severus au point de le tutoyer et sachant que Matthieu devait venir également... Harry n'arrivait plus à le tenir ! Ils finirent par laisser tomber le travail et partirent faire un tour dans les jardins avec les enfants, laissant un peu le champ libre à Draco et Daphnée pour rassembler leurs affaires.

Le dîner devait sceller la fin de cette parenthèse de vie au Manoir; les héritiers Malfoy devaient regagner leur maison, enfin remise en état, ce week-end, après presque trois semaines de cohabitation, et les enfants ne tenaient plus en place, trop pressés de retrouver leurs chambres, leurs jouets, leur quartier et leurs copines. Et même leurs écoles !

.

.

Dehors, le soleil était radieux et la douceur plus qu'appréciable. Iris avait voulu aller jusqu'au terrain de quidditch et emmener des balais, mais Harry avait refusé, ne voulant pas s'y risquer sans Draco. Ils avaient rejoué plusieurs fois ensemble, sans problème particulier mais si jamais il avait un mauvais souvenir, ou une mauvaise réaction, il ne voulait pas être seul avec les enfants... Et Mark n'était pas un féru de vol.

À la place, ils étaient partis à pied vers les écuries, puis faire un grand tour à travers le domaine, sans se soucier de leur chemin. Si les enfants étaient trop fatigués, Harry pourrait toujours faire rentrer tout le monde en transplanant. Mais pour l'instant, ils étaient encore pleins de vie et pleins d'entrain, presque inépuisables à en croire Iris qui gambadait en cueillant des fleurs sauvages au bord des chemins. Même du haut de ses petites jambes, Scorpius avait marché un long moment en tenant tantôt la main de Harry, tantôt celle de Mark. Et s'il était à présent dans ses bras, juché sur sa hanche comme sur un trône, il redemandait régulièrement à redescendre dès qu'il était un peu reposé.

Deux fois et non sans gêne, Harry dut s'arrêter et se cacher derrière un arbre pour satisfaire ses besoins. Le seul inconvénient de leurs bêtises d'hier soir, c'est que cela le brûlait encore un peu et amplifiait ses envies. Mais Merlin ! À chaque fois qu'il urinait, il avait l'impression de jouir à nouveau et si la présence des enfants ne l'avait pas à ce point embarrassé, il en aurait gémi de plaisir.

La première fois, Mark crut qu'il faisait un malaise, ou qu'il ne se sentait pas bien, comme lorsqu'il était revenu de son interrogatoire au Ministère. Il lui fallut le rassurer sans rien dévoiler de ses raisons, mais Mark n'était pas né de la dernière pluie et il se doutait bien que l'origine de ses absences avait trait d'une façon ou d'autre au sexe, et sans doute à l'antichambre... Et depuis, il ne cessait les allusions et les plaisanteries, au point que Harry dut lui dire plusieurs fois de se taire en raison des regards curieux de Minerva. Et Merlin savait qu'elle non plus n'avait pas sa langue dans sa poche !

Ils finirent par rentrer, non pas parce que les enfants étaient fatigués, mais parce qu'ils avaient faim, et surtout très soif, et Harry fit transplaner tout ce petit monde directement dans les cuisines du Manoir avant de remonter prendre une collation dans la véranda. Les elfes étaient en pleins préparatifs du dîner et ce n'était pas le moment de les déranger.

.

.

Le dîner s'annonçait sous les meilleurs auspices et ils attendaient tous les deux impatiemment l'arrivée de Matthieu en discutant dans le Petit Salon. Blaise n'était pas encore revenu de sa journée mystérieuse; Draco et Daphnée étaient montés donner le bain aux enfants...

De ses amants, Severus rentra le premier. Harry ne l'avait pas croisé le matin même; il n'y avait eu aucun mot, aucun regard échangé depuis la séance de la veille dans l'antichambre et ce lâcher prise si particulier de l'ancien professeur, mais il n'en trouva aucune trace. Severus vint l'embrasser et lui dire quelques mots, comme il le faisait chaque soir en rentrant de la Librairie, puis il s'installa à sa place, dans le canapé, et se mêla doucement à leur conversation. Et en deux ou trois répliques sarcastiques bien senties et avec son petit sourire en coin, Harry n'eut plus aucun doute : l'épisode de « faiblesse » de son amant était passé, et il était redevenu parfaitement lui-même, au grand dam de Mark qui venait d'en faire les frais.

Peu de temps après arriva Lucius en compagnie de Håkon, sans que personne ne puisse dire depuis combien de temps ils étaient dans le bureau de l'aristocrate... Dès son entrée dans le Petit Salon, Mark partit ronronner une dizaine de minutes dans les bras de son mari, comme pour se faire câliner après les piques de Severus, puis Lucius les invita à rejoindre la salle de billard.

Harry adorait cette pièce qu'il avait conçue pour être chaleureuse et accueillante, et il l'aimait encore plus depuis que Severus y avait installé une partie de sa collection de photographies. Les clichés encadrés qui faisaient le tour de la salle ne représentaient que des nus en noir et blanc, masculins ou féminins, mais ils étaient tous plus beaux les uns que les autres. En revanche, personne ne savait, peut-être même pas Lucius, que l'une des photos représentait Severus : une vue en contre-plongée de ses épaules, de son dos et de ses fesses que Harry avait fait faire et glissé dans l'emballage de son cadeau de Noël. C'était un petit secret délicieux, et à chaque fois qu'il voyait cette photo au milieu de tous les autres cadres, il ne pouvait s'empêcher d'être fier et excité en même temps.

Cette fois ne dérogea pas à la règle et quand ils pénétrèrent dans la salle de billard où Lucius avait fait ouvrir une bouteille de vin avant le dîner, son regard se porta immédiatement sur cette photo et un petit sourire malicieux fleurit sur ses lèvres.

– Cette pièce devient de plus en plus érotique, ricana Mark en le rejoignant. Entre ce que tu as fait sur ce billard et les photos au mur... On se croirait dans l'antichambre !

– Tu ne sais pas de quoi tu parles ! gloussa Harry. Et pour le billard, il y a prescription ! Attrape donc une queue !

– Celle de qui ?

L'arrivée de Draco, Daphnée et des enfants qui tenaient la main de leur parrain coupa court à leurs rires étouffés. Blaise était habillé comme un prince, fier, élégant et il marchait avec une grâce presque féline.

– Bien reposé ? lui glissa Harry à l'oreille en l'étreignant. La journée n'a pas été trop fatigante ?

Il ne pouvait pas, de but en blanc et devant toute l'assemblée, lui demander s'il avait passé son temps au lit avec Alicia, mais Blaise savait très bien de quoi il parlait.

– La journée a été très agréable, répondit-il avec le même sourire malicieux. Ensoleillée, tiède... qui te donnerait presque envie de sortir du lit ! Presque...

.

.

Ils trinquèrent tous ensemble une fois que Matthieu et Charlie les eurent rejoints, puis les conversations se firent et se défirent, au gré des allées et venues de chacun entre les canapés et la table de billard.

Harry était heureux avec tout ce monde au Manoir... Il en manquait bien quelques-uns mais il était toujours ravi de passer un moment avec Mark et Matthieu en même temps, ce qui n'était pas si fréquent. Et encore une fois, ils étaient tous les trois à ricaner autour du billard sur des conversations grivoises.

Seule la présence de Daphnée qui avait fui son rôle de bonne épouse et de bonne mère de famille – et les conversations trop sérieuses côté salon – pour pouvoir jouer avec eux, les freinait un peu. Et pourtant elle n'était pas la dernière à rire de leurs bêtises !

.

.

– J'avais oublié que tu savais si bien manier une queue...

Harry gloussa devant l'insinuation. Si Charlie s'y mettait, à présent ! Il fallait dire aussi que le dragonnier avait un peu bu – ils étaient tous un peu gais, en réalité – et le baiser qu'il venait de quémander à Matthieu, si loin de leur réserve habituelle, montrait bien qu'il n'était plus tout à fait dans son état normal.

– Et encore ! Tu ne m'as pas vu jouer au billard ! répondit Harry.

Leur éclat de rire collectif fit tourner les têtes sur les canapés tandis que Matthieu disputait son compagnon en ricanant.

– Celle-là, tu l'as pas volée ! Mais on se passera des commentaires sur votre vie passée !

– Au contraire ! J'adore les potins ! intervint Mark en se glissant tout près avec un sourire plein de curiosité. D'ailleurs, vous deux, il paraît que vos tatouages interagissent suivant votre humeur... Ça se passe comment quand vous vous envoyez en l'air ? Quelqu'un a déjà pu observer ça ?

– Mark ! protesta Matthieu.

– Et comment tu es au courant pour les tatouages ? grimaça Charlie en retenant un sourire.

– Une vieille conversation au fond d'un canapé devant un film suggestif, gloussa Mark. Ou à poil dans la piscine, peut-être bien... Non, parce que si vous voulez une étude comportementale de vos tatouages pendant le sexe, je me porte volontaire !

– Mark ! protesta à nouveau Matthieu en riant.

– Je ne sais pas ce qui me choque le plus entre cette proposition et cette conversation devant un film suggestif, grimaça Charlie en regardant tour à tour les deux coupables possibles : Matthieu et Harry.

Daphnée riait sans s'en mêler tandis que Harry protestait de son innocence en levant les mains.

– Je n'y suis pour rien ! se défendit-il. C'était une simple série télé et la conversation a un peu dérapé... Et encore ! On n'avait pas parlé du piercing, je crois ! Ou peut-être que si... Oups !

– J'avais oublié ce détail ! jubila Mark avec un sourire radieux. Matthieu nous a dit ce qu'il en pensait...

– Hey ! Je n'ai rien dit du tout !

– … mais de ton côté, c'est comment ? Ça augmente vraiment les sensations ? Et pendant l'éjaculation, ça sort par là aussi ?

Charlie resta muet de surprise pendant une seconde puis contre-attaqua avec un sourire vicieux.

– Veux-tu qu'on parle de toi et Håkon ? À force de le croiser, il nous est arrivé d'échanger aussi certaines confidences...

– Oh, moi je suis une cause perdue ! affirma Mark avec un grand sourire. Il suffit qu'il me dise « Viens là et suce-moi » avec sa voix d'outre-tombe et j'ai déjà un orgasme !

Cette fois, Charlie fut le premier à éclater de rire et à abonder dans son sens.

– C'est vrai qu'il a une voix particulière... En réunion, il ne parle pas beaucoup mais quand il ouvre la bouche, tout le monde se tait et l'écoute.

– C'est pour ça qu'on s'entend si bien, renchérit Mark. Moi aussi, à chaque fois que j'ouvre la bouche, il se tait !

Discrètement, Harry essuya des larmes de rire aux coins de ses yeux tandis que Daphnée tentait de maîtriser une toux rebelle parce qu'elle venait d'avaler de travers. Merlin ! Il n'avait pas ri autant depuis bien longtemps !

– Pour en revenir à ce que m'a dit Håkon..., reprit Charlie en souriant.

.

.

Alors qu'il se penchait sur la table pour frapper sa bille, Harry sentit Mark se faufiler à côté de lui.

– Aide-moi à me sortir de ce guêpier, marmonna-t-il. Sinon je balance les marques de cordes que tu avais aux poignets ce matin...

Harry pâlit légèrement en écarquillant les yeux et jeta un regard à ses poignets que découvraient un peu trop les manches de sa chemise : il n'y avait plus de traces, mais le matin-même ?... il n'avait pas de certitudes. Lucius lui avait déjà passé beaucoup de choses, mais il ne lui pardonnerait peut-être pas ce genre de révélation devant Charlie et de sa belle-fille... Ni Severus devant Matthieu !

– Tu as donc tant de choses à cacher ? murmura-t-il en riant pour essayer de gagner du temps.

– Rien du tout ! gloussa Mark. Mais je voulais voir ta tête! Ceci dit, par pure amitié, tu peux me défendre quand même.

– Et tu menaces tes amis, maintenant ? ricana Harry en lui mettant un léger coup de coude.

– C'était trop tentant ! Mais malgré tout, les marques étaient impressionnantes... Et un jour, tu m'expliqueras le lien avec tes trois pauses-pipi pendant la promenade ?

Cette fois, il ne put s'empêcher de rougir. Ils s'étaient légèrement écartés des trois autres pour échanger ces quelques mots mais la distance était à peine suffisante à la confidentialité.

– Deux ! protesta-t-il. Et il n'y a aucun lien !

– Trois si on compte que tu t'es précipité aux toilettes en rentrant ! Et que tu es revenu aussi rouge et le regard aussi brillant que si tu t'étais branlé !

– Ça suffit maintenant ! se défendit énergiquement Harry en riant. Tu es comme Charlie ! Tu prêches le faux pour savoir le vrai ! Je ne dirai rien du tout et toi non plus !

Évidemment, complètement déconcentré, il frappa sa bille n'importe comment sous les ricanements de Mark avant de se redresser pour rejoindre les autres.

.

.

Charlie en était au moins à son quatrième verre de vin et même Matthieu essayait de lui faire comprendre à demi-mot de ralentir la cadence.

De ce que Harry se souvenait de la Roumanie, Charlie avait toujours eu une bonne descente, et cela lui avait sans doute été utile, voire nécessaire, pour se faire respecter parmi ses équipes de dragonnier. Les hommes étaient rudes, aussi âpres et rugueux que leurs conditions de travail, et les soirées au bar du village étaient pour beaucoup le moyen de décompresser. Le verbe était haut, la boisson généreuse et les rires parfois un peu gras, mais cela restait convivial et Harry avait aimé cette ambiance au moins autant que les soirées plus douces qu'il passait au coin du feu avec Charlie. Le seul inconvénient, c'est qu'au-delà d'une certaine dose, le dragonnier avait souvent l'alcool triste, ce qui, fort heureusement, n'était pour l'instant pas le cas.

– Pour changer un peu de cible..., fit Charlie en le voyant se rapprocher.

Harry sentit le regard de son ancien amant rivé sur lui et il éclata de rire avant même de le rejoindre.

– Tu en sais bien assez sur moi ! se défendit-il en levant les mains.

– Mais c'était il y a longtemps ! Depuis...

– Depuis j'ai été abstinent pendant plus de dix ans ! sourit-il. Il n'y a pas grand-chose de croustillant là-dessous.

– C'est pour ça que tu en as pris deux aujourd'hui ? gloussa Mark. Pour te rattraper ?

– Ah ne t'y remets pas, toi ! pouffa Harry.

– Parlez de ce que vous voulez, fit Matthieu avec une grimace. Mais je ne veux pas entendre parler de Severus !

Une fois encore, Harry sourit face à la pudeur du jeune homme. Aussi étranges que soient les relations entre Matthieu et son père d'adoption, s'il y avait bien un domaine qu'il ne voulait surtout pas voir évoquer, c'était la sexualité. Les sentiments, l'amour, les hauts et les bas d'une relation, cela allait encore mais ce qui concernait la sexualité restait tabou.

– Bon, fit Charlie en se tournant vers Daphnée. Il ne reste plus que toi !

Seule à peu près concentrée sur la table de billard, Daphnée jouait quasiment en solitaire pendant qu'ils péroraient en buvant leurs verres. Avec un sourire tranquille, elle secoua doucement la tête.

– Vous ne saurez strictement aucun détail de ma vie privée avec Draco... Le peu qu'il y a eu avant, ça m'est égal, mais je n'irai certainement pas le mettre mal à l'aise en dévoilant quoi que ce soit d'intime.

– En tout cas, on voit bien le résultat de ce qui se passe entre vous ! fit Charlie en promenant son regard sur les trois enfants qui jouaient côté salon près des adultes, ou carrément sur les genoux de Severus pour Iris.

– Difficile de cacher ce genre de choses, en effet, sourit Daphnée.

Harry gloussa en se rapprochant de la conversation.

– Ça me fait penser à la discussion que j'ai eue avec Minerva l'autre jour... Elle avait l'air très au courant !

– Au courant de quoi ? fit Daphnée intriguée.

– Eh bien... Elle m'a expliqué la reproduction humaine, le papa qui met sa petite graine avec son zizi dans le ventre de la maman pour faire un bébé... Et elle a même précisé qu'entre deux hommes, c'était pareil sauf que ça faisait pas de bébé !

Daphnée rougit brutalement et releva sa queue de billard avant de rater son coup. Les trois autres, en revanche, riaient à gorge déployée.

– Je suis désolée, fit-elle, gênée. Avec la naissance de Scorpius, il a fallu lui expliquer certaines choses et... tu connais Minerva : elle ne se contente jamais des explications les plus simples, il faut toujours qu'elle aille au fond des choses.

– « Au fond des choses »... C'est de circonstance ! reprit Harry avant d'éclater de rire.

La jeune femme leva les yeux au ciel avant de répliquer.

– Je voudrais bien t'y voir ! Tu verras quand ce sera ton tour avec Aria et que tu devras répondre à des questions embarrassantes !

– Ah non non non ! gloussa Harry en secouant la tête. Je n'expliquerai rien du tout ! Elle a des mères pour ça, non ?! Moi, je lui apprendrai à construire une cabane en bois, à faire du feu et à pisser debout ! Quoique ! Même ça, ça risque d'être difficile !

.

.

Peut-être dans l'espoir de calmer un peu leurs esprits échauffés, Lucius décréta qu'il était grand temps de passer à table. Un peu de nourriture pour absorber l'alcool qu'ils avaient bu n'était sans doute pas du luxe ! Cela permettait aussi de les obliger à mieux se tenir en réunissant tout le monde, tout en séparant leur petit groupe qui faisait bande à part.

Et cela fonctionna relativement bien. Daphnée rejoignit son mari qui siégeait à une extrémité de la table, intercalant Scorpius entre eux pour le faire manger. À l'autre bout, à sa place habituelle, Lucius présidait le repas en maître de maison, tout en élégance et noblesse. Entre eux se répartirent les autres convives, sans place prédéfinie. Mais pas sans manœuvre.

Cédant courtoisement sa chaise habituelle, juste à droite de Lucius, à Håkon, Harry se faufila habilement, et en plaçant un ou deux coups de coude discrets, il réussit l'exploit de se retrouver assis entre Mark et Matthieu. Malgré un sourire tranquille en apparence, il jubilait intérieurement. Le repas s'annonçait bien ! Seul Charlie était loin d'eux, coincé comme un malheureux entre Lucius et Severus.

Malgré cela, le repas débuta aussi agréablement que le moment qu'ils avaient passé dans la salle de billard, joyeux et insouciant. Les conversations s'entrecroisaient avec légèreté, les yeux sombres de Blaise pétillaient, le rire clair de Lucius s'éleva un instant au-dessus de la table et même Severus souriait franchement.

.

.

Une nouvelle fois, alors que Håkon venait de prendre la parole, Harry sentit Mark frémir juste à côté de lui. Il ricana et mit un coup de coude à Matthieu pour attirer son attention. La façon dont Mark réagissait à la voix de son mari était impressionnante et le faisait mourir de rire. Le jeune homme se redressait aussitôt, vibrait comme un diapason, et les poils de ses bras entraient en érection à peu près autant que son sexe !

Harry tourna la tête vers Matthieu mais se calma immédiatement. Le jeune professeur ne l'écoutait pas, ne le regardait pas, observant au contraire, à l'autre bout de la table, Charlie qui riait gaiement.

– Dis donc ! Il est en forme, ton cher et tendre, en ce moment !

Matthieu esquissa un sourire triste puis baissa les yeux sur son assiette. Surpris par son attitude, Harry jeta un regard vers Charlie puis revint vers Matthieu. Il sentait bien sa réserve soudaine mais il n'en comprenait pas les raisons.

– Qu'est-ce qui t'inquiète ?

– Rien. Laisse tomber.

Harry fronça les sourcils. Charlie avait certes un peu bu – plus qu'à son habitude – mais il restait joyeux et bon enfant. Était-ce cette consommation légèrement excessive qui chagrinait Matthieu ?

Le jeune homme hocha simplement la tête avec une grimace lorsqu'il lui posa la question à mi-voix.

– Je n'aime pas ça, c'est tout.

Et pourtant Matthieu était le premier à se mettre dans des états pas possibles ! Et pas toujours pour de bonnes raisons ! À l'époque où sa relation avec Charlie balbutiait dans les secrets et les non-dits, Matthieu avait plus d'une fois noyé son chagrin dans l'alcool avec lui.

– Lucius m'avait dit qu'il avait accusé le coup après la cérémonie en Roumanie, fit Harry. Mais aujourd'hui, il a l'air d'aller plutôt bien, non ?

– Non. Mais en revanche il le cache bien.

.

.

– Ils se connaissaient bien ? Avec le vampire qui est mort ? murmura Harry en se reculant légèrement.

Il n'avait pas encore eu l'occasion – ni la curiosité, il fallait l'avouer – de parler de ça avec Matthieu, ou même directement avec Charlie.

– Ils étaient amis depuis plus de quinze ans... depuis que Charlie travaillait dans la réserve. Ils avaient commencé presque en même temps. Et ils avaient continué à se voir après, même si Tobias n'est pas resté très longtemps...

Le nom ne lui disait rien, mais Harry n'était resté que six mois en Roumanie avant de disparaître à nouveau.

– … mais il n'était pas un vampire. Pas que ça change grand-chose à sa mort, ceci dit.

– Mais ?! C'était un sorcier ? s'étonna Harry en écarquillant les yeux. J'avais cru comprendre que... Pourquoi est-ce que ça a déclenché pareil remue-ménage auprès des vampires, alors ?

– Parce que Tobias était le calice d'un vampire très haut placé dans leur hiérarchie, et qui fait partie de la Commission que préside Lucius, etc... Compte tenu de la situation actuelle, et de la façon dont il est mort : tué par ceux de la Coalition, ça a pris beaucoup d'ampleur. Du coup, Lucius, Håkon, et beaucoup d'autres se sont déplacés... afin de marquer leur soutien et leurs alliances. Et au final, sa mort a poussé les indécis à se ranger dans un camp ou dans un autre.

Harry secoua doucement la tête. Ce monde lui était étranger et il ne souhaitait certainement pas s'y intéresser. Plus il était loin de la politique, plus il était heureux. Lucius le savait parfaitement et ne lui racontait strictement rien de sa vie professionnelle, ni ne lui demandait jamais son avis. Et s'il le faisait régulièrement avec Severus, c'était dans son bureau et hors de sa présence.

– Tu l'avais rencontré ?

– Tobias ? Oui, deux fois. Cet été, pendant nos vacances. Un garçon gentil, très agréable... Il me faisait un peu penser à Mark, le côté excité en moins... et un peu plus rêveur. Charlie l'aimait beaucoup... C'est leur amitié qui a permis à Lucius de nouer des liens de confiance entre la Commission et ceux de Colibita. Tobias refusait que l'image des vampires renvoie systématiquement à la violence des attentats et des meurtres de masse. Il en connaissait autre chose... il a voulu prouver que les vampires et les sorciers pouvaient coexister pacifiquement, voire même vivre en harmonie.

– Et Charlie ? Comment il réagit ?

Un ricanement amer s'échappa discrètement des lèvres de Matthieu.

– Tu sais, Charlie a encore des réflexes de vieux célibataire. Quand ça ne va pas, il préfère s'isoler, il retourne voir ses dragons et il passe ses soirées au bar. Il n'est pas du genre à s'épancher !

.

.

Harry se resservit un verre de vin et sentit dans le lien la légère désapprobation de Severus. Pourtant, lorsqu'il était en public ou en conversation avec des amis, son compagnon ne se servait pas du lien pour lui faire parvenir ses sentiments. Severus refusait de lui imposer sa volonté d'une façon ou d'une autre, ce qui allait jusqu'à ne pas se manifester pour ne pas l'influencer. Communiquer à travers le lien restait réservé à des moments privés, avec ou sans Lucius, ou lorsqu'ils sentaient un vrai besoin de réassurance chez l'autre...

Là, le sentiment était léger mais il signait malgré tout le regard observateur de Severus sur ce qu'il ingurgitait... Et pourtant ! Harry avait bien mangé, même sans appétit particulier, il avait pendant un moment ralenti sur le vin et bu plusieurs verres d'eau pour étancher sa soif... Il avait certes un peu chaud mais il se sentait parfaitement alerte et les idées claires. Tout en lui faisant sentir que sa critique n'avait pas lieu d'être, il offrit un sourire rassurant à son amant. D'autant qu'il n'était certainement pas le pire !

Mark était très gai, dans tous les sens du terme, et s'il en était besoin, l'alcool faisait encore ressortir son côté exubérant. Sa façon de parler était plus marquée que d'habitude, ses mains dansaient avec élégance et après avoir collé leurs deux chaises côte à côte, il roucoulait auprès de son mari. La situation semblait d'ailleurs ne pas du tout déplaire à Håkon qui, tout en discutant avec Lucius, avait passé un bras sur ses épaules et le caressait tendrement.

Le regard de Harry tomba sur Charlie, juste en face d'eux, et là, en revanche, le résultat était tout autre. Il n'avait pas fait attention à quel moment la grisaille s'était abattue sur le dragonnier mais elle était clairement visible. Une certaine dureté se lisait sur son visage, dans la ligne implacable que formaient ses sourcils froncés ou dans la sécheresse du pli qui tirait ses lèvres vers le bas. Plus aucun sourire, et son regard restait fermement rivé sur ses poings serrés posés autour de son assiette.

Harry se tourna brusquement vers Matthieu qui n'avait rien perdu de l'état de son compagnon.

– Qu'est-ce que... ? J'ai loupé un truc ?

Il n'avait pas suivi la conversation, concentré sur le lien et Severus, puis sur Mark... Matthieu haussa les épaules.

– Ils parlaient du dernier attentat, à Madrid...

– Quel attentat ?

.

.

Il avait pourtant parlé à mi-voix, discrètement, mais l'écho dans la pièce lui fit l'effet d'un coup de tonnerre.

– « Quel attentat » ?! Mais tu te fous de moi ?!

Un bruit puissant, tonitruant, qui fit redresser toutes les têtes, taire toutes les voix, et écarquiller tous les yeux.

– Mais t'en as pas marre de jouer à l'autruche ?! De te cacher dans ton coin sans t'occuper de ce qui se passe autour de toi ?! Mais putain, mais comment tu peux être aussi égoïste ?!

Harry avait pâli, puisque la diatribe s'adressait à lui, et tous ses muscles s'étaient crispés sous une violente décharge d'adrénaline.

– T'es même pas foutu d'être au courant de la vie dehors ! Y a eu trente-quatre morts, putain ! Et t'as même pas ouvert un putain de journal ! T'as même pas la décence de te sentir concerné !

Dans son esprit, le silence régnait, étrange et désagréable. Ses pensées s'étaient tues, le lien semblait presque éteint, mais une goutte de sueur roula tout le long de son dos.

– T'es là, tu te caches, tranquille, sans ouvrir les yeux autour de toi ! T'es enfermé dans ton Manoir comme une princesse dans un palais, et les gens qui meurent, tu t'en contrefous !

Ils étaient tous là, à le regarder, immobiles et muets, à observer sa réaction, à guetter ses paroles, inquiets de la façon dont il allait craquer ou exploser... Et ils étaient deux à regarder Charlie, ivre de fureur : lui... et Matthieu.

.

.

Pour la première fois, Matthieu se retrouvait coincé entre eux, piégé entre Harry et Charlie, acculé sans pouvoir prendre parti. Et il devait bien sentir qu'au-delà des accusations de Charlie, il s'agissait aussi d'une confrontation entre deux anciens amants et que bon nombre de reproches étaient bien plus personnels. Dans cet accrochage en place publique, il y avait aussi des non-dits anciens, des rancœurs, de l'amertume, des trahisons.

– Tu me déçois ! cracha Charlie au milieu de sa colère. Je pensais tellement mieux de toi ! Tu es devenu tellement égoïste, je te reconnais même plus... Maman avait peut-être raison finalement... Sorti de ta petite vie tranquille, plus rien n'existe. Tu vis dans ta bulle, complètement hors du monde ! Tu veux rien savoir ! Tu veux surtout pas être mêlé à tout ça ! Putain, mais t'étais plus courageux quand t'avais quinze ans ! recommença-t-il à hurler. T'entraînais les autres ! Tu voulais toujours aller te battre ! Tu voulais vaincre ! Que ce soit devant Voldemort ou devant les dragons, t'avais pas peur ! T'étais en colère ! Tu te battais !

La colère de Charlie retomba à nouveau dans le mépris et son regard en devenait presque douloureux à soutenir.

– Aujourd'hui, j'ai honte de toi !... Tu pourrais nous aider. Avec ta magie, tu pourrais faire de grandes choses, mais t'es devenu un Poufsouffle ! Écœurant de sentiments et de peur. Tu préfères te cacher dans le luxe et les dorures, bien à l'abri dans tes draps de soie et une tasse de thé à la main ! C'est tellement plus commode de pas voir ceux qui crèvent à côté !

Un frémissement glacial parcourut Harry jusqu'à la racine des cheveux. Il ne voyait pas les regards qui le fixaient avec appréhension, mais le silence le surprenait. Même Lucius ne disait rien devant cet esclandre dans sa demeure. Devant cette accusation publique d'héberger un traître en son sein. Un lâche tout du moins.

– Putain, mais t'es devenu quoi ?! Il est où le Harry que j'ai connu et qui aurait voulu se battre et se venger ?! Qui aurait jamais laissé qui que ce soit attaquer des innocents sans vouloir les défendre ?! Qui se serait porté volontaire pour aller se battre contre les vampires ? Celui qui aurait voulu se rendre utile ? Celui qui se serait senti concerné ?!

Harry ferma les yeux une seconde en plissant les paupières. Charlie ne pouvait pas dire ça. Il ne pouvait pas dire qu'il ne se sentait pas concerné. Il y pensait tous les jours. Il travaillait sur ces fichues potions tous les jours, depuis des semaines, des mois, il avait passé des nuits blanches à faire des recherches, à éplucher des livres, à s'épuiser les yeux sur des pages illisibles, à fouiller la jungle pour trouver des plantes, il avait passé des heures au-dessus de ses chaudrons, à tester, à expérimenter, à reprendre ses notes, à revenir en arrière pour comprendre ce qui ne marchait pas... Il avait donné de sa personne, bon sang !

Et il avait même donné de sa personne physiquement ! Il avait été la première victime, avant les attentats, avant les morts, il avait été prisonnier pendant deux semaines ! Deux semaines de torture, à crever de faim, de soif et de douleur, deux semaines à penser qu'il n'allait jamais revenir et laisser ses amants dans l'incertitude et la souffrance, pour finalement être de retour au bord de la mort, avec des dizaines de fractures, des hématomes, des brûlures, des traumatismes de toute sorte, il était passé par des semaines de nuits sans sommeil, peuplées de cauchemars, où personne ne pouvait l'approcher, personne ne pouvait le toucher, et presque même lui parler, il avait mis des semaines à retrouver un poids normal, à faire confiance à nouveau, à ne plus sursauter au moindre bruit, à guérir... Alors, non. Charlie ne pouvait pas dire qu'il ne se sentait pas concerné.

Mais Harry n'allait pas s'emporter. Il n'était plus cet homme-là, trop impulsif, capable de perdre le contrôle de lui-même et de sa magie, cet homme qui se laissait dépasser par ses sentiments. Charlie avait raison sur une chose : il avait changé. Il était devenu plus réfléchi, plus mesuré; peut-être trop pour le dragonnier, mais il agissait d'une autre façon, même si ce n'était pas aussi éclatant et évident qu'un duel contre Voldemort.

Et puis, Charlie était son ami. Ils s'étaient même aimés autrefois, maladroitement peut-être, mais sincèrement. Il avait de l'estime pour Charlie. Il pouvait comprendre sa colère. Il pouvait comprendre la douleur et la peine qui dictaient ses paroles. Il pouvait même comprendre ses critiques... sans doute parce qu'elles étaient un peu vraies malgré tout.

Harry sentit le doute qui s'insinuait, la fêlure dans son cœur qui progressait comme une faille pendant un tremblement de terre, lézardant ses certitudes, tandis que Charlie continuait à hurler dans le silence. Il n'entendait plus rien mais il pouvait sans doute faire plus, faire davantage... Il avait choisi une solution de facilité, il se cachait derrière ses potions pour ne pas se mêler du reste, il aimait ses œillères parce qu'elles étaient confortables et rassurantes, il ne voulait pas voir la réalité en face...

Harry déglutit péniblement et perçut à nouveau les paroles pleines de haine de son ancien amant.

– Tu me dégoûtes ! Tu me fais honte ! Tu préfères passer ton temps enfermé dans ton petit Manoir à t'envoyer en l'air comme une pute en chaleur !

Il y eut à nouveau un blanc dans son esprit tandis qu'il sentait une main se poser sur chacun de ses bras, peut-être pour le retenir, et puis des cris.

– Harry...

– Harry !

– Charlie !

Et puis sa propre colère qui se déploya comme une déflagration.

– Et après leur avoir servi de pute, comme tu dis si bien, il m'a fallu assez de temps pour y arriver à nouveau ! explosa Harry en se levant brutalement. Alors oui ! J'estime que j'ai le droit de m'envoyer en l'air sans en avoir honte !

Il prit brusquement conscience des regards consternés autour de lui, de leur pitié sirupeuse, pleine de bons sentiments, à eux qui savaient, eux tous, ce pour quoi il ne voulait plus entendre parler de vampires, ce qu'il avait subi, eux qui devinaient les douleurs, les peurs, les difficultés que cela avait pu représenter, les angoisses, la honte aussi... Et ils savaient tous, même Daphnée, même Håkon, que Mark avait dû mettre au courant, même Blaise...

Il n'y avait que Charlie qui semblait surpris par ses paroles et par les regards apitoyés des autres, Charlie qui fronçait les sourcils avec sa colère qui venait de retomber comme un soufflé.

– Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qu'il y a que je ne sais pas ?!

Charlie qui se levait à demi, en plein désarroi, et puis Matthieu qui s'était pris la tête entre les mains... Et puis lui, qui encore une fois préférait la fuite, et qui transplana hors de la Salle à Manger.

.

.

Les cris éteints, le craquement du transplanage dissipé dans un écho étouffé, il ne resta bientôt plus que le silence et les regards lourds qui s'entrecroisaient.

Draco leva sa baguette pour ôter le sortilège de silence qu'il avait posé autour de ses enfants, et croisa brièvement les yeux gris de son père, dans lesquels il lut une inquiétude que le maître de maison ne cherchait même pas à dissimuler.

Daphnée posa sa main sur celle d'Iris pour la rassurer. Minerva, en face d'elle, était trop loin pour qu'elle puisse la toucher, mais elle tenta de la rassurer également d'un regard doux avant de se tourner vers Blaise. Le parrain de ses filles était plus sérieux qu'elle ne l'avait jamais vu. Ils échangèrent un regard soucieux avant de tourner la tête pour observer les autres.

Côte à côte, la tête légèrement penchée de côté, Håkon et Mark échangeaient quelques mots à voix basse en français. En face d'eux, le visage de Charlie était décomposé, partagé entre la compréhension qui hésitait à se faire jour dans son esprit et les regrets. Toute son ébriété était brusquement retombée et peu à peu, il se rendait compte de l'esclandre qu'il venait de faire. Son regard éperdu cherchait désespéramment celui de Matthieu, qui était sans doute le seul qui ne regardait personne. Les coudes posés sur la table, les mains du jeune professeur cachaient sa bouche et son nez, laissant juste entrapercevoir des yeux trop brillants qui restaient fixés sur ses couverts abandonnés dans son assiette.

Severus, lui, affrontait le regard de son mari, et ils n'avaient certainement pas besoin de mots pour se comprendre. L'inquiétude, la tristesse et la lassitude qu'ils ressentaient étaient les mêmes. La culpabilité aussi, de n'avoir pas su empêcher cela... Mais d'une façon ou d'une autre, Harry les en avait empêché.

Tous sans doute, et pas seulement eux, avaient senti son aura et les sentiments qui la traversaient. Tous, ils avaient senti la sidération de Harry, sa douleur, sa colère, et malgré tout la manière dont il avait pardonné les paroles pleines de chagrin et de rancœur de Charlie... Jusqu'à ce que le doute et la culpabilité ne s'immiscent lentement en lui. Et jusqu'à ce que Charlie ne pointe du doigt le sujet si sensible de la sexualité...

Harry avait tout laissé filtrer à travers son aura mais il avait aussi étouffé leurs réactions, il avait enfermé le lien derrière une barrière psychique, et il n'avait explosé que lorsque la honte de ce qu'il avait vécu avait ressurgi de plein fouet. Mais le transplanage avait fait valser les barrières et Severus sentait sa présence dans le lien.

– Il n'est pas loin, dit-il pour rassurer son mari. Juste dans la salle de billard...

– J'y vais ! fit Mark en bondissant de sa chaise.

– Non, hésita Charlie en relevant la tête. C'est à moi de...

– Toi, tu en as assez fait pour aujourd'hui ! s'emporta Mark. Ça va bien, maintenant ! Tu restes ici !

.

.

À grandes enjambées, Mark remonta le long couloir, discrètement suivi, de miroir en miroir, par la silhouette fantomatique d'Axaya. Devant la porte de la salle de billard, il prit le temps de s'arrêter une seconde et de respirer profondément. Il était en colère lui aussi, contre Charlie, peut-être même contre Lucius, et rien de bon ne pouvait advenir s'il allait voir Harry dans cet état-là.

Le claquement sec des billes les unes contre les autres le fit sursauter et lorsqu'il ouvrit doucement la porte, Harry se redressait lentement, une queue de billard à la main. Sans le regarder, il longea la table pour se rapprocher de la bille blanche et étudier le jeu. Mark ne se souvenait pas avoir jamais vu son visage si sombre et fermé et cela le fit presque hésiter. Dans un sursaut de tendresse, il s'avança malgré tout.

Atteindre Harry, que ce soit par des mots ou par des gestes, semblait inenvisageable pour l'instant. Le regard dur ne le fuyait pas mais il était ailleurs, sur la table, sur les billes, aussi distant que s'il n'était jamais entré dans la pièce. Les traits figés par la colère donnaient à Harry des années qu'il n'avait pas encore. Et si son aura était disciplinée et parfaitement maîtrisée, il restait dans l'atmosphère tamisée de la salle de billard comme l'écho d'un cri de douleur silencieux.

Lentement, Mark s'approcha et vint s'appuyer contre un fauteuil à quelques pas de son ami, les fesses juste posées contre le rebord du dossier. Il ne voulait pas donner cette impression de prudence, comme s'il pénétrait la tanière d'un dragon en sommeil qu'il ne fallait surtout pas réveiller, mais la situation s'apparentait sans doute à cela et il en sourit malgré tout.

.

.

– Qu'est-ce que tu veux ? dit Harry, juste après que le claquement sec des billes l'ait fait sursauter.

– Rien, répondit Mark en souriant de sa frayeur. Savoir si ça allait ?

– Ça va. Ça va très bien, je te remercie, fit Harry d'un ton sec.

Les billes s'entrechoquèrent à nouveau, si vivement que Mark crut une seconde que l'une d'elle allait passer par-dessus le rebord de la table, mais après plusieurs rebonds sur les bandes, elle finit par s'immobiliser dans le silence. Harry gardait le regard fixé sur la bille blanche tandis que Mark le regardait tout aussi fixement.

.

.

– Tu leur diras que je suis désolé d'avoir gâcher le dîner, lâcha Harry alors que Mark ne s'y attendait plus. Je n'aurais pas dû m'énerver, ni même répondre. J'aurais mieux fait de me taire et au lieu de ça, j'ai...

– Ne t'inquiète pas... Tout le monde a très bien compris pourquoi.

– Et c'est aussi le problème ! fit Harry d'un ton à nouveau dur et fermé. Tout le monde sait ce qui m'est arrivé. À part ce pauvre Charlie qui se retrouve bien ridicule !... Tout le monde sait. Et je ne voulais pas ça. Si j'avais pu, je ne l'aurais dit à personne. Pas même à toi. Pas même à Luce, ni à Severus. Mais il faut croire que je ne sais pas me taire.

– Tu avais besoin d'en parler pour aller mieux... Ça t'a aidé. Peut-être que maintenant tu le regrettes, mais si tu ne l'avais pas fait, tu n'en serais sans doute pas là aujourd'hui...

La pauvreté des mots, même sincères, même vrais, le chagrinait mais Mark ne pouvait guère faire davantage. Il comprenait pourtant ce que ressentait Harry, il comprenait même ce qu'il vivait. Pour lui aussi, tout le monde savait quelle vie il avait vécue avant Håkon. S'il se permettait parfois d'en plaisanter avec certaines personnes triées sur le volet : les autres anciens mignons de Lucius, Harry, Matthieu... et parfois l'aristocrate, il envisageait avec difficulté que tout le monde soit au courant. Et pourtant c'était le cas. Il n'avait pas honte de ce qu'il avait été, parce qu'il n'y avait pas de honte à avoir, mais les jugements des autres, quels qu'ils soient, restaient démoralisants et fatigants.

– Tu sais ce qui me fait le plus horreur dans tout ça ? reprit amèrement Harry. Ce sont vos regards pleins de pitié, à vous tous. Je n'ai jamais voulu de pitié !

Il crachait presque ce mot comme s'il s'agissait d'une insulte ou d'un coup. Et le fait qu'il le mette dans le même lot que tous les autres serra douloureusement le cœur de Mark.

Harry avait posé la queue de billard sur le tapis vert de la table et il s'appuya des deux mains sur le rebord, les yeux encore baissés vers les billes immobiles.

– Et puis je ne pensais pas que Charlie avait cette opinion de moi... Ça fait mal, un peu...

La voix avait perdu en virulence; elle était plus feutrée, au bord d'une douleur intime. Mark tendit sa main comme une invitation et elle accrocha furtivement le regard de Harry qui se redressa sans réfléchir, comme un automate, et le rejoignit. Mark le prit et le serra dans ses bras, rapidement, parce qu'il sentait que Harry ne voulait pas s'épancher. Mais la colère était brisée.

– Charlie ne pensait pas le dixième de ce qu'il a dit...

Harry prit quelques secondes pour intégrer ses paroles puis il laissa échapper un sourire spontané.

– Tu m'aurais dit qu'il n'en pensait pas un mot, je t'aurais engueulé.

La vérité avant toute chose. Harry n'aurait pas toléré même un mensonge de complaisance, même une façon d'adoucir la réalité. Il y avait sans doute un peu de sincérité dans les paroles de Charlie, aussi douloureux que ce soit, mais certainement pas tout.

Le sourire de Harry, en tout cas, était sincère et Mark lui sourit avec la même douceur.

– Je préfère te voir avec ce visage-là, avoua-t-il en glissant ses bras autour de sa taille.

Harry se laissait faire, leurs bassins collés l'un contre l'autre, leurs regards à quelques centimètres l'un de l'autre... Leur position était très intime, presque tendancieuse, mais Harry ne cherchait pas à fuir ses bras, ni à reculer. Ses yeux verts brillaient de franchise et de douceur, captivants au-delà du réel.

Sur une impulsion soudaine, Mark embrassa les lèvres qui lui faisaient face.

– Mark ! fit Harry en riant. Arrête tes bêtises !

Il n'y avait pourtant pas malice. Presque pas. Il avait toujours eu une sensualité à fleur de peau, cette envie de toucher pour vraiment entrer en contact avec les autres, cette façon de montrer si intimement sa tendresse. Lucius était pareil; capable de l'embrasser pour répondre à un élan d'affection passagère, et ensuite retourner à ses véritables amants.

– Et si Luce entrait d'un coup dans la pièce ?! Je crois qu'il serait assez furieux contre toi !

– Personnellement, je craindrais plus la colère de Severus que celle de Lucius, gloussa-t-il en volant un deuxième baiser sur les lèvres de Harry. Ceci dit, j'adore quand tu l'appelles par son petit nom. C'est tellement craquant !

– « Luce » ? s'étonna Harry. Qu'est-ce que ça a de si... Et quand toi tu appelles Håkon « mon chat » ou « chaton », tu crois que c'est mieux ?!

La légèreté piquante de Harry était de retour, son sourire lumineux, l'éclat pétillant dans son regard. Mark se sentit lui aussi plus léger. Rassuré.

– En parlant de Håkon, viens au moins dire au revoir..., dit-il en passant sa main sur le visage et dans les cheveux de Harry. Il va être temps pour nous de rentrer.

Les yeux verts se firent un peu plus douloureux, à mesure que Harry prenait conscience de ce qu'il allait devoir affronter, mais Mark ne lui laissa pas le choix et le prit par le bras pour l'entraîner. Il fallait bien mettre fin à ce tête à tête charmant pour retrouver chacun ses amants. Et les autres convives de ce dîner amer.

.

.

Ils n'étaient pas restés très longtemps dans la salle de billard, peut-être dix, quinze minutes, peut-être moins. Le temps de purger une colère, le temps d'une étreinte, d'un baiser, d'un sourire... Ils tombèrent sur les autres dans le couloir, sortants de la Salle à Manger.

– Luce, je suis désolé..., s'excusa Harry au milieu des conversations.

L'aristocrate détourna ses yeux de Håkon pour lui offrir un regard rassurant et sa main glissa le long de son bras pour prendre la sienne. Le geste était aussi surprenant que spontané. Inédit en public, en tout cas. Si l'on pouvait considérer comme étant une sphère publique Mark qui roucoulait à nouveau dans les bras de son mari et Blaise qui discutait avec Severus un peu plus loin.

– Draco ? Et les enfants ? interrogea-t-il à mi-voix.

– Ils sont montés coucher les enfants, le rassura Lucius sans lâcher sa main. Ne t'inquiète pas. Draco avait jeté un sortilège de silence, ils n'ont rien entendu.

Les paroles de son amant achevèrent de le rassurer au moins autant que la pression affectueuse de ses doigts entrecroisés avec les siens.

Les adieux furent rapides; Blaise s'éclipsa avec un sourire pour aller transplaner sur le perron du Manoir sans vouloir dire où. Puis Mark et son ambassadeur quittèrent la maison par la cheminée du bureau de Lucius, après une dernière étreinte pleine de tendresse.

.

.

En quelques minutes trop denses, Harry se retrouva seul avec ses amants dans leur chambre. Presque empressé de renouveler ses excuses.

– Je suis désolé de ce qui s'est passé. Je ne voulais pas gâcher le dîner, ni me fâcher avec qui que ce soit, mais... c'est allé trop loin et... je suis désolé.

Ce fut Severus qui le prit contre lui, dans son dos, croisant les bras sur son torse comme pour défendre quiconque d'approcher, mais ce fut Lucius qui lui parla en le regardant droit dans les yeux.

– Tout va bien et personne ne t'en veut. C'est Charlie qui aurait mieux fait de se taire. Et ça lui servira sans doute de leçon pour un bon moment !

Charlie était certes à blâmer mais il avait aussi de bonnes raisons de ne pas être dans son état normal. Une douleur ressurgie, un sentiment d'injustice... Et puis Charlie ne savait pas pour quelle raison il ne voulait surtout pas entendre parler de vampires. S'il avait sans doute eu de bons contacts avec ceux que côtoyait Tobias, Harry, lui, n'avait que de mauvais souvenirs de sa confrontation avec ces créatures.

– Et Matthieu ? s'inquiéta-t-il en songeant au jeune homme partagé entre eux deux.

Dans le lien, Harry perçut le sentiment de préoccupation de Severus qui murmura auprès de son oreille :

– Matthieu a demandé s'il pouvait passer la nuit ici, dans sa chambre... Charlie est rentré à Poudlard.

En d'autres circonstances, il aurait pu trouver charmant la façon dont Severus parlait de la chambre de son protégé, comme un père qui récupère son fils, rentré à la maison après une longue absence, investissant à nouveau sa chambre d'enfant ou d'adolescent... Mais la réalité était bien plus amère et Harry s'arracha des bras de son amant pour se retourner vers lui.

– Matthieu est resté dormir ici tout seul ?!... Je vais le voir !

De mémoire, depuis que leur histoire était sérieuse et solide, Matthieu et Charlie n'avaient jamais été séparés que par les absences du dragonnier pour ses voyages en Roumanie... Et Harry craignait cette envie de distance soudaine entre les deux hommes.

.

.

Le silence retomba entre eux, étouffé et surprenant, dès que Harry se fut échappé dans le couloir. Lucius et Severus se regardèrent un long moment sans dire un mot, puis l'aristocrate se dirigea vers la salle de bains de leur chambre.

Quand il en ressortit quelques minutes plus tard, Severus achevait de se déshabiller, assis sur le lit et perdu dans ses pensées. La lenteur de ses gestes était à l'image de cette espèce d'état de sidération dans lequel l'avaient plongé cette soirée et les réactions de Harry. Une certaine fatigue psychique qui, associée à ses propres inquiétudes, le laissait vaguement hébété, au point que les mots de Lucius le firent presque sursauter.

– Je ne m'y ferai jamais, avoua l'aristocrate pensivement, appuyé contre le baldaquin du lit. Il devrait être au fond du trou, et il est parti consoler Matthieu... Et dans quelques jours, quand les paroles de Charlie auront bien mûri en lui, on le ramassera à la petite cuillère... ?

Severus leva la tête pour croiser le regard de son mari.

– Peut-être... Sans doute. Ce n'est en tout cas pas le moment rêvé pour lui parler de ces vampires qui doivent séjourner au Manoir.

Lucius pinça les lèvres sous le reproche, même léger, qui lui était fait. Il aurait probablement dû aborder le sujet avec Harry depuis un moment, mais il était trop tard pour revenir en arrière.

– Il le faudra bien, pourtant. Et je t'ai promis de le faire rapidement. Je m'y tiendrai.

Severus baissa le regard sur ses mains posées sur ses genoux. À son annulaire gauche brillait son alliance. Juste en dessous, il devinait le liséré vert sombre de son union avec Harry, gravé sur sa peau claire. Il sentait sa présence dans le lien. Paradoxalement plus sereine que lui.

Severus se leva machinalement pour faire glisser son boxer au sol et se retrouva nez à nez avec son mari. Lucius était tout aussi nu que lui, son corps pressé contre le sien, et il n'y avait malgré tout pas de désir entre eux. Du moins pas pour l'instant. Ils n'avaient pourtant pas fait l'amour depuis plusieurs jours... il fallait croire que la période ne s'y prêtait pas.

Lucius avait passé les bras autour de son cou et lui souriait doucement, cherchant à capter son regard. Severus finit par y céder, comme il céda à son baiser tendre.

– J'ai confiance en Harry autant que j'ai confiance en toi... Tout ira bien.

Severus hocha involontairement la tête. Il avait envie d'y croire, même si cela ne semblait pas si simple...

Le baiser de Lucius se fit plus entreprenant et son corps contre le sien le fit reculer d'un pas. Severus fronça les sourcils en sentant le bord du lit contre ses mollets. Il savait où Lucius voulait en venir, mais après ce soir, après cette dispute, et en l'absence de leur amant, cela paraissait déplacé, presque inconvenant.

– Et Harry ? protesta-t-il mollement alors que son mari le pressait contre le lit.

– Harry est occupé, répondit Lucius en souriant. Et c'est de toi dont j'ai envie.

.

.

Harry frappa doucement à la porte de son ancienne chambre. Les enfants étaient couchés, peut-être déjà somnolents, et Matthieu l'entendrait certainement. Qu'il veuille lui ouvrir était une chose différente...

Il attendit un temps qui lui parut interminable, impatient et vaguement inquiet, puis la porte finit par s'ouvrir sur le professeur de potion en caleçon, chaussettes et la chemise grande ouverte sur son torse.

Matthieu le dévisagea une seconde puis fit demi-tour vers le lit en retirant sa chemise. Dans son dos, le serpent de son tatouage était agité de mouvements nerveux et montrait les crochets de manière menaçante.

– Qu'est-ce que tu veux ? fit-il en s'asseyant pour retirer ses chaussettes.

Harry referma la porte derrière lui en esquissant un sourire. Il avait posé la même question à Mark qui venait le voir dans la salle de billard, et cette espèce de continuité, de transmission entre eux, lui paraissait importante, presque symbolique. Chacun à son tour venait s'enquérir de l'autre, lui permettre d'évacuer une colère, de retrouver un sourire... Et la prochaine fois, ce serait peut-être dans un ordre différent.

– Rien..., répondit-il comme Mark l'avait fait. Te proposer d'aller boire un verre ?

– Je crois que tout le monde a assez bu pour ce soir.

Évidemment, sa proposition était maladroite, malvenue. Mais habituellement, Matthieu était le premier à noyer ses soucis dans l'alcool.

– Je sais, fit Harry avec un sourire. Mais tu sais bien ce que je veux dire...

– Je voudrais juste aller me coucher, soupira Matthieu. Je voudrais que cette journée se termine. Je voudrais passer à autre chose. Et je voudrais oublier ce dîner auquel on n'aurait jamais dû venir.

– Je ne lui en veux pas, tu sais.

Matthieu leva vers lui un regard indéchiffrable, presque vide, qui dura assez longtemps pour que Harry se sente mal à l'aise, puis les yeux bleus se fixèrent sur un point quelconque sur sa droite.

– Moi si.

.

.

Quand Harry quitta le lit de Matthieu où ils s'étaient mis au chaud pour parler, il trouva dans le sien ses deux amants déjà endormis, enlacés comme rarement. Pour ne pas les déranger, il se glissa derrière Severus, là où il y avait le plus de place. Il avait envie d'un câlin, d'une étreinte, de se serrer un peu contre lui, mais il ne voulait pas risquer de le réveiller. Cela lui aurait pourtant été bien utile pour réussir à s'endormir...

Inlassablement, les pensées tournaient dans son esprit, ressassant les paroles des uns et des autres, les sentiments, les souvenirs, l'amertume. Il n'avait pas de véritable ressentiment envers Charlie, il comprenait pourquoi cet esclandre était survenu en plein dîner de famille, il comprenait même pourquoi le dragonnier lui reprochait autant de choses.

Leur histoire commune remontait plus loin que Matthieu ne pouvait même l'envisager : son adoption implicite par la famille Weasley, les Noëls, les vacances, passés chez eux, tout ce dont il leur était redevable... Et ce sentiment, ancré chez tous ceux qui avaient connu cette époque, qu'il était l'Élu, celui qui était destiné à tuer Voldemort.

Seulement, il ne pouvait plus être celui qu'il était alors. Certes, sa magie était particulière, puissante, bien plus qu'elle ne l'était dans sa jeunesse. Il avait bien un peu perdu depuis son union avec Severus, mais il restait capable de beaucoup plus qu'à Poudlard. Mais pour en faire quoi, contre des vampires ? Il était incapable de se battre, incapable de lancer des sortilèges d'attaque ou de tuer qui que ce soit. Il pouvait juste protéger, soigner éventuellement, et surtout préparer des potions. Et c'était bien ce à quoi il s'employait depuis des semaines.

Dans ses paroles pleines de rancœur, Charlie avait tout mélangé : son rôle pendant la guerre et aujourd'hui, la façon dont ils s'étaient quittés autrefois, sa position dans la famille Weasley ou vis à vis de Matthieu. Il attendait tellement de lui... Certains griefs avaient été à peine exprimés, voire implicites, mais ce qui lui avait fait le plus mal n'était pas les reproches les plus éclatants. La déception et le mépris de Charlie, la mention furtive de sa mère avec qui Harry n'avait jamais réussi à retrouver des relations apaisées... il avait su taper là où c'était le plus sensible. À dessein, peut-être... Une petite vengeance pour effacer sa propre souffrance devant un deuil difficile à faire. Tout ça pour aboutir à cette révélation fracassante posée au milieu des convives du repas comme une petite bombe. Tout ça pour des regards pleins de pitié et celui, choqué, du dragonnier. Tout ça pour avouer à demi-mots l'ampleur des difficultés, des traumatismes qui avaient été les siens après sa captivité.

Jamais auparavant Harry n'avait suggéré ou admis de façon aussi claire la détresse qu'il avait pu ressentir. La douleur, l'absence de désir, l'impossibilité de se laisser toucher, de faire confiance, de s'abandonner sans crainte. À Mark et à Matthieu, il avait confié ses douleurs lors des rapports, dans un moment de faiblesse. Mais Blaise, Draco, Daphnée... ne savaient rien de tout cela. Même à ses amants, il n'en avait jamais parlé ainsi.

Et cette confession publique mettait tout autant en avant ce que Lucius et Severus avaient vécu... À travers sa difficulté à reconquérir une sexualité normale, c'était leur vie sexuelle qui était mise sur la table. La patience dont ils avaient dû faire preuve, leur abnégation, mais aussi leur impatience par moment, leur frustration, l'incompréhension, parfois, qui les avait traversés. Ils avaient subi les contrecoups de ses traumatismes sans pouvoir rien y faire. Ils avaient été humiliés par ce qui lui était arrivé. Il avait été violé et maintenant, tout le monde le savait. Et cette pitié coupable qu'il avait vue dans le regard de Charlie lui soulevait le cœur.

Comme il l'avait dit à Matthieu, il ne voulait pas en parler avec son ancien amant. Il voulait bien le revoir mais surtout faire comme si de rien n'était, ne pas évoquer le sujet. Il ne voulait rien de différent, aucun geste, aucun regard, aucun mot, que ce soit d'excuse ou d'apitoiement. Effacer cette soirée et reprendre là où ils en étaient restés. À ceci près que Charlie saurait, comme tous les autres, mais qu'ils n'en parleraient pas. Le silence comme condition pour racheter cette humiliation publique. Et en son for intérieur, il savait qu'il ne devait pas trop tarder à revoir Charlie malgré tout. Le temps rendrait les choses plus difficiles, et il ne voulait pas refaire la même erreur qu'à son retour en Angleterre, quand il avait traîné avant de reprendre contact avec Molly et les frères Weasley.

Mais Harry connaissait Charlie – du moins, il l'espérait – et il savait que passées les hésitations des premières retrouvailles, leur relation reprendrait, lentement mais sûrement. La réaction de Matthieu, en revanche, l'inquiétait davantage. Son ressentiment, sa façon immédiate de prendre de la distance, ses incertitudes. Charlie l'aimait, Matthieu en était certain; le dragonnier s'était résolu à ne plus lutter contre ses sentiments... Mais tout ne coulait pas de source pour autant. Leur relation restait hésitante, un peu chaotique, tributaire des hauts et des bas de Charlie, de ses réflexes parfois fuyants et de ses craintes face à la vie de couple. Harry aurait voulu pour eux quelque chose de plus facile, de plus simple, mais il ne pouvait pas intervenir d'une quelconque manière. Il espérait juste que Matthieu allait rentrer à Poudlard le lendemain et que Charlie serait bien là, et pas disparu au fin fond de la Roumanie, ruminant sa tristesse dans l'ivresse.

.

.

Comme il n'arriverait jamais à trouver le sommeil avec des pensées pareilles en tête, Harry se releva discrètement, enfila un kimono et descendit au laboratoire. Quitte à ne pas dormir, autant que ce temps perdu lui soit profitable.

Il mélangea longuement ses préparations et ses essais en cours, ajouta ici un peu d'aubépine, là quelques graines de cette immense inflorescence qu'il avait été chercher avec Severus, puis laissa mijoter ses chaudrons.

Il avait l'intention d'aller se délasser un peu dans la piscine de la rotonde avant de remonter se coucher quand son regard bifurqua vers la porte des cuisines. Un bruit discret l'avait interpellé... ou bien était-ce l'odeur, surprenante à cette heure de la nuit ? Quand il pénétra dans la vaste pièce, Clay était là, debout devant les fourneaux et remuant le contenu d'une poêle.

– Bonsoir, Clay.

L'elfe le considéra un instant de son regard pénétrant puis inclina courtoisement la tête.

– Monsieur... C'est un peu tard pour le bonsoir et un peu tôt pour le bonjour.

Harry jeta un œil à l'immense horloge au-dessus de la cheminée : il était un peu plus de trois heures du matin. Une heure raisonnable pour ne rien faire d'autre que dormir.

– Qu'est-ce que tu fais encore debout ?

Même les elfes étaient censés se reposer à un moment ou un autre, et d'ailleurs, hormis Clay, les cuisines étaient désertes, loin de leur agitation habituelle.

– Je viens d'être relevé de mon tour de garde devant la cheminée du bureau de Maître Lucius. J'avançais juste un peu la préparation du petit déjeuner...

Dans la poêle revenaient des champignons, au milieu des saucisses et des tranches de bacon. À cette heure de la nuit, Harry ne savait plus si l'odeur lui donnait faim ou l'écœurait... Un peu des deux, sans doute.

– Mais je vais bientôt aller dormir quelques heures, reprit Clay après un silence. Vous devriez prendre une potion de sommeil sans rêves et en faire autant.

– Je ne veux plus prendre de potions de sommeil, fit Harry. Je dormirai quand la fatigue me rattrapera.

Il affichait un sourire tranquille mais le regard de Clay restait acéré au point qu'il se sentait presque mis à nu devant lui.

– Heureusement que Mademoiselle Aria fait ses nuits, maintenant, fit enfin l'elfe en arborant un léger sourire. Au moins, vous pourrez dormir la nuit prochaine...

Harry hocha gaiement la tête. Il devait retrouver sa fille le soir même pour trois jours d'affilée et il en était ravi. Mais dans le regard de la créature et dans sa complaisance à changer de conversation, il sentait bien que Clay ne voulait pas le bousculer.

– Évidemment, tu sais ce qui s'est passé pendant le dîner... ?

– Je sais tout ce qui se passe dans le Manoir... Et bien entendu, ce qui s'est passé au dîner.

– Si tu sais tant de choses, tu dois savoir ce qui préoccupe Severus ces temps-ci.

Sa remarque était un peu abrupte, mais Clay ne sembla pas s'en formaliser. Il se contenta de hocher la tête en glissant les yeux sur la poêle crépitante.

– Mais tu ne me diras rien, n'est-ce pas ?

– Non. Ce n'est pas à moi de le faire. Ce n'est même pas à Monsieur Severus de le faire... Il craint simplement votre réaction.

Harry fronça les sourcils devant ces mystères qui s'étalaient sans honte devant lui. Depuis un petit moment, Severus était mal à l'aise et semblait lui cacher des choses, et personne ne lui disait rien. Il aurait pu user de la magie contre l'elfe et obtenir les réponses qu'il souhaitait, mais ce n'était certainement pas la solution. Outre le respect qu'il éprouvait pour Clay, il n'aimait pas ce genre de méthodes coercitives et il n'irait pas faire pression sur la créature de Lucius.

– Tu sous-entends que Luce a quelque chose à m'annoncer et que ça risque de ne pas me plaire ?

– Oui.

Un frisson glacé parcourut Harry, qui n'était pas seulement dû à son kimono léger et à sa fatigue. De vieilles angoisses ressurgirent brusquement, d'autant plus facilement après l'esclandre du dîner, et il se vit déjà abandonné par ses amants et contraint à quitter le Manoir.

– Est-ce que je dois préparer mes valises ? soupira-t-il.

– Bien sûr que non ! ricana Clay. Ils seraient incapables l'un comme l'autre de se passer de vous ! Vous leur êtes bien trop précieux.

L'elfe avait dit cela de façon très moqueuse, mais le fond était terriblement sincère, et ces mots, venant de lui, rassurèrent Harry bien mieux que n'importe quelle parole de ses amants. Clay était celui qui savait tout ici, même ce qu'ils ne se disaient pas.

– Maître Lucius a simplement des obligations dues à sa fonction, et cela risque de vous... affecter.

– On fait déjà avec ses absences programmées, fit Harry d'une voix résignée, avec ses départs au pied levé pour le Ministère, avec les messages urgents qui arrivent au milieu de la nuit, avec les dossiers qu'il doit lire tous les soirs, avec les conversations politiques à table quand Håkon, Francis ou Mandy viennent dîner... Qu'est-ce qui pourrait être pire ?!

.

ooOOoo

.

Il avait longuement hésité mais au petit déjeuner, après quelques brèves heures de sommeil, Harry proposa à Matthieu de le raccompagner à Poudlard.

Il savait très bien que le jeune professeur appréciait souvent qu'il puisse le faire transplaner ainsi, dans le château, sans avoir à traverser ni les jardins du Manoir pour rejoindre la grille, ni le parc de Poudlard. Sa présence avait l'avantage de pouvoir le déposer directement dans ses appartements, même si là, elle risquait de les mettre en présence de Charlie dans le même temps.

Et c'était bien l'intention de Harry : « obliger » Matthieu à rentrer sans trop tarder, sans que les heures loin l'un de l'autre ne mettent trop de distance entre le professeur de potion et son compagnon... Et s'obliger à revoir Charlie rapidement, pour les mêmes raisons si ce n'est qu'ils n'avaient pas la même relation. Il voulait savoir quelle était la réaction de Charlie après coup, après quelques heures de recul... Savoir s'il regrettait au moins un peu ses paroles. Ou s'il avait été au contraire terriblement sincère.

À cette idée, Harry sentit son cœur se tordre de douleur, mais il avait besoin de savoir. À condition que Charlie soit bien à Poudlard.

.

.

Matthieu avait salué tout le monde, vaguement embarrassé de la position qui était la sienne. Tous devinaient que son rapprochement avec Charlie n'allait pas se passer sans accrochages et ils avaient tous un peu pitié de lui. Et tous également devinaient pourquoi Harry avait proposé de le raccompagner, jusqu'à Severus, soucieux pour eux deux, qui glissa quelques mots en aparté à son fils adoptif.

Aussi rapidement qu'ils le purent, ils abrégèrent ce moment gênant et Harry les fit transplaner.

.

.

Il avait hésité, il voulait les emmener directement dans les appartements de Matthieu, et puis au dernier moment, dans un sursaut inconscient, ils se retrouvèrent devant la porte close.

Matthieu esquissa un sourire devant cette hésitation qu'il partageait puis posa sa main sur le bois de la porte. Plus efficace qu'un mot de passe que n'importe qui pouvait entendre, il avait opté pour un sortilège de reconnaissance. Évidemment, le sort était programmé pour que Charlie puisse l'activer aussi, de même que Luna et Padma en cas de besoin... Harry, lui, n'avait pas besoin de cela.

Les appartements étaient ceux de Matthieu, mais au fil des mois, ils étaient devenus les appartements communs des deux hommes. Charlie possédait toujours les siens mais il les délaissait peu à peu au profit d'une vraie vie de couple... si ce n'était cette anicroche de Matthieu refusant de rentrer à Poudlard en même temps que son compagnon.

.

.

La porte s'ouvrit sur les canapés blancs, le carrelage noir, le mur sombre du fond, parsemé de photos en noir et blanc... Sans doute était-ce de Severus que Matthieu tenait cette même passion de la photographie... Une lumière éclatante entrait par les deux fenêtres de part et d'autre de la cheminée, jetant dans la pièce des rayons de soleil dans lesquels voletaient les grains de poussière. Et tout au fond de la pièce, dans la petite cuisine que Matthieu avait fait aménager récemment, le regard hanté de Charlie restait fixé sur eux.

Assis sur un tabouret haut et accoudé au bar, des cernes creusés autour de ses yeux bleus presque délavés, le dragonnier semblait ne pas avoir dormi de la nuit. Une légère barbe était apparue sur ses joues et son menton, par endroits plus blanche que rousse, et Harry le trouva brutalement vieilli. Fatigué. Et troublé.

Leur arrivée l'avait clairement surpris et la tasse de café qu'il tenait s'était arrêtée à mi-course entre le comptoir et ses lèvres. Il paraissait inconscient de son geste inachevé, figé dans une incertitude inquiète, peut-être moins préparé qu'eux à cette confrontation inattendue.

– Est-ce que... est-ce que quelqu'un veut un café ? murmura-t-il.

Harry secoua doucement la tête avec un sourire apaisant.

– Je ne vais pas rester...

Il ne voulait pas s'attabler autour d'un café, tous ensemble, pour ressasser les mots de leur altercation de la veille, ou même des excuses, au risque de devoir parler de souvenirs qu'il préférait fuir... Mais il savait déjà une chose : Charlie était prêt à prendre du temps, il était sans doute prêt à parler... il n'était plus dans la colère ni la vindicte. Cela lui suffisait. Les vraies paroles viendraient plus tard.

Harry tourna la tête vers Matthieu dans l'intention de prendre congé, mais le jeune homme en avait décidé autrement.

– Je vais prendre une douche, annonça-t-il en se dirigeant vers sa chambre.

Était-ce qu'il souhaitait repousser sa propre confrontation avec son compagnon... ou bien voulait-il que Harry et Charlie aillent plus loin que ces trois mots maladroits ? En tout état de cause, Harry était absolument certain que Matthieu avait déjà pris une douche au Manoir, avant même de descendre au petit-déjeuner. Il tourna alors son regard vers Charlie, presque désolé de lui imposer sa présence...

Ni l'un ni l'autre n'eurent le temps de s'attarder sur leur gêne puisque des coups forts retentirent sur la porte des appartements.

Charlie se leva aussitôt en fronçant les sourcils et se dépêcha d'aller ouvrir.

– Professeur ! haleta un élève à bout de souffle. Professeur, il y a un problème au terrain de quidditch ! Perkins... il est tombé. Il ne se réveille pas.

Courbé en deux, les mains sur ses genoux, l'élève aux couleurs de Gryffondor grimaçait et toussait en respirant à toute vitesse, une goutte de sueur roulant sur sa tempe.

– Pourquoi tu n'as pas été chercher l'infirmière d'abord ? fit Charlie en enfilant rapidement ses chaussures.

– Pomfresh a eu un décès dans sa famille. Elle est absente jusqu'à lundi, répondit le jeune homme en se redressant. Le directeur en a parlé au petit-déjeuner. Et le professeur Patil n'est pas là non plus.

Harry s'était approché en entendant la conversation, inquiet à son tour de l'affolement de l'élève. Il posa sa main sur le bras de Charlie pour attirer son attention et ils échangèrent un bref regard. Il pouvait au moins les y emmener... Sans lâcher le dragonnier, il prit la main de l'élève dans la sienne, pénétra à peine son esprit pour voir l'endroit et les fit transplaner immédiatement.

.

.

Ils apparurent à quelques pas d'un petit groupe d'élèves qui hésitèrent entre cris de soulagement et d'effroi. Charlie se précipita au milieu d'eux, près d'un corps chétif allongé sur le sol, et s'agenouilla à ses côtés. Les murmures, les explications des uns et des autres, les voix paniquées qui s'entrecroisaient, se couvraient mutuellement, les pleurs d'une jeune fille un peu plus loin... la cacophonie ambiante n'aidait pas à comprendre la situation, mais le fait est qu'un des joueurs était inconscient au sol et ne se réveillait pas.

Charlie avait sorti sa baguette et lancé un sort de diagnostic basique mais il n'était pas médicomage et les premiers résultats qui s'affichaient sur le parchemin entre ses mains ne lui plaisaient pas du tout.

Debout légèrement en retrait, Harry déploya sa magie et effleura les esprits si perméables des enfants autour de lui. Le souvenir de l'incident qui venait d'avoir lieu était juste en surface, tout frais, encore traumatisant : le cognard frappé par une batte maladroite, le choc à l'arrière du crâne, la chute. Pas énorme, à peine trois mètres, mais aucun des élèves présents n'avait eu le temps d'un quelconque sortilège, et le choc, à nouveau, sur le crâne, puis l'inconscience.

– Professeur...

– On n'a pas voulu le bouger. Chez moi, on m'a appris qu'il ne fallait pas bouger un blessé avant l'arrivée des secours...

– J'ai pas fait exprès ! sanglotait un jeune garçon terrorisé.

.

.

Harry posa sa main sur l'épaule de Charlie qui leva vers lui un regard inquiet. Le même regard qu'il avait autrefois lorsqu'un dragonnier venait d'être blessé, ou lorsque l'éclosion des œufs de dragon avait lieu de façon prématurée... Il ne connaissait pas Charlie dans ses fonctions de directeur de Maison, mais il l'avait connu en chef d'équipe, soucieux de ses hommes, de leur santé, de leur bien-être, au moins autant que de la qualité de leur travail... Et Charlie n'avait pas changé.

Leur dispute de la veille semblait si loin. Si inutile. Si dérisoire. L'essentiel était ailleurs. À commencer par ce corps étendu devant eux, respirant faiblement, inconscient, mais encore vivant.

– Laisse-moi regarder, murmura Harry en s'agenouillant sur le sol.

Sa magie palpitant au bout des doigts, il posa sa main sur le torse de l'enfant inerte et ferma les yeux. Lentement, la magie s'infiltra, parcourant les organes, remontant le long des nerfs, le long des vaisseaux sanguins, attentive à chaque détail, à chaque anomalie, et s'étendant jusqu'aux deux extrémités du corps. Et le constat fut clair et rapide : le choc avait causé un petit hématome cérébral, qui aurait pu rester presque anodin si l'enfant n'avait pas souffert d'un problème de coagulation sanguine.

– Ça va aller, murmura Harry avec un sourire qui se voulait rassurant.

Sans même ouvrir les yeux, il se déplaça pour venir s'asseoir en tailleur au-dessus du corps de l'élève et souleva légèrement sa tête pour la poser sur ses jambes croisées. Une main sur la nuque de l'enfant, une main sur son front... En souriant, Harry se rendit compte qu'il adoptait la même posture que lorsqu'il soignait Severus pour une de ses migraines, et il réalisa que cela ne s'était pas produit depuis longtemps...

Mais le corps de l'enfant était loin d'être celui de Severus; il lui faisait plutôt penser à lui-même adolescent : un peu trop mince, petit pour son âge, régulièrement amoché, blessé, ou souffrant... Il avait si souvent été prisonnier des murs blancs et insipides de l'infirmerie ! Mais celui-là n'aurait pas besoin d'y aller aujourd'hui.

.

.

Tandis que sa magie résorbait peu à peu l'hématome dans le cerveau du jeune Gryffondor, Charlie s'était relevé et reprenait la situation en main. En quelques paroles fermes et brèves, il se fit expliquer l'incident, rassura les élèves de sa Maison et prononça les mots de réconfort qui s'imposaient. Charlie était souvent bourru et taiseux pour ce qui le concernait, mais il avait toujours su mener les autres. D'instinct, il savait comment les prendre, comment désamorcer les situations de conflit ou les tensions, comment les apaiser... Et rapidement, les pleurs cessèrent, remplacés par quelques reniflements espacés, les élèves se rassemblèrent un peu plus loin et se réconfortèrent les uns les autres.

Quand ils furent plus calmes, Charlie revint vers Harry, toujours assis au sol et les yeux fermés. Mais avec la magie, il n'avait pas besoin de les ouvrir pour voir ce qui se passait autour de lui et il avait tout à fait conscience du regard interrogateur et encore inquiet du dragonnier.

– Il va aller bien, fit-il avec un sourire. Il faudra demander à Pomfresh ou à Matthieu de lui préparer des potions particulières qu'il devra prendre régulièrement, mais avec ça, il vivra comme tous les autres élèves de son âge. Je crois que même lui ignorait son problème de coagulation sanguine...

Charlie s'accroupit auprès d'eux et hocha la tête en prenant la main de l'élève dans la sienne. Elle était fraîche, encore inanimée, mais rapidement, elle se resserra sur les doigts du dragonnier et le jeune Gryffondor ouvrit lentement les yeux.

– Pro... Professeur Weasley ? Qu'est-ce que vous faites là ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

– Tout va bien, Oliver. Tu as pris un cognard et tu es tombé de ton balai... Tu as mal quelque part ?

– Non, je...

En se rendant compte de la situation : allongé sur le sol, la main dans celle de son professeur et sa tête posée sur les cuisses d'un parfait inconnu, le jeune Gryffondor se redressa brusquement en rougissant. Il chancela quelques instants malgré sa position assise, vite rattrapé par les mains de Harry et de Charlie.

– Hey ! Doucement, fit le dragonnier en souriant. Ne t'inquiète pas... Harry t'a soigné, c'est tout...

.

.

Une fois tout le monde rassuré, aussi bien le jeune blessé que ses camarades, Harry s'aida de la magie de Charlie et les fit tous transplaner dans la salle commune de Gryffondor. L'endroit n'avait pas beaucoup changé : les mêmes tentures rouge et or, les mêmes coupes de quidditch au-dessus de la monumentale cheminée, certaines plus brillantes et sans doute plus récentes que dans ses souvenirs, les mêmes canapés où il s'était vautré avec Hermione, avec Ron, avec Draco plus tard... C'était étrange de revenir là, doux et douloureux à la fois, et en même temps si loin de sa vie actuelle.

La surprise et l'agitation que causa leur irruption soudaine coupèrent court à ses pensées. Parfait dans son rôle de directeur de Maison, Charlie expliquait, rassurait, donnait des consignes... guidait ce petit monde adolescent si émotif et spontané. L'attroupement autour d'eux se désagrégea peu à peu tandis que Harry donnait à son tour ses directives au jeune blessé et à ceux qui semblaient ses plus proches amis.

– Du repos tout le week-end. Tu n'es pas obligé de rester allongé mais pas d'efforts et pas de sport. Au moindre signe inquiétant : mal de tête, vomissement, difficulté à marcher ou à parler, tu retournes voir Charlie... le professeur Weasley, corrigea-t-il. Et dès lundi, tu passes voir Pomfresh à l'infirmerie. Elle me tuerait si elle ne pouvait pas vérifier par elle-même que tout va bien pour toi !

– Je compte sur vous pour le surveiller attentivement, ajouta Charlie, très sérieux, en dévisageant les autres élèves autour d'eux. Le premier qui ne respecte pas les consignes ira nettoyer des enclos de dragon en Roumanie. Et c'est valable pour toi aussi, fit-il en pointant du doigt le jeune Oliver. N'en profite pas pour abuser de la situation !

.

.

– Je sais que tu as dû me trouver dur avec lui, fit Charlie d'une voix bourrue dès qu'ils passèrent le portrait de la grosse dame. Mais Oliver est loin d'être un ange. Il est plus insubordonné et désobéissant que toi au même âge... Si je ne lui mets pas la pression, dans deux heures, il est de nouveau sur le terrain à fanfaronner.

Tout en souriant, Harry leva doucement les mains devant lui pour se défendre des propos de Charlie.

– Je ne te reproche rien. Je ne les connais pas... Tu sais mieux que moi ce que tu as à faire.

Charlie lui décocha un regard troublé puis ils poursuivirent leur chemin à travers Poudlard, descendant des escaliers et remontant des couloirs jusqu'au cinquième étage. Harry ne savait même pas pourquoi il accompagnait Charlie ainsi, ni même jusqu'où. Leurs pas semblaient les porter vers les appartements de Matthieu, mais en réalité, il n'avait plus rien à faire ici. Il était déjà sur le point de partir avant cette interruption due aux élèves... il pouvait tout aussi bien laisser Charlie au milieu d'un couloir et rentrer chez lui. Mais comme à toute chose, il fallait une conclusion et l'un comme l'autre sentait qu'il y avait encore des choses à dire.

Charlie attendit presque la dernière minute, le dernier angle de couloir à tourner avant de se trouver devant la porte des appartements qu'il partageait avec son compagnon. Et la perspective de cette autre confrontation à affronter.

Il s'arrêta brusquement au beau milieu du couloir désert et se tourna vers lui, un air diablement sérieux sur le visage.

– Harry... Je ne pensais pas ce que j'ai dit hier soir. Mes paroles ont été plus loin que ce que je voulais. J'ai toujours eu confiance en toi.

Harry esquissa un sourire un peu triste. Il aurait préféré ne pas revenir là-dessus, comme il l'avait dit à Matthieu, mais il sentait bien que c'était nécessaire. Charlie en avait besoin, leur relation en avait besoin... peut-être même que lui aussi en avait besoin. Mais ce n'était pas une raison pour tout effacer comme si rien ne s'était passé.

– Ce n'est sans doute pas tout à fait vrai... Mais je peux entendre que tout ça ait été trop loin.

– Je suis désolé.

Charlie avait ce même regard que lorsqu'ils l'avaient surpris dans la cuisine avec Matthieu tout à l'heure, des yeux un peu hagards, hantés par la culpabilité et les regrets, un regard las et abattu.

– Et moi je suis désolé de ne pas pouvoir faire plus...

C'était bien là le cœur du problème : Harry faisait ce qu'il pouvait mais certainement pas autant que ce que les autres attendaient de lui.

– Je ne savais pas, murmura Charlie d'une voix qui flanchait douloureusement.

Harry ne put retenir sa grimace désappointée. Il ne voulait pas parler de cela, encore moins avec Charlie, encore moins au beau milieu d'un couloir...

– Je ne voulais pas que tu saches, avoua-t-il malgré tout. J'aurais voulu que personne ne sache. Mais j'étais sans doute trop faible pour ne pas avoir besoin de Lucius et de Severus pour surmonter ça... Et même de Mark, de Draco ou de Matthieu... Mais maintenant c'est terminé. Je vais bien et je ne veux plus en entendre parler.

Les yeux de Charlie quittèrent son regard pour s'enfuir dans le lointain, derrière lui, puis il baissa la tête, embarrassé et penaud. Harry s'était efforcé de maintenir son aplomb, quoi qu'il lui en coûte, et il lui en coûtait beaucoup. Charlie savait... À présent, cette « chose » était posée entre eux, comme un stigmate monstrueux qu'ils s'obligeraient à ignorer l'un et l'autre. Mais son intuition lui disait que cela prendrait bien plus de temps pour mettre cet événement de côté, pour que ce ne soit plus central dans leur relation, qu'avec Mark ou Matthieu...

– Je comprends...

– Ça ne change rien, Charlie. Ça ne fait pas de moi quelqu'un de différent... Enfin si, ça m'a changé... Autant que le décès de ton ami t'a sûrement changé... mais on ne reviendra pas dessus.

À la mention de la mort de Tobias, le visage de Charlie blêmit dangereusement et une grimace douloureuse déforma sa bouche. Aussitôt, Harry regretta ses paroles; le sujet semblait plus déchirant pour le dragonnier qu'il ne l'avait pensé.

Il lui fallut de longues secondes pour se reprendre, puis Charlie murmura :

– J'aurais aimé que tu connaisses Tobias et son compagnon... Ils étaient de belles personnes. Tous les vampires ne sont pas comme ceux que tu as rencontrés. Certains sont...

– Je sais, coupa Harry en soupirant. Je sais qu'ils ne sont pas tous malveillants et dangereux. Même Lucius est en train de nouer des alliances avec certains d'entre eux... De toute façon, ceux qui m'ont fait ça n'étaient pas des vampires, mais des sorciers. À partir du moment où ils ne prennent pas de vies, ni de sang chez les humains, je n'ai rien contre les vampires.

.

.

Ses mots marquaient d'une certaine façon la fin de cette conversation pour renouer le contact. Une conclusion un peu amère, faite d'aveux et de renoncements, avec un peu d'espoir aussi, puisque lui le premier reconnaissait qu'ils n'étaient sans doute pas tous condamnables... Charlie esquissa un sourire contrit puis ils s'étreignirent, rapidement, presque maladroitement.

– Je ne veux pas que cela vienne se mettre entre nous, Harry..., murmura le dragonnier. Je ne veux pas... te perdre. Je sais bien que tu es plus proche de Matthieu, mais... j'aimerais qu'on se voit plus souvent.

Harry se recula légèrement pour considérer Charlie droit dans les yeux. Son regard était franc, sincère, non sans tristesse et regrets, mais aussi plein d'amitié. Harry acquiesça d'un signe de tête, sourit en guise d'adieu et transplana hors de Poudlard.

.


.

Merci à tous de votre fidélité, de votre lecture, de vos petits mots pour certains, et surtout d'apprécier mes petits personnages... :)

La semaine prochaine, Harry s'agace de ce secret qu'il perçoit autour de lui, ce qui rejaillit sur sa relation avec Severus et leur lien va faire des siennes

Au plaisir

La vieille aux chats