Chapitre 6
La première chose que l'on note en rencontrant le capitaine Alec Hardy est son caractère effroyable.
La seconde est son dévouement quasiment maladif à son travail.
Alec sentit un rire amer monter dans sa gorge.
Il avait eu le temps de s'arrêter prendre à manger, et retourner au poste, avant qu'un vibrement ne résonne dans sa poche. Roulant des yeux, il avait laissé tomber le paquet de beignets chauds sur son bureau, avant de décrocher.
-Quoi ?
-Diable, vous êtes toujours aussi charmant, avait ironisé Maggie à l'autre bout de la ligne. Vous avez lu vos mails ?
-Je viens de rentrer, avait-il répliqué en s'asseyant derrière son bureau. Qu'est-ce qu'il y a ?
-L'article est prêt. Nous vous l'avons envoyé pour relecture.
-Vous me demandez mon avis ? s'était-il étonné en ouvrant ses mails.
-Normalement non, mais au vu du sujet.. Assez de mal a été fait dans cette ville, avait murmuré la responsable du Brodchurch echo d'une voix sombre.
L'ombre de Jack Marshall était passée au-dessus d'eux, son suicide toujours bien présent dans leurs esprits.
-C'est votre vie.. Je suis restée au plus proche des faits, mais j'apprécierais votre avis.
-C'est vous qui l'avez écrit ?
-Disons que je suis repassée derrière Ollie. Ce garçon ne manque pas d'envie, mais je commence à croire qu'il ne montera jamais les échelons.
-Quel drame, avait-il ironisé en ouvrant le fichier PDF. Je vous tiens au courant.
Et avec cela, il avait raccroché, avant de se pencher en avant, un beignet dans la main.
Alec Hardy : la vérité sur Sandbrook
(urg)
(Ollie devait avoir écrit le titre)
(sérieusement !)
La première chose que l'on note en rencontrant le capitaine Alec Hardy est son caractère effroyable.
La seconde est son dévouement quasiment maladif à son travail.
Dans tous les cas, ses compétences sont indiscutables.
L'homme est une machine abattant dossier sur dossier, au prix, comme nous avons pu l'apprendre, de sa santé.
Perspicace, précis, redoutable, incorruptible, clairvoyant, tenace, têtu, honnête, intègre, scrupuleux, les qualificatifs ne manquent pas pour le décrire.
L'homme est insupportable 95% du temps, et son impopularité est bien connue dans la ville, mais il n'existe aucun doute quant à son efficacité.
Comment a-t-il pu perdre une pièce à conviction dans des circonstances aussi détestables que Sandbrook nous était incompréhensible.
C'est pourquoi nous sommes allés lui demander.
Sans surprise, nous avons été accueillis avec réticence et froideur.
Pourquoi remuer le passé ? a-t-il demandé. Quel intérêt ? Le sujet est trop douloureux, pour trop de monde.
Et puis à force de patience, et d'insistance, le miracle s'est produit : le capitaine Hardy a commencé à parler.
Les faits sont bien connus : Hardy a été condamné pour avoir perdu la pièce maitresse trouvée chez le principal suspect, Lee Ashworth, accusé du meurtre de deux jeunes cousines, Pippa Gillespie et Lisa Newbury. Le pendentif de Pippa a été volé lorsque le véhicule d'Hardy a été fracturé alors qu'il s'était arrêté à l'hôtel pour fêter cette découverte. Lors de l'enquête menée par les services internes, il a admis être venu voir sa maitresse. Un tel manque de professionnalisme a automatiquement entrainé sa condamnation par sa hiérarchie, la presse et l'opinion populaire. Sans le pendentif, le procès s'est révélé un désastre, le principal suspect étant relâché et l'affaire close.
Près de trois ans sont passés, et le coupable court toujours.
Il s'avère, cependant, que certains faits ont été biaisés.
Avec réticence, peine et beaucoup de pudeur, le capitaine a révélé avoir choisi de porter le blâme de la perte du pendentif pour couvrir l'inspectrice réellement présente ce soir-là. Celle-ci était mariée, et mère d'une jeune adolescente. Hardy a voulu protéger l'image qu'elle avait de sa mère, au prix de la destruction de sa propre famille. Un divorce et la perte de la garde de sa fille ont été les conséquences directes de son choix. Le capitaine ne nous a pas dit le nom même de sa subordonnée, mais nous en savons assez pour connaitre sa réelle identité. Sur la demande du capitaine Hardy, elle sera maintenue secrète. Trois ans sont passés, et pourtant, l'idée même de parler et révéler la vérité lui demeure difficile à accepter.
La loyauté de cet homme continue à nous effarer. Quel genre de personne continue de protéger celle qui a détruit sa vie, au nom d'un code moral si strict qu'il étoufferait la majorité d'entre nous ? Quel genre de personne endosse la responsabilité d'une telle erreur, en sachant que sa vie en sera détruite ?
Le capitaine Hardy a été jeté en place publique.
Le capitaine Hardy a été lynché.
Le capitaine Hardy, comme nous l'avons découvert, souffre d'une arythmie cardiaque grave, depuis un an et demi.
Sandbrook lui a volé sa famille et son honneur, mais aussi sa santé.
La peine, la rancœur, la culpabilité de ne pas avoir ramené lui-même le pendentif, le sentiment d'avoir abandonné la famille des victimes n'ont jamais cessé de le ronger.
Il est assez facile de repérer les similarités entre cette affaire et celle de Danny Latimer : des enfants retrouvés au bord de la mer, une ville côtière tranquille où rien ne semble jamais se produire, des familles dévastées réclamant justice, des habitants s'accusant les uns et les autres.
Le capitaine Hardy porte toujours la culpabilité de ne pas avoir pu sauver Jack Marshall.
Mais la vérité est qu'il ne l'a pas tué. La folie populaire et l'ineptie de la presse s'en sont chargés pour lui.
Il est toujours bon de savoir reconnaitre, avec humilité, ses propres erreurs.
Le capitaine Hardy n'a pas abandonné l'espoir de retrouver le pendentif volé, et ce malgré son état de santé.
Son abnégation force le respect, et nous interroge sur notre propre humanité.
A côté de l'article, une biographie résumant tous ses faits d'armes et l'excellence de ses résultats, jusqu'à Sandbrook. Une photo de lui et Miller menant la procession qui avait assisté à la reconstitution du chemin emprunté par Danny, voilà plusieurs mois. Une autre photo de lui aux côtés des Latimer. Son visage usé, presque émacié, marqué avant l'âge, contrastait avec la force et la détermination de son regard.
En dessous, le numéro du commissariat, et un appel à témoignages pour le meurtre de Danny.
Un reniflement échappa à Alec.
Il lui fallut quelques instants pour réaliser qu'il pleurait.
Merde.
Merde merde merde.
Il n'avait pas le temps pour cela.
Il ..
Le capitaine laissa tomber ses mains entre son visage.
Dans sa liste de mails, un autre message de Maggie Smith.
Juste pour préciser, cette interview est une exclusivité. Elle ne sera partagée avec aucun autre collègue, et certainement pas cette conasse de Wright.
Alec roula des yeux, avant qu'un sourire amer n'étire ses lèvres. Se penchant, il commença à taper sa réponse.
Heureux de l'apprendre. Vous aurez droit à une chaise au premier rang, devant la scène, lorsqu'on annoncera le nom du tueur de Danny.
La réponse de la journaliste ne se fit pas attendre. A peine deux minutes plus tard, une nouvelle ligne apparut sur son écran.
Vous l'avez trouvé ?!
Alec secoua la tête, avant de se lever et se diriger vers la pièce principale où travaillaient ses collègues. Inspirant profondément, il ferma les yeux un instant, en même temps qu'une vague de culpabilité et de peine l'envahissait soudainement à la perspective qui l'attendait.
Jamais Miller ne lui pardonnerait.
C'était okay. Il ne lui en voudrait pas. Personne ne pouvait accepter ce type de révélation.
D'un geste brusque, il ouvrit sa porte, son éternel masque grognon sur son visage.
-Miller ? Commissaire ? J'ai besoin de vous voir. Nous avons un nouveau suspect concernant le meurtre de Danny Latimer.
Fin
