June :

Alors que je repose le fusil à côté de moi, je sens un liquide s'écouler d'entre mes jambes. C'est bien ma veine. Il fallait que ça arrive à ce moment-là. Je n'ai plus d'autres choix que de faire savoir à Serena et son connard de mari que je suis là, et que je vais bientôt accoucher.

Je m'avance lentement vers l'endroit où ils se trouvent et prononce doucement :

- Je suis là… et je crois que je viens de perdre les eaux.

Le regard terrorisé que me lance Serena me laisse plus que perplexe. A-t-elle peur que Fred s'en prenne à moi ? A-t-elle peur que je perde le bébé ? A-t-elle peur que la naissance de cet enfant soit la fin de ce qui peut exister entre nous ? Je n'ai pas le temps de me poser plus de questions qu'elle se jette sur moi et m'emmène dans ce qui doit être le salon afin de m'allonger sur le sol. En une fraction de seconde, elle a réussi à installer un drap au sol et à ordonner à Fred d'aller chercher une bassine d'eau avec autant de serviettes qu'il pourra trouver.

- Tout va bien se passer June… Je te promets… m'assure-t-elle en déposant un baiser sur mon front.

On voit qu'elle n'a jamais accouché !

Waterford revient les mains chargées de toutes les choses réclamées par sa femme. Il dépose tout à côté d'elle et nous regarde complètement perdu. Il me ferait presque pitié si je ne le haïssais pas autant.

Ne reste pas planté là comme un imbécile ! Va chercher du bois et essaie d'allumer un feu dans la cheminée pour que notre enfant ne meurt pas de froid lorsqu'il va venir au monde ! Hurle Serena en sa direction

Si je n'étais pas autant préoccupée par mes douleurs et la conscience que je vais bientôt mettre au monde ce qu'il existe de plus beau sur Terre, je serais impressionnée par la blonde qui s'agite autour de moi comme si elle savait exactement quoi faire dans ce genre de situation. Mais j'y pense… Elle sait exactement quoi faire dans ce genre de situation ! Les épouses de Gilead sont formées et entraînées à l'éventualité d'une naissance à la maison, c'est presque la norme d'ailleurs.

Je profite du fait que Fred ne soit pas encore revenu pour faire une demande particulière à celle qui s'apprête à m'accoucher.

- Serena… ?

- Oui…?

- Promets-moi que quoi qu'il se passe… je dis bien quoi qu'il se passe… tu sauveras notre enfant.

- Je vois son regard s'obscurcir et ses yeux s'embuer à l'entente de ces mots. C'est une torture pour elle de m'entendre dire ce genre de choses, je peux le voir sur son visage devenu si subitement triste, mais je veux m'assurer que l'enfant que je porte, l'enfant de Serena, pourra vivre.

- Je… je ne peux pas te promettre ça June

- Tu n'as pas le choix ! Tu dois le sauver lui ! C'est TON enfant ! C'est de ta responsabilité qu'il vive

- C'est notre enfant June ! C'est autant le tien que le mien ! Et je ne peux pas te promettre une chose pareille… C'est au-dessus de mes forces.

- Je peux voir à quel point elle lutte contre ses sentiments, à quel point elle voudrait me rassurer et me dire que tout va bien se passer et que je ne dois pas m'inquiéter, à quel point elle voudrait pouvoir accéder à ma demande sans sourciller, mais également la douleur qui la traverse lorsqu'elle imagine que je pourrais perdre la vie lors de cet accouchement.

Je me relève doucement pour m'assoir en face d'elle et prend son visage entre mes mains afin de l'obliger à me regarder dans les yeux.

- S'il te plaît… Pour lui… pour moi… Je ne te le pardonnerais jamais si tu ne sauves pas cet enfant…

- Tu te rends compte de ce que tu me demandes June ?

- Oui… et je sais que tu le feras… parce que tu m'aimes n'est-ce pas ? C'est ce que tu prétends. Alors si réellement ce que tu ressens pour moi ressemble un tant soi peu à de l'amour, tu feras ce choix…

Elle ferme les yeux de douleurs et une envie irrépressible de poser mes lèvres sur les siennes s'empare de moi. La voix de ce connard de Waterford me ramène à la raison et je reprends la position allongée pendant qu'il essaie tant bien que mal d'allumer un feu.


Serena :

Comment peut-elle me demander ça ! Elle joue avec ma corde sensible en pensant que tout ce qui me préoccupe est l'enfant qu'elle porte, c'était vrai jusqu'à peu… mais tout est différent maintenant. Bien sûr que notre enfant est une priorité, mais si la vie de June devait être en danger, je ne suis absolument pas en mesure de prédire quelles pourraient être mes réactions et les choix que je ferai.

Elle n'a toujours pas compris à quel point elle est importante pour moi, elle ne comprend pas que mes sentiments sont réels et qu'ils font partie intégrante de moi et qu'ils conditionneront les choix que j'aurai à faire le cas échéant. Elle ne me croit pas. Et c'est ça qui m'attriste le plus…

Les contractions s'accentuent alors que Fred réussi enfin à allumer un feu décent. Tiraillée entre la joie de voir naître mon enfant et la panique que les choses se passent mal, je plante mon regard dans celui de June et tente d'ignorer ce qui nous entoure. Nous sommes seules au monde… et nous allons donner naissance à notre enfant.

- June… regarde-moi.

- Va te faire foutre Serena ! répond-elle en hurlant de douleurs

Je serre sa main dans la mienne et tente de la rassurer autant que je peux. Elle est sur le point d'accomplir la plus belle chose qui existe au monde. Dans quelques instants June va faire ce que je ne pourrais jamais faire… Donner la vie. Bien qu'un pincement au cœur me rappelle ma condition, je ne suis pas en colère ou triste, je suis heureuse de partager ce moment avec la femme qui me permet de devenir mère. Le moment pourrait presque être idyllique si mon abruti de mari ne venait pas tout gâcher.

- Qu'est-ce que je dois faire ? Demande Fred à côté de la plaque

- Va mourir ! lui réponds June en l'assassinant du regard

Bien que je pense la même chose, je reste modérée dans mes propos en me disant qu'il pourrait toutefois être utile. On ne sait jamais. J'installe June en position naturelle pour la délivrance, et vient me positionner devant elle, mon regard ancré dans le sien. Je n'ai pas l'intention de la quitter des yeux une seule seconde. Je veux qu'elle sache que je suis là, que je ne l'abandonne pas, que je partage ce moment avec elle.

- June… c'est le moment… Tu sais ce que tu dois faire n'est-ce pas ? On va le faire ensemble… Respire… Respire… Respire… et POUSSE !

Nous répétons l'opération plusieurs fois, refaisant exactement ce que l'on nous a appris aux répétitions avec tante Lydia, respirer… pousser… Je calque ma respiration sur celle de June pour l'aider à garder le rythme tandis que mon regard ne la quitte pas d'une fraction de seconde. Elle est tellement belle dans ce moment, même dans la douleur, même dans les cris, elle reste extrêmement belle et digne. Une véritable force de la nature.

- Je sens sa tête June… c'est bientôt terminé… Je sais que tu es épuisée, mais il reste un dernier effort à fournir. Tu peux le faire ! Tu es une lionne, une guerrière, tu as encore des forces en toi ! Alors c'est maintenant qu'il faut que tu le fasses ! POUSSE !

Je l'entends hurler de douleurs au fur et à mesure que son visage se crispe sous l'effort. Mon cœur bat en rythme avec le sien et s'arrête l'espace d'un instant lorsque j'entends les cris de l'enfant que je tiens maintenant dans mes bras. Alors que je dépose notre fille sur la poitrine de June, mes larmes se déversent telles un torrent de soulagement.

- C'est une fille… Elle est tellement belle… Elle est parfaite June

- Prends là… je ne veux pas la voir… C'est TA fille !

Les mots de June me blessent au plus haut point. Elle a raison. C'est MA fille, mais c'est également la sienne. Je sais que Gilead ne lui laissera pas ce droit, mais moi je me refuse à le lui retirer. Je sors de ma torpeur lorsque je t'entends Fred à côté de moi prononcer des paroles qui me glacent le sang

- On doit se débarrasser d'elle… On a l'enfant maintenant…

Je me lève doucement, en prenant soin de ne brusquer ni June, ni notre merveilleuse petite fille et attrape la main de mon mari pour l'entraîner dehors.

Il y a effectivement quelqu'un de trop dans l'équation et ce n'est pas June.


June :

Elle est enfin là… Elle est magnifique. Parfaitement formée. Deux mains avec cinq doigts chacune. Deux adorables pieds qui n'ont cessé de faire de mon ventre un trampoline. Deux yeux ronds qui sont grands ouverts lorsque je lui parle doucement alors que je vois Serena et Fred quitter la pièce.

- Bonjour toi… Je suis June… Je suis la femme qui t'as portée et mise au monde. Bientôt tu rencontreras ta maman… Tu verras, c'est un drôle de personnage… Une femme haute en couleur qui n'a pas peur de dire ce qu'elle pense… mais tu as de la chance de l'avoir. Tu as la chance d'avoir quelqu'un comme elle qui t'aimera inconditionnellement et fera tout ce qu'elle peut pour te rendre heureuse et te garder en sécurité.

Les mots que je prononce à cette adorable petite fille ne sont pas des mots en l'air. Malgré ce que je peux penser de Serena Waterford, je suis entièrement convaincue qu'elle sera une mère aimante et chaleureuse. Une mère dévouée et prête à tout pour son enfant. C'est une évidence. Je l'ai ressenti à tellement de reprises cet amour qu'elle porte à son enfant. A notre enfant comme elle se plaît à l'appeler. D'ailleurs, comment va-t-elle l'appeler ? Je m'interroge. Plusieurs prénoms me viennent en tête quand je regarde le visage si doux de la petite fille dans mes bras, mais je ne peux pas me laisser à divaguer de la sorte. Je ne peux pas me permettre d'envisager que j'aurai un quelconque rôle à jouer dans la vie de cet enfant. Le mieux pour moi et pour elle, est que je m'en détache le plus tôt possible. Que je sois la seule à en souffrir.

- Tu as une grande sœur tu sais… Elle s'appelle Hannah. Je ne sais pas si un jour tu pourras la rencontrer. J'aimerais beaucoup. Je suis sûre qu'elle veillerait sur toi comme une grande sœur se doit de le faire… Mais c'est un petit peu plus compliqué que ça dans le monde dans lequel nous vivons. Tu le découvriras bien assez tôt malheureusement. Et, bien que je vous aie mises au monde toutes les deux, tu ne seras jamais sa sœur sur le papier. Non… tu seras une Waterford ! Tu seras respectée et tu auras une vie idyllique ! Tu n'auras pas à te préoccuper de ton avenir, il est tout tracé…

En disant ces paroles à ce petit être frêle dans mes bras, la réalisation de mes propos me frappe. Je refuse que MON enfant grandisse de la sorte ! Je refuse que MA fille pense que Gilead est normal. Il n'y a rien de normal ou d'humain ici et ma conscience m'interdit de laisser ma fille grandir dans cet environnement. J'essaie de rassembler quelques forces et tente de me lever. Je dois partir au plus vite ! Je dois quitter cette maison avant que Fred et Serena ne reviennent. Je ne peux pas les laisser m'enlever ma fille.

Au moment où j'arrive à me mettre debout, j'entends Serena crier mon prénom depuis l'entrée, et la voix brisée qu'elle arbore me laisse complètement tétanisée.

- June…. JUNE….

Elle arrive près de moi le visage rempli de larmes et le regard complétement hébété.

- Qu'est-ce qui se passe ? Serena ? Dis-moi ce qui se passe ! C'est Fred ? Il t'a fait quelque chose ?

Son regard se perd au loin et des larmes roulent sur ses joues pendant qu'elle rassemble quelques affaires autour de moi. Je ne l'ai jamais vue aussi paniquée qu'en cet instant précis. Son corps tremble et ses mains ont l'air de refuser de faire ce qu'elle souhaite leur ordonner. Elle semble en état de choc. Traumatisée pour être précise. J'essaie de la calmer en posant une main sur son bras mais c'est l'effet inverse qui se produit, comme si ma main sur elle était une brulure au troisième degré. Elle se dégage fortement et le regard noir de Mme Waterford est de retour plus vite qu'il n'avait disparu !

- On doit partir… Il faut se dépêcher !

- Je n'irai nulle part tant que tu ne me diras pas ce qu'il se passe ! Où est ton connard de mari ?

Une tornade blonde se jette sur moi avec fureur et la peur me paralyse entièrement. Que s'est-il passé dehors pour que Serena vrille aussi rapidement du côté obscur ? Et où est ce foutu Waterford ! Elle m'attrape par le bras et me dirige vers la sortie sans sommation !

- Tu feras exactement ce que je te dis si tu tiens à la vie ! me balance Serena sans même m'accorder le moindre regard

- STOP ! Arrête ! Tu me fais mal ! Serena… s'il te plaît… Calme-toi et dis moi ce qui se passe. Où est Fred ? Que s'est-il passé ?

- Fred ne sera plus un problème ! me répond-elle le plus froidement du monde.

Je prends le temps d'assimiler l'information que Serena vient de me fournir. Comment ça Fred ne sera plus un problème ? Nom de dieu Serena… Mais qu'as-tu fais ? Je préfère ne plus poser de questions pour le moment, attendant que tu sois prête et disposée à me parler pour obtenir des réponses. Nous montons dans la voiture garée devant l'entrée, roulant vers l'inconnu. Je ne reconnais pas la route que nous empruntons et je sais qu'il ne sert à rien que je pose des questions pour le moment. Elle n'est pas en mesure de me répondre.

Après presque deux heures de route, nous nous arrêtons devant une demeure qui m'est complètement inconnue. Serena sort de la voiture pour se diriger vers la porte d'entrée ou un homme de forte corpulence l'attend. Elle revient presque une demi-heure plus tard en ouvrant la portière passager pour me laisser sortir.

- Viens…

- Non ! Je ne sortirai pas de cette voiture tant que tu ne m'auras pas expliqué ce qu'il se passe !

- Bon Sang June… Ne peux-tu pas me faire confiance une fois dans ta vie ?

- Au risque de le regretter… Je ne sais pas si je ne pourrai jamais te faire confiance Serena

Elle accuse le coup en baissant légèrement les yeux. Elle m'a prouvé récemment qu'elle avait changé oui effectivement. Mais de là à lui faire confiance…

- Tu as raison… Bien que tu doutes de moi te concernant ! Tu sais au fond de toi que je ne ferai jamais rien qui puisse nuire à notre fille… Alors… S'il te plaît June, sors de cette putain de voiture et suis-moi à l'intérieur !

Notre fille… Comment en sommes-nous arrivées là. Serena ne parle de cet enfant qu'en disant notre enfant, notre fille. Elle n'est pas nôtre… elle ne peut être que la mienne ou la sienne, mais absolument pas la nôtre. Bien que réticente. Je sors de la voiture et me dirige vers la porte d'entrée en suivant les pas de Serena.

- Elle s'appelle Holly au fait

- Absolument pas ! Notre fille ne portera jamais ce nom ! Elle s'appelle Nichole

- Holly

- Nichole

- Tu ne penses pas que j'ai mon mot à dire ?

- Tu lui as donné la vie… laisse moi au moins le privilège de choisir son prénom ! Elle s'appelle Nichole.

La dernière réplique de Serena me laisse sans voix, et c'est résignée que je me présente devant l'homme à la barbe blanche qui nous ouvre la porte.

- Bienvenue chez moi… lance l'homme en ouvrant grand la porte

- Merci Commandant Lawrence… Que dieu vous protège de nous accueillir en votre demeure… répond Serena en évitant de le regarder dans les yeux.