Auteur : kitsu34

Origine : Saint Seiya (série d'origine)

Couples : un certain nombre, mais essentiellement ceux des jumeaux : Aiolos x Saga donc et Rhadamanthe x Kanon.

On aura aussi du Milo x Camus, du Shion x Dohko, du Marine x Aiolia, du Shura x Aphrodite et du Deathmask x Mû

Disclaimers : Rien à moi dans l'univers de Saint Seiya, par contre, vu l'inscription du Sanctuaire dans notre monde, des personnages originaux et m'appartenant apparaîtront de ci de là. Le nom des îles du Sanctuaire, Iéranissia, est à moi. Il signifie « les îles sacrées ».

Merci à tous ceux qui me suivent dans l'univers de Iéranissia ! Bonne lecture à tous !

Chapitre 8 – Reconstruction

oOoOo

Le soleil blanc et puissant, sans concession, frappait déjà les arêtes rocheuses du Sanctuaire, même si le matin était encore jeune, quand Aiolos entreprit la descente de l'escalier innombrable qui menait du Palais au bas des douze temples. En tant que Seigneur d'Or, depuis l'absence du Grand Pope, il occupait des appartements au treizième temple. Il était le second souverain de Iéranissia et habitait le Palais quand Saga était en déplacement, reprenant sa fonction de Chevalier d'Or du Sagittaire lorsque le monarque revenait au sein de l'île.

Arrivé au bas des marches majestueuses qui aboutissaient au treizième temple, il fronça soucieusement les sourcils. Une fragrance exquise montait de l'édifice qui se dessinait en contrebas, sur son chemin. De multiples rosiers s'agrippaient aux rochers, s'enroulaient autour des colonnes du temple et serpentaient sur les dalles de marbre, chargés de fleurs multicolores et odorantes. La nature débordait ici et reprenait ses droits ancestraux, bafoués par l'homme.

Et si c'était magnifique, c'était aussi et surtout très inquiétant…

Aiolos poussa un soupir préoccupé. Il s'arrêta sur l'esplanade du douzième temple, hésitant à pénétrer dans les profondeurs de la demeure d'Aphrodite. La végétation luxuriante frémissait comme parcourue d'un souffle profond et puissant émanant du coeur de l'édifice. Le Seigneur d'Or se mordit la lèvre inférieure en sentant le cosmos d'or s'étendre et l'enserrer puis revenir nourrir et communier avec les fleurs.

Aphrodite n'avait quasiment plus aucune interaction avec ses semblables, en dehors de celles qu'exigeaient sa charge… Il prenait son travail de reconstruction et de réorganisation au sérieux et travaillait dur, mais semblait cesser d'exister individuellement et humainement dès que celui-ci prenait fin. Un peu comme s'il n'existait que par et pour les fleurs, toujours plus belles et toujours plus innombrables, qui poussaient dans son temple… Presque comme si son énergie et sa vie étaient consumées par elles…

Le Chevalier d'Or du Sagittaire secoua la tête avec désapprobation et inquiétude et son regard vert de jade s'obscurcit.

Il allait falloir crever l'abcès. Cela ne pouvait plus durer. Et sur ce coup, il lui faudrait de l'aide. Et par-dessus le marché, son aide à lui… Qui l'aurait crû, qu'un jour Aiolos du Sagittaire demanderait de l'aide à Deathmask du Cancer…

Un sourire ironique effleura les lèvres du Seigneur d'Or. Leur entente à tous deux était, disons, singulière, fruit d'une longue accumulation de mauvaises expériences et d'incompréhensions. Depuis le début de leur co-existence, il avait du mal à manier ce chevalier ombrageux et rugueux, qu'il reconnaissait ne pas bien comprendre ni connaître. Pourtant, au vu de leur expérience commune et de ce qu'il avait pu voir de Deathmask, notamment à propos d'Aphrodite, il était sûr de pouvoir compter sur le Cancer pour l'aider à ramener le Chevalier des Poissons vers la vie et la lumière.

Avec un soupir de résignation, il dévala rapidement le reste de l'escalier, passant vite les temples un par un et demandant le passage à ceux qui se trouvaient sur son chemin – Dohko et Aiolia, tous deux absents d'ailleurs – jusqu'à arriver au quatrième temple.

Mais lorsqu'il posa le pied sur le parvis de la quatrième maison, il s'aperçut que Deathmask également manquait à l'appel. Contrarié – à part Aphrodite, cet escalier était complètement désert en fait ! - il sonda les alentours et perçut les cosmos d'or immédiatement. Il se rasséréna aussitôt. Aiolia patrouillait avec ses hommes et s'occupait des tours de gardes, tandis que Dohko et Deathmask se trouvaient tous deux dans la palestre avec un groupe d'apprentis. Ils étaient tous à leur tâche, consciencieusement.

Satisfait, et un peu curieux également, Aiolos prit le chemin de la palestre. Il devait parler à Deathmask. Et pour être tout à fait honnête, il avait aussi envie de voir comment le Cancer s'en tirait au beau milieu d'enfants et d'adolescents à enseigner…

En parvenant jusqu'au terrain d'entraînement, Aiolos frémit : s'il n'avait pas su où trouver Deathmask, l'irradiation colérique de son cosmos l'aurait guidé jusqu'à lui. En entrant dans la palestre, des cris de fureur se joignirent aux ondes cosmiques menaçantes et Aiolos se trouva soudain face à un groupe d'enfants et d'adolescents visiblement terrifiés et à un Chevalier d'Or du Cancer en rage, arpentant l'arène de sable de long en large.

Avisant les jeunes visages en larmes ou blêmis par la peur, Aiolos se prépara à intervenir et se dirigea vers le petit groupe mais soudain une main solide s'abattit sur son avant-bras gauche, sortie brusquement de derrière l'une des colonnes du péristyle. Le Seigneur d'Or fit volte-face. Dohko le tira légèrement en arrière avec un sourire.

« Laisse-le trouver ses marques. Il doit apprendre.

- Et les gamins ?

- Eux aussi doivent apprendre. Ne t'inquiète pas, aie confiance en lui. »

Avec un soupir résigné, Aiolos s'adossa lui aussi contre la colonne, aux côtés de Dohko, observant attentivement la scène devant lui.

Deathmask faisait les cent pas devant le groupe effrayé en lançant de temps à autres des phrases lapidaires et agressives. Par moment il attrapait l'un ou l'autre des gamins et lui posait des questions incisives en le secouant comme un prunier. Invariablement, le gosse se mettait à crier et à pleurer, ce qui énervait encore davantage le Cancer dont l'aura gonflait encore de menace et de fureur face à toutes ces manifestations contrariantes, révélatrices de son échec retentissant.

Aiolos secoua la tête avec déception. A ce rythme, les enfants allaient se liquéfier sur place ou bien succomber de peur. A moins que Deathmask ne les dévore réellement, vu sa rage… Il allait à nouveau intervenir, quand la main de Dohko le retint encore.

« Ne sois pas si pressé d'intervenir. C'est bientôt le moment.

- Le moment ? De quoi parles-tu au juste ? Le moment où ces pauvres gosses vont atteindre le bout de leur vie ? Ils ne s'en remettront jamais si cela continue.

- Au contraire. Le moment de la révélation approche.

- La révélation ? Quelle révélation ?

- Mais celle que tu as appelée de tes vœux et que tu as initiée, Seigneur d'Or. Celle de Deathmask. Laisse-le te prouver que tu as eu raison.

- Très bien, tu as gagné. J'espère juste que je ne vais pas avoir à faire face à une détresse psychologique infantile massive…

- La victoire exige souvent des sacrifices… »

Couvrant les dernières paroles de Dohko, un formidable rugissement s'éleva de la palestre, immobilisant tous les autres bruits d'entraînement qui venaient jusqu'à eux.

« Rhaaaa ! Putain de bordel de merde ! Mais qu'est-ce qui m'a foutu des chiards pareils ! Rien dans le ventre ni dans la tête ! Cons, débiles et pleurnichards ! Qu'est-ce que vous voulez que je foute de vous ?! Je ne veux plus vous voir ! »

Et joignant un geste menaçant à la parole, Deathmask envoya une onde cosmique vers le groupe terrifié d'apprentis qui se ratatinèrent sur eux-mêmes en pleurant convulsivement. Puis le Cancer se retourna et avisa Aiolos aux côtés de Dohko. Sa bouche se tordit de déplaisir et de dépit d'être surpris en plein échec et ses yeux sombres lancèrent des éclairs. Visiblement, il ne supportait pas d'être vu par lui dans cette situation, songea Aiolos. Cela avait l'air insupportable pour Deathmask, de lui faire face ainsi. Le Cancer darda vers le Seigneur d'Or un regard de défi puis il inspira et, d'un air résolu, se tourna à nouveau vers ses élèves pour faire une nouvelle tentative d'explication, mais il se figea devant les jeunes visages décomposés par la peur, tordus par les sanglots. Deathmask sembla brusquement prendre conscience de l'état nerveux de ses élèves et son teint hâlé pâlit soudain. Il se passa la main dans les cheveux, inspira longuement et bruyamment et expira à plusieurs reprises puis d'un ton beaucoup plus posé, il reprit son cours.

« Bon, okay. J'y suis peut-être allé un peu fort, et je pense que nous ne sommes pas partis d'un bon pied, vous et moi. Alors on va reprendre. Asseyez-vous. »

Les enfants se serrèrent de plus belle les uns contre les autres, et Deathmask inspira à nouveau bruyamment avant de répéter d'une voix qu'il s'efforçait visiblement d'adoucir.

« Allez, les mioches, asseyez-vous. Si je dois vous expliquer le cosmos en détail, on en a pour un bout de temps, alors installons-nous mieux. Allez, faites comme moi. »

Et montrant l'exemple, il s'assit dans le sable, à l'ombre d'une colonne, en indiquant de la main de l'imiter. Les apprentis se regardèrent craintivement et l'un d'entre eux s'assit, entraînant ses camarades à faire de même. Deathmask soupira de soulagement.

« Bon, alors, vous êtes tous apprentis depuis quelque temps déjà, ce qui veut dire que vous savez forcément ce qu'est le cosmos grosso-modo. Lequel parmi vous peut m'en donner une définition approximative ? »

Les jeunes se regardèrent et baissèrent la tête sans piper mot. Deathmask se passa la main dans la nuque avec lassitude.

« Allez, je suis sûr que vous le savez ! Mais on va dire que je vous impressionne. Essayons plus simple : est-ce que tout le monde sur terre a un cosmos ? »

Cette fois un frémissement parcourut le groupe et un léger frisson courut sur les lèvres qui semblèrent prononcer des mots inaudibles.

« Oui, toi, là, devant. Comment tu t'appelles ? Je t'ai entendu répondre. Allez, un peu de cran, vas-y ! Je ne vais pas te manger !

- By...ron…

- Quoi ? Qu'est-ce que tu as dit ?

- Je… m'appelle… Byron…

- Ah. Bien. Cool. Et donc ? Ta réponse ?

- Oui…

- Oui, quoi ? Allez, aide-moi un peu, parce que là on ne va jamais y arriver.

- Tout… le monde a… un cosmos. C'est la différence… entre les êtres humains et… les autres… entités comme les monstres… ou les fantômes…

- Ah bah voilà ! On a réussi ! Vous voyez que vous le savez ! C'est bien, Byron ! »

Le garçon eut un timide sourire, assez vite effacé par une bourrade qui le projeta sur son camarade de droite.

« Oh pardon mon gars. Désolé. Est-ce que quelqu'un d'autre peut me dire ce qui différencie un chevalier d'un être humain de base au niveau cosmique ? »

Cette fois le frémissement qui parcourut le groupe fut plus fort et un léger chuchotement se répandit.

« Oui, toi derrière à gauche de Byron. Ton nom ?

- … Be… Bernd…

- Très bien. Vas-y, répond.

- Un chevalier est... un humain dont... le potentiel cosmique est... affleurant et accessible. Cela lui permet.. de pouvoir réaliser ce... potentiel cosmique et donc d'apprendre à maîtriser... cette énergie affleurante chez lui. Les autres humains possèdent aussi... un cosmos mais celui-ci est souvent enfoui et bridé par les aléas et les expériences de la vie.

- Ouah ! Très bonne réponse ! Je féliciterai ton maître ! Bon jusque là tout le monde suit ? »

Un murmure d'approbation parcourut le groupe et Aiolos laissa échapper un sifflement qui déclencha un léger rire chez son voisin de colonne.

« Alors, attaquons les choses sérieuses : est-ce que l'un d'entre vous connaît la différence entre un chevalier intuitif et un chevalier non-intuitif ? Non ? Bien, je vais vous expliquer. Pour comprendre la différence entre les deux, il faut bien comprendre le fonctionnement du cosmos et la façon dont on peut l'intensifier. Par conséquent, reprenons la définition, précise cette fois, du cosmos... »

Heureusement surpris, et soulagé, Aiolos contempla le groupe d'apprentis chez qui l'intérêt et la curiosité avaient remplacé la crainte et qui écoutaient attentivement les explications de Deathmask. Pour mieux illustrer son propos, celui-ci avait attrapé un bâton et traçait des schémas dans le sable. Le Seigneur d'Or tourna la tête vers Dohko qui souriait doucement.

« Tu vois ? Tu as eu raison. Il en était capable. Il fallait juste lui laisser le temps de se rappeler et de comprendre.

- Se rappeler ?

- De ce qu'est un enfant et de comment l'apprentissage fonctionne.

- Oui, j'imagine qu'on a tous plus ou moins oublié…

- Indéniablement, certains ont oublié plus que d'autres. »

Un rire complice éclaira leur deux visages, mais celui d'Aiolos redevint grave rapidement. Il venait de se souvenir de la raison qui l'avait amené à chercher Deathmask. D'un éclat de cosmos, il se manifesta et réclama son attention. Le Chevalier du Cancer se fit un peu tirer l'oreille, occupé par son cours, mais il finit par s'excuser auprès des enfants et par les libérer pour se diriger vers ses deux homologues. Aiolos se porta au-devant de lui, avec un sourire légèrement moqueur.

« Angelo, j'ai à te parler.

- Décidément, tu refuses de comprendre !

- Comme tu voudras, Deathmask. »

Ils eurent ensemble un sourire complice. Puis le sourire d'Aiolos s'effaça.

« Je voudrais te parler d'Aphrodite... »

Angelo redevint grave.

« Je te suis. »

oOoOo

Un silence tendu et épais, à couper au couteau, régnait dans la salle de réception et de réunion que l'hôtel Claridge's avait mis à disposition. Kanon poussa un long soupir, se passa la main sur la nuque et se redressa langoureusement, faisant jouer les muscles tendus de son dos en se renfonçant dans son siège. Puis il adressa un regard évaluatif et combatif à la partie adverse.

En face de Mû et lui, de l'autre côté de la table, Eaque et Rhadamanthe s'étaient eux aussi renfoncés dans leur siège, bras croisés, visage fermé, images vivantes du refus catégorique. La partie était diablement serrée…

Les choses s'annoncent mal… Je ne vois pas comment passer outre leur « non » absolu…

- Si… Je pense que je sais comment faire, mais il va falloir la jouer fine et naviguer serré. Laisse moi parler…

- Avec grand plaisir !

- … et appuie-moi dès que tu le peux.

- Entendu. Je couvre tes arrières. Compte sur moi là dessus.

- Je n'ai aucun doute.

Mû et Kanon échangèrent un sourire complice. Ils n'avaient pas reparlé depuis l'intrusion du Bélier dans son esprit ce matin, mais s'il en avait été initialement mécontent, à présent Kanon éprouvait même de la gratitude envers son compagnon d'armes. Mû l'avait reconnu, lui aussi. Comme Milo, autrefois. Un profond frisson secoua son être intérieur. Quelle puissance avait ce fait sur lui, songea le Chevalier des Gémeaux avec un petit sourire ironique à son propre égard…

Il releva fièrement la tête, rencontrant soudain le regard d'or en fusion incisif sur lui. Il le soutint avec une pointe d'arrogance et de morgue. Il était à sa place, définitivement. Face à son meilleur et plus redoutable adversaire, le premier à avoir reconnu sa valeur. Aux côtés de ses pairs, chevaliers d'or comme lui. Et surtout face à lui-même et son frère, miroirs redoutables et redoutés.

Il était à sa place.

Un élan puissant, comme une lame de fond irrésistible monta des profondeurs douloureuses et secrètes de son être et éclata de toute sa force en lui. Son cosmos rayonnant s'éleva en flammes fortes et sereines, étendant sa puissance comme un feu éclatant et inarrêtable. Pour la première fois de son existence, Kanon se sentit légitime.

Il sourit avec défi et le regard d'or se fit plus acéré de l'autre côté de la table. Plus rien ne pourrait l'arrêter, il était invincible, conscient de cette puissance qui grandissait étrangement en lui. Était-ce cette force qui habitait Saga et en faisait ce grand-pope altier qui l'impressionnait depuis la prise de pouvoir de son frère ? Cette même force qui aurait pu l'habiter lui aussi, s'il n'avait pas choisi l'ombre de son frère ?

Se penchant soudain vers la longue table d'acajou luisante, il joignit les mains, entrelaçant lentement ses doigts. Son sourire s'accentua, se faisant lui aussi mordant.

« Bien, je reprends donc. Ce traité de paix vous a été envoyé en amont et nous sommes ici pour le ratifier et établir la paix entre nos deux Sanctuaires.

- C'est hors de question ! Les Enfers ne peuvent accepter ces closes !

- Les enfers ont perdu la guerre, juge Eaque. Vous n'êtes pas en position de force, vous ne pouvez pas refuser en bloc ce que les vainqueurs vous proposent. Vous devez entrer en négociations.

- Sans refuser en bloc, il est des faits qui ne peuvent être tolérables. »

Kanon se tourna vers Rhadamanthe. Intuitivement, il sentait que l'affrontement devait avoir lieu entre le second juge et lui. Sans explication, mais mû par son instinct, il sut qu'il devait absolument convaincre et vaincre. Avec une urgence dont il ne chercha pas l'origine, il se prépara à l'affrontement. L'opinion de Rhadamanthe devenait la seule chose qui comptait en cet instant. Leurs regards se rencontrèrent. L'or en fusion, grave et concerné, intensément respectueux, fit frémir le jeune homme. Son être profond se troubla délicieusement et palpita doucement, comme un petit animal tremblant, mais Kanon décida de l'ignorer. Ce n'était pas le moment de considérer et approfondir ce genre de choses. Il secoua la tête et rejeta ses mèches cendrées d'un mouvement agacé. L'heure était à la négociation pas aux pensées déplacées et incongrues !

« De quels faits parlez-vous exactement, Rhadamanthe ? Soyez précis, je vous prie, afin que nous puissions avancer.

- Soit. Prenons déjà le point principal : désarmement des Enfers et surplis scellés.

- Eh bien ?

- Comment pouvez-vous penser que nous accepterons cela ?

- Et vous, comment pouvez-vous penser que nous pouvons laisser exister tel quel le sanctuaire qui a failli détruire le monde existant ? Évidemment le contrôle de vos armes ne peut être sujet à discussion pour nous. C'est la première règle, immuable, que les vainqueurs ont de tout temps imposé aux vaincus : c'est la garantie de notre sauvegarde !

- Dans ce cas, je crains que la discussion n'aille pas au-delà de ce point : nous pouvons nous arrêter là.

- Mais je ne vois pas ce qui vous braque ainsi pour tout dire…

- Quoi ? Alors ça c'est la meilleure ! »

Eaque semblait scandalisé mais Kanon ne se laissa pas distraire par son exclamation ironique et ne quitta pas un instant le regard d'or fondu attaché avec gravité sur lui. L'opinion d'Eaque n'était pas celle qui lui importait. Ce n'était pas lui qu'il devait convaincre à tout prix.

« Non, je ne vois vraiment pas matière à contestation : après tout, il s'agit juste de rétablir ce qui, de tout temps, a été établi depuis l'origine du monde.

- Je ne comprends pas, je l'avoue.

- Je pense que vous avez mal compris ce point. Depuis l'origine des temps, les Enfers règnent sur le monde souterrain. Tout ce qui est sous la surface de la terre est le royaume d'Hadès et de son épouse Perséphone, n'est-ce pas ?

- C'est vrai.

- Au contraire, la surface du sol appartient à l'empereur Poséidon, l'Ebranleur du sol.

- Exact.

- Tandis que la protection de l'humanité et l'équilibre entre les différents peuples et leur droit à disposer d'eux-mêmes revient à la déesse Athéna.

-En effet.

- Vous êtes d'accord avec cette répartition des pouvoirs ?

- Évidemment. Comme vous l'avez souligné, il s'agit de la répartition et de l'équilibre des forces depuis l'aube des temps et la lutte des Olympiens contre les Titans. Comment pourrais-je me dresser contre cet ordre établi ?

- Eh bien, c'est tout simplement ce que nous demandons à rétablir.

- Ce n'est pas ce qui est écrit dans le traité.

- Dites-moi où vous voyez autre chose.

- Je cite : « Les surplis seront scellés par le pouvoir d'Athéna. Ils ne conserveront leur pouvoir que dans le monde souterrain et ne pourront plus atteindre la surface du sol en conservant leur force initiale. »

- Voilà ! Exactement. J'allais soulever le même point.

- Mais, vous reconnaissez que votre domaine d'exercice est celui du monde souterrain ?

- Certes, mais accepter que la puissance de nos armures soit limitée en dehors du monde souterrain reviendrait à poursuivre l'affrontement avec les forces d'Athéna, comme si la guerre n'était pas finie : Athéna nous a toujours scellé en ce temps-là. Je ne vois pas de différence.

- Moi j'en vois une énorme. Le Sanctuaire a déjà fait preuve de générosité.

- Laquelle ?

- Vous êtes tous les deux en face de moi et non confinés avec vos surplis dans une tour, à jamais éteints par le pouvoir de notre déesse. Ce n'est pas ce qu'elle voulait et ce qu'elle a réclamé à Zeus. Elle ne veut pas l'hégémonie, mais l'équilibre et le retour à la paix. »

Rhadamanthe fronça le sourcil et inclina pensivement la tête. L'argument de Kanon était puissant. En effet, la déesse avait fait preuve de mansuétude et avait réclamé le retour de tous les hommes tombés au combat lors de cette ultime guerre sainte, indistinctement de leur appartenance à tel ou tel camp…

« Il est vrai. Mais le pouvoir de nos surplis ne peut être amoindri d'une quelconque façon à la surface du sol sans que nous le ressentions aussi dans le monde souterrain.

- Bien sûr que si, juge Rhadamanthe. Je vous garantis que non seulement c'est possible, mais c'est même préférable. En qualité d'Atlante spécialisé dans la réparation des armures divines, je sais de quoi je parle.»

Tous les regards convergèrent vers Mû, dont le cosmos serein et assuré entra en résonance avec délicatesse avec chacun d'entre eux.

« Les surplis ne sont pas différents de nos cloths : ils sont des entités divines, forgés par les Cyclopes d'Héphaïstos et habités par le cosmos d'un Olympien, le seigneur Hadès, dieu du monde souterrain. Ils fonctionnent exactement de la même manière que nos armures d'or.

- Oui, sans doute. Cela ne serait pas surprenant.

- Les armures d'or sont baignées par le soleil, en lien avec sa course qui traverse leurs constellations. De ce fait, elle ont un lien de puissance avec la lumière du jour et la surface du sol.

- Oui. Mais je ne vois pas…

- Les surplis sont des armures souterraines, habitées par l'Erèbe et en lien avec lui. Baignées par ces ténèbres primordiales et abreuvées par le Styx, elle tirent leur puissance de l'obscurité qui les renforce.

- Oui, je comprends.

- Elles se limitent d'elles-même à la surface, comme nos cloths sont moins efficientes dans votre royaume. Cette limitation existe déjà, comme une barrière naturelle. C'est le principe d'équilibre dont parle Kanon.

- Exactement, merci Mû. Il suffit donc de rétablir ce fait et de renforcer la limitation des surplis à la surface du sol. Rien de plus. Nous proposons juste d'entériner un état de fait et de le reconnaître bien clairement afin que la distinction de ces mondes d'influences opposées soit reconnue par tous.

- Dans ce cas, je réclame, au nom de mon camp, que les armures autres que des surplis soient aussi limitées.

- Il en a toujours été ainsi je crois, n'est-ce pas ? Les entrants au royaume des morts étaient asservis par une barrière de protection, non ?

- Oui. Mais je demande à ce que cette protection soit maintenue par traité en échange de la limitation des pouvoirs des surplis à la surface du sol.

- Oui, je comprends et la demande me semble envisageable et même légitime.

- Très bien alors. Nous sommes finalement d'accord. Nous pouvons passer au point suivant, dans ce cas… »

Un coup discret frappé à la porte de la salle de réception détourna l'attention des juges, qui se retournèrent dans un bel ensemble. Kanon en profita pour pousser un long soupir d'exultation. Il avait réussi ! Rhadamanthe et Eaque venaient de valider le premier point du traité ! L'allégresse et la fierté s'emparèrent de lui et il ferma les yeux avec un bonheur sans réserve, savourant juste son plaisir du moment.

Bien joué. J'ai vraiment cru que tu t'enferrais au départ, mais tu as très bien mené ta barque !

- Merci de ton appui aussi. Ta démonstration sur les armures était parfaite !

- Oui, c'est vrai, nous formons une bonne équipe finalement. Je ne l'aurais jamais cru.

- Hier soir, moi non plus !

Kanon rouvrit les yeux et croisa le regard noisette pétillant d'amusement. Il sourit à son tour, puis se tourna vers Eaque qui revenait de la porte où se trouvait toujours Rhadamanthe en conversation avec le maître d'hôtel de l'étage.

« Le personnel de l'hôtel a préparé notre repas. Qu'en pensez-vous ? Nous sommes très loin d'en avoir fini, je pense et je meurs de faim. Mieux vaut nous restaurer maintenant avant de replonger dans des échanges à n'en plus finir sur le point suivant... »

Kanon jeta un coup d'oeil au second point du traité : « Les jugements de mort des chevaliers doivent être rendus équitablement indépendamment de leur appartenance à un camp ou à un autre, sans tenir compte du jeu des alliances ou des oppositions, uniquement sur leurs qualités intrinsèques d'être humain et non sur leur état de combattant ». Ah oui… Effectivement, il valait mieux manger d'abord. Parce que la discussion allait être difficile et longue sur ce point-là…

« Vous avez parfaitement raison, juge Eaque. Nous ferions mieux de manger sans attendre ni commencer autre chose.

- Merci, Kanon. Mais je t'ai dit de m'appeler Eaque et de me tutoyer, quand nous ne sommes pas en représentation de nos camps respectifs.

- Mais c'est le cas : nous sommes des ambassadeurs qui représentons nos sanctuaires.

- Pas à table, enfin, Kanon. Je ne veux que profiter de ta charmante compagnie et me régaler… Dans tous les sens du terme… Comme hier soir, tu sais...»

Et Eaque lui adressa un sourire enjôleur et un air entendu qui inexplicablement mirent Kanon mal à l'aise, sous le regard incisif d'or fondu de Rhadamanthe toujours attaché sur lui. Eaque plaisantait visiblement en flirtant ouvertement avec lui. Pourtant le jeune homme ne se sentait pas bien, gêné par les sous-entendus grivois de ces quelques mots dits d'un ton suggestif. Il ne s'était absolument rien passé la veille, après le départ du second juge qui avait plongé le Chevalier d'Or des Gémeaux dans un abîme de perplexité. Eaque et lui n'avaient fait que dîner en discutant de tout et de rien. Eaque s'était montré agréable mais presque distant, beaucoup moins insistant et charmeur que précédemment, lorsque Rhadamanthe était avec eux. Alors pourquoi recommençait-il à le draguer aussi peu discrètement quand il n'avait rien tenté alors qu'il en avait l'occasion ?

Forcément avec de telles insinuations, Mû et Rhadamanthe allaient se méprendre… Rencontrant les yeux d'or accusateur, Kanon perdit encore un peu plus pied et détourna le regard précipitamment, rejoignant avec empressement Mû dont le regard noisette allait pensivement de lui au second juge puis au troisième. Mais le chevalier du Bélier s'abstint sagement de toute remarque, même mentale, et décida d'ouvrir la marche, entraînant ses homologues vers la salle du déjeuner, à la suite du maître d'hôtel qui leur indiquait le chemin.

oOoOo

« Seigneurs chevaliers, permettez-moi de vous précéder. »

Camus emboîta le pas au serviteur armé d'un chandelier, qui lui ouvrait le chemin. Milo suivit à son tour avec un empressement suspect. Le chevalier du Scorpion se montrait à la fois agité et plongé en lui-même comme en plein recueillement et questionnement intérieur. Pour l'œil exercé de son compagnon, il maîtrisait visiblement difficilement ses élans de nervosité.

A la suite, ils empruntèrent le grand escalier d'apparat qui menait aux étages, puis sur le premier palier, obliquèrent vers le long couloir qui menait aux appartement de la famille d'Asgard, ainsi qu'à l'aile réservée aux invités de marque, un peu plus loin. C'était à cet endroit que les Chevaliers d'Or, ambassadeurs du Sanctuaire, avaient été logés. Camus appréciait d'ailleurs cette distinction et ce traitement particulier qui les établissaient comme des hôtes importants. Mais son attention était distraite en cet instant. Il sentait le souffle de Milo sur sa nuque et l'expectative ainsi qu'une légère appréhension gagnaient son être. Milo n'était pas dans son état habituel et Camus avait tout aussi hâte de découvrir qu'il ne redoutait l'éclat du caractère passionné de son compagnon.

Enfin le serviteur au chandelier s'inclina respectueusement devant une lourde porte ouvragée, au heurtoir d'argent. Camus tendit la main et s'empara du chandelier avec autorité. Le serviteur parut surpris mais s'inclina à nouveau avec déférence.

« Cela ira ainsi, je vous remercie. Vous pouvez disposer. »

Le ton était à la fois neutre et sans appel. L'homme s'inclina une troisième fois et disparut rapidement dans l'obscurité du couloir éclairé par des candélabres espacés. Camus fut soudain poussé vigoureusement contre le montant de bois par un corps brûlant qui épousa le sien. Une bouche avide et mordeuse fondit sur con cou lui arrachant malgré lui un léger cri de surprise.

« Enfin ! Je n'en pouvais plus.

- Milo ! Arrête !

- Hors de question ! J'en crève d'envie depuis des heures !

- Mais qu'est-ce qui te prend ? On pourrait nous voir !

- T'as qu'à ouvrir la porte et me laisser entrer dans ta chambre, dans ce cas.

- Et si je ne veux pas passer la nuit avec toi ? Je suis fatigué. Pour moi aussi la soirée a été longue.

- Aucun souci. Tu ne passeras pas la nuit avec moi dans ce cas. On passera simplement le couloir ensemble.

- Milo ! Comment oses-tu ? Laisse mes fringues tranquilles !

- Je t'ai laissé le choix. Tant pis pour toi. Moi, ça ne me dérange pas qu'on nous voit…

- Très bien ! Tu as gagné, espèce de maître chanteur ! »

Et avec un soupir de défaite, Camus actionna la poignée et poussa la lourde porte. Il n'eut pas le temps de faire un pas pour pénétrer dans la pièce qu'une bourrade le propulsa à l'intérieur et qu'une seconde le jeta sur le haut lit de bois recouvert de fourrures. Le corps de Milo s'abattit sur lui, sans même qu'il puisse se retourner et les mains du chevalier du Scorpion partirent à l'assaut de son fragile chitôn. Rapidement les agrafes et les liens de cuir cédèrent à la furie de Milo et Camus se retrouva entièrement nu, le nez dans les fourrures.

Bon, le sexe exigeant et un peu brutal ne le rebutait pas, mais de là à être troussé de cette façon, sans ménagement, il y avait un monde. Malgré son excitation certaine, que les caresses frustres et précipitées de Milo avaient réveillée, il n'entendait pas faire l'amour avec cette fougue bestiale, comme s'il n'était qu'un morceau de viande. Qu'avait son compagnon ce soir ?

Tant bien que mal, entre les bras exigeants de Milo et sous une pluie de caresses et de morsures douloureuses, Camus réussit à se retourner. Il entreprit de se défaire de l'impatience de Milo, avec difficulté. Mais à peine repoussé, le jeune homme se redressa et se déshabilla à son tour, le regard obscurci dardé sur lui, comme s'il le dévorait en pensée.

Camus frissonna longuement d'anticipation et d'excitation, mais réfréna son désir. Quelque chose n'allait pas. Ils devaient d'abord en parler. S'il cédait à Milo maintenant et assouvissait leurs appétits à tous deux, ce quelque chose serait enseveli et pourrirait quelque part en silence. Et le chevalier du Verseau avait bien compris la leçon de leurs erreurs. Il n'était pas question de se retrouver à nouveau séparés par des non-dits et des malentendus !

Il s'écarta et augmenta son cosmos pour signifier son refus à Milo. Le jeune homme s'assombrit encore et son regard se fit orageux.

« Je te préviens, Camus, si tu me repousses cette nuit, je vais vraiment mal le prendre. J'ai besoin de toi.

- Je ne te repousse pas. Je veux juste éclaircir quelque chose.

- On discutera après.

- Non Milo. Maintenant. Tu n'es pas dans ton état normal. Je veux comprendre pourquoi.

- N'importe quoi. Tu réfléchis toujours trop. J'ai juste besoin de toi dans mes bras.

- Voilà ce que je veux éclaircir : pourquoi as-tu besoin de moi ? »

Milo se redressa et quitta le lit avec un mouvement d'humeur. Il s'assit dans le fauteuil face à la cheminée et s'enroula avec dépit dans la couverture brodée posée dessus.

« Tu as gagné ! Je n'ai plus envie.

- Mais moi j'ai envie de toi.

- Tu te fous de ma gueule !

- Non, mais je veux comprendre : pourquoi es-tu aussi… urgent tout à coup ? Tu n'es pas aussi dominateur d'habitude. Ce n'est pas que je n'apprécie pas, mais que se passe-t-il ce soir ? »

Milo se renfrogna encore plus et détourna la tête vers le feu qui crépitait doucement dans l'âtre. Camus s'approcha et s'assit doucement à terre, sur la fourrure, aux pieds de son compagnon. Il se tut, attentif, laissant Milo s'ouvrir à lui. Lentement, celui-ci tourna la tête vers lui et leurs yeux se rencontrèrent. La limpidité du regard de méditerranée était troublée, traversée de gêne et d'une forme de honte.

« J'ai détesté cette soirée.

- Oui, je suis d'accord, le piège était vicieux et je n'ai pas apprécié non plus, mais…

- Ah ah, bien sûr ! Tu n'as pas aimé ! C'est ça, oui ! »

Camus tressaillit, heurté de plein fouet par le persiflage de Milo. Il n'aimait pas le ton sarcastique du chevalier du Scorpion. Blessé dans sa dignité, il se redressa d'un coup et plongea son regard incandescent, soudain animé de courants de lave, dans les yeux de son compagnon.

« Je peux savoir ce que tu sous-entends ?

- Oh, c'est bon : tu sais très bien ce que je veux dire !

- Oh non, Milo, tu ne vas pas t'en tirer comme ça : que veux-tu dire ? Exprime-toi clairement !

- J'ai bien vu que tu étais parfaitement à l'aise, toi. Que ça t'a plu, cette soirée ! Tu ronronnais presque de satisfaction !

- N'importe quoi ! J'ai juste cloué le bec de ces deux malfaisants qui tentaient de nous humilier ! Rien de plus !

- N'empêche que tu étais dans ton élément ! Même la princesse l'a remarqué !

- Et tu es jaloux car elle m'a complimenté ? Non seulement elle ne m'intéresse pas du tout, mais elle a déjà un fiancé, je te signale ! »

Sans se soucier de sa nudité, Milo se dégagea et se leva brusquement, faisant les quatre cents pas dans la chambre. Visiblement la morsure du froid, pourtant vive, ne le gênait plus à cet instant. Il semblait en éruption, agité par mille pensés diverses et violentes. Camus ne comprenait pas, mais à présent que la discussion avait commencé, il était moins inquiet. Le malaise de Milo affleurait et il l'exprimerait. Il n'avait qu'à attendre.

Au bout d'un long instant, durant lequel Milo marcha frénétiquement en lui lançant de temps en temps un regard agacé en coin, le jeune homme se calma et revint se pelotonner sur le fauteuil, à l'abri de la couverture. Le froid l'avait rattrapé et apaisé d'une certaine façon. Le chevalier du Scorpion poussa un soupir et reprit la parole, à contre-coeur :

« Ce n'est pas que je crains que tu ne me sois ravi par un ou une autre. Pas du tout. J'ai confiance en toi. Mais…

- Mais ?

- Mais je n'ai pas assez confiance en moi pour te retenir.

- Quoi ? »

Camus était stupéfait : Milo ? Le séduisant et irrésistible Milo, sûr de lui et de ses atouts, presque vaniteux parfois, manquait d'assurance ? Comment ? Pourquoi ? C'était son apanage d'habitude, ce genre d'états d'âme… Milo remarqua sa stupéfaction et poussa un nouveau soupir contrarié. Il n'aimait pas du tout se présenter à Camus sous ce jour, mais ils s'étaient promis de ne plus laisser de place à l'ombre et aux non-dits. De tout partager en pleine lumière, à présent. Alors il n'avait pas le choix : il devait lui expliquer la peur, immense, qui l'avait saisi en voyant son amour évoluer si facilement dans ce monde où il ne pouvait pas le rejoindre ni se tenir à ses côtés…

« Tu as raison sur un point : je suis jaloux. Mais tu as tort sur l'objet de ma jalousie. Ce n'est pas ton amour que je jalouse. Je sais que tu m'as donné ton cœur ainsi que ton corps et que tu ne reviendras pas là-dessus.

- Je ne vois pas de quoi tu peux être jaloux alors…

- De toi. De ce que tu es et que tu ne partages pas avec moi.

- De quoi parles-tu ?

- Je veux t'accompagner exclusivement et être celui qui se tient à tes côtés quoi qu'il arrive, en toutes circonstances.

- Et c'est le cas ! C'est toi que j'ai choisi.

- Oui, mais dans ce milieu-là, je ne peux pas te suivre. Une partie de toi m'échappe, celle qui est à l'origine de ce que tu es, qui a construit ton passé. C'est ce que j'ai compris ce soir, à te voir si parfaitement à ta place à cette table, dans ce jeux de codes et de fleurets mouchetés. Je ne suis pas de taille. Je ne suis pas à ma place. Je ne connais pas les codes de ce monde-là…

- Oh… Je comprends… »

Camus ressentit une bouffée de tendresse et de fierté. Oui, il était vraiment fier. Fier de Milo, fier de lui-même, de leur entente et de leur capacité à présent à se trouver et se retrouver malgré les difficultés. Indéniablement, ils avaient mûri ensemble. Avec une pointe de malice, il glissa du bout du doigt le long de la jambe droite de Milo, qui sortait de la couverture. La caresse fit trembler la peau ensoleillée et le chevalier du Scorpion étouffa un gémissement. Langoureusement, sa main entière à présent plongeant sous la couverture pour remonter sensuellement la cuisse de nue à sa portée, le chevalier du Verseau ajouta :

« Tu vois ce que cela fait ? D'être jaloux et de se sentir inférieur à l'objet de ton amour et en insécurité par rapport à lui ?

- Oui, mais toi, tu n'avais rien à craindre : tu n'as jamais été inférieur à moi, sur aucun point !

- C'est ta vision, pas la mienne. Au niveau relations sociales, j'ai toujours eu beaucoup de peine par rapport à toi. Pour toi, te lier avec les autres, charmer, ça a toujours été simple. En société, tu as toujours été parfaitement à ta place. Contrairement à moi. Je ne suis jamais à l'aise avec les autres.

- Moui… C'est vrai… Je comprends mieux maintenant ce que tu m'as dit au Il Tridente. Je ferai attention à partir d'aujourd'hui à t'accompagner au mieux au quotidien pour que tu ne ressentes plus cette insécurité, toi non plus. Et si j'oublie de le faire : rappelle-moi le si désagréable dîner de ce soir... »

Camus, son ascension sensuelle terminée, vint s'emparer de la bouche de Milo et ils roulèrent au sol, empêtrés dans la couverture brodée.

« Oui, Camus, aimons-nous à présent. J'en ai besoin. J'en ai envie. »

Un rire tendre s'éleva en réponse, accompagnant ce simple mot :

« Viens. »

Et les deux chevaliers, allongés au sol sur l'épaisse fourrure, recouverts en partie par une couverture brodée, s'aimèrent avec émerveillement, comme s'ils se découvraient pour la première fois.

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