J'ai l'impression que ça faisait une éternité que j'avais pas posté... Et ben c'est reparti !

J'aime beaucoup ce chapitre, je sais pas trop pourquoi. Il y a de nouveau un face à face, on progresse ! Ah et CW : gloutonnerie. (Il risque d'y avoir plusieurs scènes liées à la nourriture dans cette fic, forcément.)

C'est parti !


L'ambiance était extrêmement tendue, comme toujours.

Katakuri détestait ces réunions. C'était la seule occasion qu'il avait — en dehors des Tea parties — de voir tous ses frères et soeurs mais ça ne se passait jamais bien. Tout le monde se servait de son temps de parole pour blâmer ses adelphes, à propos de tout et n'importe quoi. C'était la foire au passif-agressif et aux non dits explosifs. Ils en faisaient beaucoup ces derniers temps ; l'absence prolongée de Mama, le silence du Chanter, en plus des travaux et de la confusion générée par l'attaque de Chapeau de Paille... Tout cela demandait énormément d'efforts et ils avaient besoin de communiquer entre eux pour coordonner leurs actions. Malheureusement, chacun voulait imposer son point de vue aux autres et avoir raison. Le plus souvent, se réunir ne menait à rien.

Ils s'engueulaient pendant deux, trois heures, puis chacun retournait sur son île, sans nouvelles instructions.

Katakuri avait deviné quel serait le sujet du jour à la seconde où il s'était assis autour de la table. Et il n'avait pas eu besoin de voir l'avenir pour ça, les regards qu'on lui jetait étaient suffisamment éloquents. Il avait l'habitude maintenant. Leur confiance en lui n'existait plus. Personne n'avait accepté son mensonge — après tout, s'il leur avait caché ça, qu'est-ce qu'il pouvait bien cacher d'autre ? — et encore moins son visage. Les rares fois où il croisait leur regard, il décelait immédiatement leur dégoût. De fait, il évitait soigneusement le contact visuel.

Il savait que les reproches allaient tomber mais il était prêt. Il voulait se débarrasser de cette corvée au plus vite. Si ça ne tenait qu'à lui, il ne viendrait même pas à ces réunions. Elles leur faisaient perdre un temps monstrueux qu'ils pourraient consacrer à la reconstruction du pays. Il comptait encaisser les attaques et mettre les voiles, il avait plus important à gérer et craignait que son absence cause de gros problèmes à l'île du Blé, livrée à la présence inquiétante d'un lieutenant ennemi.

Au moins, son escargophone n'avait pas sonné de la matinée, ce qui signifiait que King n'avait pas encore essayé de mettre le feu.

Compote, sa sœur aînée, lasse de voir tout le monde piailler d'agacement, réclama le silence. En l'absence de Mama et de Perospero, c'était à elle que revenait la charge de présider leurs réunions familiales. Elle s'était octroyé ce poste sans demander l'avis de personne mais son droit d'aînesse faisait autorité et sa ressemblance frappante avec Mama mettait fin à toute idée de protestation. Comme si elle était naturellement faite pour lui servir de doublure.

— Calmez-vous, vous n'êtes plus des gosses ! S'exclama-t-elle, pour en calmer certains.

Cracker, qui était visé par ce rappel à l'ordre, se renfrogna en croisant les bras. Sa convalescence avait été longue et il avait beaucoup de mal à se remettre de sa défaite contre Chapeau de Paille. Son orgueil avait été piqué et depuis, comme pour détourner l'attention de son propre échec, il ne perdait pas une occasion d'enfoncer les autres ou de souligner leurs erreurs. Ce qui ne facilitait pas le dialogue.

— A chaque fois ! s'agaça Compote. A chaque fois on perd un temps fou à cause de vos querelles d'égos ! La situation est grave je vous rappelle.

Son invective entraîna une vague d'indignation.

— Et à qui la faute ? J'avais dit qu'on aurait dû mettre le pognon dans la surveillance, mais non ! Tout le monde s'est concentré sur la reconstruction du château, alors que Streusen est encore dans le coma... Si on m'avait écouté, on saurait peut-être où est Mama en ce moment !

— Mama est parfaitement capable de se débrouiller sans nous, il faut que tout soit nickel pour son retour ! Vous ne comprenez pas ? Vous préférez vivre dans un champ de ruines ?

— On s'en fout de ça ! On est déjà vulnérables aux yeux du reste du monde, on ne va pas tout jeter dans la déco, merde ! On a besoin de navires, de troupes ! Sans le pouvoir de Mama on est obligés d'embaucher des MERCENAIRES ! Vous réalisez un peu ou pas ? C'est humiliant !

Katakuri jouait machinalement avec les pointes de ses bracelets, le regard éteint. A quoi bon être attentif ? Il avait autre chose en tête et il savait que personne n'aborderait le sujet : Pudding. Ca faisait des jours qu'ils étaient sans nouvelles. A part lui, personne ne semblait s'en inquiéter. Il n'était pas étonné que ce ne soit pas à l'ordre du jour mais il avait espérer que quelqu'un mentionnerait son nom, au moins une fois. Mais tout le monde s'en fichait. Seul les noms de Mama et de Perospero revenaient dans la conversation.

Il sentait le regard de Cracker et faisait de son mieux pour l'ignorer. La prochaine attaque était pour lui, il le pressentait. Par réflexe, il se concentra sur l'avenir et devina la suite.

"Sans parler de ceux qui servent la soupe à l'ennemi et l'utilise comme excuse pour ne rien foutre et cacher leur incompétence..."

Il brisa une des pointes de son bracelet entre ses doigts. Il avait été habitué aux louanges pendant si longtemps qu'il avait de nouveau du mal à encaisser les piques de sa famille. Encore plus quand elles étaient injustifiés. Il avait choisi de ne jamais montrer la peine que ça lui faisait et de rester fidèle à lui-même : stoïque. Mais cette fois, la colère prit le dessus. Il leva les yeux et croisa ceux de son frère. Il n'avait pas encore ouvert la bouche, il était encore temps de tuer son insolence dans l'œuf.

— Réfléchis bien avant de l'ouvrir, lui lança-t-il. Tu veux vraiment parler d'incompétence après ce qu'il s'est passé ?

Sa voix caverneuse jeta un froid et réduisit tout le monde au silence. Personne ne croyait qu'il oserait parler aussi franchement. Il avait peut-être perdu leur confiance mais il imposait toujours un certain respect auquel se joignait la crainte quand il partageait son opinion. Il anticipa la suite et profita de la sidération générale pour faire valoir son temps de parole.

— Vous vous plaignez de situations qui n'ont absolument rien de problématique pour le moment. Les travaux avancent et ça prend du temps. C'est normal, que chacun joue son rôle et tout ira bien. L'absence de Mama devrait vous soulager pour faire votre travail, pas vous stresser davantage.

Cette dernière phrase entraîna un murmure désapprobateur. Compote fut la seule à le reprendre.

— Comment oses-tu ? Tu te réjouis de l'absence de Mama ?

— Je n'ai pas dit ça. Je dis que ce n'est pas un prétexte pour paniquer concernant la gestion de l'île. Nous sommes tous capables de faire face sans elle, sinon à quoi bon nous laisser seuls ?

Sa grande sœur plissa les yeux. Les autres se contentèrent de le regarder avec défiance.

— Les homies sont toujours actifs, ce qui signifie que Mama est en bonne santé. Le véritable problème est que nous sommes toujours sans nouvelles. A ce propos, j'ai interrogé notre invité et malheureusement il n'en sait pas plus que nous.

— Invité ? S'offusqua Cracker. Tu te fous de nous ?

— Oui. Il m'a confirmé que notre équipage avait fait alliance avec celui des Cent Bêtes. Raison pour laquelle je lui sers la soupe en ce moment. Nous avons plus a gagner en le traitant dignement.

Le brouhaha indigné reprit et Katakuri se renfonça dans son fauteuil. Il regretta l'absence de son écharpe, d'habitude il pouvait s'y cacher et grimacer à l'abri des regards. Des cris choqués fusaient ça et là et l'accusaient de mentir ou d'être stupide de croire un sous-fifre de Kaido. La rivalité de leurs deux équipages n'allait pas aider les choses.

— ASSEZ ! S'exclama encore une fois Compote en frappant du poing sur la table.

Elle fusilla tout le monde du regard et se tourna vers son cadet. Elle était calme mais son regard était glacé.

— Katakuri, dit-elle lentement, est-ce la vérité ? Nos équipages sont alliés ?

— Oui.

— Et qu'as-tu appris d'autre ?

— Il prétend avoir vu Mama et Perospero sur Onigashima, ils ont pris part à une bataille. Puis il a été vaincu par un des membres de l'équipage de Chapeau de Paille. Il prétend ne pas savoir plus que nous où se trouve Mama.

— Alors il n'a rien à faire ici, répéta Cracker sur un air de défi. Tue le ou enferme le.

Katakuri l'ignora et reprit son laïus.

— Je me répète : ce qui devrait nous inquiéter aujourd'hui c'est que nous n'avons aucune information sur leur sort ! Combien de disparitions vous faut-il encore ? Combien de réunions inutiles allons nous faire avant de nous décider à rechercher nos proches ?

— Et toi, en combien de temps comptes-tu retrouver Pudding ?

Voilà, le genre de balle perdue qu'il attendait depuis le début de la réunion. Il se sentit idiot car il n'avait rien à répondre. Il n'avait aucune piste et King lui avait fait perdre du temps dans ses recherches. Cracker sauta sur l'occasion comme s'il était lui aussi capable de prédire l'avenir.

— Voilà un silence éloquent. Ton "invité" t'as détourné des priorités et tu as le culot de nous blâmer. Enfermons-le dans la bibliothèque une bonne fois pour toute, que notre grand frère puisse revenir à sa tâche principale et se rappeler pour qui il travaille.

— Non, il a raison, reprit Compote. Si une alliance avec Kaido est en cours, il n'est pas question de malmener son plus fidèle lieutenant. Il vaut mieux le prendre par la douceur et lui faire cracher tout ses secrets. Katakuri, débrouille toi pour le faire parler. Il en sait sûrement plus qu'il ne le dit. Cracker, ta flotte peut-elle prendre la mer bientôt ?

— Tu ne comptes quand même pas me faire partir ?! Je viens de dire que le pays était vulnérable ! Je ne peux pas laisser le pays comme ça !

— La flotte de Snack est toujours là, ainsi que celle de Katakuri. C'est bien suffisant. Nous ne sommes pas aussi faibles, Cracker.

— On devrait voter !

Katakuri s'abstint de participer au reste de la réunion. Les "votes" n'aboutissaient jamais à rien. Il était satisfait de voir que sa sœur aînée l'avait entendu mais il était également le seul à qui elle s'était permis de donner un ordre direct. Sans doute parce qu'elle savait qu'il ne discuterait pas. Depuis qu'il avait révélé son visage, tous avaient profité de sa réputation de bon garçon et de son désir de se racheter auprès d'eux pour lui faire faire certaines de leurs tâches. Au moins, celle-ci n'était pas dénuée de bon sens.

Il se ferma aux voix alentour et pensa à Pudding. La seule fois où elle était venue dans la conversation, c'était pour le mettre en porte à faux. Personne ne semblait réellement s'en soucier à part lui. Peut-être que les plus jeunes de la fratrie souhaitaient agir mais ils étaient trop intimidés par leurs aînés pour prendre la parole et risquer d'être le nouveau ou la nouvelle paria familial. Ce serait donc à lui de se débrouiller seul.

La dialogue n'était jamais facile dans leur clan, il l'était encore moins depuis sa défaite contre Chapeau de Paille. Il n'avait plus qu'à s'assurer de retrouver Pudding pour regagner un peu de la confiance qu'il avait perdu.

Les recherches de King n'avait rien donné. N'y avait-il donc rien de consistant à manger dans ce pays ?

Au moins, les habitants étaient moins agaçants que les homies. Les tenanciers des quelques restaurants qu'il avait trouvés sur sa route s'étaient confondus en excuses polies lorsqu'il leur avait demandé ce qu'ils servaient. "Pardon monsieur, nous ne servons que des pâtisseries."

Il avait reprit la route du palais, décidé à retourner le cellier jusqu'à trouver son bonheur. Ou, à défaut de trouver ce cellier, trouver Katakuri et lui demander d'être un hôte digne de ce nom et de ne pas le laisser mourir de faim. Il n'aimait pas l'idée de ramper à ses pieds mais il avait bon espoir que la droiture légendaire du Général joue en sa faveur. Sa petite promenade en ville lui en avait appris beaucoup sur lui. Non seulement ses sujets le respectaient, admiraient sa force, mais ils l'appréciaient. Il l'avait deviné à la façon dont les gens se méfiaient si peu de lui. Ils avaient une confiance absolue en leur seigneur et savaient qu'il interviendrait si jamais King se décidait à leur faire du mal.

Il ne savait pas quoi en penser. Il était habitué à la méthode de Kaido, qui consistait à marquer sa supériorité par la force physique. Il ne doutait pas une seconde de la puissance de Katakuri mais il pouvait voir aux sourires des gens qu'ils n'étaient pas continuellement terrorisés par un éventuel châtiment de sa part.

Il gravit les marches du palais donut, bien décidé à trouver de quoi le rassasier. Après une brève hésitation, il trouva la force d'interroger un lustre qui pendait au plafond — et il se sentit profondément idiot de le faire — pour lui demander où se trouvait le maître des lieux.

— Le seigneur Katakuri est en pleine réunion familiale, il ne sera pas là avant au moins une heure.

Génial, pensa King, fatigué de tourner en rond. Il se dirigea vers une alcôve abritée, en espérant pouvoir attendre dans le calme. Il pencha la tête pour passer sous le porche et quelque chose attira son attention. Une gigantesque peinture, large de plusieurs mètres et plus haute que lui, ornait le mur en face de lui, du sol au plafond. C'était un portrait sur lequel figurait la famille Charlotte au grand complet. Big Mom au centre, ses quatre vingt et quelques enfants autour d'elle.

King s'approcha un peu plus près pour contempler le tableau. Il n'avait jamais eu l'occasion de voir cette famille au grand complet.

Après un bref examen, il haussa un sourcil et laissa échapper un petit rire moqueur. Big Mom se donnait beaucoup de mal pour que sa famille passe pour une longue lignée d'aristocrates : la peinture représentait ses enfants comme de grands nobles, bien vêtus par des coups de pinceau prétentieux et des couleurs délavées censés vieillir l'aspect de la toile et la rendre plus prestigieuse. Il n'était pas dupe une seconde, jamais ce truc ne pourrait rivaliser avec une véritable fresque de nobles. Mais il devait admettre qu'il remplissait bien son autre fonction : présenter les enfants de l'impératrice.

King était loin de tous les connaître. Il reconnut plusieurs visages, dont celui de Perospero et de Smoothie, une femme qu'il avait aperçue sur leur navire. Plus quelques autres qu'il avait eu le temps de voir avant de les balancer en bas de la cascade de Wano. Les autres lui étaient inconnus, trop jeunes, ou ne correspondaient pas aux avis de recherche qu'il avait en tête.

Son regard s'attarda une seconde sur une zone abimée du tableau, où le visage d'une femme avait été brûlé, avant de enfin repérer Katakuri. Il occupait une place de choix sur le portrait — à droite de sa mère, avec les autres aînés — mais il semblait effacé. Sa haute taille et sa stature impressionnante aurait dû lui garantir une plus grande visibilité mais on devinait à peine sa présence derrière les épaules de ses frères. Il était peint à la va vite, grossièrement dissimulé derrière une fourrure qui lui cachait le visage et lui donnait l'air d'un animal craintif tapi dans son terrier. Une image qui ne correspondait ni à sa réputation, ni à la première impression que King avait eu de lui.

— Si vous avez des questions n'hésitez pas, lui déclara soudain le cadre de la toile.

Évidemment. Même l'objet le plus insignifiant était doué de parole dans ce pays. Cela dit, ça avait ses bons côtés.

— De quand date ce tableau ?

— D'une petite dizaine d'années. Avant la naissance de notre bien aimée Anana.

— Je n'ai pas la moindre idée de qui c'est.

Il scruta davantage le portrait de Katakuri. Il se sentait idiot de le faire, il s'agissait d'une peinture et non d'une photo. Il n'y avait rien à découvrir sur cette image fabriquée et mensongère mais la sensation d'être sur le point de comprendre quelque chose ne le quittait pas.

— Pourquoi votre maître n'a pas de portrait digne de ce nom dans son palais ? C'est à peine si on le voit là-dessus.

— Ce n'est pas le genre du Seigneur Katakuri d'afficher son image, c'est un homme d'une grande modestie.

— Voyez-vous ça.

Il était fatigué d'écouter les louanges de son geôlier. Quel genre de commandant pouvait se faire autant apprécier ?

— Oh justement le voilà, déclara le tableau.

Enfin ! Il en avait assez de mourir de faim et de tourner en rond comme un lion en cage.

— E... Eloignez-vous de moi s'il vous plaît.

Supplia le cadre, qui n'appréciait guère de voir les flammes du lunaria lui frôler le bois. King fit volte face et fonça directement à la rencontre de Katakuri. Il ralentit l'allure en voyant que le moment était mal choisi pour lui adresser la parole : la veine de son front était sur le point d'exploser. Il n'était pas difficile de deviner que sa réunion ne s'était pas bien passée. Néanmoins, il lui barra la route.

— Que me veux-tu ? Gronda Katakuri avec mauvaise humeur. Et je te déconseille de me dire de le deviner.

— Très bien, je ravale ma plaisanterie.

Il avait très envie de demander ce qui avait bien pu pousser les Charlotte à s'écharper entre eux mais il se retint. Il alla directement à l'essentiel.

— Je me demandais si, par miracle, tu avais quelque chose de consistant à manger sur cette île ? A moins que ton projet ne soit de m'affamer pour m'affaiblir.

Katakuri écarquilla de grands yeux ronds. De toute sa vie, il n'avait jamais entendu qui que ce soit se plaindre à propos de la nourriture de Totto Land.

— Pardon ?

Il observa les environs pour vérifier que les murs de son château étaient toujours comestibles. Il n'avait pas l'air de comprendre le reproche.

— Je ne comprends pas. Personne n'a accepté de te servir ?

— Si, mais je ne peux pas survivre en me nourrissant exclusivement de bonbons. Je suis un adulte, il me faut un repas complet avec des nutriments nécessaires à mon organisme. Ce genre de choses.

— Oh. Je vois.

Il soupira et un grondement de colère semblable à un râle animal s'échappa de sa gorge. Il passait vraiment une très mauvaise journée.

— Suis moi.

Il l'invita d'un signe de tête et King lui emboîta le pas sans broncher.

C'était la deuxième fois qu'il lui filait le train et, encore une fois, Katakuri marchait loin devant lui, comme s'il avait peur de se faire poignarder dans le dos d'une seconde à l'autre. C'était tout à fait étrange de la part de quelqu'un capable de voir l'avenir.

Il conduisit King à travers un nouveau dédale qui les menèrent directement dans les cuisines du palais. Katakuri s'avança vers un groupe de minuscules chefs cuisiniers, des humains, qui s'affairaient derrière leurs fourneaux. A la vue de leur patron, ils sursautèrent et se jetèrent au sol à ses pieds. Ils étaient tout tremblants et silencieux, terrifiés par l'homme qu'ils avaient en face d'eux. Depuis son arrivée sur cette île, c'était la première fois que King observait quelqu'un manifester une réelle peur face à Katakuri.

— Qu'y a-t-il pour votre service, Seigneur Katakuri ?

— Relevez-vous, leur ordonna-t-il, un peu gêné. J'aimerai que vous prépariez quelque chose pour notre invité.

Il se tourna vers King de plus en plus tendu.

— Qu'est-ce que tu veux manger ?

— Si vous avez de la viande de monstre marin ça ira très bien.

Katakuri les envoya à leur poste d'un geste discret avant de s'asseoir à la seule table de la pièce, suffisamment géante pour exposer toute une collection de plats sous cloche. Tous les cuisiniers se précipitèrent devant leurs fourneaux, paniqués comme s'ils avaient la mort aux trousses.

— Installe toi, dit Katakuri en lui désignant le siège en face de lui. Il faut que je te parle.

— Tu comptes manger avec moi ?

— Non.

King tira la chaise — elle était muette, quel bonheur — et rejoignit son hôte à table.

— Ta réunion s'est mal passé alors ?

Katakuri le dévisagea.

— Tes serviteurs sont des pipelettes, s'expliqua-t-il pour éviter son courroux.

Pour toute réponse, Katakuri porta la main à son visage et sembla encore vouloir serrer quelque chose dans le vide. Il se rattrapa en croisant les bras sur sa poitrine. Il avait l'air tellement tendu que King commençait à se sentir mal à l'aise lui aussi. Il aurait préféré qu'il s'en aille et le laisse manger seul mais il n'avait pas l'air de vouloir bouger. Il trancha.

— Tu voulais me parler de quoi ?

— Mes frères et sœurs souhaiteraient t'enfermer.

— Naturellement. Oh, une seconde ? s'arrêta-t-il, avec une petite intonation sarcastique. C'est pas déjà le cas ?

Il était incapable de réfréner son insolence. Il aurait certainement mieux fait de se tenir un peu, Katakuri pouvait lui décocher son poing dans l'œil à tout instant, mais ça n'avait pas l'air d'être dans sa nature. Il restait toujours incroyablement calme. King devait admettre qu'il ressentait une certaine admiration pour lui. S'il avait été à sa place, après une réunion avec Queen et Jack, il se serait terré dans un coin avec des meubles à brûler et gare à ceux qui auraient eu l'audace de lui adresser la parole. Mais le fils de Big Mom était professionnel en toutes circonstances. Ce devait être épuisant.

— Non, je te l'ai déjà dit. Tu es confiné sur cette île, pas prisonnier.

— Tu parles, tu m'as laissé avec ces trucs après t'avoir appris que nous étions alliés. Drôle de façon de traiter les invités de marque.

Il secoua ses menottes devant le nez de Katakuri, qui ne broncha pas.

— Je sais quand on me prend pour un imbécile, répondit-il. Je n'ai que ta parole concernant cette alliance et ça ne suffit pas.

— Qu'est-ce que tu veux que je fasse de plus ? Que je te fournisse des preuves ? Désolé de ne pas avoir gardé de souvenirs de la cuite que nos capitaines ont pris ensemble pour sceller leur collaboration. Je ne comprends même pas pourquoi tu me gardes alors que tu pourrais juste me laisser me tirer et avoir un souci de moins à gérer.

Katakuri haussa un sourcil.

— Ce sont mes frères et sœurs, dont je n'ai aucune nouvelle, qui t'ont rapatrié ici. Je ne vais pas laisser filer leur prise comme on relâche une colombe dans la nature.

Ce fut au tour de King de le dévisager. Katakuri baissa les yeux d'un air embarrassé. Il regrettait ce qu'il venait de dire. Et le sachant capable de lire l'avenir, King ne se priva pas pour l'enfoncer un petit plus.

— C'était obligé, la comparaison avec une colombe ?

— Je... Je ne suis pas très doué avec les mots.

— Je vois ça. Bref, ne sois pas hypocrite, avoue que si tu me gardes c'est parce que je fait un joli trophée pour votre équipage. Ca n'a rien à voir avec l'alliance.

Les cuisiniers réapparurent soudain et eurent besoin d'un escabeau pour grimper jusqu'à la table et servir King. Enfin, ce qu'il voyait dans son assiette lui ouvrait l'appétit. Il avait l'impression de ne pas avoir mangé depuis des mois. Il aurait voulu se jeter sur la nourriture sans plus attendre mais les minuscules chefs continuaient d'amener pléthore de couverts et de vaisselle sur la table. Il ne savait même pas à quoi servait les trois quarts des ustensiles qu'on lui présentait et il allait se faire un plaisir de manger avec les doigts pour le leur faire comprendre. S'il pouvait mettre Katakuri dans l'embarras, c'était encore mieux.

— Tu comptes me regarder manger ?

Il ne répondit pas.

Dès que King fut servi, il ignora les nombreuses fourchettes à sa disposition et saisit une pièce de viande entre ses doigts et la porta directement à sa bouche. Il prenait un certain plaisir à ignorer l'injonction au respect de l'étiquette que lui adressait la présentation de son plat. Prisonnier ou pas, il n'avait pas l'intention de se plier aux coutumes de Big Mom. Il savait parfaitement que s'il baissait sa garde, il se retrouverait marié à une de ses filles ou enfermé dans un laboratoire pour subir de nouvelles vivisections.

Mordre dans la viande et déchirer la chair avec ses dents lui redonna aussitôt l'énergie qui lui manquait depuis son réveil. Même s'il avait voulu bien se tenir, il aurait été incapable de ne pas se goinfrer. Le zoan en lui mourait de faim et réclamait son dû.

A la vitesse où il engloutissait la nourriture, il ne pouvait plus dire un seul mot. Il n'était pas du genre glouton mais il avait sous-estimé sa faim. Il mâchait à peine pour avaler et combler le vide abyssal de son estomac, il ne prêtait même pas attention à la graisse salée qui lui couvrait peu à peu les doigts et la bouche. Tout ce qu'il mangeait était délicieux. Il plongea son autre main dans l'assiette et empoigna l'accompagnement. Il y avait des champignons et pommes de terre rôties, couvertes de beurre et d'une sauce légèrement sucrée dont le parfum excita encore plus son appétit. Il se lécha les lèvres pour ne pas perdre une miette des délices de ce plat. Il se prit même à ronger férocement l'os de la créature qu'on lui avait servi, jusqu'à faire craquer la moelle sous ses dents.

Arrivant à la fin du repas, il s'essuya distraitement la bouche du dos de la main et se rappela soudain de la présence de Katakuri. Celui-ci n'avait pas dit un seul mot et s'était contenté de le regarder. Il était toujours stoïque mais King remarqua une lueur presque imperceptible dans ses yeux. Ils étaient légèrement brillants, comme s'il l'avait regardé pendant tout ce temps sans ciller une seule fois. King se demanda s'il l'avait gêné et s'il avait réussi à lui rappeler qu'il venait d'un équipage de brutes sanguinaires. Leurs simagrées de famille faussement aristocratique lui portait sur les nerfs, il était satisfait de montrer qu'il n'avait pas l'intention de s'y conformer.

— Tu ne m'as toujours pas dit ce que tu me voulais, ajouta-t'il pour sortir Katakuri de son mutisme.

Il ne répondit pas et resta éteint, les yeux toujours étrangement voilés et la mâchoire fermée. La voix de King l'atteignit avec quelques secondes de latence.

— Hein ?

— Tu disais vouloir me parler, j'attends toujours.

Il se reprit aussitôt. Il redressa et croisa les mains sur la table. Le cuir de ses vêtements grinça comme pour souligner l'importance de la conversation.

— Comme tu l'as dit, nous sommes alliés, n'est-ce pas ?

— ...Oui ?

— Et bien, puisque tu es là, je vais te demander d'agir comme tel.


Et hop, le petit cliffhanger habituel.

King ne se rend absolument pas compte de ce que Katakuri peut penser en le regardant manger et ça m'amuse beaucoup. (Parce que non, forcément, il est pas dégoûté, mais alors pas DU. TOUT.)

Maintenant que les bases sont posées, ils vont pouvoir enfin interagir plus souvent. Youpi ! Ca va lentement mais c'est essentiel pour ces deux-là. On se retrouve dans deux semaines, des bisous.