Chapitre 5 – Sans vous avoir oublié.

La réalité. Triste chose qui réside en ce monde et qui tire les êtres humains de leur rêverie passagère. La réalité n'avait jamais été grisante, ni même amusante. Elle se contentait d'exister, faisant subir son courroux à ceux qui tentaient désespérément de lui échapper. Parfois silencieusement, parfois plus bruyamment, elle tombait, et tous ceux qui la subissait souffraient. La pauvre June, qui avait repris ses études depuis deux mois désormais, se contentait d'endurer la réalité de son existence, attendant patiemment que la roue ne tourne et que le temps ne vienne à jouer en sa faveur. Bien loin d'être idéaliste, elle rêvassait pourtant sur son sort, se demandant si un jour, son prince charmant ne viendrait pas l'enlever de ce monde funeste pour lui offrir la vie merveilleuse dont elle avait toujours rêvé. Elle était un peu comme la jolie Belle, le nez plongé dans des bouquins, évitant les hommes qui tentaient désespérément de l'attirer dans leurs filets. Ils n'étaient pas intéressants. D'une fadeur sans limite, ils n'étaient semblables qu'à des feuilles mortes devant la porte d'une maison. Feuilles que l'on s'empressait d'ailleurs de chasser pour éviter qu'elles ne gênent qui que ce soit. Elle ne demandait pas sept nains la belle, elle ne demandait pas même un crapaud, elle espérait simplement la Bête, dans toute son horreur et sa splendeur. Pourvu qu'il ait existé un jour, notre héroïne savait que jamais, non, jamais, elle ne serait heureuse dans ce monde. Il lui manquait ici-bas quelque chose qu'elle n'avait pas, quelque chose qu'elle ne connaissait pas et qui pourtant, semblait presque en devenir vital.

Sonnerie stridente qui annonce la fin de la journée pour les étudiants en première année de médecine. La jolie brune se redressa légèrement et préoccupée par ses songes, elle fourra son stylo et son carnet de notes dans son sac avant d'enfiler sa veste, d'attraper la sacoche et de s'enfuir, ignorant délibérément le jeune homme qui vint vers elle, sans doute pour lui proposer de venir à une soirée. Tout cela lui laissait désormais un goût profondément amer dans la bouche. Il y a quelques temps de cela, elle aurait probablement accepté directement, sans chercher à connaître les propriétaires de l'endroit où elle se rendrait. Mais aujourd'hui, tout était devenue tellement différent qu'elle-même ne se reconnaissait plus. Auparavant entourée d'une bande de personnes souriantes et fêtardes, elle était désormais seule lorsqu'elle traversait les couloirs de son université. Voilà comment, parce qu'elle avait soudainement arrêté de vouloir être le centre de l'attention, elle se retrouvait bêtement exclue de tout. Triste loi de la jungle qui s'appliquait même sur les bancs d'une faculté aussi prestigieuse que celle dans laquelle ses parents l'avaient inscrite. C'étaient d'ailleurs ses parents, qui au début, s'étaient inquiétés de son comportement et s'en réjouissaient désormais. Elle était devenue une étudiante modèle. Mais en même temps... Elle n'avait plus que ces études auxquelles s'accrocher, puisque le reste de son univers s'était effondré.

June avala sa salive et baissa la tête. Les couloirs étaient bondés à cette heure-ci. Quelques regards glissèrent sur elle. Des curieux, probablement étonnés de voir tant d'encre sur les bras d'une si jeune étudiante. Mais elle n'est pas si jeune. D'un pas rapide, elle traversa le labyrinthe de couloirs qui la séparaient de la sortie. Ce ne fut qu'une fois dehors qu'elle respira enfin. Comme si elle prenait là une nouvelle et salutaire bouffée d'oxygène elle soupira puis s'éloigna à pied de l'immense établissement.

Ses parents, désireux de déménager pour s'installer dans quelque chose de plus grand lui avaient donné rendez-vous plus loin, dans un quartier résidentiel isolé et très côté. C'était sa mère, qui à leur retour de vacances avait émis le souhait d'avoir plus grand. Vu leur situation, ils pouvaient se le permettre alors son père avait accepté sans sourciller. June non plus n'avait rien dit. De toute façon, il n'y avait rien eu à dire à ce sujet. Dès lors, les recherches avaient débuté et ce soir, elle visiterait avec ses parents les deux dernières demeures de la liste. Les deux dernières avant que sa mère ne se décide enfin et que cette histoire ne soit classée.

« - Junnnyyyyy ! » Une voix aiguë, chantante. « Par ici ! »

C'était sa mère, ça ne faisait aucun doute. La jolie brune cala une mèche de cheveux derrière son oreille et se dirigea vers la femme qui en face, lui faisait de brefs signes de main. Elle semblait excitée comme une puce et June ne put s'empêcher de se sentir bête. Elle qui traînait sa mauvaise humeur et ses sarcasmes partout, elle était bien incapable d'être contente pour sa mère qui semblait enfin voir l'un de ses nombreux projets aboutir. Sa mère la salua, mais en retour elle hocha simplement la tête. Son père n'était pas là, probablement encore en train de travailler. Elles iraient donc seules visiter les deux maisons. Un agent arriva finalement, mais June qui lui serra vaguement la main ne l'écouta pas. Encore plongée dans ses rêves d'une vie meilleure, elle suivit distraitement le binôme que formaient sa mère et le jeune homme. Pendant quelques secondes, son regard s'attarda même sur les traits du visage de ce dernier. Et si c'était lui, sa bête ? Si c'était lui le prince dont elle attendait désespérément l'aide et le baiser d'amour. Elle espéra un peu mais abandonna finalement. Ça ne pouvait pas être lui. Ou tout du moins, elle ne le voulait pas. June soupira pour la énième fois de la journée puis entra dans la maison. Après un rapide coup d'œil, elle sut que cela ne conviendrait pas aux attentes de sa mère. Elle qui rêvait de grandeur ne pouvait clairement pas s'épanouir dans une maison mitoyenne. Elle ne dit rien pourtant, se contentant de regarder distraitement. C'est comme si la maison toute entière lui demandait de partir pour passer à la suivante et dernière. June attendit pourtant sa mère qui ne tarda pas à donner son avis, avec une politesse et une courtoisie déconcertante. Alors les trois personnes quittèrent la demeure et montèrent dans la voiture de la femme d'âge mûr pour se diriger vers la destination finale.

Ce n'était ni une maison, ni un château. Manoir immense au milieu d'un domaine, l'endroit se trouvait à dix mille lieux de toute civilisation et il fallait un certain temps pour l'atteindre. Ils ne croisèrent qu'une seule bâtisse sur le trajet, aussi grande et tout aussi impressionnante et l'agent immobilier précisa qu'il s'agissait là du seul voisin. En arrivant devant les immenses portes en fer forgés qui séparaient les lieux du reste du monde, June se redressa dans la voiture. Elle s'en tordit presque le cou pour tenter de voir l'endroit dans son ensemble. Il y avait ici quelque chose d'étrange, quelque chose de pesant. Pourtant, cette atmosphère tendue, la jeune femme brune s'y plongea avec un sourire au coin des lèvres. June se sentait bien sans même être capable de l'expliquer. Alors, avec un intérêt plus que croissant, elle suivit la visite avec attention. L'immense hall d'entrée la fascina mais bien vite, elle s'arrêta au grand escalier de marbre qui trône en son centre et qui semble enclin à vouloir l'emmener toujours plus haut. Elle observa les marches d'un œil critique et bien vite, elle focalisa son attention sur la rampe, sculptée elle aussi à même le marbre. Ce furent les gravures sur ces dernières qui captivèrent son regard. Des serpents ! Fiers et majestueux, ils semblaient onduler dans la pierre. Magnifiques créatures, elles parvinrent à hypnotiser June qui peina à détourner le regard. Cette œuvre d'art réussi à lui donner le courage de continuer la visite seule, ignorant délibérément sa mère et l'agent immobilier qui commençaient à s'éloigner au rez-de-chaussée. Des pièces somptueuses, des salons, des chambres, tout était tellement grand qu'au bout d'un moment, elle ne parvint plus à s'y retrouver. Perdue, elle rebroussa lentement chemin alors que retenti subitement, dans le manoir une mélodie étrange, semblable à celle d'un carillon. Laissant aux « adultes » l'opportunité de chercher la source de ce bruit bien étrange, elle continua son cheminement, empruntant un escalier de service. Elle s'attarda dans la cuisine, ouvrit les tiroirs et les placards sans y trouver ce qu'elle cherchait. Bien qu'elle fût incapable de déterminer elle-même ce qu'elle pouvait bien vouloir.

Lorsqu'elle revint dans le hall, sa mère s'approcha d'elle avec un immense sourire. Ravie et visiblement aux anges elle lui annonça que cet endroit était très probablement celui qu'elle cherchait depuis longtemps. Sans faire la moindre remarque, June sourit pourtant, soulagée. Elle se sentirait bien, ici, dans cette étrange demeure. Elle hocha la tête, puis se souvint de ce drôle de son qu'elle avait entendu quelques minutes auparavant

« - C'était quoi, ce bruit, tout à l'heure ? »

Voix étrange et fluette. C'était la première fois depuis bien longtemps qu'elle parlait. Elle-même se surprit à s'entendre ainsi, mais n'en laissa rien paraître. Sa mère, dont le sourire s'étira davantage sembla sur le point de devenir hystérique lorsque l'homme avec elles répondit

« - Le voisin. Celui dont nous avons vu le manoir en arrivant. Il s'inquiétait de notre présence et voulait être sûr que nous n'avions aucune mauvaise intention. »

Il n'en fallait pas plus à la mère de June pour se lancer. D'une voix trop mielleuse et trop parfaite, elle s'extasia de la prévenance de l'homme dont il était question. Elle revint bien vite dans ses souvenirs pour raconter quelques anecdotes sur la politesse et la courtoisie, non sans sourire et rire, puis, elle revient à cet étrange homme. June s'y intéressa un peu plus, rendue curieuse par les actions de ce dernier. Sa mère s'élança alors dans de brèves explications, s'étonnant tout de même d'avoir vu un homme en robe et supposant qu'il devait être avocat. Elle interrogea alors l'agent immobilier pour savoir s'il connaissait des avocats avec des robes d'un vert émeraude sombre comme celui qu'ils venaient de rencontrer. La jeune femme brune cligna plusieurs fois des yeux, incertaine, alors que les deux autres échangeaient à propos du physique de l'homme, semblable à celui d'un serpent et, alors que la mère de June se demandait s'il n'avait pas été brûlé ou s'il n'était pas malade, le cœur de la tatouée fit un bond dans sa poitrine. Sans dire le moindre mot, elle se précipita vers la porte d'entrée et l'ouvrit à la volée. Laissant de côté sa mère qui la hélait déjà, elle s'engouffra à l'extérieur. En trottinant, elle arriva devant les immenses grilles et se glissa entre les deux portes entrebâillées pour emprunter la petite route de campagne par laquelle elle était arrivée plus tôt. D'un pas rapide, elle s'y engagea, sans se soucier réellement de ce qu'elle était en train de faire. Elle marcha à vive allure pendant une dizaine de minutes avant d'apercevoir plus loin devant elle une silhouette se détacher du paysage sous le soleil couchant. Elle s'élança alors à sa poursuite, regrettant d'avoir fui ses cours de sport pour aller traîner avec des amis lorsqu'elle était plus jeune. Essoufflée et peinant à rattraper l'homme, elle ralenti finalement et usa alors de ses dernières ressources pour l'appeler

« - Tom Jedusor ! »

Elle était presque à sa hauteur. La silhouette sombre s'arrêta brusquement puis se retourna, rapidement. La jeune brune, ne se souciait plus de rien, si ce n'est du regard foudroyant qui la surplomba alors. June le reconnu immédiatement et le cœur explosant, elle se laissa tomber, les yeux clos, à genou devant l'homme. C'était très théâtral, mais elle avait toujours agi sans faire dans la demi-mesure. Épuisée, il lui sembla pourtant que peu à peu, le poids qui trônait sur ses épaules depuis quelques temps se dissipa. Elle ne dit plus rien, tentant de reprendre le souffle qu'elle avait perdu si bêtement. Bientôt elle crut percevoir l'odeur de l'autre. S'est-il mis à sa hauteur ?

« - Moldue... »

Rien de méchant, juste une pointe d'étonnement et d'agacement. June ouvrit les yeux avec surprise. Elle s'attendait à tant de haine, à tant de rancœur, que sur le coup, elle se demanda s'il ne l'avait pas oubliée. Penché au-dessus d'elle, il la toisa du regard comme si elle revenait d'entre les morts. Mais June se refusait d'envisager la possibilité qu'il l'avait oublié. Il lui fit signe de se redresser et son cœur de serra doucement. Non, c'était bien lui, elle en était absolument certaine. Toutefois, il n'avait plus tellement l'apparence effrayante qu'il avait il y a de cela quelques mois. Toujours chauve, certes, il possédait pourtant un nez désormais et des yeux d'un bleu tellement intense que June en fut perturbée. Elle avala sa salive et se redressa, pataude.

« - Je suis... Je suis désolée. »

Elle hésita. Des excuses, s'il était le vrai Voldemort, il a déjà dû en entendre des tonnes. Les siennes étaient terriblement sincères. Il faut dire qu'elle était tout à fait navrée de la tournure des événements. Si elle avait réfléchi deux minutes, même s'il était fou, elle serait restée à ses côtés. Et quand bien même elle aurait sombré dans sa folie, ils auraient été deux à vivre cette escapade hors de la réalité.

« - Je n'ai que faire de tes excuses. »

Il se détourna et d'un air souverain, il s'éloigna. Si le cœur de la brune se sentait briser, elle ne pouvait s'empêcher de jubiler. La voilà donc, cette confirmation. Lui, Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom ne l'avait pas du tout oubliée. Portée par l'envie de vivre la sensation grisante qu'elle avait vécu le temps d'une nuit, elle fit quelques pas et attrapa l'homme par ce qui semblait être un bout de la cape rattaché à sa robe. Il la foudroya à nouveau du regard mais elle l'ignora, s'en contentant presque. June se rapprocha, indécise, incapable de savoir quoi faire ou quoi dire. Après une légère hésitation, elle décida finalement de jouer le tout pour le tout

« - J'aimerais vraiment me racheter auprès de vous. »

Il éclata en un rire magistral et moqueur. Dans une autre situation June aurait pu s'en vexer, mais elle ne bougea pas d'un pouce. Sa sincérité déconcertante ne devait pas être prise pour une sorte de plaisanterie. Il dû s'en rendre compte car il se calma, sans toutefois se défaire de cet horrible sourire qui lui déformait le visage. Il attrapa brusquement le col du pull de June d'une main et attira son visage vers lui. Il l'observa, lentement, presque délicatement, puis d'une voix qu'elle ne lui connaissait pas, il chuchota

« - Un Avada Kedavra serait peut-être le meilleur moyen ?

- D'accord. »

Si June avait pris le temps de réfléchir, elle n'aurait peut-être pas été aussi encline à mourir. Mais comme hypnotisée par le regard glacial qu'il ne cessait de lui lancer depuis le début de leurs retrouvailles, elle avait tout bonnement arrêté d'écouter son cerveau. Cette réponse, bien que très étrange, sembla susciter de la fascination chez l'homme, qui perdit soudainement son sourire narquois pour se contenter de l'observer, comme s'il cherchait à déchiffrer ce qu'elle pouvait bien avoir derrière la tête. Il la relâcha finalement, se détournant d'elle et la laissant là, bête et pataude. Elle cligna des yeux et se mordit la lèvre. Était-ce là la fin d'un rêve qu'elle a tenté par tous les moyens de retenir ? Elle eut envie de pleurer, comme une pauvre créature torturée et déchirée. La nuit tombant, assombrit le tableau si funeste du destin de la jeune femme alors que la réalité semblait reprendre le contrôle de la situation. Il la regarda une dernière fois et avec un sourire charmant, il s'adresse enfin à elle

« - J'ai une dizaine de terrariums à nettoyer avant la fin de la semaine et personne pour le faire gratuitement. C'est horrible, non ? »

Elle sourit dans la nuit alors que son cœur explosait. Elle reviendrait, elle reviendrait vers lui, pas pour se racheter, pas pour se faire pardonner, mais simplement parce qu'elle en avait cruellement envie. Parce qu'avec lui, elle devenait quelqu'un de nouveau. Ce quelqu'un qu'elle avait toujours souhaité être.