34. Sortie Explosive.

Le ciel au-dessus de la vallée de la Coquet n'offrait pas la moindre trace de bleu. Des nuages sombres et moroses flottaient dans les airs comme des ombres maléfiques et déversaient leur contenu liquide sur l'ensemble du monde de l'autre côté de ma fenêtre. Le paysage détrempé était morne la pluie n'avait pas seulement effacé le bleu du ciel, mais également le vert du sol. Les bruns de l'automne et les branches nues venaient au premier plan, remplaçant les couleurs de l'été. Les arbres partiellement dépouillés au bord de la route étaient silencieux et immobiles et l'absence de vent m'indiqua qu'il n'y avait que peu de chances d'une accalmie dans l'averse.

J'observais les feuilles mouillées s'accumuler sur le bord de la route et décidais qu'elles étaient comme les gens. Inoffensives individuellement, ce n'était que lorsqu'elles se regroupaient qu'elles étaient capables de causer des problèmes. Lorsqu'elles atteignaient les fossés, elles n'étaient désormais plus seules et inoffensives. Elles s'associaient en un ensemble, bloquant les drains, et l'équilibre des puissances changeait. L'eau les avait contrôlées jusqu'alors, désormais elles la contrôlaient.

"Tu as de très profondes pensées," me dit Mike.

Embarrassée et ne voulant pas expliquer mes folles divagations, je secouais la tête. "Je regardais juste l'eau faire des mares au bord de la route," dis-je.

"C'est clairement un temps pour les cirés et les bottes en caoutchouc," approuva Mike "Au moins la promesse de la piscine a gardé Henry et Annie sages ce matin. Qu'est-ce qui te ferait plaisir pour le déjeuner ? Je le préparerai et tu pourras continuer de regarder par la fenêtre à philosophericater."

"C'est un grand mot, Papa," observa Henry, levant le nez de ses Lego.

"C'est parce que ça veut dire penser de grandes pensées sur de grandes choses," lui dit Mike.

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Mike avait raison à propos de la piscine. Même la pluie ininterrompue n'avait pas réussi à détremper leur enthousiasme. Annie avait hâte de voir Lily et Rosie, et Henry radiait et sautillait et débordait d'excitation. Il était tellement impatient de partir qu'il prit lui-même son manteau sur la rangée de patères du bas que Mike avait fixé dans le couloir. Il triturait toujours la fermeture éclair d'une des poches quand nous revînmes dans la cuisine. Je lui proposais de l'aider, mais il me dit qu'il pouvait s'en sortir, et il y parvint.

Dès que nous nous mîmes en route, Annie commença à chanter 'The Keel Row'. Je chantais avec elle, me demandant combien de fois elle le chanterait du début à la fin avant de se lasser. Elle en était à sa troisième itération quand un déluge soudain força Mike à faire passer les essuies-glace à leur vitesse maximale. Je n'avais pas réalisé qu'Annie utilisait les essuies-glace comme métronome, mais son accélération immédiate d'andante à allegro me laissa bafouillant derrière elle. Mike riait toujours quand nous atteignîmes Drakeshaugh.

Deux voitures nous attendaient, phares allumés et essuie-glace activés, quand nous passâmes la barrière. La Mini d'Hermione était derrière la Range Rover de Harry. Je fis un signe joyeux, que Harry et Ginny me rendirent, puis me tournait pour regarder les voitures des Potter et des Weasley s'engager derrière nous. Pendant que je regardais par-dessus mon épaule, Henry croisa mon regard et interrompit le chant d'Annie pour se plaindre de l'organisation du trajet. Il exprima l'opinion que nous aurions dû nous arrêter à la maison des Potter et échanger Annie contre James et Al, 'comme l'aut' fois'. Je désapprouvais, mais il n'était pas convaincu.

J'avais espéré que nous laisserions la pluie dans la vallée, mais nous n'eûmes pas cette chance. Quand nous croisâmes la route de Morpeth à Coldstream, les nuages gris au-dessus de nous m'annoncèrent que la vallée d'Aln serait tout aussi humide et misérable que le Coquetdale.

Les essuies-glace luttaient toujours contre le déluge quand nous atteignîmes la piscine. Plutôt égoïstement, Mike se gara dans la place la plus proche de la piscine qu'il puisse trouver. Je ne dis rien. Ressentant de la culpabilité à ce silence, je regardais la Range Rover de Harry et la Mini d'Hermione nous dépasser en cherchant une place. Mike éteignit le moteur, nous échangeâmes un regard et scrutâmes avec circonspection à travers le pare-brise. Il n'y avait pas d'intérêt à attendre que la pluie s'arrête. Les nuages noirs s'étendaient aussi loin que nous puissions voir.

"Je prends d'abord soin de ma famille," admit Mike quand nous vîmes Harry trouver enfin une place. "Même si quelques mètres de plus ne feront pas grande différence par ce temps ! On va devoir courir, les enfants."

Remontant la fermeture éclair de sa veste étanche, Mike tira sa capuche et se hissa hors de la voiture. Après avoir attaché ma veste de coton ciré, je sortis mon vieux chapeau de sport ciré et le suivis. Mike attrapa nos sacs de piscine dans le coffre, les balança sur son épaule puis ouvrit la portière arrière pour libérer Annie. Sous la pluie qui tambourinait bruyamment sur le rebord de mon chapeau, je détachais Henry de son siège. Quand je me fus assurée qu'il était bien couvert, je le soulevais vers la pluie et pris sa main. Ensemble, nous pataugeâmes à travers les flaques en direction de l'entrée. Mike était sur mes talons, portant à la fois les sacs et Annie.

Quelques instants plus tard, les Potter et les Weasley nous suivirent sous la pluie jusque dans le centre de loisir. Harry portait Al et un sac de sport, pendant que Ginny portait Lily et tenait fermement par la main un James aux cheveux mouillés souriant. Ron avait prit ses deux enfants dans ses bras et laissé Hermione porter leur sac. Harry, Ginny et Hermione portaient tous des parkas. Leurs enfants, comme les nôtres, avaient des imperméables de plastique colorés. Celui de James était d'un orange extraordinairement vif et il y avait un logo de boulet de canon sur le dos. J'allais poser une question sur ce logo quand je remarquais que le vieux duffle-coat usé que portait Ron repoussait la pluie comme s'il avait été traité avec une sorte d'imperméabilisant extraordinaire.

"Il tombe des cordes," observa Ron en déposant ses enfants au sol et se tournant pour prendre le sac des mains de sa femme.

"Il pleut des hallebardes," approuva Mike quand ils se serrèrent la main. "Content de te revoir, Ron. Toujours en forme ?"

"Impeccable," dit Ron. "Salut Jacqui, est-ce que ça va ? Jacqui, est-ce… J'acquiesce…"

Je le vis chercher un jeu de mot, mais Hermione mit un terme à sa recherche d'un coup de coude ferme dans les cotes. Elle me sourit comme si rien ne s'était passé. Ron haussa les épaules et me fit un clin d'œil.

"Salut Jacqui et Mike," dit sérieusement Hermione. "Comment allez-vous ?" Après nos précédentes rencontres, je commençais à m'habituer à Hermione, mais le ton de sa question me déconcerta. Elle aurait pu tout aussi bien avoir demandé : "Quelle est la racine carrée de dix-sept ? Répondez immédiatement !"

Pendant que je me creusais les méninges pour trouver une réponse précise et exacte à sa question, Mike –qui semblait insensible à son regard inquisiteur– dit : "On va bien. Mieux même, puisque aujourd'hui, on est pas les seuls à avoir un gros grain." Pendant que Ron ricanait, Mike se tourna pour échanger des amabilités avec Ginny et Harry.

Je discutais avec Ron au sujet de Rose et Hugo quand James et Henry commencèrent à s'agiter. Ils entraînèrent rapidement les autres enfants et, rapidement, ils nous rappelaient tous que nous étions censés aller nager, pas bavarder.

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La piscine était bien plus peuplée que d'ordinaire je supposais que c'était en raison de la météo. En un sens, c'était probablement le cas, mais il ne me fallut pas longtemps pour constater qu'une partie des nageurs supplémentaires étaient des ados. Il m'apparut rapidement évident que l'un des garçons fêtait son seizième anniversaire. Le héros de la fête était un nageur, large d'épaules, beau garçon – si ce n'était légèrement boutonneux et un peu rouleur de mécaniques. Je reconnus ce comportement j'avais eu cet âge et vécu cela.

Une sortie d'anniversaire à la piscine ! Ce n'était rien de plus qu'une excuse pour un nageur de montrer ses prouesses dans l'eau. Quand tous ses amis garçons étaient en shorts de bain, il était en boxer, et les filles étaient toutes en bikini. Nous étions face à un groupe qui se comportait tel qu'il fallait s'y attendre d'adolescents débordant d'hormones faisant face à un débordement de chair. Il y avait énormément d'éclaboussures et de plongeons, ainsi que de nombreuses tentatives ostensibles d'attouchements. Pour le plus grand agacement de ses amis masculins, trois des filles rivalisaient pour capter l'attention du héros de la fête. Il était clair qu'il impressionnait toutes les filles avec ses plongeons, ses capacités de nageur et ses facéties sous-marines. Toutes ces chairs adolescentes et ces badinages perturbaient mes tentatives d'enseigner aux quatre enfants les plus âgés.

Je commençais rapidement à bouillir face aux constants éclaboussements et interruptions. J'étais sur le point d'exploser, et de dire quelque chose que j'aurais regretté au héros de la fête, quand la fille avec la poitrine la plus opulente –celle dont tous les garçons essayaient de rester proches– eut un dysfonctionnement majeur de son haut de bikini. Il sembla que l'attache rompit, ou s'ouvrit brutalement. Elle couina et plongea sous l'eau dans une tentative de garder sa pudeur, mais quoi qui se soit passé fut suffisant pour la laisser incapable de le rattacher.

La piscine devint silencieuse et, bien que certains tentent de prétendre ne pas le faire, tout le monde la regardait. Elle détala hors de la piscine, une main dans son dos, tenant son haut en place. Il ne fallut pas longtemps avant que les autres suivent. Je me sentis un peu désolée pour la fille, mais fus plus soulagée qu'ils partent tous. J'étais sur le point de reprendre mon cours quand je remarquais qu'Hermione était fâchée contre Ron. Je ne pouvais pas entendre ce qui était dit, mais il semblait qu'Hermione blâmait son mari pour la mésaventure de la fille.

Cela était impossible, évidemment. Quand l'incident s'était produit, j'avais été dans le bassin principal avec Harry, James, Henry, Al et Rosie. Hermione était dans le petit bain avec Ginny, Mike, Annie, Lily et Hugo. Ron avait, supposais-je, été aux toilettes. Il revenait tout juste des vestiaires quand la fille en train de fuir le croisa.

Je ne parvins pas à trouver la force de découvrir quel était le problème d'Hermione j'étais bien plus intéressée par me concentrer sur les enfants. Quand ma leçon reprit, Harry et moi fûmes rejoints par Hermione. Sous une avalanche de questions, je dus lui expliquer tout ce que je faisais. Ce n'était pas chose aisée. Il était évident que la femme de Ron n'était pas une nageuse sûre d'elle il était encore plus évident qu'elle souhaitait connaître absolument tout ce que j'enseignais à Rosie et pourquoi. Par chance, Harry détourna son attention et je reportais ma concentration sur les enfants.

Une fois les adolescents partis, l'après-midi défila. Malgré les interruptions, Rosie et Al étaient bien plus sereins dans l'eau quand nous grimpâmes finalement hors du bassin que quand ils étaient entrés dans l'eau. Je ressentais de la fierté pour mes efforts quand Mike et moi guidâmes Henry et Annie dans une cabine.

"Qu'est-ce que tu as prévu pour le dîner ?" demanda Mike en séchant Henry.

"J'ai sorti un chili con carne du congélateur ce matin, pourquoi ?" demandais-je.

"Ron m'a interrogé sur les pubs du coin. Je lui ai parlé des pubs Les Ligneurs et La Gerbe de Blé. Il a persuadé Harry et Ginny d'aller prendre le repas au pub sur le chemin du retour. On est invité, si…"

"Gerde blé ?" Henry interrompit son père. "C'est çui où y a l'grand toboggan et tout ? On va jouer d'dans avec James é Al é Lily é Rosie é Hugo ?"

J'hésitais.

"Je ne te demande pas de prendre le volant," m'assura Mike. "Le temps s'est calmé par ici, et même s'il pleut encore dans le vallon, on pourra lâcher les enfants dans l'espace de jeu intérieur et prétendre être matures. Tu pourras même prendre un verre ou deux de vin."

Je continuais de m'interroger. Il me semblait que Ginny, Ron et Mike avaient concocté ce plan ensemble. Une sortie au pub était toujours une bonne idée pour mon mari et j'étais presque certaine qu'il avait trouvé son égal humoristique en Ron. J'étais sur le point de parler, mais Mike parla le premier.

"Tu sais que tu le veux," me dit-il. "Dis oui."

"Oui," dit Henry. "Moi é Annie on veut jouer 'vec tout l'monde, pas vrai Annie ?"

"Zouer, vi," approuva-t-elle.

"Un chili comme dîner du dimanche ?" demandais-je dédaigneusement. "Je ne suis pas sûre de ce que le balourd affamé avec qui je vis penserait de ça !" Mike était un inconditionnel du rôti dominical et je voulais être certaine de ne pas causer de dispute le lendemain.

"Fin des vacances. Occasion particulière. 'cun problème," m'assura-t-il en riant.

"Bon," approuvais-je. Les enfants jubilèrent et Mike m'embrassa.

Quand nous parvînmes à être prêts et quittâmes notre cabine, les Potter et les Weasley nous attendaient. Harry et Ginny étaient tous deux prêts à tenter de me persuader de venir au pub avec eux, mais d'un seul mot, 'Réglé', Mike leur assura qu'aucune persuasion n'était nécessaire.

"C'est nous qui payons," dit fermement Harry.

"Non…" commençais-je.

"Considère ça comme une indemnité pour avoir gardé les enfants," me dit fermement Ginny. Un simple regard vers le visage de Ginny m'indiqua que discuter avec elle n'était pas une option.

"Ce n'est pas nécessaire," protestais-je faiblement.

"Probablement pas," dit Ginny en souriant. "Mais on paiera quand même."

"Alors je payerais la bouteille de vin," lui dis-je fermement. "On pourra la partager. Les conducteurs devront se contenter de jus de fruits ou de sodas. Est-ce que tu nous aideras à la descendre, Hermione ?"

"J'aimerais, mais je ne peux pas," me dit-elle, levant les yeux au ciel d'un air las. "Ron n'a toujours pas passé son permis de conduire."

"Vraiment ?" Mike était incrédule. Il se tourna vers Ron. "Comment diable vas-tu au travail ?"

"En train et en métro," répondit Hermione pour son mari à l'air confus.

"Londres !" Mike hocha la tête, l'air savant. "C'est probablement le plus simple."

"Je croyais que vous viviez dans le West Country," dis-je.

"Ce n'est pas la Cornouailles ou le Devon, et nous avons un excellent réseau de transports. Regardez, la pluie a enfin cessé de tomber."

L'explication d'Hermione fut brève et son changement de sujet criant.

Nous la suivîmes vers le parking. Le sol était toujours humide et couvert de flaques, et l'humidité de l'air était remplie de l'odeur fraîche d'un monde tout juste lavé. Le soleil restait invisible, mais les nuages au-dessus était désormais d'un blanc rassurant plutôt qu'un gris déprimant. Je pris une inspiration profonde et affreusement embarrassante par son bruit. Tout le monde me regarda.

"J'adore l'odeur d'après l'orage," admis-je. Ils sourirent poliment et je fus certaine qu'ils pensaient que j'étais complètement folle.

Tout en roulant en direction du pub, je me souvins enfin de demander à Mike ce qui s'était passé avec les adolescents. "Aucune idée," admit-il. "Je pouvais voir que tu commençais à bouillir et j'en ai faire part à Ron. Il s'est excusé et est allé dans les vestiaires. Il y était toujours quand Norma a eu son petit accident et qu'ils sont tous partis."

"Norma !" soupirais-je. "Tu as parlé à Ron de ce surnom, n'est-ce pas ?"

"Ouaip," admit-il en ricanant. "Je l'ai fait rire, mais je ne pense pas qu'Hermione a trouvé ça drôle."

C'était une vieille blague de Mike. Toute femme à forte poitrine qu'il voit s'appelle 'Norma'. Si quelqu'un lui demande s'il la connaît, il répond en rigolant que son nom de famille et 'Tribus'. C'est un calembour vraiment horrible, et clairement pas tout public, et il le sait. Il me sourit. Je secouais la tête avec découragement. Parfois, il est tout simplement incorrigible.

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Il était encore tôt quand nous arrivâmes au pub l'horloge de la voiture indiquait 17:04. La Gerbe de Blé n'était rempli, mais il y avait suffisamment de convives dînant tôt pour assurer qu'ils ne puissent pas immédiatement libérer une table pour six adultes et sept enfants.

Treize à dîner ! Je ne dis rien et repoussais ces stupides superstitions au fond de mon esprit.

La serveuse était formidable, et elle nous laissa deux options : deux tables aux deux extrémités de la zone de dîner immédiatement, ou une attente indéterminée jusqu'à ce qu'ils puissent déplacer quelques tables pour nous accommoder. Étant donné l'heure peu avancée et le fait que Henry disait aux autres enfants combien l'aire de jeu intérieure était bien, nous décidâmes d'attendre.

Harry et Mike refusèrent tous les deux de commander une boisson et partirent surveiller les enfants. Pour une raison connue de lui seul, Henry insista pour garder sa parka sur lui. J'essayais de le persuader de la retirer, mais il me répondit par son air entêté. Plutôt que de le pousser aux larmes, j'abandonnais.

Mike hocha son approbation de la tête. "Il ne fait de mal à personne," me dit-il. "Prends juste un verre et détends-toi. Prends un peu de temps libre. Harry et moi pouvons nous en sortir avec sept moins de cinq ans."

Après leur départ, Ron, Hermione, Ginny et moi trouvâmes une petite table dans le bar et saisîmes l'opportunité de nous laisser aller à des discussions sans enfants. Ron proposa de m'offrir un verre, mais je refusais. Le suivant au bar, j'attendis qu'il ait payé ses consommations, une pinte de Puffing Billy pour lui-même et un jus d'oranges pressées pour Hermione, et commandais une bouteille de Merlot au barman. Quand je revins à la table avec la bouteille et deux verres, Ron, Hermione et Ginny parlaient de l'école.

Nous avions largement entamé la bouteille et bavardions toujours de l'éducation des enfants quand la serveuse vint nous annoncer que notre table était prête. Je me dévouais pour aller récupérer les autres dans la zone de jeu. Tout en traversant la salle du bar lounge, je repensais à ma discussion avec Ron et Hermione. Ils nourrissaient tous les deux de bien plus grandes ambitions pour leurs enfants que je n'en avais pour les miens. Quand j'arrivais à l'aire de jeu, il n'y avait aucun signe des enfants.

"Tu vois ce gros cube tout en haut de l'échelle de corde ?" demanda Mike. "Ils sont tous entassés là-dedans. Selon toute probabilité, ils planifient la domination du monde."

Harry rit. "On pensait qu'ils descendraient directement le toboggan, mais ça n'a pas été le cas."

"Les Charlton, Potter et Weasley, c'est l'heure de manger," criais-je.

Il y eu un chœur de 'd'accord' et, un par un, ils apparurent au bas du toboggan et tombèrent dans la piscine de boules. Le temps que nous les en ayons tous extirpés et guidés à travers le pub, Ron, Hermione et Ginny s'étaient déplacés dans l'immense véranda pour prendre possession de notre table. Il nous fallut du temps pour installer les enfants, mais après la piscine et l'aire de jeu, ils avaient faim.

Le menu était aussi exhaustif que dans mes souvenirs, mais rien n'était donné. Tout en contemplant la vue sur le Coquetdale, j'essayais de décider quoi prendre. Les steaks de filet de La Gerbe de Blé étaient habituellement excellents, mais sachant que les Potter invitaient, je m'abstins de commander le plat le plus cher du menu. À la place, j'optais pour le jambon rôti, ananas et œuf au plat.

Quand la serveuse arriva pour prendre notre commande, Ron hésitait toujours. Pendant qu'elle prenait la commande des enfants – bâtonnets de poisson pané et frites pour les deux miens – Ron continuait de scruter le menu.

"Tourte au steak et rognons ou un steak de filet ?" s'interrogea-t-il à haute voix.

"Si ça peut aider, c'est une vraie tourte au steak, pâte brisée sur le dessus et le dessous," lui assura Mike depuis l'autre bout de la table. "Pas un de ces stupides ramequins plein de daube caché sous un gigantesque chapeau en pâte feuilletée, ce que la plupart des pubs font passer pour des tourtes !"

"Et c'est pour ça que je n'aime pas les tourtes du Pub de la Garde Royale," dit Ron à sa femme. Il était évident que la blague de Mike avait été clairement instructive.

Ron riait toujours tout seul de la plaisanterie de Mike quand Annie décida d'annoncer au pub entier qu'elle devait faire pipi. Tandis que Ron, toujours hilare, commandait la tourte et une autre pinte de Puffing Billy à notre serveuse, je soulevais Annie de sa chaise haute et l'emmenait vers les toilettes des dames. Quand je revins, je découvris que Ron avait également commandé une seconde bouteille de Merlot.

Je protestais, mais mon verre avait été rempli en mon absence. À son expression, il ne faisait aucun doute que Mike avait approuvé le geste généreux de Ron. Notre première bouteille était terminée et la seconde entamée. Nous ne pouvions pas la renvoyer. Mise face au fait accompli, je cédais à l'inévitable. Quand nous étions arrivés, les trois conducteurs avaient été clairs sur le fait qu'ils ne toucheraient pas à une goutte d'alcool. Comme Ron buvait des pintes, il nous incombait à Ginny et moi de finir le vin.

"Je ne bois jamais une bouteille entière à moi toute seule." J'adressais ma complainte sans réelle conviction à mon mari, pas à Ron. "Tu vas devoir prendre en charge les enfants."

"Ça me semble assez équitable," dit-il en souriant. "Toi et Ginny les avez eut toute la semaine, maintenant c'est le tour des pères, pas vrai Harry ?"

"Oui." Alors que Harry regardait ses trois enfants, la tristesse lui fit froncer les sourcils une seconde. Cela fut remplacé immédiatement par une expression brave pour ses enfants, mais il ne fut pas assez rapide.

"Ça v'aller, Papa," dit Al.

"C'te dame avec un hippogriffe sur son popotin va l'trouver," ajouta James.

"Elle le fera," approuva Ginny, me lançant un regard d'avertissement. Comprenant son inquiétude, j'essayais silencieusement de lui indiquer que je n'allais rien dire. Il semblait – pour moi du moins – que les Potter avaient évité de parler de la mort de Polly et de ses funérailles à leurs enfants.

"Et ensuite," ajouta Ginny, "Papa pourra prendre un peu de temps loin du travail."

"Une fois la paperasse terminée," la corrigea Harry.

"Tu peux faire la paperasse à la maison," dit fermement Ginny. Elle souleva la bouteille de vin. "Est-ce que tu veux que je te resserve, Jacqui ?"

"Non, merci Ginny," dis-je. "Je vais attendre que le repas arrive. Je ne suis pas une grande buveuse deux bouteilles à nous deux ça fait beaucoup. Tu es sûr que tu n'en veux pas un peu, Ron ?"

"Non, merci," dit Ron.

"Je pense que j'aim'rais bien essayer," dit avec espoir James.

"Pas avant d'avoir dix-sept ans, James," dit fermement Ginny.

Parfois, l'absence de connaissances de Ginny sur les sujets ordinaires me stupéfiait. Je la connaissais suffisamment pour savoir qu'elle n'était pas stupide, mais elle me paraissait ignorante sur de nombreux sujets. J'allais la corriger, mais Hermione bondit la première.

"Dix-huit, Ginny."

Ce fut alors que Mike intervint. "En réalité, en cet endroit et ce moment précis, c'est seize ans, Hermione," lui dit-il.

Elle était clairement stupéfaite d'être si fermement contredite, et pendant une seconde je pensais qu'elle allait discuter.

"C'est vrai ?" demanda joyeusement Ron.

"Tu dois avoir dix-huit ans pour acheter de l'alcool," commença Mike avec diplomatie. "Mais ceux de seize ou dix-sept ans peuvent boire dans des lieux détenteurs de licence, comme celui dans lequel nous nous trouvons." Il désigna la salle d'un geste. "À condition que l'alcool soit commandé avec un repas et qu'il y ait un adulte avec eux." Il fit un geste vers la table dressée et vers nous, en guise d'explication.

"Vraiment ?" demanda Ron. Il jeta un coup d'œil à sa femme pour avoir confirmation. Elle haussa les épaules et Harry et Ron échangèrent un regard de stupéfaction.

"Espérons simplement que tous ceux-là auront oublié cette conversation dans onze ans," dis-je à Mike.

Il me regarda avec incrédulité. "Rappelle-moi, Jacqueline, ma chérie. Quel âge avais-tu quand tu as bu ta première boisson alcoolisée ?" Je lui jetais un regard noir et refusais de répondre.

"J'avais quinze ans," admit joyeusement Ginny.

"Moi aussi," lui dit Mike. "Et Jacqui aussi," ajouta-t-il dans un chuchotement confidentiel que tout le monde put entendre. "Qu'est-ce que c'était, Ginny, bière, cidre, l'affligeant Malibu ?"

"Whisky," répondit-elle calmement.

"Sacré bon...soir !" dit-il "Tout ce que j'ai réussi à piquer c'était une canette de Carling. Je n'ai pas aimé ça ! Mais bon, c'était une bière fade de grande production. Et pour le reste d'entre vous ?"

"Mes parents avaient l'habitude de m'emmener en vacances en France," commença Hermione.

"Du vin avec le repas à dix ans ?" demanda Mike avec un sourire.

"Je n'étais pas aussi jeune," dit-elle prudemment.

"Et pour vous deux ?" demandais-je à Harry et Ron. Ils se regardèrent et haussèrent les épaules.

"Quelques jours avant ton dix-septième anniversaire, Harry ?" suggéra Ginny. "Maugrey, comme moi."

"Harry et toi étiez des ados qui maugréaient ?" Mike lui sourit en parlant. "Je ne suis pas certain de pouvoir croire ça !"

Quatre visages se renfrognèrent et la conversation s'arrêta. Les Potter et les Weasley ne semblaient pas certains de savoir quoi dire et Mike réalisa immédiatement qu'il avait dit quelque chose d'inapproprié.

"Désolé," dit-il. "Je voulais juste dire… Enfin, la plupart des jeunes de seize ans sont… mais… Je vais juste me taire, d'accord ?"

"Oui," lui dis-je fermement, incapable de dire ce qui c'était réellement passé.

"C'est…" commença Harry.

"Pas important," dit fermement Ginny. "Enfin, ça l'est, mais ni ici ni maintenant. Qu'est-ce que tu as pensé de l'aire de jeu, James ?" Comme Hermione plus tôt, son changement de sujet fut abrupt.

"Super," nous dit James.

"Henry est gentil" ajouta Rosie. "Il…"

"Il l'est," l'interrompit James. "Il nous a montré tous les toboggans et les autres trucs."

"Ouais," approuva Al, "trop bien."

Les enfants échangèrent des regards, se turent dans un silence gêné et Harry, Ginny, Hermione et moi échangeâmes un regard 'est-ce qu'on doit continuer de les interroger ?'. Il était évident qu'ils nous cachaient une petite bêtise ou une autre, mais ils étaient heureux en compagnie les uns des autres et il n'y avait pas de différends ou de rancunes évidents. Sans un mot, nous nous mîmes d'accord pour ne pas en parler davantage.

Ron et Mike, pendant ce temps, parlaient bière. Ou, du moins, Mike chantait les vertus de l'IPA Wylam's Jakehead. Leur conversation se détourna rapidement sur le pub local de Ron, The Cricketers, et sur plusieurs bières dont je n'avais jamais entendu parler. Je les laissais parler, me tournais vers Hermione et engageait une conversation différente. Je réalisais rapidement que je lui faisais une leçon sur les bénéfices de la natation sur la santé et la condition physique. Par chance, elle ne semblait pas en être ennuyé. Elle me posa même des questions très pertinentes.

La nourriture et la compagnie étaient bonnes. La conversation resta sur un terrain neutre, avec des discussions sur les enfants, leurs comportements et nos espoirs pour leurs futurs. Alors que les tables étaient débarrassées, Hermione essayait d'expliquer à Ginny pourquoi elle était convaincue que les siens seraient tous les deux Préfets, puis Préfet et Préfète en Chef. Harry lui souriait avec indulgence, pendant que Ginny et moi admettions que nous avions placé nos objectifs plus bas.

"Je me moque bien de ce qu'ils feront," dis-je. "Tant qu'ils sont heureux, évidemment."

"Le bonheur !" approuva Ginny. Levant son verre, elle le fit tinter contre le mien. "C'est vraiment la seule chose qui importe, hein, Harry ?"

Le regard qu'il lui offrit me fit fondre le cœur.

"Au bonheur," dit Ginny, levant son verre de vin.

Tout le monde se joint au toast, même les enfants. Ginny annonça alors, assez éméchée, que les amis et la famille étaient tout ce qu'il fallait pour être heureux. Elle et moi levâmes nos verres à nouveau et trinquâmes aux amis et à la famille. Mike moi sourit avec indulgence et je réalisais que je me sentais bien plus qu'un peu pompette. Mon verre de vin était toujours à moitié plein, mais la bouteille était vide. Malgré mes protestations, Ginny et moi avions réussi à terminer deux bouteilles de Merlot à nous seules. Je regardais, autour de moi, la compagnie agréable et les assiettes vides, et réalisais que la soirée touchait à sa fin. Je consultais ma montre. Il n'était pas même proche de vingt heures.

"Café à Drakeshaugh," annonça Ginny. "Pas de discussions."

~~~oooOOOooo~~~

La nuit était fraîche quand je m'extirpais de la voiture à Drakeshaugh. La surabondance de vin m'avait rendu un peu maladroite, je laissais donc Mike détacher les enfants. Le vent était vif et le ciel miraculeusement dégagé. Les étoiles étaient comme des diamants sur du velours noir, et j'étais assez ivre.

À l'instant où ils furent libérés des voitures, James tapa sur l'épaule d'Al en criant "Loup", et il s'enfuit en courant dans le noir. Les enfants s'égayèrent tous plutôt que de les poursuivre, Al nous regarda avec espoir.

"Les enfants seulement." Ron prit la décision pour nous. "Nous rentrons au chaud."

Al se tourna et courut après les autres.

"Soyez prudent," leur lança Harry. "Il fait noir."

"Et ne restez pas trop longtemps dehors," ajouta Hermione.

Alors qu'ils disparaissaient entre les arbres, je débattais toujours intérieurement pour savoir si je devais rappeler mes deux. Mike me distrait de mon questionnement en arrivant derrière moi et plaçant son bras autour de ma taille. Je sentis son souffle dans mon oreille.

Avant que je ne puisse parler, quelqu'un dit : "Harry."

Nous restâmes tous silencieux tandis que Harry sortait son téléphone. "Terry," répondit-il, regardant l'écran.

"Quelqu'un a cambriolé la maison de Seamus," dit Terry. "Pas vraiment un boulot pour nous, mais c'est Seamus, donc j'ai envoyé Susan et une équipe entière. Je pensais que tu voudrais le savoir."

"Des choses de vol…" Harry n'alla pas plus loin, car je criais.

Le fantôme de Polly Protheroe flotta à travers la porte de la cuisine, me regarda avec surprise et se tourna vers Harry. "Je te cherchais, chef," dit-elle avec urgence. "Il est ici !"

Alors que je pointais le doigt vers le fantôme, mon cri guère plus qu'un gémissement inquiet, tout devint dément. Une cloche retentit, un klaxon hurla et une voix de femme dit : "Code Bleu, Code Bleu, intrus non autorisé au domicile du Directeur des Aurors. Portoloin d'urgence dans dix, neuf, huit…"

Harry, à cet instant, était déjà parti en sprint vers les arbres, emportant la voix qui décomptait avec lui. Le fantôme de Polly suivit, tout comme Ron, Hermione et Ginny. Je pouvais me sentir lutter pour respirer. Je ne pouvais pas, je ne devais pas m'évanouir. Mike me retint mais essayait également de me poser sur le sol pour pouvoir suivre.

Quand la voix de femme atteint six, il y eut un grand bruit, comme un coup de feu. Mon cerveau embrumé par l'alcool ne pouvait pas déterminer si c'était un vrai coup de feu, ou seulement Al qui criait "Pan !"

Quand le décompte de la femme atteint zéro, j'étais assise inconfortablement sur le gravier et Mike me murmurait à l'oreille pour me rassurer. Je vis des lumières bleues flasher dans les bois, mais je ne pouvais comprendre comment les services d'urgence avaient pu arriver sur les lieux aussi vite, ou comment ils avaient pu rouler entre les arbres. J'abandonnais, et fermais les yeux.