Unholy - Sam Smith
Je me noie. Du moins, j'en ai l'impression. Je ne sais pas à quoi je m'attendais, si je pensais que je serais sauvé, ou juste soulagé. La vérité c'est que moi-même, je n'ai aucune idée de ce que je voulais. Pour en revenir au présent, l'eau qui entre dans mes poumons ne me fait même plus mal. Je me sens éteint, comme souvent. En fait, cette sensation de lourdeur sur mon corps, ce poids dans la poitrine, ce manque d'air oppressant, ces yeux fermés sous la pression... c'est habituel. J'en viendrai presque à sourire. L'ai-je fait pour lui ? Pour moi ? Pour un "nous" imaginaire ? Peu importe au final. Je suis là, dans l'eau. Immergée complètement dans cette immensité bleue qui m'appelait depuis des années.
Je ne me sentais plus d'ignorer ses appels désespérés.
J'ouvre les yeux pour les refermer tout de suite après. "Ça brûle, merde." J'y ai vraiment crû pendant un moment, que je pourrais recommencer sans lui. Même là, alors que je me laisse aller complètement, que je sens mon être s'enfoncer de plus en plus loin, de plus en plus profondément dans l'obscurité, je pense à lui. Je pense à son corps contre le mien, à nos souffles qui se mêlaient, à cette illusion de proximité qui n'était que physique. Je pourrais m'en arracher les tripes.
- Grin !
Je l'entends, même. C'est fou que j'entende sa voix raisonnée dans mon esprit, je suis déjà si loin. Bientôt, je ne serai plus là du tout. Je pourrai enfin arrêter de respirer ici, comme ça, sous cette forme.
- Bordel de merde Grin.
Pourquoi je sens qu'on me touche le bras ? Un poisson ? Déjà ? J'espérais avoir le temps de mourir avant de me faire dévorer. Cela ressemble à une main. Je trouve ça fascinant, mon cerveau aura réussi l'exploit de romantiser ma vie jusqu'à la dernière minute. Merci à lui de m'avoir maintenu dans un rêve éveillé tout le long de mon existence.
On me tire, ai-je même encore la totalité de mon bras ? On dirait un piranha, c'est l'animal que j'associe à mon aimé. En tout cas, celui dont je suis tombé malencontreusement amoureux, contre mon gré.
Enfin, tout devient noir, je suis heureux, ma dernière pensée aura été pour lui.
- Je te tiens Grin, je te tiens.
Harry...
Tout n'est plus noir.
J'ouvre les yeux, avec peine, mais j'ai vu pire. J'ai pleuré, je m'en souviens. C'est rare, je n'aime pas ça. J'ai commencé à me confier, puis plus rien. J'ai dû tomber dans les pommes. Ça n'a pas dû durer longtemps.
- Deux minutes et quarante-trois secondes.
Je tourne mon regard vers Draco, assis derrière son bureau : je suis donc sur un canapé à sa gauche.
- La durée de ton évanouissement, deux minutes et quarante-trois secondes.
Je ne réponds rien, trop dans les vapes.
- C'est dans un de tes rêves que tu as vu Grin et son compagnon je me trompe ? Tu ne l'as pas dit clairement, mais au vu de ta panique, je me doute bien que tu n'es pas allé derrière leur porte pour espionner.
Cette fois, j'opine du chef, il me faut avancer sur ce point là aussi. Tout lâcher jusqu'au bout. Foncer tête baissée, lui faire confiance, tester sa capacité à m'aider sans me trahir. Ne me déçois pas Malfoy. Je t'en prie, Draco.
- Donc je me trompe ?
Je fronce les sourcils, je ne suis pas clair ?
- Je te taquine, pas la peine de t'énerver Potter. Ma question finissait par "je me trompe" et tu as acquiescé, ce qui pouvait être compris dans le sens contraire.
Je note que dans ces moments-là, je redeviens souvent "Potter" et non "Harry". Volonté de me taquiner ? Simple habitude ? Ou bien est-ce pour mettre de la distance entre le "nous" client/employé et le "nous" anciennes némésis ?
- Si tu te sens mieux, tu peux revenir au bureau. Il y a un verre d'eau qui t'attend et la présentation de notre prochaine séance. Je ne vais pas chercher à te donner d'explication sur tes rêves maintenant, la séance te sera plus utile.
Je me lève, sans trop de difficultés étonnamment et je vais le rejoindre.
- Nous allons prendre rendez-vous pour toute une nuit, et nous allons aller rendre visite à tes amis moldus.
Je n'ai pas d'amis moldus, donc je présume qu'il dit cela pour rappeler mes origines.
- Et donc ?
- Nous allons soigner le mal, par le mal. Je te garanti que tu auras des réponses à quelques unes de tes questions. Acceptes-tu ?
- J'ai signé un contrat qui m'enlève mon droit de refus je te rappelle Malfoy.
- Ne soit pas si catégorique, contrairement au contrat qui me protège des plaintes, je laisse le choix.
Je soupire, le Harry de Poudlard me semble bien loin, même ma façon de penser est différente. Plus fade, plate, sans ce petit grain qui permettait de dire que Harry Potter était Harry Potter. Il n'y a plus que ma cicatrice pour me définir, tout ce qui fonde mon esprit a disparu, seul persiste mon côté défaitiste qui a toujours plané au-dessus de ma tête. Je l'ignorai avant, laissant place au Harry courageux, celui qui avait sa place dans sa maison.
Clac.
- Monsieur Harry Potter est prié de revenir sur Terre, par Merlin tu ne peux pas écouter quelqu'un plus de deux minutes ?
Draco. Malfoy. Toujours lui depuis la première année. Avec ses remarques, ses changements de camps suspects, sa famille, son sang pur, sa maison, son apparence physique... tout en lui formait et forme toujours l'exact contraire de ma personne. Et pourtant, c'est à lui que je confie la plus lourde mission de toute ma vie. La réponse est évidente Malfoy, je ne peux pas redescendre sur Terre, je suis dans le monde à l'envers depuis plus d'une semaine.
- Mon esprit n'a jamais été aussi changeant. Je ne sais plus quoi dire, quoi faire, quoi penser, je me contredis moi-même, je m'emmêle dans mes propres désirs, dans mes idéaux, et même dans le temps qui s'écoule dès que je sors de ce maudit club. J'ai plus pensé à toi que ces sept dernières années, et Merlin sait que quand je ne pensais pas à Voldemort, je pensais beaucoup à toi et tes projets de mangemort qui n'en était finalement pas un ! J'ai des amis formidables, une famille d'adoption aimante, je suis en vie, j'ai survécu une deuxième fois... et je suis toujours comme mort, et je pense toujours à lui et à toi. Différemment, oui. Je n'ai pas évolué d'un pouce, je suis resté au point zéro. Et pire encore, j'ai rétrogradé. Dans tous les domaines.
Je suis essoufflé par ma tirade, j'ai encore une fois dis beaucoup trop de choses mais je n'arrive pas à m'en vouloir. Pas alors qu'il me regarde avec ces yeux-là, pas alors que des orbes argentées sont plantées dans les miennes et que leur propriétaire approche sa main de moi.
Ce n'est pas normal. Ce n'est pas comme ça que les choses doivent se passer. Pourquoi il le fait ? Pourquoi je le laisse faire ?
Je ne pleure pas, je ne crie pas, ma respiration redevient calme et je me contente d'attendre la suite. Calmé par l'ambiance du lieu, par l'absence de jugement dans son regard, par le bruit que le grimoire fait depuis que je l'ai réveillé.
Je me suis levé pendant mon show, et cela laisse tout le loisir à mon ancienne némésis de laisser échouer sa main sur ma hanche, de se glisser derrière moi et de m'appuyer légèrement contre lui. C'est entre l'accolade amicale d'avant un match de Quidditch lorsque nous attendions tous en file et l'étreinte réconfortante et protectrice d'un ami proche ou d'un conjoint affectueux.
- Accepte la séance... Harry.
Il a encore baissé le ton de sa voix. Celle-ci qui était calme, posée et relativement douce depuis le début de notre échange est maintenant plus rocailleuse, il chuchote presque, étant très proche de moi et on sent que sa voix est allée chercher loin ses notes graves presque soufflées.
Je sais parfaitement que je vais accepter, j'ai placé tout mes espoirs en lui, en tout ce qu'il représente maintenant et non ce qu'il était. Je suis enfoncé là-dedans jusqu'au cou. Le club, Hermione et Ron, Grin, mes rêves, Callidus, Joël Hopkins et Draco Malfoy. Je pense que son nom revient bien trop dans ma tête, je devrai songer à soigner ça.
- Je te paye pour tes séances, je serai là.
Le trop plein nous pousse à nous éloigner et nous adoptons une posture bien plus professionnelle, soit nous nous mettons face à face. Nous avions déjà été très proche physiquement lors de notre première séance, mais celui-ci avait quelque chose d'intense qui m'a perturbé. Je ne comprends pas son mouvement et encore moins ma réaction. Je suis fatigué d'y réfléchir, je crois que je devrai juste laisser faire. Il est celui qui s'est professionnalisé là-dedans.
- Après-demain, de vingt heures à six heures du matin, visons large.
Il a reprit sa voix habituelle, et moi mon habitude d'acquiescer en silence.
J'étais prêt à sortir sans un mot, mais son attention et son précédent geste me pousse à me stopper devant la porte.
- Merci. Bonne soirée.
- Bonne soirée également, mon client préféré.
Je vais profiter du club avant de rentrer chez moi, il est encore tôt. Je ne dois plus y penser, Draco Malfoy et tout ce qu'il représente attendra demain.
À très bientôt ! ;)
