Stiles avait mis du temps à venir. Dix minutes s'étaient écoulées entre le départ de Scott – qui avait remporté la Jeep – et la venue de Stiles dans la pièce principale du hangar. Pour ne pas causer de problèmes ni agacer l'hyperactif, Liam garda sous silence ce qu'il avait entendu mais ne put ignorer l'air las de Stiles, ni la tristesse que contenait son odeur.

Et pour ces raisons fort simples, il peina à s'entraîner. L'idée, c'était de l'aider à contrôler sa transformation, d'où la présence de Stiles. Oui mais pour cela, il fallait déjà qu'il se transforme.

Il n'y arrivait pas.

- Bon, soupira Stiles, on fait une pause.

Liam sentit ses joues rougir de honte. Il savait très bien qu'il le décevait et qu'il lui faisait simplement perdre son temps. Il alla s'assoir sur une poutre laissée à l'abandon au sol.

- Désolé, s'excusa-t-il en baissant les yeux.

Agir ainsi n'était pas vraiment dans ses habitudes. Lui, son truc, c'était de s'énerver et d'ordinaire, il devrait être en train de se fustiger en rageant sur son incompétence. Là, il se contentait de… Rougir comme un idiot, bredouiller de vagues excuses sans arriver à regarder son ami dans les yeux. En fait, la conversation qu'il avait surprise et les bruits qu'il avait entendus… Oui, forcément, ça l'avait remué. Bordel, ils s'étaient roulés des pelles d'enfer et leur excitation l'avait contaminé ! Enfin, pas totalement, dans un sens seulement… Et d'un autre côté, la « dispute » restait ancrée en lui.

Stiles, bienveillant comme à son habitude, vint s'assoir à côté de lui. Liam ne put ignorer la lourdeur émotionnelle de son odeur. Malgré son hyperactivité, il était d'une patience exemplaire. Peu s'étaient portés volontaire pour l'entraîner à maîtriser sa transformation. Plus que ça : Stiles avait eu les couilles de prendre ce problème en charge alors qu'il n'était… Qu'un humain. D'un point de vue objectif, il était si simple de le blesser ! Sa peau tendre et fragile était du genre à marquer facilement, il avait une résistance minime à la douleur et une constitution telle qu'il était incapable pour lui de guérir aussi rapidement qu'un loup. Un humain oui. Un humain qui restait à ses côtés, cherchait tout de même à l'aider. Sous sa forme lupine, Liam était aussi dangereux que n'importe quel loup et chaque fois, il appréhendait l'entraînement. Parce qu'il était parfois terrifié à l'idée de lui faire du mal. Cela n'arrivait pas, tout simplement car sa condition humaine poussait Liam à redoubler de vigilance, mais… Ce n'était pas ce qui le paralysait en ce jour.

Une légère douleur vint sortir le louveteau de ses pensées : Stiles venait de lui faire une pichenette.

- Bon, p'tite tête, si tu me disais ce qu'il t'arrive ?

Sa voix était agréable à entendre. Beaucoup critiquaient son débit de parole et ladite voix qui leur faisait faire des cauchemars selon leurs dires – quoi de pire que de ne plus connaître le bonheur du silence ? – mais Liam n'était pas de cet avis. Il aimait beaucoup sa voix et ses mots, certes bien trop nombreux, le rassuraient, dans une certaine mesure. Disons que Stiles n'était pas du genre à laisser qui que ce soit sans réponse et Liam appréciait beaucoup cela. Il avait toujours détesté être dans le flou et la moindre incompréhension le frustrait, parfois au point de l'énerver. Et aujourd'hui, il en avait, des incompréhensions.

- Euh…

Liam hésita. Très franchement, il savait qu'en parler lui ferait du bien et lui apporterait des réponses, mais… C'était gênant. Non seulement il avait épié – sans le vouloir, vraiment sans le vouloir ! – une conversation privée, mais en plus… Cet échange si… Sensuel… A nouveau, il se sentit rougir. Il avait les hormones en ébullition en ce moment et ces bruits, ces souffles échangés, ces odeurs excitées… Le louveteau se gifla mentalement. Ce n'était pas le moment. Et puis même si c'était le moment, il ne pouvait pas décemment avouer que ça l'avait un tantinet… Emoustillé. Sans oublier ce contraste fou entre la dispute, le baiser endiablé dans lequel Scott avait vraisemblablement embarqué Stiles et le comportement passablement égoïste du loup. Les mots qu'il avait employés, si crus, étaient ancrés dans sa mémoire.

- Liam, on va pas y passer la nuit.

Le louveteau se crispa. Stiles avait des choses à faire, lui aussi et s'occuper de lui toute la soirée ne faisait certainement pas partie de ses plans. Puis il y avait Scott. Sans doute devaient-ils passer la soirée ensemble, comme le faisait la plupart des couples mais…

- Tu veux que je te ramène ? Demanda subitement Liam sans réfléchir.

… Il avait parlé sous le coup d'une impulsion soudaine, quasi impossible à contrôler. Et il se crispa. Parce que poser cette question montrait qu'il savait des choses. Des choses qu'il n'aurait pas dû entendre. Il s'attendit alors à une réaction vive de la part de Stiles : de l'indignation, de la colère, peut-être de la stupeur. Mais il n'entendit rien. Pas un éclat de voix. Pas de voix tout court. Il releva timidement les yeux vers l'hyperactif et fut surpris de le voir si calme, le visage si… Las. Stiles semblait fatigué pour une raison obscure et avait dans les yeux cette absence de lumière que Liam lui voyait de temps à autres. Les yeux de Stiles n'étaient plus couleur miel : ils paraissaient être d'un marron des plus banals. Pourtant, Liam les avait toujours trouvés spéciaux, uniques. Ils possédaient une teinte singulière, un fond de vert qui éclaircissait la noisette. Mais c'était si discret que le voir était difficile. Il fallait pour cela que les rayons du soleil l'éclairent directement, mettant en valeur ses prunelles pas si banales que ça. De manière générale, Stiles était particulier. Il n'y en avait pas deux comme lui. Et Liam espérait qu'il ne lui tiendrait pas rigueur de son indiscrétion…

- Désolé…

- C'est bon, t'inquiète, éluda l'hyperactif d'un ton sans âme en faisant un geste vague de la main. C'était pas… Secret, de toute manière. Et ouais, j'apprécierais de… Pouvoir dormir chez moi ce soir.

Il ponctua sa phrase d'un petit rire sans joie, un rire plus que parlant. Etonnamment, il reprit :

- Tu dois me prendre pour un idiot complètement parano, hein ?

- Quoi, par rapport au fait que tu penses qu'il te trompe ? Lâcha Liam avant de prendre conscience des paroles qu'il venait de lâcher. Merde, pardon je… Je sais vraiment pas pourquoi je…

Un rire un peu plus sincère le coupa dans sa faible tirade. Cette fois, Stiles riait vraiment.

- J'adore ton honnêteté, dit-il en se recoiffant légèrement. Tu dis les choses telles qu'elles te viennent et c'est… C'est drôle.

- Mais tu devrais m'en vouloir, souligna Liam, un peu perdu.

- J'peux pas t'en vouloir. J'pourrais jamais t'en vouloir, Liamou. C'est plutôt à Scott que j'en veux en ce moment. Mais attends… C'est ça qui te perturbe depuis tout à l'heure ?

Touché. Liam détourna le regard, sans se départir de la honte qui l'habitait depuis le début de l'entraînement. Incapable de mentir sur ce fait, il hocha fébrilement la tête… Et eut la surprise d'entendre Stiles rire. Rire, et puis il le sentit ébouriffer ses cheveux blond foncé, cette touffe éternellement en bataille. En cela, ils se ressemblaient : capillairement parlant, ils étaient tous deux des catastrophes, incapables de discipliner leur tignasse des enfers.

A ce geste affectif, Liam ne sut pas trop comment réagir parce qu'il sentit une espèce de chaleur étrange se diffuser en lui, quelque chose d'agréable, qui… Dériva rapidement. Il ne fallait pas oublier un détail pour le moins important : il était un loup fraîchement mordu, avec tous les inconvénients que cela créait. Le carnage de ses hormones en était un bon exemple puisque la scène auditive qui l'avait un tantinet excité lui revint en mémoire. Les souffles entremêlés, les soupirs érotiques, le bruit mouillé des lèvres se cherchant… Liam se gifla intérieurement. Pourquoi se rappelait-il de cette scène pour le moins gênante ? Pourquoi l'émoustillait-elle ? Pourquoi y attachait-il de l'importance ? Pourquoi ne passait-il simplement pas outre ? Bordel, c'était… C'était un moment intime entre son alpha et son… Son… Son mec. Oui, Stiles était son mec, son petit-ami, son compagnon, son… Une minute, un compagnon, c'est une âme sœur. Scott et Stiles étaient-ils aussi proches que cela ? Ils…

- Tu devrais penser à moins réfléchir, on dirait moi, s'amusa Stiles.

Savoir que l'hyperactif avait plus ou moins vu clair dans son jeu lui fit l'effet d'une douche froide qui eut le mérite de faire disparaître le côté excitant de la chose. Et de lui en rappeler d'autres. Oui, lui rappeler par exemple que Scott s'était comporté comme un empaffé, l'embrassant de manière érotique – stop, Liam, stop – pour faire taire Stiles sans lui demander son avis. D'un point de vue objectif, c'était mal et un tantinet irrespectueux, surtout d'après les dernières paroles du fils du shérif qui avait clairement montré son mécontentement. Oui, mais Liam n'était justement pas objectif à l'heure actuelle.

- Tu me contamines, maugréa Liam, gêné.

Il aimerait lui parler, lui dire qu'il trouvait que Scott s'était comporté comme le dernier des connards, mais il doutait que Stiles apprécie. Déjà qu'il les avait écoutés… Sans le vouloir, certes, mais les faits restaient les mêmes.

L'entraînement ne reprit pas. A vrai dire, ni l'un ni l'autre n'était d'humeur et Stiles faisait valoir son habituelle philosophie du « si tu n'as pas la tête à ça, tu ne le fais pas ». Liam avait bien essayé d'insister pour la forme, mais Stiles lui avait dit qu'il ne servait à rien de s'acharner et qu'à la rigueur, ils n'auraient qu'à trouver un jour où ils étaient tous les deux disponibles. Pour lui, ce n'était pas perdu et Liam… Finit par accepter, un tantinet soulagé. Déjà qu'il avait des difficultés à se contrôler, si en plus il pensait sans arrêt à autre chose… Oui, finalement, c'était mieux comme ça.

Au final, ils discutèrent un moment, un long moment, passant en revue divers sujets et Liam tint à ramener Stiles. Il aurait pu rentrer à pied – il avait argué que ça lui permettrait de bien ruminer sa colère envers Scott pour bien le lui faire payer par la suite à l'aide d'une vengeance fort bien réfléchie –, mais le louveteau insista et ce fut au tour de l'hyperactif de capituler.

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Stiles déposa son sac à côté de son lit et se laissa choir dessus. La bonne humeur et le côté mignon de Liam lui avaient changé les idées avec une efficacité impressionnante, mais maintenant qu'il n'était plus là… Sa rancœur avait repris du poil de la bête.

Ces derniers temps, Scott abusait, dans tous les sens du terme. Il profitait du statut spécial de leur relation pour en demander plus, toujours plus. Il imposait parfois à Stiles des choses qu'il ne désirait pas : le coup de la voiture en était un très bon exemple. Il avait également une très mauvaise manie, celle de tout arranger avec le sexe et même si c'était diablement bon – disons-le –, Stiles n'en ressortait pas satisfait parce qu'au final… Rien n'était réellement réglé. Il enterrait juste le problème, le lui faisait parfois oublier et il en ressortait tranquille. Petit à petit, ce côté de lui apparaissait et tendait à agacer Stiles au plus haut point. Il allait falloir qu'ils aient une discussion, une vraie, sans sexe. Parce que Stiles était faible. Scott le rendait fou, il le faisait fondre. Sous ses doigts, ses mains, ses assauts, il ne répondait plus de rien. Et puis… Il l'aimait. Lui refuser quelque chose était également difficile pour lui car le rendre heureux était une de ses priorités. Pour autant, Stiles restait lucide et savait fort bien que ce n'était pas juste, qu'il n'avait pas à tout accepter.

Après deux bonnes semaines de silence et de remises en question, il était prêt à faire entendre ses revendications.

Lorsque Scott le rejoindrait après le travail, ça allait barder.