Tu m'apprendras… ?
Bonjour à tous ! J'espère que vous avez passé un bon Halloween ! Souvenez-vous, nous avions laissé Brianna en pleine réflexion après l'annonce d'une cruelle machination contre les Régulateurs. Mais la soirée chez le Gouverneur n'est pas encore terminée…
Merci à Wizzette et Macki pour vos reviews !
Macki : ahahahahahah ne parlons pas de mon sadisme parce que clairement vous n'êtes pas prêts ! Mais pour l'instant, je vous enfonce dans une ambiance étrangement mignonne et encore une fois, Stephen va certainement provoquer des sentiments, disons…. conflictuels. LOL Bonne lecture !
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19. Return To Sender
Le soleil s'était couché sur New Bern et la garden party s'était peu à peu changée en buffet dansant dans la salle de réception du gouverneur. Au rythme des accords joués par trois violonistes, les convives enchaînaient contredanses, allemandes et menuets au milieu des éclats de rire et des conversations. La mine sombre, Brianna n'avait cessé de fixer la porte dans un coin de la salle, qui – comme elle l'avait appris à Noël – menait au cabinet de toilette ainsi que, tout au bout, au bureau de Lord Tryon lui-même. Les petits secrets de Margaret tournaient en boucle dans sa tête depuis le début de l'après-midi et elle en était persuadée, toutes les preuves d'un éventuel détournement de fonds se trouveraient dans ce bureau ou celui de Stephen à River Run, mais elle avait déjà tenté de s'introduire dans celui-ci sans grand succès.
Toutefois, l'occasion de s'éclipser de la soirée ne s'était jamais présentée. Malgré deux passages au cabinet de toilette pour se rafraîchir, il y avait toujours eu du monde pour l'empêcher de fureter ou bien elle sentait le regard glacial de Tryon posé sur elle au moindre geste suspect. Alors qu'elle était en train de martyriser les restes de sa tarte aux pommes avec sa fourchette à dessert, toute seule dans son coin, Stephen quitta Mr. Norrington avec qui il discutait non loin de là et se pencha vers elle. Une main galamment tendue.
« Quoi ? », maugréa Brianna, la bouche pleine.
Stephen ne se laissa pas démonter par son attitude grognon et haussa les sourcils. « Voudrais-tu… danser avec moi ? »
« Certainement pas. » Bree roula des yeux et enfourna une nouvelle bouchée de tarte, avant de voir l'expression profondément vexée de son mari. « Ce n'est pas que je ne veux pas danser avec toi, en particulier… Je ne veux pas danser tout court. Je ne connais pas les pas », ajouta-t-elle à mi-voix.
« Frank ne t'a pas appris ? », demanda-t-il avec une pointe de surprise.
Brianna sursauta en l'entendant prononcer le nom de son père adoptif avec autant de décontraction. Ce n'était pas une chose à laquelle elle était habituée avec Jamie, Claire ou toute autre personne de sa famille à vrai dire. Mais il était assez agréable de pouvoir évoquer son souvenir sans risquer de vexer ou d'attrister quelqu'un.
« Il n'était pas exactement… un adepte des danses bourgeoises », fit-elle, en revoyant mentalement quelques souvenirs de lui l'emportant dans un rockabilly jive endiablé dans leur salon de Boston. L'Irlandais sembla se détendre un peu et se laissa tomber sur une chaise à côté d'elle. « Tu peux tout de même aller danser avec d'autres femmes, promis je ne te ferai pas de crise de jalousie… »
Stephen esquissa un rictus avant de se pencher vers son oreille. « C'est que… je comptais assez sur toi pour me guider. Je ne connais pas non plus les pas. »
A ces mots, Brianna ne put s'empêcher de laisser échapper un ricanement, aussitôt imitée par Stephen, qui soupira et se cala contre le dossier de sa chaise, cuisses écartées, sans la moindre tenue.
« Nous sommes vraiment les pires aristocrates de cette salle. »
« Probablement même de cette ville », renchérit-elle du tac-au-tac.
Avant d'avoir eu le temps de se rendre compte qu'elle souriait, elle vit Stephen la dévisager avec satisfaction. Il adorait ces rares moments où elle se montrait totalement naturelle et elle se sentit rougir face à l'intensité de son regard. Après avoir laissé courir ses iris verts un peu plus longtemps sur ses pommettes et ses lèvres roses, il désigna la sortie d'un bref signe de tête.
« On s'en va ? »
Rien n'aurait pu faire plus plaisir à Brianna, malgré la frustration de ne pas avoir trouvé les preuves qu'elle cherchait et elle laissa échapper un soupir de soulagement. « Pitié, oui. »
Stephen gloussa de nouveau et se releva d'un bond. « Je vais faire amener notre voiture, attends-moi là. »
Elle hocha la tête et le regarda s'éloigner, les yeux plissés. Et si c'était là l'occasion rêvée ? Tournant la tête vers les danseurs, elle vit Tryon occupé à faire tournoyer Miss Scott sur la piste. Margaret semblait plongée dans une discussion animée avec Josiah Martin dans un coin de la salle et personne ne lui prêtait attention. Posant son assiette de tarte sur la table, elle se leva doucement, lissant les pans de sa robe et feignit de se diriger vers le cabinet de toilette. Une fois la porte du couloir franchie, les dieux semblaient enfin de son côté. Il n'y avait pas âme qui vive.
Brianna trottina jusqu'à la dernière porte au fond du couloir et plaqua l'oreille contre le panneau. Aucun bruit. Au pire, si elle tombait nez à nez avec un garde posté à l'intérieur, elle prétexterait avoir un peu trop bu et s'être trompée en cherchant la sortie. D'une main assurée, elle actionna la poignée qui tourna aussitôt et elle s'engouffra dans la pièce vide, refermant derrière elle. Le bureau du gouverneur était tout ce que l'on pouvait attendre de l'espace de travail d'un homme de son rang. De magnifiques meubles en bois sculpté et verni, une immense carte de la Caroline du Nord au mur, des livres par centaines dans la bibliothèque et de riches tapis au sol. La pièce maîtresse étant le secrétaire en acajou qui trônait au centre, assorti de nombreux tiroirs à serrure en laiton. Brianna le contourna, observant le sous-main en cuir ciselé, les plumes et encriers précieux, le coupe-papier qui avait l'air aussi tranchant qu'une lame de rasoir, ainsi que de la paperasse nonchalamment laissée un peu partout.
Prenant soin de ne pas tout déranger, Brianna retourna quelques documents, ouvrit un carnet rangé dans un tiroir entrouvert, mais rien ne semblait suspect. Plusieurs tiroirs étaient fermés à clef et après avoir passé quelques minutes à palper chaque recoin du bureau à la recherche d'une clef, elle saisit le coupe-papier, bien décidée à forcer le meuble à livrer ses secrets. En vain. Le tiroirs ne bougèrent pas d'un pouce et elle finit par reposer la lame avec un soupir exaspéré. Qu'avait-elle imaginé, au juste ? Que le carnet contenant le détail des crimes commis par Tryon se trouverait à la vue de tous, sagement posé entre le dernier décret signé et la Gazette de New Bern ? Elle n'avait pas le temps de passer en revue la bibliothèque ni de trouver quelque chose pour crocheter la serrure et son imprudente entreprise lui parut soudain très stupide.
D'autant plus lorsque des bruits de pas se firent entendre dans le couloir. Des pas qui se rapprochaient bien trop pour n'être que des invités se dirigeant vers les toilettes. Merde, jura Brianna en cherchant une cachette. Aucun meuble n'était assez massif pour la dissimuler dans un recoin sombre et la porte d'entrée était la seule issue. Les fenêtres. Ouvrant l'une des portes-fenêtres, Brianna se pencha par-dessus la balustrade du balconnet pour évaluer la hauteur. Ils étaient au rez-de-chaussée, lequel se trouvait au-dessus du demi-sous-sol où s'affairaient les domestiques. Il ne devait pas y avoir plus de deux mètres cinquante entre elle et la pelouse en contrebas. Remontant sa robe, elle passa de l'autre côté de la balustrade et au moment où elle s'apprêtait à descendre pour se suspendre et tomber en douceur, la porte du bureau s'ouvrit toute grande sur le conseiller de Tryon.
Brianna retint un cri, mais c'était trop tard. Josiah Martin avait levé les yeux en direction de la fenêtre, croisant son regard paniqué à l'instant même où sa robe encombrante lui faisait perdre ses appuis. Comme dans un film au ralenti, Brianna sentit la pierre de la balustrade râper les paumes de ses mains alors qu'elle glissait et chutait dans le vide. Elle tenta de préparer ses jambes à l'impact qui allait suivre, mais alors que ses pieds touchaient terre, une douleur fulgurante traversa sa cheville gauche et elle poussa un gémissement. Mais ce n'était pas le moment de se lamenter : mue par l'énergie du désespoir, Brianna se redressa et clopina aussi vite qu'elle le put en direction de l'entrée, espérant regagner le hall et trouver Stephen avant que l'alerte ne soit donnée.
Sa cheville la brûlait atrocement à chaque pas, mais elle parvint au hall d'entrée sans encombre. Où es-tu, Stephen, nom de Dieu ?, maugréa-t-elle, en regardant tout autour d'elle.
« Mrs. Bonnet ? »
Brianna était tellement tendue qu'elle faillit hurler de terreur en entendant son nom. Mais ce n'était rien face à la peur qu'elle ressentit en se retournant et en voyant Josiah approcher à grands pas. Elle était finie. Foutue. Dans quelques minutes, elle serait arrêtée pour espionnage ou trahison ou sorcellerie, ou quoi qu'ils puissent trouver pour l'enfermer, et probablement exécutée. Sa respiration s'accéléra et elle se sentit sur le point de défaillir.
« Écoutez, ce n'est pas ce que vous croyez… », commença-t-elle d'une voix à peine audible dans le vacarme des battements de son cœur.
« Vous alliez partir en oubliant ceci… », fit Josiah avec un sourire énigmatique. Brianna fronça les sourcils et baissa les yeux sur l'objet qu'il tendait dans sa direction. Les Rudiments de la grammaire anglaise, par Joseph Priestley. Le livre de Margaret…
Interloquée, elle releva la tête en direction du conseiller et ouvrait la bouche pour lui demander des explications lorsqu'une main tiède se glissa autour de son bras.
« Ah, te voilà, mon cœur… Je t'avais dit de m'attendre au chaud… »
Sans lui demander son avis, Stephen déposa sur ses épaules sa propre veste et Brianna en tira les pans autour d'elle dans un état de semi-conscience, encore partagée entre la peur d'être dénoncée et la surprise de ne pas déjà l'être.
« Lady Tryon avait promis de lui prêter ceci, pour votre fils… C'est un excellent manuel de grammaire », fit Josiah avec un large sourire. Stephen hocha la tête sans dire un mot, tandis que Bree reprenait peu à peu ses esprits.
« Vous la remercierez de ma part ? », demanda-t-elle au conseiller, d'une voix encore légèrement tremblante. Josiah plongea son regard dans le sien et elle eut soudain la certitude que sa petite tentative d'espionnage serait un secret bien gardé. Quoi qu'il se passe entre Margaret et Mr. Martin, celle-ci semblait lui faire confiance et en cet instant précis, Brianna n'avait pas d'autre choix que de l'imiter.
« Évidemment », répondit Josiah avec un hochement de tête. Il adressa ensuite un bref regard de connivence à Bonnet, derrière elle. « Bon retour... »
Stephen lui rendit son salut, avant d'entraîner doucement Brianna vers la voiture qui venait de s'avancer dans l'allée.
« Tu as froid ? », s'enquit Stephen en la dévisageant, les sourcils froncés. Brianna se demanda un instant pourquoi il posait la question avant de se rendre compte qu'elle tremblait de tous ces membres. L'adrénaline, sûrement.
« Un peu », éluda-t-elle en s'emmitouflant un peu plus dans sa veste. « Il faisait bien plus chaud à l'intérieur… »
Arrivée devant le marchepied qui lui permettrait de grimper dans la calèche, Brianna prit une grande inspiration. Elle allait devoir grimper avec son pied valide, ce qui signifiait garder appui sur l'autre pendant qu'elle lèverait la jambe. Serrant les dents, elle parvint à monter à bord sans un gémissement de douleur et s'installa sur la banquette juste avant que Bonnet se place à côté d'elle et non en face comme à son habitude. Avant qu'elle n'ait pu protester, le bras droit de l'Irlandais entoura ses épaules pour l'attirer contre lui. La calèche se mit en branle et partit en direction de leur hôtel. Le rythme régulier des chevaux, la chaleur qui émanait du torse de Stephen et le stress qui retombait eurent bientôt raison de Brianna, qui laissa tomber sa tête sur l'épaule de son mari et ferma les yeux.
« De quoi parliez-vous avec Lady Tryon, cet après-midi ? », lâcha soudain Stephen, la faisant sursauter. « Et ne me réponds pas de diamants car je ne te croirai pas… Vous étiez toutes deux si pâles qu'on aurait pu vous croire mortes. »
Bree le fixa, interdite elle était bien trop épuisée et douloureuse pour inventer un mensonge, encore moins être crédible. De plus, elle avait totalement échoué dans sa quête de preuves accablantes et en ce moment même, une cargaison d'armes défectueuses faisait son chemin jusqu'aux Régulateurs ou était peut-être même déjà en leur possession. Et la seule personne qui avait probablement le pouvoir de l'arrêter se trouvait en face d'elle.
« Je sais tout… à propos des armes trafiquées… », murmura-t-elle en veillant à ne pas avoir l'air accusatrice, mais plutôt désespérée. Elle vit l'expression de son époux s'assombrir à quelques centimètres de son visage. « Il faut arrêter cette livraison, Stephen. »
« C'est trop tard… » Il souffla bruyamment, sentant venir un autre drame, une autre dispute, une autre raison pour Brianna de le haïr et de le mépriser. « La cargaison a déjà été récupérée. »
« D'accord… », souffla-t-elle avec douceur et il lui jeta un regard surpris lorsqu'elle se pressa un peu plus contre lui, implorante. « Alors laisse-moi envoyer une lettre à ma famille. Le chef des Régulateurs… Murtagh Fitzgibbons… c'est le parrain de mon père, de Jamie. » Le visage de Bonnet pâlit légèrement et Brianna n'eut pas à se forcer bien longtemps pour faire naître quelques larmes convaincantes au coin de ses yeux. « Je t'en prie, je dois les prévenir. S'il arrivait malheur à Murtagh ou à d'autres gens que j'aime, j'en mourrai… Stephen… Je viens tout juste de me relever après Roger… »
Non seulement cette technique de dire la vérité et de le supplier de l'aider fonctionnait à merveille, mais plus elle implorait, plus elle sentait Stephen prêt à céder à ses moindres désirs. Il devait certainement s'attendre à ce qu'elle laisse libre cours à sa colère et cette réaction inattendue jouait en sa faveur. Son expression désemparée, ses iris verts qui la sondaient – inquiets à l'idée de faire un nouveau pas en arrière après un mois entier d'indifférence entre eux – étaient autant de preuves pour Bree qu'elle touchait au but. Enfin, après une longue minute de réflexion, il hocha la tête.
« Nous leur écrirons dès notre arrivée à l'hôtel », murmura-t-il, son expression émue s'accentuant lorsque Brianna sourit, l'air profondément soulagé et heureux.
Avec douceur, elle porta une main à la cicatrice sur la joue de Stephen et approcha son visage du sien. « Merci… Merci, mille fois… »
Son remerciement, gémi dans un instant de vulnérabilité extrême, atteignit Bonnet en plein cœur aussi violemment qu'une balle tirée à bout portant. Fermant les yeux, il referma les quelques centimètres entre eux pour déposer un baiser sur le front de Bree et la serrer dans ses bras. Plus aucun mot ne fut échangé jusqu'à l'arrêt du carrosse et il fallut presque que le cocher leur annonce deux fois qu'ils étaient à destination avant qu'ils ne se décident à bouger. Stephen sortit le premier et se planta au pied du marchepied pour l'aider à descendre. Malgré toutes ses précautions, la douleur dans sa cheville était toujours bien présente et lorsque Brianna passa le marchepied pour poser son pied au sol, l'articulation se déroba de nouveau et elle bascula en avant avec un cri perçant, rattrapée in extremis par Stephen.
« Est-ce que ça va ? », s'exclama-t-il, alarmé.
Brianna secoua la tête, les larmes coulant cette fois pour de vrai sur ses joues. « Ma cheville… je me suis tordu la cheville », gémit-elle, penchée en avant, mais elle ne resta pas longtemps dans cette position. L'instant d'après, Stephen l'avait soulevée et installée confortablement dans ses bras, comme une mariée à qui l'on fait franchir le seuil de la maison conjugale, et l'emporta jusqu'à l'hôtel. Une fois dans l'intimité de leur chambre, il la déposa sur le lit et releva délicatement la robe pour dévoiler sa chaussure, qu'il retira avec précaution. Puis, avec toujours autant de douceur, il défit sa jarretelle et fit glisser son bas le long de sa cuisse et de son mollet avant de découvrir le désastre violacé qu'était sa cheville.
« De quoi ça a l'air ? », demanda Brianna en tendant le cou pour apercevoir ses pieds par-dessus les frou-frous de sa tenue. Pour toute réponse, les doigts chauds de Stephen saisirent délicatement son pied pour le faire bouger dans un sens puis dans l'autre.
« Ça n'a pas l'air cassé, simplement tordu. Ne bouge pas… »
Brianna le regarda se diriger vers leur malle pour en sortir une blouse propre. A la force de ses bras, il déchira le vêtement en longues bandes de tissu et les plongea dans une cuvette en porcelaine, réservée à la toilette. Une fois que les bandages improvisés furent bien imbibés d'eau froide, il les essora rapidement et entreprit d'entourer la cheville de Bree avec une précision étonnante. L'eau glacée lui faisait un bien fou et alors que Stephen finissait son œuvre, elle ne put s'empêcher de poser la question qui lui brûlait les lèvres.
« Où as-tu appris à faire ça ? »
Un sourire en coin apparut sur les lèvres de Stephen, manifestement ravi d'avoir réussi à l'intriguer. « Quand on passe les trois quarts de sa vie au milieu de l'océan, il faut bien savoir soigner quelques blessures… »
Brianna hocha la tête avec un sourire entendu. « Tu ne t'es jamais dit que tu t'étais trompé de vocation ? Faire autre chose que de la piraterie ? », plaisanta-t-elle, avant de voir l'expression de Stephen changer du tout au tout. La douceur de son sourire n'avait d'égale que celle de ses yeux, lorsqu'il les leva sur elle après avoir terminé son bandage.
« Si. Quand je t'ai vue enceinte de mon enfant… »
Le silence retomba dans la pièce, et ils se dévisagèrent longuement – comme perdus dans leur monde – jusqu'à ce que le hennissement aigu d'un cheval dans la rue en contrebas fasse sursauter Brianna et la ramène à la réalité. La jeune femme baissa les yeux, lissant nerveusement sa robe et se racla la gorge.
« La lettre… », se rappela Stephen en se relevant pour faire un tour d'horizon de la chambre. Pas le moindre bout de papier, de plume ou d'encre pour rédiger un message. « Je vais aller demander de quoi écrire au personnel. Ne bouge pas. »
Bree hocha la tête, tout en se disant qu'elle n'irait de toute façon pas bien loin avec une entorse, et regarda Stephen quitter la chambre, le cœur battant. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle avait obtenu de lui l'autorisation d'écrire une lettre à sa famille. Désespérait-il de gagner son amour au point de saboter l'une de ces opérations avec Tryon ? Manifestement, oui. Dans tous les cas, sa technique de ne pas se fâcher ni de l'accuser de quoi que ce soit avait fonctionné, elle devait donc continuer dans cette voie. Lorsque Stephen revint quelques minutes plus tard avec plume, encrier et une feuille de papier, il déposa le tout sur la petite table de leur chambre et avant que Brianna ait pu se lever, il la souleva et la porta dans ses bras jusqu'à la chaise.
Elle savait pertinemment qu'il était inutile et vain de protester. Mis à part l'incident avec Roger, à chaque fois qu'elle avait été blessée ou mal en point – aussi bien émotionnellement que physiquement – Stephen l'avait choyée et collée encore plus qu'à l'accoutumée. Et si elle voulait pouvoir envoyer cette lettre, mieux valait mettre toutes les chances de son côté.
Soignant son écriture pour qu'elle ne semble pas trop moderne, Brianna entreprit de rédiger un bref texte d'introduction, tout en ignorant les regards appuyés de Stephen. Elle savait qu'il mourait d'envie de savoir ce qu'elle racontait à sa famille, mais n'oserait pas insister pour lire de peur de déclencher une dispute. C'est pourquoi après quelques minutes de torture, elle releva le nez et avec son plus bel air innocent, lui demanda :
« As-tu la date à laquelle ils ont reçu ces armes ? Ou quoi que ce soit qui permette de distinguer cette cargaison d'une autre qu'ils auraient pu commander au même moment ? »
Le regard de Stephen se déporta vers le sol sur sa gauche, comme à chaque fois qu'il réfléchissait, puis il fronça les sourcils. « Dis-leur que le dénommé Murchinson est un traître et que tout ce qu'il leur a rapporté ne doit pas être utilisé. »
Brianna hocha la tête et nota les informations aussitôt. « Ce Murchinson… ils vont le tuer quand ils sauront… », fit-elle d'un air désolé. Ne sachant pas quels étaient les liens entre cet homme et Stephen, un peu d'empathie n'était pas de trop, juste au cas où. Mais l'Irlandais haussa les épaules.
« Il connaissait les risques. »
Sans un mot, Brianna acheva sa lettre et reposa la plume, soufflant sur le papier pour faire sécher l'encre plus vite. Et à la grande surprise de Stephen, elle la lut à haute voix.
« Mes chers parents », récita-t-elle, avec un bref coup d'œil à Stephen pour lui signifier qu'elle comptait sur son attention. « J'ai récemment été mise au courant d'une manœuvre de sabotage à l'encontre des Régulateurs, qui pourrait coûter la vie à nombre d'entre eux. Stephen se joint à moi pour vous indiquer que tout le matériel ou les armes qui ont été livrés par un certain Mr. Murchinson sont trafiqués et pourraient blesser ou tuer quiconque les utiliserait. J'espère que cette lettre vous parviendra à temps pour que vous puissiez leur transmettre l'information. Jeremiah se porte comme un charme et moi aussi. Stephen lui a offert un adorable chiot qui veille sur lui en permanence. Portez-vous bien et embrassez Marsali, Ian et Fergus pour moi. Votre fille qui vous aime. »
Elle reprit son souffle et leva un regard inquisiteur en direction de Stephen. Elle savait que ses parents seraient étonnés de la façon dont elle parlait de son geôlier, mais l'occulter totalement alors qu'elle donnait des nouvelles d'elle et de Jeremiah n'était pas une solution qu'il aurait appréciée. L'Irlandais semblait troublé par sa douce attention et la dévisagea avec une expression étrange.
« Stephen se joint à moi ? », répéta-t-il, incrédule.
« Tu m'as donné des informations précieuses, alors oui tu te joins à moi pour les transmettre. » Elle lui adressa un sourire encourageant. « Que tu le veuilles ou non tu es de notre côté, maintenant. »
« Je ne suis pas dans le camp des Régulateurs… », protesta-t-il, avant qu'elle ne l'interrompe.
« Non, tu es dans mon camp et celui de Jeremiah. Le clan Fraser-Bonnet, si tu préfères. »
Oh, qu'il aimait le son de cette phrase, elle pouvait le voir dans son regard vert brillant à la lueur des chandeliers et à sa respiration légèrement plus rapide qu'une seconde plus tôt.
Toujours souriante, Brianna plia la feuille en trois et la retourna pour y écrire « Claire & Jamie Fraser, Fraser's Ridge, Caroline du Nord » au dos.
« Je la ferai sceller par le personnel de l'hôtel, en bas », assura Stephen en approchant de la table pour récupérer le matériel et la lettre. C'est avec une pointe d'appréhension que Bree lui tendit la missive et elle ne put s'empêcher de sonder le regard de l'Irlandais à la recherche de la moindre trace de mensonge ou de malice pouvant lui indiquer qu'il n'enverrait pas la lettre comme prévu. Mais pour une fois, elle ne voyait rien d'autre que de la tendresse dans ses iris verts et son sourire. Sa technique avait fonctionné, au-delà de ses espérances.
« Merci… », murmura-t-elle, tandis qu'il se penchait pour l'embrasser sur le front. L'instant d'après, il avait quitté la chambre.
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Stephen referma la porte derrière lui et descendit le couloir de l'hôtel en direction de l'escalier principal qui menait au rez-de-chaussée, la lettre serrée entre deux doigts tandis que les autres maintenaient la plume et l'encrier à restituer au personnel. De sa démarche toujours un peu chaloupée, malgré ses efforts pour se corriger, il descendit les marches – croisant un couple de bourgeois qui observèrent sa cicatrice et son attitude d'un air pincé – et trouva bientôt l'homme qui lui avait fourni le tout dans le petit salon.
« Je vous rend ceci », fit Stephen en lui tendant la plume et l'encrier.
L'homme le remercia poliment et leva un sourcil inquisiteur, les yeux posés sur la lettre toujours dans sa main. « Monsieur veut-il que je transmette sa missive à un messager ? Notre établissement a son propre service postal au service de la clientèle. Discrétion assurée, bien évidemment. »
Stephen ouvrit la bouche, la main prête à tendre le papier en direction de l'employé, mais arrêta son geste.
« Pourriez-vous m'apporter un whisky ? Je vais m'installer près de la cheminée… », indiqua-t-il en désignant un confortable fauteuil devant l'âtre. « Oh et faites changer notre bassine d'eau claire dans notre chambre. »
« Tout de suite, Monsieur. »
L'homme disparut, emportant avec lui son matériel, et Stephen traîna les pieds jusqu'au fauteuil, se laissant tomber dedans avec un soupir. Le coude replié sur l'accoudoir, il pencha la tête vers sa main gauche – ses doigts jouant inconsciemment avec l'alliance qui entourait son annulaire. Dans la droite, la lettre était toujours là, sagement pliée et qui semblait le narguer. Il la fixait toujours lorsque l'employé revint avec sa boisson et il le remercia d'un vague hochement de tête.
Que faire ? Devait-il prendre le parti de sa femme, sa douce Brianna, au risque de trahir Tryon et de perdre tout ce qu'il avait construit ces quatre dernières années ? Ou bien brûler cette maudite lettre et risquer que leur situation ne se dégrade à nouveau ? Il ne supportait plus de dormir sans son sein réchauffant le creux de sa main. Sans ses boucles rousses qui chatouillaient son visage sur l'oreiller. Sans la vue de ses courbes extraordinaires qu'il distinguait à travers sa fine chemise de nuit au petit matin. Sans son sourire lorsqu'elle oubliait l'espace d'un instant qui ils étaient pour plaisanter ou simplement parler avec lui. Pour toutes ces choses et bien d'autres encore, il aurait été prêt à faire le chemin jusqu'à Fraser's Ridge pour porter la lettre en main propre. D'un air sombre, il porta le verre à ses lèvres et en engloutit la moitié d'un coup.
Mais prévenir les Régulateurs, c'était trahir le gouverneur et leur partenariat fructueux. C'était se mettre en danger, mais aussi Brianna et Jeremiah à travers lui, car il savait que Tryon ne ferait pas dans le détail pour se venger. Lui-même et toute sa descendance y passeraient. Mais n'était-ce pas un moindre mal si cela pouvait lui apporter l'Amour… ? L'amour de celle qu'il convoitait depuis plus de quatre ans maintenant ?
Vidant le reste de son verre d'un trait, Stephen se leva du fauteuil et posa le récipient vide sur l'accoudoir derrière lui. Non… même l'Amour n'était rien face à la menace de voir Brianna et Jeremiah à la merci de Lord William Tryon. Après tout, il arrivait souvent que des lettres s'égarent, arrivent trop tard ou soient tout simplement détruites lorsque le convoi postal était attaqué par les indiens Catobas. D'ailleurs, même en envoyant l'information aujourd'hui, le prochain assaut contre les Régulateurs était prévu très prochainement… il y avait donc peu de chances pour qu'ils soient prévenus assez tôt de toute façon.
Les mâchoires serrées, Stephen se pencha légèrement vers les flammes qui dansaient dans l'âtre et d'un léger coup de poignet, envoya le message entre deux bûches. La feuille de papier s'embrasa immédiatement et il la regarda se consumer un instant, la gorge serrée. Avant de quitter le salon sans se retourner.
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Ahahah Stephen qui comptait sur Bree pour lui apprendre à danser est l'un des moments entre eux que je préfère dans ce chapitre. Ils sont vraiment le pire couple de la soirée, mais aussi le meilleur.
Parlons de Josiah… Il l'a couverte sur son intrusion dans le bureau du Gouverneur et a clairement fait passer le message qu'il ne dirait rien en faisant comme si de rien n'était. Qu'en pensez-vous ?
Mais surtout, surtout… Ce petit Stephen qui soigne sa femme chérie et accède à tous ses désirs, n'était-ce pas adorable ? Quant aux raisons qui l'ont poussé à brûler la lettre… que ressentez-vous par rapport à cela ? Certes, cela n'aurait pas changé grand-chose de l'envoyer (si Outlander nous a bien appris quelque chose, c'est que les grands événements de l'Histoire ne peuvent être changés), mais pour une fois, Stephen pense d'abord aux conséquences de ses actes (pour les autres avant lui-même) avant d'agir et ça… c'est un énorme pas en avant. Même si au final il trahit un peu Brianna. Mais on serait tentés de lui pardonner, dans ce cas précis, non ?... Hmmm
Le prochain chapitre sera publié le 27 novembre ! D'ici là, j'ai hâte de lire vos commentaires et je vous fais plein de gros bisous !
Xérès
