- Quoi ?! Je grogne alors que je sens mes yeux changer de couleur.
Je suis prêt à parier que mes iris se sont parés de leur teinte électrique de loup. La colère m'a submergé avec une force telle que j'ai eu bien du mal à contenir l'animal en moi. L'annonce de Jackson a eu sur moi l'effet d'un coup de poignard, au point que mon cœur se serre. Etriper Scott me semble tout d'un coup la meilleure idée qui soit.
- Oui, siffle Jackson, c'est une idée de merde.
- On ne peut pas faire ça, je refuse aussitôt.
Le kanima soupire et me regarde d'un air étrange. Un mélange de désespoir et de détermination peuple son regard bleu ciel.
- Il a promis à Peter que Stiles serait là, finit-il par lâcher.
La chaleur de la colère irradie en moi, si bien que je suis à deux doigts de me déshabiller. Et d'aller toquer chez Scott pour lui en mettre une. Sous ma forme de loup. Sans pouvoir me contrôler, je donne un coup puissant dans le mur près de moi. La solidité du béton m'empêche de lui faire une quelconque marque et je sais que je me suis fait mal, mais je ne sens pas réellement la douleur. Scott est un idiot. Un putain d'idiot. Le pire que la terre ait porté.
Jackson attend que je me calme un minimum, puis il m'explique le problème un peu plus en détail.
Scott ne nous avait rien dit jusque-là, mais il a continué d'entretenir des contacts avec Peter qui, s'il avait l'air tout à fait normal au départ, a fini par lui parler de Stiles. Il lui aurait servi une histoire bateau de compagnons et lui aurait dit ô combien être séparé de lui le faisait souffrir. Je reconnais bien là mon oncle, toujours très théâtral. Le pire, c'est que Scott a l'air de le croire, d'après Jackson, puisqu'il a commencé, bien évidemment, à lui donner des informations. A lui dire où Stiles se trouve. Ici, dans la demeure des Whittemore. Puis, il lui a dit qu'une réunion de meute devait avoir lieu dans trois jours, date qu'il avait sorti du tréfond de son cul, simplement pour organiser leur rencontre. Peter a tout d'abord refusé, avant d'émettre finalement une condition : il viendrait, si Stiles était présent.
Et Scott le lui a promis.
Je serre les poings. J'ai envie d'hurler à la mort, de buter cet alpha de pacotille qui n'a plus du rôle que le nom. Quel alpha digne de ce nom décide ainsi de livrer son meilleur ami en pâture ? Peter est un pervers obsédé pour je ne sais quelle raison par Stiles. Céder à ses exigences est la pire des décisions possibles ! Actuellement, il n'est même pas un danger pour la meute ! Non, il l'est pour Stiles. C'est lui qu'il veut, lui et lui seul. Scott le sait, bordel. Qu'est-ce qui lui est passé par la tête ? Mais ce n'est pas ça le pire. Pourquoi diable n'a-t-il pas cherché à l'arrêter ? Il lui a parlé, il l'a vu, face à lui. Ils ont discuté chez sa mère. Tout ce qu'il avait à faire, c'était… Le frapper, l'immobiliser, le mettre hors d'état de nuire. Le capturer aurait été un jeu d'enfant pour un alpha ! Il a laissé échapper sa chance et maintenant, Peter doit s'être à nouveau volatiliser. Mais ce qui me terrifie et me fait frissonner, c'est de me dire…
… Que Stiles est en danger. Aujourd'hui plus que jamais.
Avec mes sens, je scanne la maison entière, à la recherche d'un battement de cœur supplémentaire, une odeur de plus. Mais tout va bien. Tout va bien… Non, pas vraiment.
- Là n'est pas le souci, essaie de tempérer Jackson alors que je le sens presque aussi en colère que moi. On doit le mettre à l'abri, en sécurité. Je prépare ses affaires et toi, tu lui expliques qu'on va partir.
- Où ? Où tu veux qu'on aille ? On est à l'abri nulle part à Beacon Hills ! J'objecte.
Je n'aime pas ce qu'il se passe, cette précipitation, ce stress qui se mêle à la fureur de Jackson. Lui aussi est diablement inquiet et il le montre à sa manière : en voulant aller trop vite. De mon côté, je me force à ne pas céder à la panique et à cette colère qui me donne envie d'aller boxer Scott. Je le ferai plus tard, c'est certain. Mais Stiles passe bien avant des coups de poing.
- Je sais pas, on peut bien trouver quelque chose ! Il y a… Je ne sais pas, ton ancien manoir ! Tu avais commencé à le rénover et…
- Non, je le coupe. Peter va s'en douter. Je suis même certain qu'il nous y attend.
Peter, obsédé ou non, reste intelligent. Nécessairement, si on lui apprend où se cache celui qu'il cherche, il est évident qu'il va s'attendre à ce qu'on le déplace pour le protéger. Et c'est là qu'il peut potentiellement attaquer. Le risque est encore plus élevé si on va au manoir, notre dernier héritage de famille et bien évidemment là où j'irais si je me sentais en danger. C'est trop prévisible. J'indique à Jackson qu'on va bouger, oui, mais pas tout de suite. Il affiche un air clairement outré, comme si ce que je lui disais était aberrant. En soi, ça l'est, mais pas tant que ça. Peter doit s'imaginer qu'on va tout de suite partir ou alors baisser notre garde, dans le sens où l'on pourrait très bien se dire qu'il n'oserait pas attaquer, alors qu'il en est parfaitement capable. De mon côté, j'ai une idée, mais je préfère ne pas le dire à voix haute tout de suite. Parfois, les murs ont des oreilles. Alors même que je suis submergé par tout un tas d'émotions, mon cerveau réfléchit, mes pensées fusent. Une chose est certaine, je ne prendrai pas le risque d'emmener Stiles à cette foutue réunion de pacotille. En un regard échangé, je sais que Jackson est du même avis.
Par sécurité, je refais un scan auditif et olfactif de la maison et Jackson se charge d'en faire le tour. Après quelques minutes, on se retrouve. Il n'y a rien d'anormal. Ici, nous sommes toujours trois et il n'y a pas la moindre trace de fragrance de mon oncle dans les alentours. Je me détends très légèrement. Les battements de cœur de Stiles que je continue de surveiller de loin me bercent.
- On va dégager d'ici, mais pas tout de suite, dis-je alors que Jackson retirait sa veste, qu'il avait gardée sur lui.
Encore une fois, Peter peut vouloir miser sur notre promptitude pour nous tendre un piège. Nous devons agir comme si nous n'étions pas au courant des informations qu'il possède. Ainsi, on dispose d'une plus grande marge de manœuvre. Jackson ne dit rien, il m'écoute religieusement et je vois à son attitude qu'il est prêt à tout entendre.
Et à me suivre.
Une fois de plus, je songe au fait que l'avoir comme soutien est un sacré plus, tout comme je songe sérieusement à mettre une ou deux personnes dans la confidence. Enfin, ce n'est pas la priorité pour l'instant. J'essaie de faire le vide dans mon esprit et je continue d'exposer mon idée :
- On reste encore quelques jours, pas beaucoup. On prépare nos affaires, on réserve un bon truc et on se casse. Si on part de chez toi, on part de Beacon Hills.
- C'est effectivement plus sage, me confirme-t-il alors que son regard est froid comme la glace.
Il est toujours furieux, lui aussi. Digérer l'idiotie de Scott est aussi difficile pour l'un que pour l'autre. En arrière-plan, je perçois une très légère variation dans le rythme cardiaque de Stiles, mais rien d'alarmant. Une fois que j'aurai terminé cette discussion avec Jackson, je retournerai avec lui et je continuerai d'essayer d'agir sur ce foutu lien. Peu importe le désespoir, les échecs, je dois continuer.
- Il faudra qu'on décide de qui mettre dans la confidence, j'ajoute. Tu ne peux pas sans arrêt rester aux aguets, tu as aussi ta vie et tu n'as pas à passer tout ton temps à aller et venir.
J'entends par là ses nombreux trajets de surveillance, chez Scott, près du loft, au lycée… Souvent, il sillonne la ville en quête d'indice et même s'il est un excellent soutien, je garde à l'esprit qu'il est encore jeune. C'est un lycéen, comme Stiles. L'un comme l'autre doivent pouvoir profiter de la vie, même si celle de l'un est en pause forcée pour l'instant et que l'autre se démène pour l'aider. En prévenant d'autre membres de la meute, des membres bien choisis, on pourrait faire des roulements et faire en sorte non seulement que Stiles bénéficie d'une meilleure protection, mais également de reposer tout le monde.
Jackson fait un pas en avant et me regarde d'un air sérieux.
- Te préoccupe pas de moi, je gère, me dit-il en posant sa main sur mon épaule. C'est mon ami aussi.
Et je vois dans ses yeux qu'il est sincère. Pourtant, difficile de l'imaginer ainsi. Stiles et lui se sont longtemps détestés : ils se chamaillaient tout le temps malgré leur statut de « collègues de meute ». Je savais que leurs relations s'étaient apaisées au fil du temps, mais je pensais que Jackson nierait cette affection toute récente, ou bien qu'il essaierait de minimiser son importance. Je me suis bien trompé. Au contraire, il l'assume complètement.
Rivaux d'un jour, alliés de toujours.
Je vois dans son regard comme je sens dans son odeur la souffrance qu'il ressent par rapport à la situation et c'est là que je prends conscience de quelque chose. Si Stiles tombe, on tombe avec lui. Parce qu'on est une meute, une famille, tous là les uns pour les autres. Chacun des membres est un pilier. Si l'un sombre, l'équilibre est modifié. Etrangement, je peux me figurer assez facilement une absence de Scott, mais celle de Stiles m'est inconcevable, inimaginable. Disons que Scott m'a suffisamment déçu pour que je puisse vouloir ne plus avoir de contacts avec lui. Je n'ai pas le choix, bien sûr, mais il est clair que je ne lui communiquerai plus rien concernant Stiles, et Jackson non plus.
- A partir de maintenant, on reste là, on sort et on se sépare le moins possible, me dit Jackson.
Par là, je sais qu'il entend ne pas quitter la maison. On doit être là, tous les deux, pour protéger Stiles si besoin. Peter a beau ne plus être un alpha, il reste redoutable et capable de bien des choses. Je hoche la tête et nous continuons de nous exposer mutuellement nos idées et de nouvelles règles de vie, que l'on espère tous deux provisoires. Cette situation est intenable pour nous, infernale pour Stiles. On le sait, on s'en rend compte tous les jours. On le voit disparaître peu à peu. Très franchement, je commence à avoir peur pour lui. Je n'abandonne pas, mais j'ai peur.
Une fragrance familière que je commence à bien connaître se faufile dans mes narines à une vitesse prodigieuse et je fronce les sourcils. Qu'est-ce que… Je me retourne brusquement et vois la porte de la cuisine s'ouvrir sur Stiles. Je sens la perplexité imprégner l'odeur de Jackson tout autant qu'elle me gagne.
- Déjà debout ? Je demande.
Mais ce qui me perturbe, ce n'est pas vraiment cela. C'est le fait qu'il vienne ici de son propre chef. Depuis le début de cette histoire, il préfère rester confiné dans la chambre qu'on lui a attribuée plutôt que d'aller de lui-même dans une autre pièce. Pour le faire manger, soit on lui apporte un plateau, soit on le traîne jusqu'à la cuisine. Ici, ce n'est pas chez lui et il a du mal à être à l'aise, sortir de ce cocon qui est « sa » chambre lui fait peur.
Mais il est là, vêtu comme je l'ai laissé, en pyjama, et il ne me répond pas. Il se tient droit mais son odeur est fade et son visage… Complètement inexpressif. Je me crispe d'un seul coup et d'instinct, je sais que Jackson fait de même.
- Stiles ? Je l'appelle à nouveau, en faisant un pas en avant.
Il ne bouge pas, lève ses yeux ambrés vers moi. Leur vide m'horrifie et je ne peux empêcher un frisson de parcourir mon corps. Je me rapproche à nouveau. Je n'aime pas cette impassibilité, cette absence d'émotion dans son odeur, ce n'est…. Absolument pas normal. Du coin de l'œil, je vois Jackson passer derrière lui et fermer la porte.
- Stiles, tente-t-il à son tour en posant doucement sa main sur son épaule.
Il y va doucement, prend ses précautions, comme moi. On ne prend pas de risques de lui faire peur même si… Je n'ai pas l'impression qu'il soit aux commandes. Non. Ses yeux chocolatés restent fixés sur moi, ils ne cillent pas et c'est très étrange car ces derniers temps… Je peux compter sur les doigts d'une main le nombre de fois où il a réussi à me regarder dans détourner ses jolies prunelles. Mais là, c'est… Ce n'est définitivement pas normal.
- Il faut me laisser partir.
Sa voix est étrange. Trop calme, trop… Impersonnelle. Monocorde, elle ne laisse transparaître aucune émotion. Je frissonne à nouveau mais je m'efforce de garder la face et de secouer la tête.
- Non, Stiles, tu ne partiras pas, je le préviens en faisant un nouveau pas dans sa direction.
J'y vais doucement, par crainte de… De quoi, au juste ? Je n'en ai aucune idée, mais le loup en moi tourne en rond et a les oreilles rabattues. Il couine. Lui non plus n'aime pas du tout ça.
- Tu vas rester ici, continue Jackson. On te protège.
Il parle étrangement comme si lui aussi avait compris que quelque chose de sérieux clochait. Ainsi, ses paroles ont l'air fausses alors même qu'elles sont parfaitement sincères. Jackson a simplement du mal à savoir quelle attitude adopter et je le comprends : je suis dans le même cas. Je ne sais ni quoi dire, ni quoi faire. Je suis bien conscient que cette situation est liée à Peter, mais… A quel point ? Sidéré, je vois Stiles se tourner vers Jackson, le regarder longuement. Le kanima fronce les sourcils et lui demande ce qui lui arrive. Pourquoi j'ai l'impression que Stiles est en train… De le mater ? En moi, le loup grogne, mais pas un son ne sort de ma gorge tant je suis perturbé. Ses yeux se sont légèrement plissés, comme s'il réfléchissait. Il se rapproche de Jackson, pose sa main sur son pectoral et la fait glisser doucement, comme s'il le caressait. Jackson, aussi interloqué que moi, ne réagit pas tout de suite. Le choc nous paralyse et pourtant… On aurait dû.
Quelque chose en moi explose lorsqu'il lève brutalement la tête vers le kanima éberlué et qu'il fond sur ses lèvres avec une rapidité déconcertante. Avant même qu'on se rende complètement compte de cette chose complètement invraisemblable, il l'embrasse langoureusement.
