Quand Dahlia entra sur le terrain de Quidditch, au milieu des hurlements, des applaudissements, des lumières et des drapeaux qui s'agitaient, elle était certaine de remporter ce match. Elle allait le remporter parce qu'elle en était capable, parce qu'elle était forte, parce que son père regarderait le score. Elle s'envola d'un geste du pied assuré et s'éleva dans les airs, déterminée. Même si c'était le mois d'octobre, il faisait beau et chaud à San Diego et c'était agréable. Les quelques nuages qui masquaient parfois le soleil étaient un avantage qui lui permettait de ne pas être trop éblouie en cherchant le vif d'or des yeux.

Elle vola longtemps, suivant le score de son équipe, tourbillonnant au-dessus du terrain, évitant les cognards. L'attrapeur adverse la collait, décidé lui aussi à ne pas se laisser dépasser. Ils eurent droit à un premier duel à l'issue duquel le vif d'or leur échappa et disparut à nouveau. Enfin, après trois heures de match, Dahlia l'attrapa la première et offrit la victoire à son équipe. C'était assez rare d'avoir un match aussi long dès le début du championnat mais au moins, les supporters en avaient eu pour leur argent. Dahlia regagna la terre ferme, retrouva les sourires, les accolades et les signes triomphants qui accompagnaient toujours les victoires. Ça lui avait un peu manqué. Elle aimait les cris de la foule aussi, les drapeaux noirs et blancs aux couleurs des Corbeaux qui s'agitaient dans tous les sens. Mais malgré cela, elle en ressentait moins de plaisir qu'à sa première saison et elle pressentait qu'elle ne pourrait rien faire pour que ça change.

L'enquête de Harry se termina quelques jours après le match de Dahlia, au bout de cinq semaines de traque acharnée. Il rentra épuisé mais satisfait, heureux d'avoir maintenant deux semaines de congés qu'il pourrait passer avec Perseus et pendant lesquelles il pourrait dormir. Il arrivait pile pour la poussée des incisives du haut et Perseus était infect mais Harry le supportait avec bonne humeur, parce que son bébé lui avait manqué. Dahlia, elle, s'échappait au travail en se foutant de lui et en lui souhaitant une bonne journée, bien contente de fuir les pleurs de Perseus.

Dahlia avait reçu une lettre de ses parents qui la félicitaient pour son premier match et ce fut absolument délicieux comme sensation, même si tout ce qui touchait à ses parents avait un arrière-goût amer en bouche. Dahlia continuait à voir la guérisseuse Erica Anderson, même si la fréquence s'était allégée. Elle lui avait raconté sa rencontre avec son père et ce que cela avait fait naitre en elle. Après plusieurs séances, elles étaient toutes les deux d'accord pour dire qu'il était important que Dahlia leur parle et leur dise réellement ce qu'elle avait sur le cœur. Une fois que ce serait dit, ils auraient sans doute tous mal mais au moins, ce serait fait, l'abcès serait crevé et ils pourraient se pardonner, ou pas. Dahlia répondit donc à ses parents pour leur proposer de venir les voir. Elle avait hésité à les faire venir un jour où Harry serait absent mais finalement, elle avait envie qu'il soit là, pour ne pas se retrouver seule si les choses dégénéraient. Et ne pas se retrouver seule quand ses parents repartiraient en la laissant dans un état incertain qui dépendrait du tournant de la discussion.

Ils arrivèrent un samedi et Harry ouvrit la porte avec réserve. Les salutations furent étranges, embarrassées, peu naturelles et remplies de rancœur. Lucius posa sur Harry un regard proche de la haine qui le surprit un peu et qu'il lui rendit sans se forcer. Il regarda Lucius et Narcissa serrer Dahlia dans leurs bras puis s'approcher de Perseus pour lui parler gentiment. Lucius tendit la main, caressa la joue de l'enfant et Harry se crispa complètement.

- Asseyez-vous donc, proposa-t-il sèchement.

Puis il alla prendre Perseus pour être certain de le garder avec lui et de l'éloigner d'eux. Heureusement, ça allait être l'heure de sa sieste et Harry disparut pour aller le coucher. Quand il revint, Dahlia et ses parents discutaient calmement, parlaient du match, des dents de Perseus et de la joie de Narcissa qui était contente que Lucius ait pu se réconcilier avec Dahlia. Il se demandait sincèrement comment Dahlia allait aborder les sujets qu'elle voulait aborder. Ce serait forcément douloureux et forcément déplaisant. Peut-être se perdraient-ils à nouveau après cette discussion. Il sursauta quand Narcissa se tourna vers lui et lui adressa la parole. De toute évidence, elle avait dû prendre la décision d'essayer d'être aimable et de ne pas l'ignorer.

- Et toi alors, Harry ? Tu es toujours Auror, n'est-ce pas trop difficile comme situation pour toi de vivre ici ?

Il fit un effort pour lui répondre le plus aimablement possible. Il avait moins de rancœur envers Narcissa. Elle n'avait pas essayé de tuer ses proches et elle lui avait sauvé la vie à la bataille de Poudlard. En plus, elle s'était bien comportée quand elle avait retrouvé Dahlia. Ce n'était pas elle qu'il détestait le plus. Il n'avait toutefois pas spécialement envie de discuter avec elle plus que nécessaire. Dahlia prit le relai de la discussion et assura que leur organisation fonctionnait très bien. C'était un peu dur pour Harry qui voyait peu ses amis mais ils ne pouvaient malheureusement pas faire autrement.

- Et… Tu n'envisagerais pas de revenir vivre en Angleterre, n'est-ce pas ? demanda Narcissa.

Il était clair qu'elle aimerait beaucoup que sa fille rentre en Angleterre pour la voir plus souvent et pour passer du temps avec son petit-fils. Lucius semblait partager son envie. Dahlia fut surprise de la question qu'elle n'attendait pas et évita leur regard.

- Non, tout le monde me croit morte. Et si les gens apprenaient que Harry était marié avec moi, ça ferait un scandale.

- Je vois…

- Je suis étonné que personne n'ait encore découvert la vérité, avoua Lucius.

- Ma vie privée n'intéresse plus tant que ça les journalistes, répondit Harry. En dehors de l'article qui est sorti cet été, ils ne se sont jamais penchés sur mes voyages à New York.

- C'est vrai que les journaux parlent très peu de toi. La dernière fois, c'était pour dire que tu étais rentré de Pologne, blessé mais vivant.

Harry discuta un peu de la Pologne avec Lucius, toujours sur la défensive. En plus, il n'aimait pas spécialement parler de cette guerre, il en gardait des souvenirs douloureux et une angoisse qui ne partait pas.

- Il y a eu beaucoup de morts chez nos Aurors, c'est une chance que tu aies survécu, commenta Lucius. Mais enfin bon, ça résume assez bien ta vie je crois.

Harry se crispa légèrement et Dahlia se tourna vers son père.

- Harry a bien failli ne pas survivre mais il est rentré et c'est tout ce qui compte. Heureusement d'ailleurs, parce que j'étais enceinte. Il devait rentrer.

Lucius eut l'air un peu embarrassé de l'entendre parler de sa grossesse, il n'arrivait pas complètement à se faire à l'idée. Narcissa compatit, cela devait être dur, bla bla bla. Harry resta en retrait, écoutait sans participer. Il commençait à douter que Dahlia parvienne à avoir une vraie discussion avec eux, il se disait que lui-même n'aurait pas réussi à le faire. A sa place, il aurait sans doute préféré cette discussion futile et agréable avec des parents aimants et concernés, préféré continuer à faire semblant, ne pas s'infliger d'autres souffrances supplémentaires, ne pas prendre le risque de les perdre à nouveau. Il n'en voudrait certainement pas à Dahlia si elle renonçait à son projet, il comprendrait parfaitement. Il fut donc surpris de l'entendre dire :

- Je vais faire du thé. Ensuite, j'aimerais que nous discutions, il y a des choses importantes dont nous n'avons pas parlé.

Lucius et Narcissa lui lancèrent un regard incertain mais ils n'eurent pas l'air vraiment étonnés. Ils avaient surement des choses à dire, eux aussi. Harry se leva vivement et posa une main sur l'épaule de Dahlia.

- Je vais m'occuper du thé.

Il fit chauffer l'eau pendant que Dahlia déposait des biscuits sur la table. Elle ne les avait pas faits elle-même, elle n'avait fait aucun effort sur la nourriture. Elle supposait qu'ils n'auraient de toute façon pas très faim. Elle s'assit à nouveau, face à eux et croisa élégamment les jambes pour cacher sa nervosité.

- J'ai fait croire à tout le monde, et surtout à vous, que je m'étais suicidée. Je sais que vous avez souffert, je suis certaine que vous m'en voulez.

Elle l'avait dit froidement, de sa voix trainante et peu expressive. Harry lui jeta un regard surpris et impressionné. Elle n'y allait pas par quatre chemins, ça c'est sûr. Lucius et Narcissa se figèrent dans le canapé, surpris eux aussi par la crudité de la remarque.

- Non, dit Narcissa un peu trop vite. Nous ne…

- Bien sûr que si, coupa sèchement Lucius. Ton suicide nous a dévastés, ta mère et moi, bien sûr que nous t'en voulons. Je comprends parfaitement que tu aies voulu partir, je ne te reproche pas ça. Mais tu n'étais pas obligée de nous infliger une telle souffrance.

Harry se crispa et attendit la suite, nerveux. Dahlia évita le regard de son père. Elle s'était sentie coupable pendant des années de leur avoir fait ça mais maintenant qu'il fallait parler, la sensation de culpabilité s'allégea considérablement pour laisser place à la rancune.

- Tu as raison, je n'étais pas obligée, mais j'ai eu envie de vous l'infliger quand même. Je l'ai fait exprès, je savais que vous alliez souffrir et c'était ce que je voulais.

Harry osa à peine regarder l'expression qui se peignit sur le visage de Lucius et Narcissa. Près de lui, l'eau bouillait et commençait à déborder. Il sursauta et s'empressa d'arrêter le sortilège. Narcissa se pencha vers Dahlia, pâle et choquée.

- Comment peux-tu dire une chose pareille ? Demanda-t-elle.

- Tu ne sais vraiment pas ? rétorqua Dahlia d'un ton amer et désabusé. Tu ne sais vraiment pas pourquoi je vous en veux et pourquoi j'ai voulu vous faire mal ?

Il y eut un silence pesant, et encore, pesant n'était pas le bon mot pour le décrire. Lucius se redressa légèrement dans le canapé.

- Nous ne savions pas que tu étais une fille, nous t'avons blessée, j'en suis sûr mais nous ne…

- Ça n'a rien à voir, coupa durement Dahlia. Même si je n'étais pas trans, je vous en voudrais quand même, ça n'a rien à voir !

Lucius se tut et contempla Dahlia avec intensité, très conscient de la haine et de la colère dans ses yeux. Narcissa fixa la table basse, incapable de soutenir son regard.

- Je n'avais jamais pensé que les choses tourneraient de cette manière, souffla enfin Lucius.

- De quelle manière ? demanda Dahlia d'un ton agressif.

- Je n'avais jamais pensé qu'il se servirait de toi comme il l'a fait.

Narcissa ferma les yeux quelques secondes, comme pour se protéger d'une vérité trop dure à supporter. Dahlia, elle, respira à nouveau plus facilement, soulagée que son père l'ait dit. Harry revint dans le salon et déposa les tasses sur la table. Evidemment, personne n'y fit attention.

- Peut-être, reconnut Dahlia. Mais il s'est servi de moi de cette façon et tu n'as rien fait pour l'en empêcher.

Sa voix avait changé, elle était devenue moins agressive. Elle était toujours pleine de rancœur et de colère mais la tristesse et la douleur s'étaient rajoutées.

- Tu n'as rien fait non plus, dit Dahlia en regardant sa mère. Mais peut-être que ça vous plaisait, au fond, non ? Tuer et torturer des gens, ça vous plait, pas vrai ? Vous deviez être tellement heureux de me voir faire ce genre de choses à seize ans ! Est-ce que ça répondait à vos attentes ?

- Arrête, coupa durement Lucius. Tu sais très bien que je n'ai jamais voulu ça pour toi et que ça ne me rendait pas heureux. Moi aussi je détestais qu'il t'oblige à faire ça.

- J'ai essayé de te protéger, dit Narcissa d'une voix faiblarde. Je suis allée voir Severus, je lui ai demandé de…

- Tu ne m'as pas protégée du tout ! s'écria Dahlia, furieuse. Je me suis retrouvée toute seule à Poudlard pendant toute l'année à essayer de tuer un homme que je ne pouvais pas tuer ! Arrête de faire comme si tu avais fait quoi que ce soit ! Tu l'as laissé poser sa Marque sur moi et tu l'as laissé me confier une mission ignoble sans rien dire.

- Mais que voulais-tu que je fasse ? gémit Narcissa en la regardant avec désespoir. Il donnait les ordres, nous ne pouvions pas désobéir !

- Tu n'en sais rien, dit Dahlia d'une voix glaciale. Tu n'as jamais essayé.

Narcissa ne sut pas quoi répondre à cela. Dahlia se pencha, prit sa tasse de thé et en but une gorgée, pour s'occuper les mains. Elle tremblait, elle était pleine de rage, de haine et de tristesse.

- Il aurait tué ta mère si elle avait essayé de s'opposer à lui, dit Lucius pour la défendre.

- C'est faux, répondit sombrement Dahlia. Ça, c'est ce que vous vous dites pour vous trouver des excuses mais c'est faux ! Il ne tuait pas les Sang Pur aussi facilement. Je doute sincèrement qu'il vous aurait tués.

- Tu n'en sais rien, le risque était…

- Oui, risquer votre vie pour moi était trop demander, j'ai bien compris.

- J'aurais risqué ma vie pour toi s'il avait voulu te tuer ! s'écria Lucius. Là, c'était différent, il…

- Il m'obligeait à torturer des gens et il me torturait moi ! J'avais dix-sept ans !

- Ce n'est pas arrivé si souvent, souffla Lucius.

- Pas si souvent ? s'indigna Dahlia, choquée. Suffisamment pour foutre ma vie en l'air ! Je fais encore des cauchemars, ça ne s'arrête jamais.

- Tu…

- J'entends encore leurs hurlements dans ma tête ! hurla Dahlia en se levant du fauteuil.

Lucius et Narcissa levèrent les yeux vers elle, anéantis et accablés. En réalité, que pouvaient-ils dire pour leur défense ? Rien, ils n'avaient rien à dire. Ils se turent tous en entendant Perseus pleurer, les cris de Dahlia l'avaient réveillé. Harry alla le chercher et le ramena avec lui. Il le garda dans ses bras et le berça doucement pour qu'il se rendorme. Dahlia jeta un regard dépité à son fils.

- Vous m'avez abandonnée, dit-elle. Vous m'avez laissé souffrir sans rien faire pour moi. Et ça m'a tellement détruite que quand Perseus est né je me suis sentie désespérée, incapable de m'en occuper, terrifiée à l'idée d'être une mère aussi mauvaise que toi, terrifiée à l'idée de le faire souffrir comme vous m'avez fait souffrir.

Il y eut un autre silence, tout aussi terrible que les autres. Harry regardait Dahlia avec admiration et dévotion, incrédule et stupéfait de la voir aussi forte et courageuse. Il savait qu'elle l'était mais il était impressionné. Elle leur avait dit tout ce qu'elle pensait, tout ce qu'elle leur reprochait. Elle avait osé.

Dahlia haussa les épaules et regarda ses parents, débarrassée de sa colère, triste et déçue.

- Et vous venez me voir, au bout de toutes ses années, pour me dire que je vous ai manqué, que vous m'aimez, pour me faire savoir que vous acceptez que je sois une femme, comme si c'était un cadeau que vous me faisiez. Tu te permets de me faire des reproches, parce que j'ai changé, parce que je t'ai fait souffrir. Pour qui vous prenez-vous ?

Lucius ne répondit pas.

- Nous savons tous que si je vous avais expliqué que j'étais trans, à l'époque, vous n'auriez jamais accepté l'idée. Vous m'auriez enfermée et cachée au manoir, vous m'auriez empêché d'aller à Ste Mangouste pour avoir des potions, vous m'auriez rejetée. Tu m'aurais peut-être frappée, hein, qui sait, pour me remettre dans le droit chemin ? Tu m'aurais arraché mes robes comme tu m'as arraché mon collier. Qu'aurais-tu fait ? Si vous m'aimez encore aujourd'hui, c'est parce que vous m'avez cru morte. Il a fallu que je meure pour avoir votre attention et votre amour. Comment pourrais-je vous pardonner cela ?

La question demeura en suspens dans le salon pendant un long moment. Lucius et Narcissa n'essayèrent pas de nier, ils savaient que ça ne servait à rien. Dahlia avait raison, ils savaient tous qu'elle disait la vérité. Malgré lui, Harry serra davantage Perseus dans ses bras. C'était terrible comme des parents pouvaient faire du mal à un enfant. Il espérait, du plus profond de ses entrailles, qu'il ne blesserait jamais Perseus de cette façon.

Lucius leva les yeux vers Dahlia et la regarda brièvement.

- Assieds-toi, ordonna-t-il.

Dahlia tressaillit et s'assit machinalement sur le fauteuil qu'elle avait quitté quelques instants plus tôt. Lucius croisa les mains sur ses genoux pour se donner contenance et réussit à la regarder dans les yeux.

- Dahlia, dit-il lentement, en insistant sur le prénom. Tout ce que tu nous reproches est vrai, je ne peux pas le nier. Visiblement, tu as beaucoup souffert, peut-être plus que je l'avais imaginé, et…

- Je suis désolée, coupa brusquement Narcissa. Je suis désolée de ne pas avoir fait mieux. Je t'ai toujours aimée, toujours, j'aurais dû t'aimer plus. Je ne sais pas quoi te dire d'autre, je ne peux pas effacer le passé, je ne peux pas changer les choses.

- Je te jure que le ferais si je le pouvais, assura Lucius. Comme je te l'ai dit la dernière fois, je suis désolé d'avoir dû te perdre pour comprendre toutes ces choses.

Maintenant, c'était Dahlia qui ne savait plus quoi répondre. Elle les fixait avec douleur et crispation. Perseus s'était rendormi dans les bras de Harry.

- Qu'est-ce que tu veux ? demanda fermement Lucius.

- Je ne sais pas, s'exaspéra Dahlia. Je veux que vous reconnaissiez le mal que vous m'avez fait, je veux des excuses, je…

- Nous venons de le faire, dit doucement Narcissa.

- Je ne sais pas…

- Ecoute, Dahlia, tout ce qui s'est passé autrefois, nous ne pouvons rien y faire, c'est trop tard. Mais nous pouvons nous rattraper maintenant. Même si tu nous en veux, même si tu nous détestes, je sais que tu nous aimes toujours. Tu viens de nous faire tous les reproches que tu gardais en toi depuis toutes ces années, très bien. Maintenant que c'est dit, nous pouvons recommencer. Laisse-moi une chance d'être une meilleure mère, laisse-moi être là pour toi.

- Et si je refuse ? demanda Dahlia. Et si je ne voulais pas vous donner de nouvelle chance ?

- Ne fais pas ça, dit Lucius. Il est hors de question de te perdre une seconde fois.

Dahlia aurait pu refuser. Elle aurait pu leur dire que ce n'était pas suffisant, leur dire qu'elle ne voulait pas leur pardonner et que rien ne l'obligeait à le faire. Elle pourrait couper les ponts avec eux, pour toujours, comme de nombreux enfants le faisaient avec leurs parents. Elle ne serait ni la première ni la dernière à le faire. Elle vivait à New York, ils vivaient en Angleterre, il aurait été simple ne plus les revoir et de les sortir de sa vie. Ce n'était toutefois pas si simple que cela, justement. Elle l'aurait fait s'ils avaient rejeté sa transidentité, s'ils avaient refusé de s'excuser. Mais ils étaient là, ils l'aimaient, ils voulaient la garder près d'eux et elle avait envie qu'ils le fassent, qu'ils soient là, qu'ils l'aiment et qu'ils veuillent d'elle.

- Vous n'aurez pas d'autre chance que celle-ci, répondit Dahlia d'une voix un peu fragile. Si vous la gâchez encore, je ne vous pardonnerai pas.

- Nous ne la gâcherons pas, assura Narcissa.

- D'accord.

L'atmosphère se détendit légèrement. Dahlia se sentait toujours tendue et tremblante, elle savait qu'elle serait épuisée quand ses parents repartiraient. Elle était heureuse de ne pas avoir pleuré et d'avoir réussi à dire ce qu'elle voulait dire. Elle se tourna vers Harry pour chercher son soutien et il lui sourit doucement.

- Perseus s'est rendormi ? Demanda-t-elle.

- Oui. Les voix ne le dérangent pas, visiblement.

Elle sourit tendrement en regardant son bébé dormir puis elle se tourna vers ses parents.

- Vous devriez boire votre thé, proposa-t-elle.

Il était froid et elle le réchauffa d'un coup de baguette. Lucius versa son lait, comme à son habitude. L'ambiance était étrange, encore pleine de disputes et de rancœurs. Harry ne voyait pas comment ils pourraient se remettre à bavarder juste après une conversation de ce genre. C'était sans compter sur Narcissa qui reprenait vite contenance.

- Qu'avez-vous fait de Perseus quand tu es allée jouer à San Diego ? Demanda-t-elle.

Dahlia dit qu'elle l'avait laissé chez un ami qui avait un bébé pratiquement du même âge. Ses parents parurent surpris qu'elle le laisse à un ami et Dahlia expliqua que ses amis étaient très importants pour elle. Ils étaient comme elle et ils se soutenaient tous. Elle parla un peu d'Andrew, de sa boutique de bijoux, de Clara et sa maison d'édition. Andrew avait traversé pas mal d'épreuves, ce n'était pas facile de vivre tranquillement dans la famille Stewart mais il avait la chance d'avoir des parents qui le soutenaient et une femme qui l'aimait. Lucius finit par la fixer avec stupeur.

- Attends… La famille Stewart comme les plantations Stewart ?

- Oui, c'est ça.

- Bon sang, tu es amie avec le fils Stewart ? s'écria Lucius, incrédule. Mais c'est l'une des familles les plus riches et les plus puissantes de tous les Etats-Unis !

- Je sais bien.

Il avait l'air impressionné. Impressionné et satisfait. Tout compte fait, il semblait trouver cela très bien que Perseus soit gardé par les Stewart. S'il pouvait devenir proche de Walter Stewart, qui serait le prochain hériter après son père et son grand-père, ce serait une très bonne chose. Ce genre de relation était toujours utile. Harry regarda la lueur vaniteuse dans les yeux de Lucius et dut se faire violence pour ne pas faire de remarque méprisante.

Ils discutèrent encore un peu, se forçant à entretenir un semblant de légèreté puis Lucius et Narcissa se levèrent pour partir. La rencontre avait été éprouvante pour eux aussi et ils n'avaient pas envie de rester trop longtemps. Mieux valait laisser les rancœurs et les émotions s'apaiser avant de se revoir à nouveau. Car ils se reverraient, n'est-ce pas ? Dahlia promit que oui.

- Je sais que c'était dur pour tout le monde de parler aujourd'hui, admit-elle. Mais il fallait que nous le fassions.

Narcissa hocha gravement la tête et caressa furtivement la joue de Dahlia. Cette dernière avait récupéré Perseus qui s'était à nouveau réveillé et Narcissa embrassa le front du bébé. Lucius l'imita puis Harry les raccompagna à la porte. Il ne savait pas pourquoi mais il avait envie d'avoir quelques secondes seul avec eux. Il n'avait rien à leur dire en particulier, il ne savait pas l'expliquer. Peut-être qu'il avait juste envie de les foutre dehors lui-même. Il ouvrit la porte et les regarda sortir en leur disant au revoir avec une certaine froideur. Lucius lui jeta un regard à nouveau haineux et Harry sentit un agacement profond monter en lui.

- Un problème ? Demanda-t-il.

Lucius lui fit face et le fixa avec une rancœur évidente.

- Je me souviens quand tu es venu chez nous pour enquêter sur la mort du journaliste. Tu as fait une remarque sur le bouquet de dahlias qu'il y avait sur le buffet. Comment oses-tu ? Depuis tout ce temps tu savais ! Tu savais qu'elle était vivante et tu n'as rien dit. Tu es venu chez nous, tu as fait une remarque sur les fleurs et tu es parti. Nous pleurions notre enfant et toi, pendant ce temps, tu… tu t'es marié avec elle, tu lui as fait un enfant, tu…

Lucius semblait furieux que Harry les ait laissé croire au suicide de leur enfant, jaloux aussi, sans doute, de savoir que Harry avait vécu toutes ces années avec Dahlia alors qu'eux la croyaient morte. Sans doute aurait-il voulu que Harry leur dise la vérité. Et au passage, qu'il n'épouse pas sa fille. Mais Harry se moquait de la colère de Lucius, il le détestait aussi, bien plus encore. Il se pencha un peu vers lui et le fixa sans la moindre compassion.

- Ecoutez-moi bien, Malefoy, cracha-t-il. Je vous rappelle que vous êtes ici dans ma maison, que c'est mon fils et ma famille. Je vous tolère parce que vous êtes le père de ma femme mais si ça ne tenait qu'à moi, vous n'auriez même pas passé le seuil de cette porte. Vous avez essayé de me tuer, vous avez essayé de tuer mes amis et mes proches. Je ne vous dois rien, vous entendez ? Rien du tout. Alors gardez vos reproches pour vous. Et estimez-vous heureux que je vous laisse venir chez moi et que je vous laisse voir Perseus parce que rien ne m'y oblige.

Les yeux gris de Lucius Malefoy brillèrent d'une lueur haineuse et il ouvrit la bouche pour répondre mais Narcissa lui agrippa brutalement le bras pour le faire taire. Elle posa sur Harry un regard froid qui ressemblait beaucoup à celui de Dahlia.

- Nous avons bien compris, Harry, dit-elle. Merci pour l'invitation et bonne soirée.

Puis elle entraina son mari dans le couloir et Harry referma la porte, satisfait de s'être fait comprendre. Il était déjà bien gentil de les accepter chez lui, ils n'allaient quand même pas en plus lui faire des reproches ! Harry se retourna et sursauta en voyant Dahlia dans le vestibule, appuyée à l'encadrement de la porte du salon. Sa colère retomba d'un coup.

- Tu as entendu ? Demanda-t-il.

- Oui.

- Je… Désolé mais ton père a…

Dahlia haussa les épaules et baissa la tête vers le sol.

- Tu as le droit de remettre mon père à sa place, concéda-t-elle. Tu as le droit de le détester aussi, tu as toutes les raisons du monde pour ça.

- Effectivement.

- Mais s'il te plait, ne m'oblige pas à choisir entre mes parents et toi.

Elle l'avait dit doucement mais il y avait une menace évidente derrière la requête. Et une sorte de supplique, aussi. Il se demanda brièvement qui elle choisirait mais il n'était pas sûr de vouloir connaitre la réponse. Harry se rapprocha d'elle.

- Je ne ferai jamais ça, assura Harry. Tu peux les voir quand tu veux, tu peux aller en Angleterre quand tu veux et tu peux les inviter quand tu veux. Si je ne suis pas là quand ils viennent, c'est encore mieux.

Dahlia eut un sourire blasé. Harry se crispa un peu et hésita à rajouter ce qu'il voulait rajouter. Il fallait bien qu'il le fasse pourtant, il devait dire ce qu'il pensait.

- En revanche… je ne veux pas qu'ils soient proches de Perseus. Je ne veux pas qu'ils soient seuls avec lui, je ne veux pas qu'ils le gardent, qu'ils s'en occupent. Ils peuvent le voir quand ils viennent et que tu es là mais c'est tout. Je ne veux pas qu'ils touchent à mon fils.

Harry vit nettement Dahlia se crisper à son tour et il s'en voulait de la blesser mais il savait qu'il ne cèderait pas sur ce point.

- C'est mon fils, dit-elle. Mes parents ne lui feront jamais de mal, je vois bien qu'ils l'aiment déjà.

- Je sais, ce n'est pas le problème.

- Mais alors…

- Dahlia, coupa durement Harry. Ton père a lâché le monstre de Serpentard sur les élèves de Poudlard en espérant qu'il tuerait les enfants Nés-Moldus. Quand Voldemort a voulu ma mort alors que je n'étais qu'un bébé, ton père serait venu m'assassiner sans la moindre hésitation s'il le lui avait ordonné. Alors peut-être que ton père regrette et qu'il a changé mais honnêtement, je m'en fous. Toi tu as commis des erreurs parce que tu étais jeune et manipulée mais lui, il était adulte et parfaitement conscient de ce qu'il faisait. Ce ne sont pas des erreurs, ce sont des crimes ignobles et rien ne l'excuse. Je sais que c'est ton père et je sais que tu l'aimes mais c'est un psychopathe et je ne veux pas qu'il soit proche de notre fils.

- Je sais, admit Dahlia dans un souffle.

Il voyait bien que ses accusations faisaient mal à Dahlia, surtout parce qu'elle était d'accord avec lui, au fond, et que c'était justement ça le plus dur.

- Je suis vraiment désolé mon amour, dit Harry plus doucement. Mais je voudrais que Perseus grandisse loin de toutes ces horreurs.

- Oui je sais, moi aussi.

Elle releva la tête, triste et pleine de douleurs, parce que sa conversation avec ses parents ne changeait rien à la vérité de ce qu'ils avaient fait et qu'elle en était bien consciente.

- Tu sais, dit-elle à voix basse. Je leur ai donné une dernière chance, j'ai l'intention de leur écrire et de les revoir, parce que j'en ai besoin. Mais je ne pense pas que je serai très proche d'eux pour autant ni que j'irai souvent en Angleterre. Il y a des choses qui ne peuvent pas être réparées.

Harry hocha la tête, comprenant parfaitement ce qu'elle voulait dire. Elle ne serait sans doute plus jamais aussi proche d'eux qu'elle l'avait été enfant, elle n'irait pas passer tous ses weekends avec eux et elle n'essaierait pas de recréer une famille heureuse factice. Harry en était soulagé, il n'était pas certain d'avoir supporté qu'elle les voie trop souvent et qu'ils s'immiscent trop dans leur vie. Et cela voulait dire également qu'ils ne verraient pas beaucoup Perseus, même si Harry ne l'avait pas exigé.

OoOoO

Pour faire la publicité de sa boutique de bijoux, Andrew aurait pu embaucher des mannequins célèbres mais il refusa. Il n'avait besoin de personne pour porter ses bijoux et les faire admirer au monde entier, personne d'autre que lui. Andrew serait son propre mannequin, il était largement assez beau pour ça et l'idée lui plaisait. Les immeubles de Hidden City se couvrirent de photographies plus ou moins grandes sur lesquelles Andrew posait, arborant les bijoux de sa nouvelle collection. On ne le voyait souvent que jusqu'au torse, nu, avec ses bijoux pour seule parure. Il avait parfois les cheveux courts, parfois longs et élégamment coiffés, parfois blonds, rouges, argentés. Il était toujours maquillé, de façon plus ou moins appuyée. La seule autre personne à poser pour les bijoux d'Andrew fut Clara. Sur plusieurs photos, ils étaient présents tous les deux, aussi dévêtus l'un que l'autre. Clara posait sa main sur le torse d'Andrew pour mettre en évidence la bague magnifique qu'elle portait. Clara se penchait à l'oreille d'Andrew pour lui chuchoter un secret que personne n'entendrait jamais et ses lèvres attiraient le regard sur la boucle qui pendait à l'oreille de son mari.

Si cela avait été n'importe quels mannequins professionnels, la campagne de publicité aurait été plutôt banale et sans risque. Mais c'était Andrew Stewart et sa femme et cela fit scandale. Un scandale parfait, exactement comme Andrew le voulait. Les gens se souvenaient encore de la polémique qui avait entouré leur mariage un an plus tôt, leur couple était célèbre, riche et puissant. On trouvait ça glamour et romantique de les voir poser ensemble, ça faisait rêver les foules. Alors oui, bien sûr, c'était un peu choquant de voir l'héritier Stewart poser nu avec des coiffures extravagantes et du maquillage mais en même temps, c'était justement cela qui était subversif et délicieux. La branche conservatrice du gouvernement et de la population jasait, outrée, déclarant que Caroline Seymour n'avait finalement pas tort sur la débauche du fils Stewart. A côté de ça, la majorité des femmes aisées de Hidden City savait pertinemment qu'elle irait acheter les bijoux Stewart.

Dahlia trouvait cela étrange et amusant de se promener en ville et de voir son ami à chaque coin de rue sur les grandes affiches publicitaires mais elle était fière de lui. Quand la boutique ouvrit enfin, un mois avant Noël, elle eut immédiatement du succès et attira beaucoup de monde. Le scandale et l'interdit étaient attirants, tout comme la célébrité d'Andrew. Il avait parfaitement géré son affaire et sa campagne de publicité, il fallait lui reconnaitre cela. Evidemment, son succès était surtout lié à son nom, il ne fallait pas être dupe mais c'était courageux de sa part de s'afficher de cette manière, en étant lui-même, sans tricher. Il était à présent le sorcier queer le plus célèbre des Etats-Unis et c'était une sacrée réussite.

Andrew et Clara, pour avoir leur indépendance, déménagèrent pour aller vivre dans l'hôtel particulier de Clara, dans un quartier huppé de Hidden City. La maison d'édition de Clara commençait à trouver son style et ses auteurs, même si les débuts étaient moins faciles et fulgurants que ceux d'Andrew. Les livres attiraient moins que les bijoux et la publicité n'était pas aussi exubérante dans le monde de l'édition. Elle ne s'inquiétait pas pour autant, elle savait qu'elle avait le temps.

Tout cela donna envie à Dahlia de déménager elle aussi, comme ils en parlaient depuis un moment. Elle savait bien que Harry n'aurait jamais le courage et la motivation de prendre les choses en mains pour déménager et elle le fit elle-même. Il avait des goûts plus simples qu'elle, il se serait contenté de cet appartement. Dahlia lui rappela que maintenant, ils n'avaient plus de chambre d'amis et qu'ils ne pouvaient plus accueillir personne. Et puis elle voulait une maison, avec une cheminée. Harry fut touché par les deux arguments, en particulier celui de la chambre d'amis. Il se mit donc à chercher avec elle, feuilletant les catalogues et visitant quelques maisons quand ils avaient le temps.

Quand Noël arriva, ils n'avaient rien trouvé de concluant mais ils ne perdaient pas espoir. Dahlia était en vacances pour la période des fêtes, Harry aussi, et ils allèrent les passer en Angleterre chez les Weasley. Maintenant que ses parents étaient au courant, Dahlia n'avait plus d'objection à y aller. Elle fit attention à cacher son visage dans le bateau mais ensuite, elle put profiter de son séjour. Ce Noël-ci fut beaucoup plus joyeux que le précédent où Harry était en Pologne. Il y pensait, dans un coin de sa tête. Il savait que Marilyn et Emily étaient toutes les deux à New York et il envoya un mot à Emily pour lui souhaiter un joyeux Noël. Il savait bien qu'elle penserait à la même chose que lui. En attendant, cette année, tout fut parfait. Rose et Perseus ne cessaient de grandir et de gagner en assurance. Perseus marchait à quatre pattes partout où il le pouvait, se mettait debout en s'appuyant sur les canapés et attrapait tout ce qui était à sa portée. Heureusement, il y avait suffisamment de monde chez les Weasley pour surveiller les faits et gestes des bébés. Louis Weasley s'était donné pour mission d'empêcher Perseus de mettre n'importe quoi à sa bouche et il lui arrachait parfois des mains des petits objets d'un air sévère en disant :

- Non Perseus ! Il ne faut pas manger ça !

Il n'était pas toujours très tendre ou très doux mais il était efficace. Bill soupirait en déclarant que son fils était déjà aussi autoritaire que Victoire mais il souriait quand même en l'écoutant. Rose, elle, commençait à marcher debout, un peu vacillante sur ses petites jambes. Ginny poursuivait Rose et Perseus dans la maison, leur arrachant des cris hystériques de joie et de terreur. Fleur prévoyait un nouveau séjour à New York pour aller voir Dahlia et visiter la boutique d'Andrew.

- Moi aussi j'aimerais bien voir cette boutique, assura Bill. Je suis sûr que je pourrai trouver des boucles d'oreilles originales !

Molly lui lança un regard courroucé mais Bill l'ignora, agacé. Percy discourait sur la politique du Ministère et comme d'habitude, seul Arthur consentait à l'écouter. Parfois, Harry se demandait ce que ça donnerait si Emily rencontrait Percy et discutait avec lui de coopération internationale. Il avait du mal à imaginer à quoi ça pourrait ressembler. Harry discuta avec Ron et George de la boutique qui marchait bien et qui rendait Ron heureux. Il y était beaucoup plus épanoui qu'au bureau des Aurors, il n'y avait aucun doute possible. Dahlia en profita pour se tourner vers Harry.

- Et toi ? demanda-t-elle d'une voix trainante et faussement indifférente. Est-ce que tu penses que tu resteras Auror toute ta vie ?

Elle savait que c'était un peu fourbe de lui demander cela devant tout le monde mais elle ne savait pas comment le dire autrement. Elle n'aimait pas l'idée de lui dire crûment : Je voudrais que tu démissionnes. Elle préférait tâter un peu le terrain avant. Harry eut l'air surpris de la question et hésita.

- Je ne sais pas… J'aime être Auror, je ne vois pas ce que je pourrais faire d'autre.

Dahlia n'insista pas. Harry récupéra Perseus et alla discuter avec Hermione, comparant leur vie de parents. Harry aimait se confier à Hermione pour lui dire à quel point il était heureux et à quel point il aimait son fils.

- J'adore être père, avoua-t-il.

Ça lui donnait l'impression de réparer quelque chose de sa propre enfance, de donner l'amour qui lui avait cruellement manqué, de construire la famille heureuse qu'il n'avait jamais connue. Son fils n'aurait jamais la même enfance que la sienne et d'une certaine façon, cela atténuait ses souffrances. C'était étrange comme la vie était faite car c'était la même idée qui faisait souffrir Dahlia, même si elle allait quand même beaucoup mieux. Ils ne réagissaient pas du tout de la même manière mais ce n'était pas nouveau.

Le 25 décembre, au matin, ils déballèrent les cadeaux. Ron, qui était le parrain de Perseus, lui offrit une peluche de boursouflet violette que Dahlia trouva ignoble. Malheureusement pour elle, Perseus sembla l'adorer. Ron était hilare devant son expression contrariée et Harry n'osa pas prendre parti. Un peu avant midi, Dahlia et Perseus quittèrent les Weasley pour aller déjeuner au manoir Malefoy avec Lucius et Narcissa. Harry avait décidé de ne pas y aller. De toute façon, ils seraient tous plus heureux et détendus sans lui. Il avait accepté que Dahlia emmène Perseus, même si ça le faisait chier, au fond. Après discussion, ils avaient décrété que ce serait correct que Perseus voie ses grands-parents à son anniversaire, à Noël et peut-être un peu en été. Trois fois dans l'année, c'était finalement peu, ça éviterait une relation trop proche et déplaisante. Quand Dahlia s'envola sur son balai avec Perseus, Ron et Hermione se tournèrent vers Harry, l'air un peu interrogateur et hésitant. Ils n'osaient rien dire mais ils n'en pensaient pas moins. Harry leva les mains avec exaspération.

- Non, je n'aime pas ça, dit-il d'un ton énervé. Mais ce sont ses parents.

- Ouais… souffla Ron.

Cela l'arrangeait tout de même un peu que Dahlia soit partie avec Perseus, ça lui permettrait de pouvoir faire quelque chose qu'il avait maintes et maintes fois repoussé. Il regarda Ron et Hermione avec anxiété.

- Vous ne voulez pas venir avec moi ? demanda-t-il un peu piteusement.

- Tu ne crois pas que ce serait mieux que tu y ailles seul ? suggéra sagement Hermione.

- Je pense qu'à ce stade, ça n'a plus vraiment d'importance.

- Moi je veux bien venir, dit Ron. Ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu.

Hermione céda. Ils transplanèrent tous les trois à Pré-au-Lard et remontèrent la grande allée qui menait à Poudlard. C'était étrange d'être là, nostalgique et décalé. Ils étaient loin des enfants qu'ils étaient autrefois, ils avaient changé. Poudlard semblait appartenir à une autre vie, une vie qu'ils n'étaient parfois plus certains d'avoir vécue. La neige crissait sous leurs pas et ils s'arrêtèrent devant le haut portail qui était toujours le même. Ils sonnèrent à la cloche et attendirent patiemment. C'était toujours Rusard qui s'occupait de la porte, à croire qu'il y avait beaucoup de choses qui ne changeaient pas. Il était toujours aussi désagréable et repoussant mais ils n'étaient plus enfants et ils n'étaient plus élèves.

- Nous venons voir Hagrid, dit Hermione d'un ton péremptoire.

Rusard les fit entrer à contre-cœur et Ron lui signala qu'il pouvait les laisser seuls. Ils n'avaient pas besoin de lui pour trouver la cabane de Hagrid, ils savaient parfaitement où elle était. Ils traversèrent le parc enneigé, serrant leurs manteaux autour d'eux, comme ils l'avaient si souvent fait autrefois. L'école était déserte et figée dans le temps, les élèves étaient rentrés pour les vacances. Ils pouvaient voir la fumée s'élever doucement au-dessus du château, tout comme au-dessus de la cabane de Hagrid. Il n'était pas encore parti pour aller assister au déjeuner de Noël de Poudlard, c'était parfait.

Harry frappa, franchement nerveux et même un peu effrayé. Hagrid vint ouvrir rapidement, sans doute surpris d'une visite et les fixa avec stupéfaction. C'était comme un retour de plusieurs années en arrière. Son regard se posa sur Harry et son visage se ferma nettement.

- Bonjour Hagrid, dit Harry, mal à l'aise.

- B'jour.

- Joyeux Noël Hagrid ! dit Hermione avec entrain. Comment allez-vous ? On vous a apporté un cadeau.

Elle montra la bouteille joliment emballée et Ron sourit. Hagrid s'adoucit un peu et les laissa entrer. La cabane n'avait pas changé, c'était toujours le même feu dans la cheminée et la même couverture en patchwork. Hagrid remercia pour la bouteille et la posa sur un meuble avec soin. Il servit du thé et des biscuits, toujours aussi durs et immangeables. Hagrid posa des questions à Ron et Hermione sur leur vie et leur fille. Harry savait que Hagrid venait régulièrement sur le Chemin de Traverse pour acheter toutes sortes de produits pour les animaux et qu'il passait voir Ron à la boutique de temps en temps. Paradoxalement, c'était Ron qui voyait le plus Hagrid alors qu'il était peut-être le moins proche de lui autrefois.

La conversation était légère et agréable entre Hagrid et ses deux amis mais Harry voyait bien que Hagrid lui en voulait. Il ne s'adressait jamais à lui, ne parlait qu'à Ron et Hermione, évitait son regard. Harry se sentait misérable et il méritait surement un tel traitement. Il y eut un silence quand Ron et Hermione se turent enfin. Hermione lança un regard à Harry pour lui faire signe de parler et il se râcla la gorge, mal à l'aise.

- Hagrid… Je suppose que vous avez lu l'article de cet été…

- L'article ? bougonna Hagrid. Celui qui dit que tu es marié ? Oui, je l'ai lu.

Harry adressa un regard désespéré à Hermione mais elle ne pouvait rien pour lui.

- Je…

- Je savais bien que tu avais une petite amie à New York mais je ne savais pas que tu l'avais épousée.

- Hagrid, laissez-moi vous…

- Non je comprends. Après tout, nous n'sommes pas si proches que ça, t'avais surement pas besoin de moi à ton mariage. Mais moi j'aurais aimé…

Harry perdit son calme, trop nerveux et coupable pour en supporter davantage.

- Hagrid ! cria-t-il. Laissez-moi vous expliquer, s'il vous plait.

Hagrid lança à Harry un regard triste et rancunier. Ron fit un léger signe à Harry pour l'encourager et le soutenir.

- Je t'écoute, soupira Hagrid.

Harry expliqua tout, de sa mission à New York en tant qu'Auror jusqu'aux retrouvailles avec Lucius et Narcissa. Il parlait avec nervosité, il bafouillait un peu, il n'arrêtait pas de s'excuser. L'expression sur le visage de Hagrid allait de la stupeur à la sidération. L'apogée fut atteinte quand Harry raconta qu'il avait un fils. Il s'embrouillait dans ses explications, il n'avait aucune excuse, Dahlia avait peur de la réaction des gens, il se sentait coupable, il avait repoussé le moment de venir voir Hagrid, il ne savait plus comment se faire pardonner. Il avait honte, il aurait dû venir plus tôt mais il ne se sentait plus capable de mentir alors il avait préféré éviter Hagrid.

- Je suis vraiment désolé, conclut Harry, dépité par lui-même.

Il y eut un silence embarrassant que Hagrid fit trainer volontairement, trop surpris pour répondre tout de suite.

- T'es vraiment quelqu'un de très surprenant et imprévisible, Harry, dit-il enfin.

Harry ne savait pas si c'était un compliment ou non. Hagrid non plus. Ces histoires de personnes transgenres, il n'en avait jamais entendu parler et il ne savait même pas que ça existait. Il s'en fichait un peu toutefois, il avait toujours estimé que les gens faisaient bien ce qu'ils voulaient. Si Drago Malefoy était maintenant une femme et s'appelait Dahlia, ça ne le regardait pas. Il était quand même surpris que Harry soit tombé amoureux d'elle, il savait bien qu'ils se détestaient quand ils étaient petits. Mais Harry avait raconté comment il avait aimé Dahlia, ce qu'elle était devenue et il avait l'air tellement amoureux d'elle en le disant que Hagrid ne pouvait pas le remettre en question.

- Au moins, je comprends mieux pourquoi tu ne m'as pas invité à ton mariage.

- J'étais triste de ne pas pouvoir le faire, croyez-moi. Mais maintenant que Lucius et Narcissa sont au courant, je n'ai plus de raison de le cacher. Bien sûr, il ne faut le dire à personne mais…

- J'ai bien compris Harry.

- Mais si vous voulez, vous… Est-ce que ça vous dirait de rencontrer mon fils ? Et Dahlia ? Vous pourriez venir dîner chez les Weasley ce soir, Molly est d'accord. S'il vous plait…

Hagrid regarda Harry avec attention. Il avait vieilli mais à cet instant, il ressemblait à un enfant demandant le pardon de son père. Ça crevait les yeux que Harry s'en voulait, qu'il était triste et qu'il voulait que Hagrid vienne. Et Hagrid avait toujours aimé Harry, il n'avait jamais su lui en vouloir trop longtemps. Harry serait sans doute ce qui s'approcherait le plus d'un fils pour lui et Hagrid n'avait aucune envie de le punir ou de le rejeter.

- Très bien Harry, je viendrai dîner chez Arthur et Molly ce soir.

- Vraiment ? Merci ! s'écria Harry, radieux et soulagé.

Ils laissèrent Hagrid tranquille, il devait se rendre au déjeuner avec les professeurs et les élèves restés à Poudlard. Il était même déjà en retard. Harry rentra au Terrier, soulagé d'avoir pu enfin parler avec Hagrid. Il déjeuna avec la famille Weasley, passa une bonne partie de l'après-midi avec Ron, Hermione, Bill, George et Ginny puis Dahlia rentra enfin de chez ses parents. Elle portait un grand sac, rempli des cadeaux qu'ils avaient trouvés au pied du sapin. Harry n'en fut pas très surpris, c'était bien le genre des Malefoy de compenser leurs défaillances par des présents coûteux. Il fit une remarque vaguement méprisante dans ce sens et Dahlia haussa les épaules, l'air de dire qu'il fallait s'y faire.

- Ils ont toujours été comme ça, dit-elle. Et au moins, Perseus est content.

La plupart des cadeaux étaient pour Perseus, des jeux en bois hors de prix, des vêtements tout aussi hors de prix, des livres magiques qui étaient indéchirables pour les bébés. Harry expira un bon coup et ne fit pas d'autres commentaires. Parmi les jeux reçus, il y en avait un avec des formes géométriques en bois à encastrer et c'était celui qui amusait le plus Perseus, pour le moment. Il faisait n'importe quoi, tapait le jeu avec le cube, sous le regard atterré de Louis qui se demandait comment il pouvait être aussi stupide.

- Mais Perseus, regarde, ça va là ! s'écriait-il avec agacement.

- Chéri, Perseus est un bébé, dit Fleur. Il est encore trop petit pour comprendre, apprends-lui gentiment au lieu de t'énerver.

En dehors des hurlements de Perseus quand Rose voulut lui prendre son cube, l'après-midi fut tout aussi heureuse que le reste. Hagrid arriva peu avant le dîner et fut chaleureusement salué par les Weasley. Bill était très content de le revoir, Arthur et Molly aussi. Dahlia n'avait franchement aucune envie d'être « présentée » à Hagrid mais elle fit un effort, consciente que c'était important pour Harry. Après tout, il supportait bien ses parents. Malgré tout, elle n'arrivait pas à apprécier Hagrid, elle le trouvait lourdaud, un peu idiot et globalement limité. Elle ne lui voulait aucun mal comme elle avait pu le penser autrefois mais elle savait bien qu'ils ne seraient jamais les meilleurs amis du monde. Le fait qu'il soit incapable de maitriser sa stupeur et sa curiosité en la voyant n'arrangea rien, ça faisait longtemps qu'on ne l'avait pas regardée de cette manière et c'était déplaisant. Elle n'aimait pas spécialement l'idée qu'il prenne Perseus dans ses bras et fut méchamment satisfaite quand son fils se mit à pleurer, effrayé par ce géant qu'il ne connaissait pas. Maintenant, Dahlia respectait Ron et Hermione et, en les observant discuter avec Hagrid au dîner, elle se demandait sincèrement ce qu'ils lui trouvaient. Au-delà de ça, il fallait reconnaitre que Hagrid était étonnamment doux et prévenant quand il parlait à Perseus, gentil et attentif quand il parlait à Harry. Et en dehors des regards peu discrets qu'il avait lancés à Dahlia en arrivant, il resta aimable avec elle alors qu'il avait objectivement très peu de raisons de le faire.

En tout cas, il fut évident que cette soirée passée avec Hagrid avait ôté un poids des épaules de Harry et c'était très bien. Dahlia savait qu'elle serait peu amenée à revoir Hagrid, elle n'avait donc pas à s'en faire. Le lendemain, Harry, Dahlia et Perseus allèrent rendre visite à Andromeda. Entre les enquêtes de Harry et les matchs de Dahlia, ils n'avaient pas eu vraiment le temps de les inviter à New York, Teddy et elle. Profiter de Noël pour se voir était ce qu'il y avait de plus simple. Andromeda fut heureuse de rencontrer Dahlia, elle en avait beaucoup entendu parler. Quand elle avait appris la vérité, au début, Andromeda avait ressenti de la réprobation envers Dahlia qui avait fait croire à son suicide. Elle s'identifiait à sa sœur, compatissait à sa douleur de mère. Et puis en y réfléchissant, elle s'était dit qu'elle comprenait Dahlia. Après tout, n'avait-elle pas fui sa famille elle aussi, abandonnant ses sœurs et ses parents ? Maintenant, elle ressentait aussi de la compassion pour Dahlia.

Ce fut un moment chaleureux et agréable. Dahlia était un peu effarée d'avoir retrouvé ses parents et d'avoir gagné une tante en prime. Elle qui n'avait plus de famille depuis des années, voilà qu'elle en avait maintenant plus qu'elle en avait rêvé. Andromeda était une femme charmante et éduquée, qui savait quand poser des questions et quand ne pas le faire. Elle n'était pas intrusive, elle était intéressée sans être curieuse. Elle ne jugeait pas et savait écouter. C'était tout à fait le genre de personne que Dahlia appréciait. Teddy aimait toujours autant Perseus et puisqu'il était assez grand, il eut le droit de lui donner son repas, cuillère après cuillère. Ce fut moyennent réussi, il y avait des légumes écrasés partout mais au moins, Teddy et Perseus s'amusaient.

Enfin, le 27 décembre, Harry et Dahlia repartirent à New York, emmenant avec eux Teddy qui allait passer une semaine chez eux. Harry se demandait sincèrement si ça n'avait pas été le meilleur Noël de sa vie. Dahlia, elle, était persuadée que si. Elle était avec Harry, elle se sentait bien, elle avait vu ses parents. La vie lui souriait à nouveau.

OoOoO

Ils reprirent leur recherche de maison, en plus des entrainements et des enquêtes. Dahlia était plus souvent en déplacement qu'avant. Les entraineurs des Corbeaux estimaient que c'était très bien pour leur équipe d'être sur place dès le matin pour s'entrainer et se concentrer. Il s'avérait que cela donnait de meilleurs résultats que quand les joueurs arrivaient en Portoloin ou en transplanant de façon aléatoire juste avant le match. En plus, les joueurs aimaient ça. Elle n'allait pas mentir, Dahlia trouvait cela très agréable de s'absenter un peu de temps en temps, ça lui changeait les idées et ce n'était jamais très long. Elle était davantage concentrée, c'était vrai, elle était plus investie dans son match et jouait souvent mieux. Ces voyages renforçaient aussi la cohésion de l'équipe, les soirées à l'hôtel avec les coéquipiers étaient plaisantes et les mettaient de bonne humeur.

Un vendredi où Harry savait qu'il passerait la soirée seul avec Perseus, il proposa à Mark de venir chez lui. Mark, qui terminait bientôt son entrainement, lui lança un regard incrédule.

- Chez toi ? demanda-t-il sans comprendre. Tu veux dire chez toi à New York ?

- Oui, je n'ai pas d'autre chez moi, répondit Harry en souriant.

Mark accepta avec joie, l'air franchement stupéfait que Harry l'invite. Ce dernier se sentit coupable, une fois de plus. Il dormait régulièrement chez Mark mais il ne l'avait jamais invité lui-même. C'était à cause de Dahlia, évidemment, même si Harry n'aimait pas le dire de cette façon. Ce soir-là en tout cas, elle ne serait pas là et il pouvait inviter Mark. Après l'entrainement, ils prirent un Portoloin tous les deux. Mark observait New York et Hidden City avec plaisir et curiosité, comme un touriste, fasciné de se retrouver là. Ils se promenèrent un peu dans Hidden City, Mark s'acheta un hot dog qu'il mangea avec plaisir en guise de dîner puis ils allèrent chercher Perseus chez la nourrice.

Mark était ce genre d'homme célibataire globalement peu intéressé par les enfants mais il sourit quand même gentiment à Perseus, le trouva mignon, constata que le bébé avait clairement les cheveux de sa mère et non de son père.

- Il a vraiment tes yeux par contre, constata Mark en souriant.

Puisque c'était l'enfant de Harry, Mark s'y intéressa un peu plus et accepta de bonne grâce de le surveiller et de jouer avec lui pendant qu'ils buvaient une bière. Ce fut une bonne soirée, Mark était clairement heureux d'être là et Harry partageait son plaisir. Ses collègues, qui n'avaient jamais vu ni sa femme ni son fils, se demandaient peut-être s'ils existaient vraiment. Mark au moins, pourraient dire qu'il avait vu Perseus. Harry trouvait cette idée à la fois déprimante et amusante, il ne savait plus trop. Tout en bavardant avec Mark, il se demandait ce qui se passerait si son ami rencontrait Dahlia. La reconnaitrait-il vraiment ? Parfois, Harry en doutait. Mark verrait-il vraiment Drago Malefoy en Dahlia alors qu'il l'avait à peine connue quand elle était jeune ? Peut-être étaient-ils paranos, peut-être Mark ne ferait-il jamais le rapprochement. Tandis que Mark tendait pour la dixième fois sa balle à Perseus, Harry se demanda s'ils ne devraient pas tenter le coup. Parce qu'au fond, toute cette histoire commençait à lui peser et à le faire chier. Le fait que Mark ait eu l'air si choqué que Harry l'invite le rendait mal à l'aise. Et même s'il s'était réconcilié avec Hagrid et qu'il avait présentée Dahlia à Andromeda, Harry se sentait toujours coupable de leur avoir autant menti.

Mark repartit tard, parce que c'était vendredi soir et qu'il pouvait se le permettre. Harry trouvait cela vraiment très agréable d'avoir passé une soirée chez lui avec son collègue et ami. A New York, il voyait toujours régulièrement Tyler et Harold et il ne s'en plaignait pas mais cela lui plaisait toujours de faire venir sa vie londonienne ici. Le lendemain, Harry était d'excellente humeur. Il savait que Dahlia jouait en début d'après-midi et il lui envoya un mot pour lui souhaiter bonne chance. Après avoir donné sa purée de carotte à Perseus et avoir soupiré de le voir se réveiller si tôt de sa sieste, Harry sortit de chez lui pour retrouver Emily dans le bar où ils allaient tout le temps. Parfois, ils se voyaient seuls, pendant les absences de Dahlia, parce qu'ils aimaient bien. Ils pouvaient parler de choses dont ils ne parlaient pas devant les autres, ils n'étaient pas obligés de faire attention. Ils n'étaient pas devenus les meilleurs amis du monde mais leur expérience en Pologne les avait définitivement rapprochés. Harry aurait eu du mal à définir leur relation et il ne trouvait pas très utile de le faire. C'était quelque chose comme de la camaraderie de soldats qui s'étaient mutuellement sauvés la vie, avaient failli se tuer aussi et avaient souffert ensemble. Cela faisait du bien à Harry de voir Emily, du bien psychologiquement.

Ils se retrouvèrent au café et s'assirent à l'intérieur pour se protéger du froid de janvier. Il était trop tôt pour boire de l'alcool et Harry commanda un chocolat chaud. Emily embrassa Perseus, le prit sur ses genoux un instant, écouta la liste de ses progrès et nouvelles aptitudes comme si Harry lui faisait un rapport et le remit dans sa poussette avec son doudou. Perseus préférait finalement le lapin d'Emily au boursouflet de Ron, au grand soulagement de Dahlia. Harry était persuadé qu'elle finirait par s'en débarrasser un jour ou l'autre en accusant Perseus de l'avoir perdu. Emily éclata de rire en mélangeant son café.

- Elle en serait capable, oui, admit-elle.

Ils ne s'étaient pas vus depuis Noël. Emily avait passé le réveillon du 31 avec Josh, personne ne savait trop où puis elle avait dû partir deux semaines pour le travail.

- Une mission chiante au Mexique, très peu d'intérêt, dit Emily en haussant les épaules.

Harry lui raconta que Mark était venu passer la soirée chez lui et Emily eut un rire un peu désabusé.

- Le pauvre, il doit se demander pourquoi tu l'invites pile quand ta femme n'est pas là. Je ne sais pas ce que pensent tes collègues de tout ça au fond.

- Moi non plus… Je ne suis pas sûr d'avoir envie de le savoir.

- Mmh… On pourrait prendre un verre tous les trois une fois, ce serait crédible que tu sois resté ami avec Juliana, non ? J'aimais bien Mark, il est un peu lourd mais sympa.

- Je ne sais pas, ce serait encore un mensonge supplémentaire.

Emily écarta les mains d'un geste fataliste. Les mensonges ne la dérangeaient pas spécialement, les mensonges c'était toute sa vie. Elle se tourna machinalement vers la poussette pour surveiller Perseus qui ne faisait bizarrement plus de bruit et leva les sourcils avec étonnement.

- La vache, il s'est endormi.

Harry eut un air blasé.

- Il est bizarre parfois, il refuse de s'endormir dans son lit alors que tout est calme et ensuite il s'endort n'importe où. J'ai arrêté d'essayer de comprendre.

- Ouais, les bébés sont vraiment flippants.

- Non, dit fermement Harry. Ce n'est pas ce j'ai dit.

Emily lui lança un regard amusé et but une gorgée de café. Ils discutèrent tranquillement de tout et de rien, Harry aimait ça. Il savait qu'il pouvait parler de n'importe quoi avec Emily et qu'elle l'écouterait. Il lui raconta ses retrouvailles avec Hagrid. Emily en savait assez pour comprendre et elle était assez extérieure pour être objective, c'était tout l'intérêt de discuter avec elle. Elle avait le don d'asséner quelques remarques lapidaires et lucides qui remettaient Harry sur le droit chemin.

- S'il t'aime, il te pardonnera, disait-elle. Parfois il faut savoir dépasser sa fierté et se rendre compte qu'il y a des choses bien plus graves que ne pas avoir été invité à un mariage. La relation destructrice de Dahlia avec ses parents, ses traumatismes et sa sécurité, c'est plus important. Franchement, s'il ne peut pas comprendre ça, il n'en vaut pas la peine.

C'était un peu dur comme analyse mais il voyait bien ce qu'elle voulait dire. De toute façon, c'était exactement le choix qu'il avait fait, préserver la sécurité et le bien-être de sa femme au détriment de ses relations amicales. Il ne le regrettait pas mais il en souffrait parfois. Harry voulut le dire. N'avait-elle jamais souffert, elle, de ne pas dire la vérité à Abigail au sujet de son travail ? Il allait lui poser la question quand il fut interrompu par l'arrivée de deux personnes qui s'arrêtèrent à leur table avec des exclamations surprises. C'était Chris et Marilyn qui venaient prendre un café eux aussi et étaient heureux de tomber sur eux.

- Eh bien eh bien, dit Marilyn en serrant Emily dans ses bras. Vous vous voyez sans Dahlia maintenant ? C'est quoi ces cachotteries ?

- Ce ne sont pas des cachotteries, j'ai le droit de voir mon filleul quand je le veux !

Marilyn et Chris lui lancèrent un regard blasé.

- Perseus ne voulait pas dormir et Harry était dépassé, je suis donc venue lui tenir compagnie.

- Je n'étais pas dépassé, renchérit Harry en enlaçant Chris.

Marilyn éclata de rire en se penchant au-dessus la poussette.

- Comment peut-il dormir dans ce boucan ?

Chris et Marilyn s'assirent avec eux et la conversation prit une tout autre tournure. Harry s'y plia volontiers et de bonne grâce, il aurait d'autres occasions de parler avec Emily. Ils se racontèrent leurs fêtes de fin d'année, qui avaient finalement ressemblé à toutes les autres. Chris était content d'avoir fait une soirée avec ses amis pour le 31, même s'il manquait Andrew et Emily.

- Merci d'avoir gardé Perseus pour que Dahlia puisse venir, dit-il en souriant à Harry. Toi par contre, tu nous as lâchement abandonnés pour ce crétin de Josh. Tu as beau dire, je ne l'aime pas.

- Moi non plus, appuya Marilyn. Je ne sais pas comment tu peux lui pardonner.

- C'est entre Josh et elle, Emily fait ce qu'elle veut, dit Harry.

- Exact, merci Harry.

C'était hypocrite de sa part car la seule fois où il avait vu Josh, Harry l'avait détesté et lui avait mal parlé. Ils se chamaillèrent encore un peu, changèrent de sujet. Les cours de Chris se passaient bien, Marilyn sauvait des créatures magiques. Perseus se réveilla et se mit à pleurer. C'était l'heure du goûter et Harry lui donna son biberon qu'il but goulûment. Après le biberon, la compote.

- C'est fou ce qu'il mange, commenta Marilyn.

- Mieux vaut ça que l'inverse. Mais c'est vrai qu'il ne risque pas de perdre ses grosses joues. Hein, tu vas garder tes grosses joues, oui, oui ! Pour que papa puisse leur faire des bisous, oui ?

Emily, Chris et Marilyn fixèrent Harry avec un air atterré et il releva la tête vers eux après avoir embrassé Perseus.

- Oh ça va, gardez vos jugements pour vous. Je suis sûr que tu deviens débile aussi quand tu parles à tes animaux !

- Tu ne le sauras jamais, répondit Marilyn en souriant.

Chris jeta un coup d'œil moqueur à Marilyn et sembla sur le point de dire quelque chose mais un homme se planta devant leur table et tout le monde se tut. Il avait une cinquantaine d'année, était mal rasé et avait un visage bourru peu avenant.

- Raymond, dit-il d'une voix surprise.

Harry se demanda qui était Raymond mais l'homme regardait Marilyn. Ils se tournèrent tous vers elle, perplexes, pour constater que le visage de leur amie s'était décomposé. Elle avait l'air effrayée.

- Papa, souffla-t-elle.

Même sa voix n'était plus la même. L'homme se rapprocha d'elle et elle se tendit nettement.

- Tu n'as pas idée du temps que j'ai passé à te chercher, pour l'amour du ciel, Ray ! Allez viens, sors d'ici, on rentre à la maison.

- Quoi ? bafouilla Marilyn. Non, hors de question, je…

- Tu sais dans quel état est ta mère ? Nous n'avons plus aucune nouvelle de toi depuis des années ! Tu veux la tuer, c'est ça ? Et puis regarde à quoi tu ressembles… Viens avec moi, c'est fini maintenant.

- A… allons discuter dehors, bégaya Marilyn en se levant.

Harry vit ses mains trembler sur sa chaise. Quand elle passa à côté d'Emily, celle-ci agrippa fermement son poignet.

- Reste devant le café, ordonna-t-elle à voix basse.

Marilyn hocha la tête et sortit avec son père. Comme Emily l'avait demandé, elle s'immobilisa devant la grande fenêtre du café. Ils pouvaient la voir à travers la vitre, elle n'avait pas l'air bien. Un silence de mort était tombé sur la table et Harry pouvait deviner que quelque chose n'allait pas. Il l'avait toujours su, au fond, que quelque chose n'allait pas avec Marilyn et qu'elle avait des souffrances en elle qu'elle ne disait pas. Mais voir Emily et Chris aussi tendus n'était pas bon signe. Ils surveillaient Marilyn avec attention et Emily avait sorti sa baguette.

- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Harry, nerveux.

- Il va la frapper, répondit Chris d'une voix dégoutée. C'est ce qu'il a toujours fait depuis qu'elle a commencé à afficher une certaine… féminité. C'est un rustre qui ne comprend rien et qui ne sait que cogner.

Harry serra davantage Perseus contre lui et fixa la scène qui se passait dehors. Marilyn et son père se disputaient clairement mais on ne pouvait pas entendre ce qu'ils disaient. Ils pouvaient l'imaginer cependant, elle refusait de rentrer à la maison, il voulait qu'elle arrête d'être une femme, etc. Plusieurs minutes s'écoulèrent, tendues. Les passants les observaient s'engueuler avec crainte et curiosité, le père semblait de plus en plus furieux. Il attrapa le bras de Marilyn d'un geste brusque mais elle se dégagea vivement et se mit à crier quelque chose. Emily serra sa baguette. Le père n'avait pas dû apprécier ce qu'elle lui avait crié car il finit par lui mettre une gifle, gifle qui ressemblait plus à un coup de poing qu'autre chose. Des passants s'arrêtèrent, un peu choqués et Harry sursauta vivement. Emily se leva d'un bond de sa chaise et marcha vers la porte. Harry et Chris l'imitèrent. Harry se tourna vers Chris et lui fourra Perseus dans les bras.

- Garde-le.

Puis il sortit du café derrière Emily, inquiet et en colère. Il était Auror et il serait certainement plus utile que Chris s'il fallait intervenir. S'il fallait calmer Emily et l'empêcher de déraper, aussi. Sur le trottoir, Marilyn saignait du nez et le père était toujours furieux. Emily marcha droit vers lui, attrapa le col de son manteau et le repoussa violemment.

- Ecartez-vous immédiatement d'elle, ordonna Emily d'une voix glaciale. Vous devriez rentrer chez vous.

L'homme regarda Emily avec stupeur puis avec fureur.

- Mais de quoi tu te mêles, toi ? C'est mon fils, je fais ce que…

- Ce n'est pas votre fils et même si ça l'était, ça ne vous donnerait pas le droit de le frapper pour autant. Dégagez.

Harry s'était approché de Marilyn pour vérifier qu'elle allait bien. De toute évidence, non. Elle tremblait comme une feuille et son visage gonflait à cause du coup. Harry se tourna vers Emily. Il craignait que l'échange dégénère. Le père semblait outré qu'une femme ose lui parler de cette manière et il fit un pas vers Emily d'un geste menaçant.

- Comment ça ce n'est pas mon fils ? Mêle-toi de tes affaires salope ! Ray, dépêche-toi de rappliquer, on rentre à la maison !

- Je ne m'appelle plus Ray ! cria Marilyn avec désespoir. Et je ne rentrerai jamais avec toi, jamais ! Alors dégage !

Le père voulut attraper Marilyn mais Harry se mit devant elle et braqua sa baguette vers lui.

- Vous devriez vraiment partir, conseilla-t-il sèchement.

Le père regarda Emily, puis Harry et eut un geste haineux.

- Je vois, vous êtes de son côté, c'est ça ? Vous devez être des malades comme lui. C'est vous qui lui avez mis ces idées dans la tête, pas vrai ? C'est à cause de vous qu'il est comme ça. Donc il va retirer ce maquillage de pute et rentrer avec moi !

- Marilyn n'est pas malade et arrêtez de parler d'elle comme ça, cracha Emily.

- Il ne s'appelle pas Marilyn ! hurla le père. Ce ne sont que des conneries ! Vous êtes tous complètement cinglés ! C'est pas une femme ! Et tu crois quoi toi, avec tes faux seins ? Tu seras toujours un mec quand même ! Et toi avec ta fausse barbe, tu resteras toujours une femme ! Il est hors de question que mon fils termine comme vous, bandes de malades ! Ray, t'as intérêt à venir avec moi sinon je te trai…

Harry tressaillit de stupeur. Emily se planta devant l'homme et le regarda de haut, avec toute la haine qu'elle ressentait pour lui.

- Vous feriez mieux de partir avant que je perde mon calme, parce que sinon je vais vous montrer ce que ça fait que de vous en prendre à quelqu'un qui est capable de répondre.

Il hésita un peu, comme s'il pressentait qu'elle ne plaisantait pas. Malheureusement, l'homme n'avait aucune envie de céder devant une femme, même si elle avait de faux seins selon lui. Il voulut repousser Emily, eut l'air un peu surpris de voir qu'il n'y arrivait pas et tressaillait quand la main d'Emily se referma sur son bras avec une force insoupçonnée. Avant qu'elle puisse faire quoi que ce soit, une main se posa sur l'épaule de l'homme et le tira en arrière. Le père se retourna pour regarder le couple d'hommes qui le fixait avec dégoût et il se rendit compte qu'ils étaient maintenant entourés par une vingtaine de personnes. C'était en plein jour, en plein milieu de la rue principale du quartier queer de Hidden City et ça ne plaisait pas vraiment. Plusieurs clients étaient sortis du café et grimaçaient de mépris en observant le père. Celui-ci se dégagea brutalement.

- Lâche-moi sale pédé ! éructa le père.

L'autre le lâcha et leva les mains avec répulsion.

- Barre-toi de là.

Le père hésita mais les gens avaient sorti leurs baguettes et semblaient tous menaçants. Il poussa un juron, les insulta une dernière fois puis transplana. La tension retomba d'un coup et tout le monde se remit en mouvement. Plusieurs personnes s'approchèrent de Marilyn pour voir si ça allait et lui serrèrent le bras ou l'épaule avec empathie. Emily proposa à Marilyn de l'emmener à Sarah Good mais son nez ne saignait plus et elle tremblait encore. Harry la raccompagna dans le café avec Chris qui tenait toujours Perseus, l'air choqué. Le barman servit un café à Marilyn.

- C'est cadeau de la maison, dit-il doucement.

Marilyn hocha la tête et remercia du bout des lèvres. Harry regarda derrière lui et constata qu'Emily était restée dehors devant la porte. Il la soupçonnait de surveiller que le père ne revenait pas. Harry échangea un regard avec Chris, aussi atterré et désolé que lui. Il remit Perseus dans sa poussette et sortit du café pour rejoindre Emily. Il s'adossa au mur, à côté d'elle, et fit rouler la poussette pour calmer Perseus qui pleurnichait un peu. Emily tenait toujours sa baguette et ne semblait pas aller très bien non plus.

- Je pensais que tu allais lui casser la gueule, avoua Harry.

- Non, répondit Marilyn à voix basse. Je ne serais pas un bon agent si je perdais mon calme aussi facilement. Et puis les autres commenceraient à avoir des soupçons si j'étalais un mec de son genre en un ou deux coups de poings.

Elle eut un rire désabusé, Harry ne savait pas trop si elle plaisantait ou non. Il se sentait mal lui aussi. Il avait eu envie, pendant quelques secondes, d'agresser le père, de le neutraliser d'un coup de baguette et de l'empêcher de parler. Harry était Auror, il aurait pu le faire facilement. Mais il n'aimait pas trop l'idée d'utiliser ses compétences sur un civile de cette manière. Sans doute qu'Emily non plus.

- Tu es blessée par ce qu'il a dit ? demanda Harry.

- Non, répondit Emily après une hésitation. Je me fiche qu'un type comme ça me traite de salope ou critique mes seins, ça ne m'atteint même plus. Je suis surtout triste pour Marilyn, elle n'a vraiment pas besoin de ça.

Harry médita la réponse d'Emily. Il finit par se pencher vers Perseus qui en avait visiblement ras-le-bol de sa poussette et le prit dans ses bras. L'odeur de Perseus, dans un moment comme celui-ci, était particulièrement réconfortante.

- Il est arrivé quelque chose à Marilyn quand elle était plus jeune, n'est-ce pas ? dit enfin Harry.

Emily lui jeta un regard rapide et eut un rire amer.

- Tu veux dire à part grandir avec cet énorme connard pour père ?

- Oui, quelque chose de plus grave encore.

Emily se tourna vers lui et le regarda avec hésitation.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

- Mon instinct d'Auror.

Emily hocha la tête, l'air de dire qu'elle comprenait.

- Tu as un bon instinct… Mais personne ne sait à part moi. Marilyn ne l'a jamais dit à personne, pas même à ses parents.

Il y eut un silence pesant et triste. Une pluie froide s'était mise à tomber et Harry se colla davantage contre le mut pour rester à l'abri sous l'auvent du café. Il savait qu'il n'aurait pas plus de détail et il n'en voulait pas, ça ne le regardait en rien. De toute façon, il avait une idée de ce qui avait pu arriver à Marilyn et il devinait dans l'attitude d'Emily qu'il avait raison. Ça le rendait triste et il frissonna. Il comptait rentrer au chaud dans le café, Perseus avait le bout du nez froid et un peu rouge. Quand il voulut partir, la voix d'Emily le retint.

- Je ne sais pas pourquoi les hommes nous détestent autant, nous les femmes, déclara-t-elle avec un mélange de sincérité et de colère. Mais ils nous détestent et je pèse mes mots. C'est de la haine, il n'y a pas d'autres termes. Quand cet homme qui ne me connait même pas me traite de salope, c'est de la haine. Les garçons qui ont fait ça à Marilyn, ils devaient la haïr plus que tout pour lui infliger ça. Et nous, les femmes trans, ils nous détestent encore plus, comme si on les avait trahis en changeant de genre ou… d'ailleurs je ne sais même pas vraiment ce qu'ils nous reprochent, c'est complètement délirant !

Harry se sentait terriblement mal à l'aise, parce qu'il était un homme, qu'il ne la détestait pas mais qu'il ne pouvait pas la contredire. Il aurait beau dire tout ce qu'il voudrait, elle avait raison, c'étaient toujours les hommes qui déshabillaient, frappaient, violaient. Et en tout honnêteté, Harry ne comprenait pas non plus pourquoi.

- Je ne sais pas Emily… souffla-t-il. Mais je suis désolé.

- Non…

Elle lui attrapa le bras et le serra doucement.

- Je sais que tu n'es pas comme ça. Heureusement qu'il y a des hommes comme toi pour contrebalancer.

- Est-ce que… Tu n'as jamais envie parfois de retrouver tous ces types, ceux qui ont agressé Dahlia, ceux qui ont tabassé Andrew, ceux qui ont – je suppose – violé Marilyn et de leur faire payer ? Parce que, je veux dire, tu en aurais les moyens…

- Si, bien sûr que j'en ai envie de temps en temps. Mais je te l'ai dit, je ne suis pas tueuse à gages, hors de question que j'utilise ce que je sais faire pour assouvir des vengeances personnelles. Sauf si vraiment… il y avait un cas extrême. J'espère que ça n'arrivera jamais.

Harry hocha la tête et se décolla du mur. Il rentra dans le café et retrouva Marilyn. Emily l'avait suivi et s'assit près de son amie. Visiblement, le café chaud lui avait fait du bien et elle ne tremblait plus. Son visage commençait à bleuir à l'endroit où son père l'avait cognée et Emily lui caressa doucement la main.

- Merci d'être venue, dit Marilyn.

- C'est normal. Tu vas rester chez moi quelques temps, d'accord ? Et on va éviter ce bar pendant quelques temps aussi, au cas où il reviendrait.

- Tu es sûre ? J'ai peur qu'il me cherche partout et qu'il s'en prenne à toi…

- Chérie, dit fermement Emily. Ton père ne pourra jamais rien me faire, ne t'occupe pas de ça.

Marilyn hocha la tête. Harry prit Perseus sur ses genoux et lui donna la fin de sa compote. Il aurait aimé rentrer, son fils commençait à en avoir marre, mais il n'osait pas abandonner Marilyn dans cet état. Heureusement, Emily proposa qu'ils s'en aillent. Après tout, le père pouvait revenir et Marilyn avait besoin de soins au visage. Ils se levèrent tous et sortirent sur le trottoir. Emily fit apparaitre un parapluie au bout de sa baguette et se tourna vers Harry. Il vit à son sourire qu'elle allait lui dire une connerie.

- Et surtout, n'oublions pas, même avec sa fausse barbe, Harry restera toujours une femme !

Marilyn éclata nerveusement de rire et Chris sourit en poussant un soupir. Harry rit aussi, il avait oublié que le père de Marilyn lui avait dit ça. C'était surréaliste de se faire insulter comme s'il était trans, ça n'avait vraiment aucun sens.

- J'ai toujours su que tu étais une femme au fond, rajouta Emily en souriant encore plus.

- Me voilà démasqué !

- Mon père est vraiment con… Désolée Harry et merci.

Ils se séparèrent tous, transplanant rapidement pour ne pas être mouillés, à l'exception de Harry qui dut pousser la poussette jusqu'à chez lui. Quelle journée de merde.