L'officier Jordan Washington n'avait certes jamais servi dans les forces armées de l'Alliance; mais il connaissait bien ce vieil adage terrien: «L'attaque est la meilleure défense!» L'Inspecteur Harrius Kallaghian, quant à lui, avait servi durant huit ans dans la Garde Noire, la crème des Forces spéciales turiennes, et il aurait pu compléter cet axiome de base par quelques maximes de son propre cru, du genre: «Si l'ennemi pense t'avoir envoyé à terre, shoote-lui une rotule! S'il croit être parvenu à te mettre à genoux, mords-lui les …!» Oui, bon, il faut admettre que le style de combat au corps-à-corps tel que le pratiquent les éclaireurs d'élite turiens est connu pour être franchement inélégant, mais aussi diablement efficace à l'usage!

Bref, tout cela pour dire que les deux enquêteurs du SSC n'avaient pas la moindre intention de marcher dans la combine d'Elam Berzhek, ni de se plier aux conditions imposées par le psychopathe butarien et par ses sbires du gang mercenaire Jebag nar An'Jebag. Washington aussi bien que Kallaghian s'estimaient en effet responsables du sort du docteur Tanyd Veltrin, la courageuse xéno-cardiologue turienne de l'Hôpital Mémorial de Huerta, kidnappée pour sa proximité présumée avec l'Inspecteur. Oh, il y avait certes beaucoup d'approximation et d'anticipation erronées là-dessous, de la part des ravisseurs. Pourtant, on pouvait deviner chez Kallaghian l'envie de verser le sang dans chacun de ses gestes nerveux, dans chacun de ses grognements d'impatience; et une telle rage d'en découdre ne pouvait dépendre uniquement d'une simple soif de justice...

L'idée générale était de découvrir puis d'infiltrer la planque secrète des mercenaires où devait être retenue le docteur Veltrin, plutôt que de rencontrer Berzhek et ses brutes sur le lieu d'échange que le Butarien devait communiquer à l'Inspecteur juste avant leur rencontre. Un vétéran tel que Kallaghian savait que la plus stupide des choses à faire est bien d'aller affronter l'ennemi sur le terrain que ce dernier aura choisi à l'avance, qu'il aura pu piéger à loisir, où il aura largement eu le temps de disposer ses snipers et ses drones, et où il disposerait même de voies de repli connues de lui seul. Le point le plus délicat, dans un tel plan, avait évidemment été de déterminer où une telle planque pouvait bien se nicher. Kallaghian et Washington avaient en effet appris des aveux du trafiquant galarien Gontar Mulon que Jebag nar An'Jebag changeait fréquemment de point de repli, et ne se laissait pas facilement localiser. Étonnamment, c'est pourtant cette première partie du problème qui s'avéra la plus rapide à résoudre...

Au départ, c'est Jordan Washington qui avait eu l'éclair de génie de reporter sur une carte du secteur Zakéra la localisation des huit anciennes planques et caches de stockage de Jebag nar An'Jebag, dont les emplacements avaient été livrés par Gontar Mulon durant son interrogatoire. Il avait été aisé de constater que ces huit points, disséminés dans l'ancienne zone industrielle et les quartiers déshérités de Zakéra, couvraient une aire bien délimitée, à la superficie somme toute plutôt réduite, que l'on pouvait dès lors définir comme la zone de confort du gang.

À partir de là, Kallaghian avait demandé à ses contacts de la Division Réseau du SSC de trouver dans cette aire précise quels lieux censés être désaffectés pouvaient être occupés par un groupe de douze à quinze troufions solidement armés – dont un gros enfoiré de Krogan de belle taille! Même si les mercenaires n'avaient a priori pas d'équipements extra-lourds, la maintenance et la recharge des IV de leurs armures devaient représenter à elles seules une consommation énergétique bien supérieure à celle des squatters ordinaires et autres petites frappes du quartier. L'Inspecteur avait donc intelligemment suggéré aux grosses têtes de la Division Réseau de se brancher sur les bases de données des services techniques du secteur Zakéra, pour ce qui concernait la charge des circuits électriques locaux et les pics d'émissions thermiques à purger, puis de recouper ces résultats avec le plan d'occupation cadastral.

L'idée avait été payante. Les petits malins de l'informatique policière étaient effectivement très vite parvenus à isoler un site en particulier sur la zone délimitée: l'Antaeus Mech Manufacturing, une ancienne usine de montage de mécas lourds à usage civil – manutention, construction, et réparation d'infrastructures –, très sévèrement endommagée lors de l'activation du Creuset quelques années plus tôt, et depuis lors laissée à l'abandon. Les contacts de l'Inspecteur à la Division Réseau avaient même poussé l'obligeance jusqu'à télécharger sur son Omnitech le plan complet des installations d'Antaeus, gaines d'entretien et données techniques comprises.

Kallaghian avait dû admettre que le choix d'un tel repaire était plutôt avisé, de la part du gang de mercenaires: en effet, les contraintes techniques d'un site industriel de cette catégorie, où l'on stockait et manipulait des batteries énergétiques et noyaux d'ézo de tailles respectables, avaient imposé dès sa conception l'emploi d'épaisses cloisons d'acier doublées de plusieurs couches de matériaux isolants. En l'occurrence, une telle mesure rendait inefficace toute tentative extérieure de scan des signatures individuelles ou de repérage par imagerie thermique.

Là où le Turien et l'Humain n'étaient pas tombés d'accord, c'était sur la question d'informer immédiatement ou non leur hiérarchie de leur découverte. Jordan Washington aurait préféré avertir le SSC de manière à obtenir un solide soutien arrière de la part de la Division Intervention, prête à intervenir au cas où leur tentative d'infiltration échouerait, à lui et à l'Inspecteur. Mais Harrius Kallaghian, lui, savait pertinemment que mettre tout de suite le SSC sur le coup ne ferait que donner à quelques gradés ambitieux de sa connaissance une occasion inespérée de se pousser en avant, en menant directement une opération massive et savamment médiatisée, sans laisser sa chance au plan d'infiltration des deux agents. Or, Kallaghian considérait que ce plan était celui qui aurait le moins de chances d'alerter prématurément les mercenaires, et donc de mettre en danger la vie de leur otage turienne. Même si Washington trouvait absurde l'idée de s'aventurer seuls en plein territoire ennemi, il avait bien dû finir par déposer les armes face à la pertinence de ce dernier argument de son supérieur.

L'Inspecteur Kallaghian avait tout de même pris quelques dernières dispositions avant de se jeter dans la gueule du varren. Il avait ainsi confié aux plus fiables de ses contacts au sein de la Division Réseau la tâche de transmettre les coordonnées de la planque des mercenaires au commandement du SSC de Zakéra, une demi-heure après le début de la phase d'infiltration qu'il mènerait en compagnie de l'officier Washington. Les informaticiens devraient également livrer en même temps l'ensemble des coordonnées qui permettraient l'arrestation des contacts de Berzhek sur le Présidium – ceux que le truand butarien avait désignés à l'Inspecteur, et auprès desquels ce dernier était censé récupérer les dernières doses de Hallex coupé au Tonicardiol. De la sorte, même si Kallaghian et Washington échouaient dans leur tentative de sauvetage, les services de police de la Citadelle seraient à même de saisir le reliquat du stock de came infectée, et de réaliser un joli coup de filet.

Lorsque Kallaghian alla poser sa navette banalisée sur le toit-terrasse d'un immeuble en ruines à deux blocs de la planque de Jebag nar An'Jebag, il ne restait plus guère qu'une heure et demie avant l'échéance prévue pour le rendez-vous imposé par Berzhek – c'est-à-dire sans doute moins d'une heure avant que le Butarien ne communique à Kallaghian les coordonnées du lieu d'échange, et surtout moins d'une demi-heure avant que les mercenaires ne viennent tirer le docteur Baaltis de sa cellule pour l'acheminer sur ce même lieu. Il allait falloir faire vite, et bien.

Bien sûr, les deux agents de la Division Criminelle avaient pris soin de s'armer en conséquence pour cette croisade périlleuse. L'officier Washington avait ainsi opté pour l'emport d'un fusil à pompe léger M-27 Cimeterre. Ce flingue de combat rapproché avait la réputation de souffrir d'une assez faible puissance d'impact; mais il bénéficiait en contrepartie d'une cadence de tir généreuse, qui lui permettait d'endiguer efficacement une vague d'assaut ennemie, ou de nettoyer à l'aveugle tous les angles morts d'une pièce en un rien de temps. En y ajoutant son pistolet Phalanx de service, son armure d'Ingénieur, et l'Omnitech dont il semblait savoir plutôt bien se servir, le jeune Humain disposait donc d'un assez confortable potentiel de nuisance.

L'Inspecteur Kallaghian, de son côté, s'en tenait pour l'essentiel à son inséparable pistolet lourd Carnifex, toujours arrimé à sa hanche. Mais Jordan Washington avait également noté la présence sur le ceinturon de son supérieur d'une sorte d'étrange coutelas recourbé, qu'il avait identifié comme une griffe de combat. Cette arme typiquement turienne se présentait sous la forme d'une lame effilée d'un demi-pied de long d'un acier noir et mat, dont les commandos d'infiltration furtive de la Garde Noire étaient réputés faire un usage particulièrement effrayant. Washington était toutefois plus intrigué encore par la grosse musette de cuir sanglée tout contre la cuissarde gauche de l'armure noire de l'Inspecteur. «Un vieux souvenir de mes missions spéciales dans la Travée de l'Attique avait simplement expliqué celui-ci, sur un ton où perçait une jubilation évidente. L'officier Washington pouvait dès lors supposer la mystérieuse sacoche richement pourvue en grenades, détonateurs, dispositifs piégeants, et tout un tas d'autres joyeuses surprises pyrotechniques.

Une fois équipés, les deux infiltrateurs commencèrent à cheminer par les toits entre les blocs de bâtiments désaffectés, par bonds rapides mais prudents, en s'efforçant d'éviter les zones susceptibles d'être couvertes par la surveillance de drones ou de capteurs fixes. Au terme d'une progression haletante, Jordan Washington finit par désigner la bouche de ventilation en surface qu'il avait repérée sur le plan de l'Antaeus Mech Manufacturing. En s'arc-boutant contre les parois du conduit, la descente ne présenta guère de problèmes pour les deux agents entraînés. L'Omnitech de Washington fut cependant mis à contribution en une occasion, lorsqu'il s'agît de repérer puis de leurrer une alarme de proximité disposée sur leur parcours vertical. Harrius Kallaghian se félicita en silence que pour une fois, on lui eût adjoint un équipier bien plus calé que lui en ingénierie électronique.

Le Turien et l'Humain débouchèrent bientôt dans les étages supérieurs de l'ancienne usine. Là, ils durent prendre le temps d'adapter leur vision à l'obscurité qui régnait sur ces lieux sans vie. Le descendant des prédateurs de Palaven se contenta de laisser son œil perçant s'accoutumer naturellement aux ténèbres ambiantes; mais le descendant des primates terriens, génétiquement plus défavorisé sur ce point, dut quant à lui recourir au module de vision nocturne dont il était équipé, capable d'intensifier même la plus faible source de lumière. Tous deux préférèrent en tout cas s'abstenir d'activer les lampes torches intégrées à leurs armures, bien trop peu discrètes à leur goût. Ils purent ainsi s'apercevoir qu'ils avaient abouti au niveau des bureaux administratifs, dont les verrières éclatées dominaient les vastes aires ouvertes des chaînes d'assemblage et des plates-formes de manutention et d'expédition. Toute cette zone paraissait entièrement déserte, et désaffectée de longue date.

Ce n'est qu'en descendant plus bas vers les étages inférieurs de l'installation, dédiés à l'entretien des machines et au stockage des matériaux et composants, que nos deux infiltrateurs commencèrent enfin à découvrir leurs premières traces d'habitation récente. Par deux fois, Washington parvint à repérer à temps et à désigner de l'index un équipement de détection passif, positionné pour couvrir l'accès à un couloir descendant - mais qui indiquait ainsi également sans équivoque la route la plus intéressante à suivre. Désactiver temporairement des dispositifs aussi rudimentaires ne fut qu'un jeu d'enfant pour l'Omnitech du jeune Ingénieur humain. Kallaghian et Washington purent ainsi continuer leur exploration en observant toujours le plus grand silence, tous leurs sens aux aguets, sans pourtant rencontrer la moindre présence organique, alors même que les indices d'occupation se faisaient de plus en plus nombreux à mesure qu'ils poursuivaient leur descente vers des niveaux toujours plus reculés, et aussi plus exigus.

Alors que les deux agents remontaient un étroit corridor, le Turien leva brusquement le poing gauche au-dessus de son épaule pour faire signe à son équipier de s'arrêter sur place. L'Omnitech de l'officier Washington était richement équipé en applications de sabotage ou de piratage. Mais celui de l'Inspecteur Kallaghian comprenait trois modules de type purement militaire dont Washington était dépourvu, et qui allaient s'avérer bien utiles par la suite: un système de brouillage des communications; un module de camouflage optique de haut niveau, l'accessoire indispensable de tout Infiltrateur digne de ce nom; et un scanner de présences, qui repérait les signatures des organiques ou des synthétiques d'après leurs masses, dans un large rayon autour de son porteur. Et en l'occurrence, malgré le handicap causé par l'isolation murale de cette usine, Kallaghian venait de repérer une présence organique potentiellement hostile située derrière l'angle du mur que lui et Washington s'apprêtaient à franchir.

Le vétéran de la Garde Noire se saisit aussitôt de sa griffe de combat, avant d'activer son écran d'invisibilité. Ce dernier devait être complété par un générateur de bruit blanc, car l'officier Washington n'entendit même pas le pas du Turien lorsque celui-ci se mit en mouvement. Resté seul, l'Humain finit par se décider à risquer un œil discret au-delà de l'angle du mur – juste à temps pour voir une sentinelle butarienne en armure s'arc-bouter en arrière avant de s'effondrer en silence, au moment où le camouflage optique de Kallaghian se désactivait dans un pétillement d'étincelles. Le garde avait été presque décapité par le vigoureux coup de poignet circulaire du Turien le long de sa gorge: il était probablement déjà mort avant de toucher le sol. Washington fut stupéfait par la précision et la sûreté du geste de son supérieur, indéniablement le fruit d'une longue et macabre expérience – au point que lorsqu'il rejoignit l'Inspecteur, le jeune officier terrien en bafouillait encore:

-–- Whow, Monsieur! C'était... C'était juste...!

-–- Ça? C'était rien! trancha Kallaghian sur un ton blasé. Un jour, je te raconterai peut-être une ou deux de mes missions d'infiltration dans les Systèmes Terminus. J'ai toujours aimé voir les cheveux des Humains se dresser sur leur petite tête ronde!

Les deux flics prirent le temps de fouiller rapidement le Butarien à terre. Rien d'intéressant sur lui, mais les couleurs de son armure retinrent leur attention: une livrée d'uniforme noire et blanche, dont le contraste semblait incarner l'esprit même du nom du groupe mercenaire Jebag nar An'Jebag: la vertu au service du vice!

Le Turien et l'Humain poursuivirent leur cheminement dans le corridor, certains à présent d'être sur la bonne piste après avoir dû franchir le barrage de la sentinelle. Leur route les mena vers une longue rampe complétée d'un escalier sur l'un de ses bords, qui descendait encore vers un niveau inférieur. Alors qu'ils atteignaient le bas des marches, à l'entrée d'une vaste salle peu éclairée, le scanner de poignet de Kallaghian l'avertit de la proximité d'une nouvelle présence organique. Mais la menace se limitait cette fois-ci à un mercenaire vautré sur un lit de camp métallique où il jouissait d'un sommeil faussement paisible, un fusil Vindicator posé contre le mur à portée de sa main. Le soldat portait la même armure noire et blanche que la sentinelle trucidée juste un peu plus tôt; mais contrairement à cette dernière, il s'agissait cette fois-ci d'un Turien.

Kallaghian tint à s'assurer que cet adversaire-là n'irait pas se réveiller au plus mauvais moment. Sa griffe de combat à nouveau en main, l'ancien commando de la Garde Noire se rapprocha du dormeur à pas mesurés, dans le plus grand silence: les soldats chevronnés ont souvent le sommeil très léger! Instruit par l'expérience, Washington préféra cette fois-ci détourner le regard, de manière à s'épargner le spectacle de ce qui allait suivre. Cette précaution bienvenue lui valut de n'entendre qu'un brusque hoquet de surprise suivi d'un bref gargouillis, avant que l'Inspecteur ne vienne le rejoindre, sa besogne accomplie.

-–- C'est vraiment trop facile, soupira Harrius en replaçant dans son logement sa griffe colorée de sang gris-bleu. Quelle bande d'amateurs! Heureusement qu'il y aura aussi un Krogan dans l'histoire, pour relever un peu le niveau...

L'Inspecteur avait lâché cette dernière remarque malicieuse à dessein, de manière à observer sans en avoir l'air la réaction de son jeune équipier humain. Comme il s'y était attendu, celui-ci avait tressailli, en rentrant légèrement la tête dans les épaules. Une telle réaction semblait néanmoins parfaitement normale et compréhensible aux yeux du vétéran turien: après tout, l'idée d'affronter pour la première fois un guerrier krogan solidement charpenté n'a rien de réjouissant pour personne! Harrius lui-même se souvenait encore de son premier brutosaure: heureusement pour lui, cette montagne de cuir brut et d'acier lourd s'était montrée encore plus impressionnante par sa stupidité que par sa stature, comme la plupart de ses congénères... Le cerveau a décidément toujours été le point faible des Krogans, au sens propre comme au figuré d'ailleurs: c'est en effet là que Kallaghian avait placé la plupart de ses tirs mortels, lorsqu'il avait eu à affronter les natifs de Tuchanka!

La menace immédiate que représentait le dormeur ayant été neutralisée, les deux flics prirent le temps de détailler le reste du local obscur où ils avaient abouti. Cette vaste salle, relativement basse de plafond et sans autre issue que l'escalier par lequel ils étaient arrivés, avait dû servir autrefois de local de stockage et de confinement pour les matériaux et composants les plus instables et les plus dangereux. Il y demeurait encore de nombreux vestiges de l'activité d'assemblage de mécas de construction: amoncellement de caisses de pièces détachées ou de vieux barils de lubrifiants, piles de plaques de blindage ablatif, et pièces de ferraille diverses traînant un peu partout au sol.

Un élément de décor macabre gisant dans un angle reculé de la grande salle retint toutefois rapidement l'attention des deux agents du SSC: le corps sans vie d'une Asari à demi dénudée, baignant dans une mare de sang mauve déjà séché! En se rapprochant, Kallaghian et Washington la reconnurent immédiatement à sa peau bleu saphir, et à ses marques faciales d'une nuance violette caractéristique: le docteur Edessa Baaltis – alias "Avina" –, la complice du trafiquant galarien Gontar Mulon à l'Hôpital Mémorial de Huerta, qui avait récemment disparu des radars juste avant d'être percée à jour.

-–- C'est un plaisir de vous revoir, Docteur Baaltis, plaisanta l'Inspecteur d'un air plutôt satisfait. Mais où est donc passé votre charmant sourire de racoleuse professionnelle?

L'Asari semblait avoir été exécutée d'une unique balle à bout portant en plein front, qui avait emporté au passage une bonne partie des tentacules cartilagineux qui auraient dû garnir l'arrière de son crâne. Plusieurs lacérations et traces violacées sur sa peau bleue suggéraient qu'elle avait dû être soumise à un sévère interrogatoire. À proximité du corps se trouvait aussi un petit sac de voyage, qui avait visiblement fait l'objet d'une fouille sauvage de fond en comble: robes de prix, vêtements de rechange plus ordinaires, et petits objets affectifs avaient été répandus sans égards aux alentours.

Il n'était guère difficile de retracer ce qui avait dû se passer. Se devinant en passe d'être démasquée, la traîtresse asari avait sans doute tenté de fuir clandestinement la Citadelle au départ du Secteur Zakéra, celui où le SSC était le moins lourdement implanté. Mais ce choix, a priori avisé, avait finalement été fatal au docteur Baaltis. Peu au fait des usages de la pègre, elle avait dû s'adresser aux mauvaises personnes; et celles-ci s'étaient empressées de la livrer à Berzhek et à sa bande, pour s'attirer leurs faveurs, ou simplement ne pas se les mettre à dos. Il est probable que Gontar Mulon ait autrefois évoqué avec Berzhek le rôle de sa complice asari au sein de l'Hôpital Mémorial de Huerta, que le Butarien ait vu en elle sa dernière chance de rattraper le fiasco du stock de Hallex nocif déjà disséminé sur le Présidium, et qu'il ait diffusé dans le milieu criminel un avis de recherche occulte sur la tête de la fugitive.

C'est d'ailleurs sans doute à Baaltis que le docteur Tanyd Veltrin devait son enlèvement, et sa détention en tant que monnaie d'échange. Durement interrogée, l'Asari avait dû penser pouvoir s'en sortir en révélant les liens qui avaient commencé à se tisser entre sa patronne turienne, et le flic de la Criminelle de Zakéra en charge de l'affaire des intoxications au Hallex surdosé. Cette ultime trahison ne lui avait cependant pas épargné une exécution en bonne et due forme. Une fin lamentable, pour une personne lamentable, songèrent en même temps Kallaghian et Washington...

Aucun d'eux ne vit l'utilité de s'apitoyer outre mesure sur le sort après tout bien mérité de la doctoresse dévoyée: quiconque met le doigt dans l'engrenage du trafic de stupéfiants, doit s'attendre à y laisser bien plus que le bras! Les deux enquêteurs ne tardèrent d'ailleurs pas à découvrir un sujet d'intérêt bien plus digne de leur compassion, lorsqu'un gémissement étouffé derrière eux attira brusquement leur attention. En se retournant, ils s'aperçurent que la plainte semblait provenir d'une sorte de petit conteneur aux parois grillagées, qu'aucun d'eux n'avait réellement remarqué dans l'obscurité où il était dissimulé. Harrius réactiva précipitamment son scanner de poignet, qui confirma la présence de deux formes de vie organique. Le Turien et l'Humain entreprirent alors de se rapprocher prudemment de la grande cage par une manœuvre en tenaille, l'arme au poing et les sens en alerte.

Ce qu'ils découvrirent bientôt leur donna un aperçu très net, et particulièrement écœurant, des activités malsaines dans lesquelles trempait le gang d'entremetteurs du vice que dirigeait Elam Berzhek.

La première des deux prisonnières que les agents du SSC purent distinguer dans l'ombre de la geôle, était une jeune Humaine à peine vêtue, probablement âgée de moins de quinze ans. Étendue à demi-consciente à même le sol, elle présentait de nombreuses traces de sous-nutrition et de maltraitance: sa peau nue, pâle et tendue, laissait entrevoir les traces de multiples ecchymoses plus ou moins récentes. Juste un peu plus loin, une Asari se tenait prostrée dans un angle de la cage, les genoux repliés sous son menton, et les yeux fixant le vide devant elle. Elle ne devait guère avoir plus d'une petite vingtaine d'années; à cet âge, il ne s'agissait encore que d'une enfant: aucune réaction biotique maîtrisée à craindre de sa part, pour un prédateur malintentionné.

Il était aisé, mais pour autant pénible, d'imaginer les sévices qu'avaient dû endurer ces deux malheureuses aux mains de la clientèle dépravée de Jebag nar An'Jebag... Même le cœur sec et blasé de l'Inspecteur Kallaghian dut probablement chavirer face à un spectacle si désolant. Le craquement inquiétant des poings osseux qu'il serrait en disait d'ailleurs assez long à ce sujet, tout comme le grondement sourd qui montait de sa gorge:

-–- Oh, par... Par les putains d...!

-–- ...D'Esprits?! C'est bien vous, Inspecteur Kallaghian?

Bien que très assourdie, la voix rauque qui venait de s'élever par surprise était parfaitement identifiable: celle d'une Turienne – et plus spécialement, celle du Docteur Tanyd Veltrin. La voix semblait provenir d'en-dessous d'un empilement anarchique de lourdes caisses de métal. L'amoncellement était apparemment assez dense pour parvenir à bloquer le signal du détecteur de présences de l'Inspecteur. Quoi qu'il en soit, avant même que ce dernier ait pu seulement tenter de déplacer l'une des caisses, Jordan Washington s'en était déjà chargé en activant le module de levage de son Omnitech: une application professionnelle généralement employée surtout par les manutentionnaires. Une fois enveloppées d'un champ gravitationnel soigneusement proportionné, les caisses ne tardèrent pas à s'élever lentement dans les airs. De là, l'Ingénieur humain les déplaça doucement vers le côté avant de leur rendre progressivement leur masse d'origine.

La manœuvre dévoila une profonde fosse cubique insérée dans le sol de métal, probablement destinée à l'entreposage de matières particulièrement sensibles, et au fond de laquelle le Docteur Veltrin était retenue prisonnière. Le visage de pierre des Turiens, mâles ou femelles, passe pour rendre les manifestations de leurs sentiments de loin les plus difficiles à interpréter parmi toutes les races siégeant au Conseil; et en l'occurrence, le Docteur Veltrin ne faisait pas exception à la règle. Mais en dehors de son langage facial, tout dans son attitude corporelle reflétait le calme et la sérénité, l'absence de peur ou même de soulagement. Un constat plutôt surprenant, compte tenu de sa situation du moment...

-–- Vous n'avez pas l'air plus surprise que cela de voir débarquer la cavalerie, Docteur, fit d'ailleurs remarquer Washington.

Tanyd Veltrin eut un mouvement asymétrique des mandibules, que l'on aurait sans doute pu rapprocher d'un sourire en coin. Ce n'est cependant pas le jeune Humain, mais bien son propre congénère également présent que la Turienne fixa d'un regard assez ambigu et déstabilisant, lorsqu'elle répondit avec assurance:

-–- Non en effet, officier, c'est une probabilité que j'avais très sérieusement envisagée. Je pensais vous avoir déjà assez bien cerné, Inspecteur Kallaghian, pour savoir que vous étiez de toute façon trop inflexible pour vous résoudre à vous plier aux exigences d'une vermine de criminel butarien, quelles que soient les circonstances ou les vies en jeu. Apparemment, je ne me suis pas trompée sur votre compte... Et je me doutais bien aussi, quelque part, que vous seriez assez inconscient pour venir vous jeter tête baissée, seul ou presque, au beau milieu du repaire d'une douzaine de soldats de métier sans foi ni loi!

-–- Euh, il y a aussi un Krogan, non? demanda soudain Washington, que la perspective d'une telle rencontre effrayait encore un peu.

-–- Ah oui, officier, en effet: il y a aussi un Krogan! Un sacré morceau, même... Croyez-moi, on ne peut pas le rater!

-–- Alors je ne le raterai pas! promit l'Inspecteur en caressant le pistolet lourd Carnifex à sa hanche. Allez, votre bras, Doc: on va vous sortir de là.

La grande Turienne s'extirpa enfin de sa fosse avec l'aide des deux agents du SSC. Une fois à l'air libre, elle tourna un regard triste d'abord vers la grande cage où croupissaient les autres prisonnières de Berzhek, puis en direction de la dépouille meurtrie du docteur Baaltis laissée à l'abandon au milieu des détritus. Elle soupira alors:

-–- J'ai vu le cadavre d'Edessa quand ils m'ont descendue jusqu'ici. La pauvre... Même sans examen médical, il est évident que la plupart des lésions que je vois d'ici ont dû être infligées ante mortem. Ses derniers moments ont dû être un véritable martyre!

-–- Si ça peut vous réconforter, Doc, contesta Harrius, cette salope bleue a largement mérité chaque seconde de ce qu'elle a pu endurer! En fait, c'est même sans doute à cause d'elle si vous avez échoué ici, dans ce trou à rats...

-–- Oh, eh bien si vous le dites!...» bredouilla d'abord Tanyd, légèrement désarçonnée par la dureté des propos de l'Inspecteur, avant d'admettre d'une voix plus sèche, en observant maintenant sans aménité le corps de son ancienne collègue: «...D'un autre côté, c'est vrai que vu comme ça...

L'officier Washington consulta rapidement son Omnitech, avant d'informer son supérieur turien des timings qu'il avait calculés:

-–- Vos potes de la Division Réseau devraient être en train de transmettre les infos que vous leur aviez confiées, Monsieur. D'ici une demi-heure, le SSC aura bouclé l'encerclement de ce bâtiment, et sera prêt à passer à l'attaque. D'un autre côté, les mercenaires ne devraient plus tarder non plus à descendre ici chercher le docteur Baaltis. Je suggère donc qu'on remonte pour chercher un endroit plus sûr où aller nous faire tous petits, le temps de laisser passer l'assaut du SSC. Admettez que ce serait trop bête, d'être arrivés jusqu'ici pour nous faire descendre par ces gros bourrins de la Division Intervention, non?

-–- On va pas faire comme ça, Washington! proféra soudain l'Inspecteur d'une voix dure.

-–- Euh, je vous demande pardon, Monsieur? balbutia le jeune Humain décontenancé.

Harrius Kallaghian ne regarda pas son équipier: c'était sur le conteneur grillagé où croupissaient les deux malheureuses captives de Jebag nar An'Jebag qu'il gardait les yeux rivés, tandis qu'il exposait ses intentions avec la plus sombre détermination:

-–- On va faire autrement, officier. On va s'occuper nous-mêmes de Berzhek et de sa bande de porcs. On va en finir définitivement avec eux, ici et aujourd'hui!

-–- Par «On», vous voulez dire: «Nous tous seuls»?! Vous… Vous êtes sûr que vous avez pas pris du Hallex, vous aussi?!

Le Turien finit par planter son regard terrifiant dans celui de son jeune équiper humain. Sa voix déjà naturellement caverneuse résonnait de manière plus effroyable encore, lorsqu'il pointa une serre agressive vers la prison d'infamie du gang mercenaire:

-–- Regarde ces deux pauvres gamines, officier Jordan Washington. Regarde-les bien! Toutes les victimes de Jebag nar An'Jebag méritent une vraie justice – les morts, mais aussi les vies brisées à jamais comme les leurs. Tu es d'accord avec ça? Bien! Et pourtant, si le SSC attaque en force, la plupart de ces fumiers de mercs seront assez futés pour rendre les armes face à trop forte partie, et ceux-là se retrouveront donc mis en état d'arrestation dans les règles. C'est-à-dire qu'après ça, il y aura encore des procédures légales, des avocats, beaucoup de paperasse et de mensonges sous serment... Avec notre intrusion ici hors de tout cadre judiciaire, il sera facile de faire jouer le vice de procédure, de rejeter les preuves que nous aurons réunies... Certains de ces salopards pourraient alors se retrouver dehors bien plus tôt qu'ils ne l'auraient mérité, voire même bien plus vite que nous on ne l'aurait vu venir! Est-ce que c'est vraiment comme ça que tu veux que tout ça se termine, officier Jordan Washington?

L'Humain ne répondit pas immédiatement: il observait à la dérobée derrière leur grillage les deux jeunes esclaves traumatisées, dont les regards vides et égarés s'efforçaient d'éviter de croiser le sien.

-–- Non, pas vraiment, finit-il par admettre à regret.

-–- Bon, on est donc d'accord là-dessus! trancha Harrius sur un ton sans réplique. Quant à vous, Docteur Veltrin, il est inutile que vous vous retrouviez prise au milieu des tirs croisés. Nous pouvons vous exfiltrer par où nous sommes venus avant que...

-–- Minute, Inspecteur! protesta vigoureusement l'intéressée, mains sur les hanches. Est-ce que par les Esprits, je vous donne vraiment l'air d'une faible demoiselle implorant qu'on la mette à l'abri des coups?! Ce qui se passe ici me dégoûte autant que vous, ajouta-t-elle en jetant à son tour un regard vers la grande cage et ses deux prisonnières. J'ai donc autant à cœur que vous de mettre fin à tout cette abomination, et de punir ces sales brutes comme ils le méritent réellement! Et croyez-moi, on ne sera pas trop de trois soldats bien entraînés pour y parvenir...

Sous les regards interloqués des deux francs-tireurs du SSC, la doctoresse alla ensuite d'un pas décidé récupérer le fusil Vindicator du garde turien égorgé sur son lit de camp, ainsi que son Omnitech et quelques cartouches thermiques de rechange. Puis après avoir rapidement vérifié son arme d'un œil visiblement expert, elle déclara d'une voix où ne perçait qu'une très légère note de regret:

-–- ...Tout cela finira peut-être très mal pour nous tous. Mais au moins, on ne partira pas sans s'être bien battus, pour une noble cause! Alors tout bien pesé, moi, ça me convient...

Kallaghian contempla longuement la belle et fière Turienne, d'un regard où le respect martial ne l'emportait que de peu sur la pulsion bestiale. Ce n'est qu'une fois cette dernière réprimée, que le vétéran de la Garde Noire put enfin répondre d'une voix posée:

-–- En vérité, je n'en attendais pas moins d'une héroïne de la 43ème de Marines telle que vous, Doc! On dirait qu'on commence déjà à plutôt bien se cerner l'un l'autre, vous ne trouvez pas?

-–- Vous pensez vraiment que le moment est bien choisi pour faire votre numéro de charme, Inspecteur? plaisanta amèrement Tanyd.

-–- Au point où on en est, décidez-vous donc enfin à m'appeler Harrius, Docteur, insista Kallaghian. Et puis, vous l'avez dit vous-même: une nouvelle occasion ne se représentera pas peut-être plus, d'ici peu…

-–- Eh bien, ce n'est pas exactement ce que j'avais en tête quand j'ai dit cela, hum, Harrius... Mais c'est promis: si on s'en sort, on se trouvera un coin de bar sympa pour aller fêter ça tous ensemble!

-–- Avec joie, Doct… Tanyd. Je suppose que ma réservation au Ryuusei Sushi Bar a sauté, maintenant... Mais bon, l'endroit était trop guindé, de toute façon. Et je connais deux ou trois clubs pour vétérans sur la Citadelle, où des héros fatigués peuvent boire à en rouler sous la table, sans écorner leur pension pour autant...

-–- Oh, par pitié! finit par intervenir Washington avec agacement. Je n'avais encore jamais vu de militaires turiens aussi bavards que des érudits galariens! Si ça ne vous fait rien, on pourrait peut-être s'activer un peu pour préparer notre défense?! Dites-moi juste qu'on a un plan, oui?

Harrius Kallaghian fit rapidement claquer sa grosse langue bleue. En dépit du peu de temps passé avec lui, L'officier Washington avait déjà appris que ce tic de la part de son supérieur turien signifiait qu'il allait avoir une longue tirade à sortir. Il ne fut pas déçu...

-–- Les militaires turiens préfèrent généralement s'appuyer sur un bon gros volume de feu, rappela l'Inspecteur en préambule. Mais aujourd'hui, à trois contre une douzaine, la puissance de feu n'est clairement pas de notre côté! En infériorité numérique, je suggère donc de nous rabattre sur les tactique de harcèlement "hit and run" telles que les pratiquent les commandos asari. Je déclinerais ça en une variante de la bonne vieille tactique de l'enclume et du marteau, que j'appellerai pour la circonstance: "L'appât frontal et les coups d'aiguille dans le cul"!...

Le docteur Veltrin et l'officier Washington échangèrent des regards consternés. L'Inspecteur avait décidément un goût immodéré pour les expressions très imagées; mais au moins, chacun comprenait immédiatement où il voulait en venir... Kallaghian poursuivait d'ailleurs déjà sur un ton péremptoire:

-–- ...Vous deux, vous êtes les éléments les moins mobiles et les moins furtifs – c'est-à-dire: l'appât! Vous tiendrez donc une bonne position défensive, sans dissimuler la faiblesse de vos effectifs, de manière à attirer sur vous une bonne partie de l'attention des mercenaires. Et pendant ce temps-là, moi, avec mon expérience d'Infiltrateur et mon module de camouflage optique, j'en profiterai pour les harceler sur leurs arrières, et leur infliger des pertes ponctuelles, mais décisives à la longue...

L'ex-commando turien confirma son plan d'action, en pointant une serre vers le bas de la longue rampe par lequel lui-même et son équipier étaient descendus dans cette cave:

-–- Voilà la position que vous devrez tenir tous les deux, en tâchant d'y fixer un maximum de nuisibles. À part quelque conduits trop étroits pour des types en armure, il n'y a pas d'autre accès à cette pièce que cet escalier, qui représente un véritable goulot d'étranglement. Ce serait la position défensive idéale, si l'on l'excepte le fait que vos adversaires maîtriseront la hauteur, tandis que vous serez en contrebas! Alors faites juste en sorte de vous préserver des grenades qu'ils ne manqueront pas de vous balancer, en établissant deux postes défensifs fermés, ici au débouché de la porte, qui vous protégeront des éclats et effets de souffle venant de n'importe quel angle. Washington, tu devrais arriver à monter tout ça rapidement avec ton Omnitech magique, non?

Tout en parlant, Harrius embrassait du regard le sol encombré de divers détritus, en faisant mentalement l'inventaire de la quantité de ferraille, de caisses, et de piles de plaques d'acier présentes sur place: il y en avait visiblement plus qu'assez pour la construction de deux barricades circulaires individuelles improvisées. Il s'aperçut alors que le Docteur Veltrin était apparemment en train d'établir le même constat de son côté. Lorsque leurs regards se croisèrent à nouveau, la vétérane des rudes combats d'Agebinium déclara d'une voix ferme:

-–- Je sais comment ça fonctionne, Inspecteur, merci. En fait, je me suis déjà retrouvée dans une situation semblable, face à une contre-attaque inattendue de Cerberus. Cette fois-là, c'était lors de la capture d'une base secrète sur Sanctum...

Jordan Washington intervint alors à son tour, en brandissant l'Omnitech qu'il venait d'activer autour de son avant-bras:

-–- Quant aux grenades à main, j'en fais mon affaire, Docteur. J'ai ici de quoi désactiver à distance n'importe lequel des dispositifs à retardement que ces fils de pute pourraient nous envoyer, juste assez longtemps pour qu'on l'expédie à l'écart tout au fond de la pièce... ou qu'on le leur rebalance avec nos meilleurs vœux!

Tanyd Veltrin détailla un court moment les traits décidés de l'Humain, avant de se tourner à nouveau vers l'Inspecteur. Et c'est d'une voix très sérieuse qu'elle affirma:

-–- Vous semblez décidément bénéficier d'un équipier très précieux, Inspecteur. Vous devriez vraiment lui témoigner davantage de respect, je crois.

-–- C'est à l'étude, grogna Kallaghian, tout en envoyant cependant un coup de menton approbateur à l'adresse dudit équipier.

-–- Monsieur, intervint à nouveau Washington, de combien de temps pensez-vous que nous disposerons avant que...

Les éclairages secondaires se rallumèrent soudain dans la grande salle, donnant un meilleur aperçu sur le dépotoir qui servait de prison aux mercenaires. L'instant d'après s'éleva la plainte stridente d'une sirène d'alerte, qui résonna dans tous les couloirs de l'ancienne usine. De toute évidence, Berzhek et ses hommes venaient de prendre conscience de l'intrusion dont ils avaient été victimes. Jebag nar An'Jebag ne manquait sans doute pas de rivaux, et pour l'instant, les mercenaires se demandaient probablement encore lequel parmi ceux-ci pouvait bien avoir eu l'audace de venir s'en prendre à eux sur leur propre territoire; leurs premiers réflexes seraient donc de vérifier les issues, et les historiques de leurs dispositifs de surveillance. Mais une fois qu'ils auraient compris que les intrus n'étaient autres que les agents du SSC qu'ils avaient défiés, il ne faudrait alors plus très longtemps pour qu'ils convergent en nombre vers le lieu de détention de leur otage turienne.

-–- On dirait bien que ça commence maintenant, en fait! commenta Tanyd avec fatalisme.

-–- Par les putains d'Esprits! confirma Harrius sur un ton très remonté.

Le temps que Jordan Washington tourne le visage vers lui pour acquiescer, l'ex-commando turien de la Garde Noire avait déjà disparu, tout comme s'il ne s'était jamais tenu là...

.

[ À suivre... ]