La Conjonction des Astres
Douzième épisode
« Murmures et décisions »
« Cake au rhum ! »
L'hideuse gargouille pivota avec un long grincement sourd, dévoilant le passage dissimulé derrière elle. Le garçon repoussa une mèche noire qui lui tombait sur l'œil, et remonta du doigt ses lunettes sur l'arête de son nez. Puis il s'engouffra dans l'étroit passage, s'engageant dans l'escalier en colimaçon tournant avec un bruit d'horloge. Dès qu'il eu posé le pied sur le premier degré de pierre, la volée des marches s'éleva vers les hauteurs de la tour ronde.
« Entre, mon garçon, entre. »
Le Gryffondor pénétra dans la vaste pièce circulaire avec un mélange d'appréhension et de bonheur. Il adorait vraiment le vieux sorcier, qu'il voyait comme un membre de son étrange famille recomposée mais être convoqué par le puissant Directeur de Poudlard lui donnait toujours le sentiment d'avoir été pris en faute, la main dans le chaudron.
Dumbledore lui tournait le dos, plongé dans la contemplation de l'un des tableaux de la pièce. Il s'en détourna avec un léger signe de tête, et Harry soupçonna qu'il avait dû converser avec l'ancien dirigeant, désormais peinture à l'huile. Le directeur s'installa dans son grand fauteuil en prenant bien soin de ne pas s'asseoir sur sa longue barbe argentée, et considéra un moment Harry qui dansait d'un pied sur l'autre, mal à l'aise, par-dessus ses lunettes en demi-lune.
« Assieds-toi, Harry, je t'en prie. » dit-il en faisant un geste bienveillant en direction d'un fauteuil. Harry rapprocha le siège du bureau et obéit, un peu raide. Il n'avait pas très envie d'avoir cette conversation.
« Et bien, Harry, » commença le Directeur d'une voix un peu lasse. « Je pense que tu devines le pourquoi de ta venue.
Harry hocha la tête d'un air grave.
Dumbledore soupira, et ses yeux s'attardèrent un moment sur un autre tableau, puis errèrent le long du mur. Harry baissa la tête.
« J'aimerais que tu me dises, » reprit-il avec douceur, « ce que tu as vu l'autre soir, lorsque ta cicatrice s'est mise à brûler. »
En réponse à cette question, et au souvenir douloureux qu'elle évoquait, Harry sentit ses yeux brûler aussi. Il était vraiment mal à l'aise. Pourquoi fallait-il toujours en parler ?
« C'est important, » fit remarquer Dumbledore presque sans timbre. « Cela peut nous être utile, et d'une certaine manière, beaucoup de gens dépendent de toi. »
Harry releva brusquement la tête, les larmes lui brûlant de nouveau les yeux. « Bien sûr que le sort des gens dépend de moi ! Mais je ne peux pas toujours comprendre et voir ce qui se passe ! Je ne peux pas me souvenir, je ne veux pas ! Je ne sais même pas pourquoi… »
Dumbledore chassa l'objection d'un geste las. « Je l'ignore, Harry, tout comme toi. Moi non plus, je ne sais pas mais c'est un don, Harry. En quelque sorte. »
Harry se mordit les lèvres et détourna le regard. Il le savait pertinemment, mais il ne pouvait pas « deviner » et rien n'empêcherait les gens de mourir. Est-ce que Dumbledore refusait de comprendre à quel point cela pouvait être douloureux pour lui ?
Le Directeur secoua sa longue barbe grise, et fixa la table. Ses yeux ne pétillaient pas, aujourd'hui. « Je suppose que c'est très dur pour toi, » reprit-il avec compassion – « mais même si tu ne fais pas de rêves prémonitoires, le fait que tu rêves des crimes que commet Voldemort (et Harry ne put s'empêcher de frissonner) a son importance ne serait-ce que pour apprendre la mort de nos alliés autrement que par les journaux… »
« Est-ce que… » risqua Harry, « est-ce que Fudge refuse toujours d'admettre Son retour ? »
Dumbledore hocha la tête. « Il se refuse toujours à accepter l'idée d'une quelconque anarchie – et plus grave encore, à prendre les mesures nécessaires. »
« Mais vous avez… je veux dire… » Harry se rattrapa à temps : il allait dire « vous avez envoyé des émissaires »
Dumbledore sourit plus franchement, et cette fois le pétillement reprit sa place dans les yeux bleus. « 'J'ai', oui. Et j'avoue, » ajouta-t-il avec un clin d'œil qui fit rougir Harry, « que j'ai pris grand plaisir à faire des bêtises en cachette. »
« Mais il devrait… enfin, Voldemort a frappé, non ? »
« Nous y voilà… » fit le vieux sorcier, et plaçant ses coudes sur la table, il appuya son menton à ses mains jointes, observant un Harry confus derrière ses lunettes en demi-lune.
« Alors ? qu'as-tu à me dire ? »
Harry se résigna à subir l'interrogatoire. Il ouvrait la bouche pour commencer son récit, quand le Directeur l'interrompit d'un geste, et se rencogna dans son fauteuil.
« Inutile, Harry. Ce que tu as vu cette nuit était dans tous les journaux du lendemain. »
Harry avala sa salive, et hocha la tête, incapable de se ressaisir complètement. Il avait toujours ces horribles visions…
« Oui, je l'ai vu aussi dans le journal. Mais ce n'était pas en première page… »
Dumbledore acquiesça. « Evidemment. Le Ministère n'a pas réussi à museler la Gazette, mais il l'a au moins contrainte à une certaine discrétion, faute de silence. Ainsi les journaux semblent avoir fait peu de cas de l'affaire. »
Harry inspira à fond. « De qui… de qui s'agissait-il ? »
« D'Aurors, principalement, » répondit Dumbledore. « Mais il y avait aussi quelques anciens Mangemorts, probablement un règlement de compte au final. 'Lui' n'a dû tuer de sa baguette que pour donner l'exemple. C'est ce que tu as vu, n'est-ce pas ? »
« Oui, » confirma Harry en hochant vigoureusement la tête. Il se remémorait surtout des cris, les cris horribles qui lui rappelaient le sien propre lors du Tournoi, l'année dernière. Lorsqu'il avait contemplé, impuissant, Voldemort renaître de ses cendres, une seconde fois, plus machiavélique que jamais. Et malgré lui, une bouffée de colère l'envahit à la pensée du Ministre indigne qui refusait de voir, de croire, de comprendre. Il devrait faire quelque chose, seul s'il le fallait. Mais il combattrait Voldemort, quand bien même il dût y laisser la vie : car il l'aurait tué, Lui, auparavant.
Echappant à ses pensées vengeresses, Harry releva le nez pour rencontrer le regard bleu de Dumbledore, pétillant comme jamais. « Tu sembles reprendre une certaine confiance en toi-même, » fit-il remarquer dans un large sourire. Et comme toujours, Harry eut l'impression que le Directeur déroulait avec lui le fil de ses pensées. Suspect. Cependant… assez rassurant, dans une commune mesure. Une sorte de don…
Un don ?
Un don…
« Professeur… ? »
« Oui, Harry ? »
« J'aimerais savoir… vous avez parlé de don, tout à l'heure… »
« Oui, Harry, c'est exact. Je pense que tout en toi n'est pas dû au fameux sort de Voldemort. Après tout, tes parents étaient eux-mêmes de grands sorciers… bien que ton père ait eu une fâcheuse tendance à jouer les, hum, Maraudeurs dans ce château, » dit-il avec un petit rire communicatif, et Harry, sourit avec chaleur, comme chaque fois que l'on évoquait les nombreuses bêtises de son père.
« Le fait est, » reprit le Directeur – « le fait est que tu n'aurais guère eu besoin d'un mage noir pour devenir ce que tu es, ou ce que tu seras : un grand sorcier. Et cela, en partie grâce à ton ascendance. Mais tu sais, contrairement à ce que croient certains (il se racla discrètement la gorge) la famille n'est pas tout, et l'on peut soit s'en affranchir, soit transcender ce qu'elle nous a transmis. Mon frère, par exemple… »
Harry toussota, et Dumbledore s'interrompit. « Oui, oui. Enfin, toujours est-il que tu peux très bien avoir quelques… dispositions utiles à ton avenir. Il te faut les trouver, les domestiquer, et… apprendre à t'en servir. »
« Quelles dispositions ? »
« Et bien… le Quidditch, et tu sembles en excellente voie pour progresser… »
Harry soupçonna que l'on devait se moquer de lui, mais Dumbledore prit un air angélique, ce qui le fit ressembler à une sorte de vieux satyre en retraite, ancien complice du dieu Pan. Harry prit le parti d'éclater de rire.
« Joli match, » approuva Dumbledore. « Riches en surprises. »
Harry laissa échapper un soupir. « Je fais un drôle de Capitaine, » fit-il remarquer – « j'ai failli m'écraser, et perdre une Poursuiveuse ! »
Dumbledore sourit avec bonhomie. « Je ne suis pas persuadé que les supporters de Gryffondor aient eu pareille impression. A dire vrai, ce serait plutôt le contraire. »
« Mais je n'ai pas attrapé le Vif d'or ! » s'écria Harry, d'une voix passionnément désespérée. Le Directeur lui offrit un long regard pensif.
« Je présume que ton amour-propre est sérieusement endommagé, d'avoir été doublé par un Serpentard, en l'occurrence par Monsieur Malefoy. »
Harry eut un rire amer. « Il est incapable de jouer convenablement, et son équipe de gorilles… ils trichent tous, et sont dangereux pour les autres joueurs ! Je veux dire, pourquoi fallait-il que ce soit lui qui… »
Le jeune garçon s'interrompit, le temps de remâcher ses pensées amères. Certes, ils n'avaient pas perdu à l'évidence, ils n'avaient pas non plus perdu l'avantage, rien qui ne fût rattrapable par la suite mais l'affront personnel qu'il avait essuyé se révélait un échec cuisant. Il n'avait pas sous-estimé les Serpentard son propre jeu était net, et celui de ses camarades parfait, aussi élégant qu'efficace. Seulement… il était arrivé quelque chose qu'il n'avait pas compris.
Harry leva les yeux vers le vieux sorcier qui lui faisait face celui-ci était plongé dans la contemplation d'un plumier ouvragé posé devant lui. Mais il rendit immédiatement son regard à Harry, qui put voir dans les yeux bleus comme une étrange satisfaction. Il prit une expression anxieuse, et attendit, dans l'expectative. Le Directeur sourit enfin lentement.
« Et oui… peut-être était-ce une question de nécessité, après tout. » Harry dut avoir l'air particulièrement ébahi, car Dumbledore reprit : « Vois-tu, il arrive quelquefois, souvent à notre insu, ou contre notre gré, que quelque chose en nous change. Pour la plupart d'entre nous, ce changement est infime, et il n'a pas vraiment d'importance mais pour les autres, et ceux surtout qui sont convaincus d'être toujours eux-mêmes, ce changement est énorme et demande un effort considérable de décision… »
« Heu… Professeur ? » s'enquit alors Harry, hésitant. « Est-ce que vous êtes en train d'essayer de me dire que Malefoy a changé ? »
« Je n'ai pas dit ça, » répliqua Dumbledore avec un sourire en coin. « Mais il semblerait que quelque chose puisse le décider, plus tard, à choisir… »
« Oui ? » interrogea Harry, qui espérait ne pas entendre « son camp ».
« … sinon son camp, (Harry retint son souffle) du moins ce qu'il veut faire de son avenir. » Dumbledore cligna de l'œil. « … et de sa fortune. Certains couloirs de l'école auraient besoin d'un bon coup de peinture – peut-être devrais-je le convoquer un jour, » ajouta-t-il avec gaieté.
Harry garda les yeux écarquillés un bon moment.
« Hem, » fit le Directeur, recouvrant peu à peu son sérieux. « Il se pourrait que l'avenir nous réserve bien des surprises… » et il ajouta, de nouveau moqueur : « … quoique puisse en penser notre spécialiste en la matière ! » Harry sourit plus largement : il savait que Dumbledore faisait allusion à la professeur de Divination, créature étrange pourvue d'un « Troisième Œil » aussi mystérieux qu'imprévisible. Oui, Harry avait déjà eu maille à partir avec elle. pour une raison inconnue, le professeur Trelawney l'avait élu comme sujet de prophétie (tragique) préféré, ce qui n'était pas précisément pour lui faire plaisir.
« Pour une raison que j'ignore, » poursuivit Dumbledore, « cette chère Sybille est persuadée d'avoir aperçu un Sinistros l'autre jour – et tu sais comme cela lui déplaît. Elle refuse d'entendre raison, et n'en démord pas ! Ah, et bonne nouvelle : de source sûre, elle est certaine qu'il vient pour toi. »
Harry émit un petit gloussement. Sirius allait sûrement le contacter d'ici quelques temps le Sinistros, c'était lui. En tout cas, c'était ce qui s'était produit la dernière fois que Trelawney en avait vu un… inutile de s'affoler pour si peu : la vieille chouette raffolait des prédictions catastrophiques, et il ne fallait pas se risquer à la prendre au sérieux.
« Il semblerait d'après mon propre troisième œil que tu ne combattras pas seul, » fit remarquer Dumbledore, affable. « Peut-être après tout, ton avenir ne s'annonce-t-il pas sous de si terribles auspices. »
Harry eut un faible sourire. Il avait beau de pas redouter les prédictions fantaisistes du professeur de Divination, un avenir placé sous le signe d'un mage noir, de ses disciples et d'un bon nombre de matchs de Quidditch, ne pouvait que lui évoquer quelques malheurs infimes.
« Ah, et j'oubliais… » Le pétillement dans les yeux de Dumbledore se fit plus intense, comme la lueur d'un plaisir gourmand, tandis que sa barbe était agitée de petits soubresauts il s'efforçait de ne pas rire.
Harry pencha la tête de côté, dans l'expectative. « Elle aurait également vu, dans ses tarots ô combien fiables, quelque présence féminine… (Harry rougit furieusement) … ce qui n'est pas, tu l'imagines, sans l'inquiéter. Elle craint que cette créature ne soit annonciatrice d'un événement tragique, bien sûr. »
Harry vira à l'écarlate. Il avait une fille bien en vue, en cet instant précis…
« D'autant plus véridique, » continua Dumbledore imperturbable, « que tu as déjà failli perdre la vie en volant à son secours… dans le sens littéral du terme, s'entend. »
Harry passa au rouge brique. Il était bien parti sur le violet lorsque le Directeur lui fit un sourire malicieux. « Je pense pouvoir affirmer sans grand risque de faire fausse route que la damoiselle Aréthuse t'a fait grande impression… ? »
Harry ferma les yeux un instant, et s'accorda un court laps de temps pour recouvrer ses esprits. « Elanor allait, heu, tomber de son balai (Dumbledore haussa ses sourcils argentés) et Malefoy allait l'attaquer, et je suis tombé aussi, » acheva-t-il précipitamment. Le Directeur toussota avec quelque facétie. Harry finit par lui rendre son sourire.
« Je suis en tous les cas heureux de constater que tu ne paraît plus vouloir étrangler cette jeune personne de tes mains… » taquina Dumbledore.
« Je… » bredouilla Harry, les joues définitivement cramoisies – « … c'est qu'elle est plutôt bizarre, et je me méfiais d'elle, heu, au tout début. »
« Bizarre ? Bizarre comment ? » s'enquit Dumbledore, plus attentif et moins malicieux.
« Et bien… » commença Harry, un peu interloqué – il ne pensait pas, avant d'être venu, avoir à répondre d'Elanor Aréthuse – « elle débarque de nulle part, toute seule, elle devient la meilleure copine d'Hermione et Ginny, décoince Ron – oh ! pardon Professeur – et flirte avec à peu près tout ce que la classe compte de garçons, puis nargue les Serpentard elle a l'air de bavarder tout le temps, mais en cours elle est presque aussi bonne qu'Hermione. Elle est plutôt gentille et gaie, mais parfois, il lui arrive de se montrer agressive et renfermée et là, elle reste dans son coin à fixer un pan de mur en faisant de la télékinésie. Et puis… » Harry hésitait, et Dumbledore l'encouragea d'un geste à continuer : « Il y a ces… crises. Je crois qu'elle a vu la même chose que moi, l'autre nuit elle était avec moi à l'infirmerie, le matin. Parfois, elle est complètement absente à certains moment, c'est effrayant : on a l'impression qu'elle lit dans les pensées, et même qu'elle manipule les gens ! Pendant le match, c'était… c'était ça. »
Dumbledore pencha la tête avec gravité. « Je pense saisir ce que tu viens de m'expliquer. D'ailleurs… d'ailleurs, cela confirme ce à quoi je m'attendait, » ajouta-t-il d'une voix si basse que son interlocuteur l'entendit à peine.
« Quoiqu'il en soit, » reprit-il sur un ton plus gai, « elle est, je dois dire, assez jolie. Pourquoi ne pas rattraper ton retard, et aller lui proposer un thé ? »
« Heu… » fit Harry avec quelque réticence, « j'essaierai d'y penser. »
Dumbledore gloussait encore lorsque le jeune homme disparut dans l'escalier.
« Qu'est-ce qu'il y a, ma puce ? »
Blottie entre deux coussins d'un canapé profond, du rouge chaud et élimé de la salle commune des Gryffondor, Hermione était plongée depuis un moment dans ses réflexions, quand son petit ami posa sa tête rousse dans le creux de son épaule.
« Tu as l'air triste, » dit-il affectueusement, brossant une mèche de cheveux châtaigne derrière l'oreille de son amie.
Hermione soupira, et se blottit tout contre Ron, décider à profiter de leur relative tranquillité dans ce début d'après-midi. « C'est à cause d'Elanor, » expliqua-t-elle enfin. « Ron, je suis tellement inquiète ! »
« Tu sais, 'Mione, » rabroua gentiment le garçon roux, « elle est assez grande pour se débrouiller… c'est gentil de penser à notre avenir, mais tu es quand même trop jeune pour jouer les mamans. »
Hermione lui donna une bourrade affectueuse dans les côtes. « Ce n'est pas 'jouer les mamans', Ron mais la crise de l'autre nuit… »
« … Et surtout le réveil… » coupa-t-il d'un ton rêveur.
« Ron ! » fit Hermione dans un cri indigné.
« Oui, oui, soyons sérieux. »
« Non mais vraiment… »
« Mais je t'écoute, mon amour. »
« Non, tu ne m'écoutes pas ! »
« Mais si. »
« Mais non ! »
« Mais si. »
« Mais non ! »
« Hermignonne chérie… »
« Pfff… »
« Bon, je t'écoutes, maintenant, de toute façon. »
« Mouais… »
« Mais si. »
« Bon. Je disais donc (elle lança un regard meurtrier à Ron, goguenard) que le comportement d'Elanor me rend soucieuse. Je sais bien, elle est périodiquement triste, et ça finit toujours par passer mais je m'inquiète, tu comprends : elle a vu quelque chose, cette fameuse nuit. »
Ron, désormais sérieux, acquiesça à ces paroles. « Je sais, elle m'a réclamé le journal le lendemain, et quand elle a vu l'article sur les morts, avec l'enquête étouffée du Ministère, et tout ça, et bien, j'ai cru qu'elle allait tomber dans les pommes. »
Hermione approuva avec lassitude. « Et Harry qui refuse d'en parler… Je sais que c'est dur, mais garder tout ça pour lui… »
« Il refuse de se plaindre, » soupira Ron. « Au moins, le Quidditch pourra l'occuper et lui faire penser à autre chose. »
« Ce qu'il faudrait, » déclara soudain Hermione d'un ton décidé, « c'est une petite-amie. »
« Oooh non… » fit Ron en se frappant le front. « Et voilà que ça la reprend… »
« Dis donc, toi ! » s'exclama sa compagne avec mauvaise humeur – « ça ne t'a pas déplu, ma dernière initiative en la matière ! »
Les oreilles du grand roux virèrent à l'écarlate. « Oui, bon… ça va, ça va. J'le f'rai plus, patron. »
Hermione renifla d'une manière très audible.
« Il faut s'arranger pour que Harry parle à Elanor comme ça, ils pourront se tenir compagnie pendant leurs longues bouderies, » pontifia-t-elle d'un ton convaincu, mais quelque peu narquois.
« Tu oublies quelque chose, » fit observer Ron qui contemplait ses ongles.
« Ah ! Et quoi ? » lui répliqua-t-on, scandalisé.
Il ne se laissa pas démonter. « Ils ont tous les deux le même fichu caractère, et jamais ils n'avoueront quoi que ce soit. D'ailleurs, ils sont capables de tomber de tomber amoureux et… »
« Mais… ce serait parfait, » fit Hermione d'un air rusé.
« Tu trouves ? Moi, les voir se bécoter toute la journée sur l'Eclair de Feu… »
« Bécoter ? mmmh… bonne idée. »
Attrapant le visage de Ron entre ses mains, Hermione, à califourchon sur lui, le faire d'un baiser langoureux.
Dès qu'il put respirer, Ron déclara : « Heu… c'est d'accord. On les fait parler, ils se sautent dessus, et tout le monde est content. A une condition : j'en veux un autre comme celui-là. »
Le feu ronronnait doucement, ses mèches rousses ondoyant de reflets mordorés, presque vert-de-gris. Quelques étincelles folles jaillissaient de temps à autre sur le tapis sombre, et leur éclat éphémère resplendissait un instant sur le bois des tables vernies. Elle était là, parmi d'autres élèves, seule comme à l'accoutumée, ses cheveux formant rideau devant son visage long et pâle, la main gauche courant sur le papier, le noircissant d'encre au fur et à mesure de sa lecture studieuse du vieux grimoire posé devant elle.
« Je t'ai cherchée partout ! »
Cassandra Lönewenster leva les yeux de son ouvrage, et rencontra le regard éperdu de son condisciple à Serpentard, Draco Malefoy. Le garçon était plus pâle qu'à son habitude, il avait les yeux brillants et les narines pincées. Il paraissait avoir couru sur la fin du trajet, et sa cravate était un peu de travers. La jeune fille lui lança un regard inquisiteur.
« Tu aurais dû être à la bibliothèque ! » lança-t-il sur un ton accusateur. Cassandra poussa un soupir.
« Je viens d'arriver, je n'ai pas eu le temps de rester à la bibliothèque. Je n'ai pris qu'un seul livre. » Elle joignit le geste à la parole, et souleva de l'index la couverture fanée du vieux grimoire.
« Où est-ce que tu étais passée ? » interrogea le garçon blond, avec une étrange tension dans la voix.
« J'étais à l'infirmerie, » répondit tranquillement Cassandra avec un soupir résigné.
Draco laissa échapper une exclamation, et se laissa tomber sur le banc à côté d'elle, aussi discrètement mais aussi près que possible. Il la touchait presque et son souffle un peu court encore lui effleurait la joue. Perché en travers du banc, un coude à moitié posé sur le parchemin étalé devant elle, la main droite sur la cuisse, prête à saisir son épaule, le regard brûlant animé d'une ferveur inquiétante, il commença à la presser de questions.
« Qu'est-ce que tu avais ? »
Cassandra haussa les épaules. « Mal à la tête, » fit-elle, laconique. « Le tournis. Des trucs de filles. » Draco lui jeta un regard incrédule : Cassie, avoir « des trucs de filles » ? Une première ! Cette fille-là était dingue. Ne prenait même pas la peine de mentir convenablement.
Draco commençait à perdre patience mais la jeune fille ne lui prêta guère d'attention. Elle semblait se moquer, de manière pure et simple, de la façon dont il envisageait de la faire rôtir. Du calme. Cassie n'était pas facile à piéger, mieux valait faire preuve d'une plus grande patience. Courage.
La main fine de la jeune fille se saisit de la plume de faucon mordorée, qu'elle recommença à caresser sur le parchemin.
« Elle n'est pas à toi, cette plume, » fit observer Draco.
« Ah non ? » lui répondit-on tranquillement.
« Elle est à Rogue, » renchérit-il. Cassandra eut un petit sourire en coin plutôt incongru.
« Il me l'a donnée, » dit-elle en guise d'explication. Draco éprouva soudain l'envie pressante de se jeter par la fenêtre carrelée de vert.
« Et pourquoiii… ? » dit-il sur un ton encourageant.
La plume retomba, et sa nouvelle propriétaire prit l'air agacé. « Je ne sais pas. Je dois lui plaire, sans doute, et c'est un cadeau préliminaire à une soirée torride dans les cachots du laboratoire de Potions. Satisfait ? »
Draco resta momentanément sans voix. Il était partagé entre deux options : il pouvait toujours se jeter sur son exaspérante camarade et l'étrangler jusqu'à se que mort s'ensuive d'un autre côté, cela présentait le désagrément certain de ne jamais connaître le fin mot de l'histoire. Sans compter sur la deuxième solution : une phrase pourvue d'appositions et de propositions subordonnées, prononcée par Cassie, équivalait à un discours en vérité, cela s'apparentait fortement à un élément de conversation suivie, et Draco regretta de n'avoir ni pensé à mettre un charme Enregistrable autour d'eux, ni Colin Crivey.
Comme si elle pouvait suivre le fil de ses pensées, Cassandra lui lança un regard peu amène. Ce fut au tour de Draco de hausser les épaules. Abandonnant la dispute, il se redressa et prit appui sur son coude, le regard braqué sur la joue pâle de sa voisine. Le stratagème finit par opérer : celle-ci posa une bonne fois pour toutes la plume de faucon, et planta ses yeux bruns dans ceux de Draco.
« Quoi ? » fit-elle avec une laconique impatience.
Draco s'éclaircit la gorge. « J'aimerais que tu m'expliques ce qui s'est vraiment passé hier, » dit-il enfin. Cassandra lui jeta un regard pénétrant et étrange.
« Tu l'as vue ? » interrogea-t-elle, la voix un peu rauque.
« Je sais de quoi tu parles, » affirma-t-il. « Et oui, je l'ai vue. Si tu tiens à le savoir, je l'ai même repêchée mais tu n'étais pas là pour le voir, » acheva-t-il sur un ton de reproche. Elle balaya l'objection d'une main. Draco continua cependant.
« Je l'ai tenue contre moi, et – tiens, puisqu'on en parle, vous avez la même odeur (Cassie leva les yeux au plafond avec un air appuyé) et les mêmes cheveux – je l'ai vue changer sous mes yeux. Deux fois, je l'ai vue changer. »
Cassandra se mordit les lèvres. « Deux ? » fit-elle sur un ton hésitant.
« J'étais là la nuit où toi tu as changé, » dit-il sur le même ton, puis il s'enhardit : « J'étais à l'infirmerie après que tu sois partie, et après t'avoir vue, toi, bizarre, et je l'ai vue, elle, sur son lit d'hôpital et, Cassie,… » Il marqua une pause, le temps que les yeux de sa compagne reviennent sur lui, puis il reprit en appuyant sur les mots : « Et elle était presque morte. »
Cassandra ne détourna pas les yeux. Pourtant, elle regardait dans le vague, paraissant réfléchir à toute vitesse.
« Et là, » insistait Draco, « tu es malade et elle marque plein de buts, après avoir été à moitié violée par une bande de cinglés… »
N'y tenant plus, il fit un mouvement brusque pour saisir ses mains : elles étaient glacées.
« Qu'est-ce que tu as vu, toi ? » demanda-t-il doucement.
« Rien, » répondit-il d'un air sincère. « Elle a vu à ma place. »
Draco poussa un soupir de lassitude triste. « Cassandra… » Elle frissonna elle aimait lorsqu'il prononçait son nom, avec sa jolie voix un peu sifflante. « Cassie, » reprit-il, « je peux t'aider mais il faut que tu me parles, de temps en temps ! Essaie de comprendre… »
Elle haussa les épaules avec un sourire étrange. « Tu as besoin de moi. Une drôle d'association, toi et moi, » ajouta-t-elle, la voix curieusement amère – « l'opportunisme par excellence… »
« Mais je veux t'aider ! » s'écria-t-il, l'air buté.
« Tu m'aides déjà, » répondit-elle avec autant de gentillesse que possible – ce n'était pas une attitude courante chez elle, il devrait l'accepter à sa juste valeur – et elle serra la main qui emprisonnait toujours la sienne.
« Peut-être que je t'aides, » répliqua-t-il, « mais je ne vois pas en quoi le fait que tu ne dises rien m'aide. »
L'ombre de ce qui pouvait passer pour un sourire (plutôt bien imité, pour une fois) effleura ses lèvres fines, et elle retira ses mains. « Joli match, » fit-elle d'un ton presque espiègle.
Contre toute attente, il rosit. « J'ai heu… compris certaines choses. Enfin je crois. » Elle sourit plus franchement.
« Je crois que tu as fait quelques progrès. »
« J'ai droit à d'incroyables révélations, en récompense ? »
« Peut-être. Tu ne préfèrerais pas un rendez-vous avec Pansy ? »
Devant l'air horrifié de Draco, elle n'esquissa pas plus qu'un petit sourire mais cela suffit à le rassurer. « Moi aussi, je crois que je ne l'aime pas du tout, » avoua-t-elle.
« Enfin, une parole sensée ! Toi aussi, tu fais des progrès. En fait, tu pourras bientôt passer pour humaine. »
Cassandra contempla les yeux gris un long moment, avant de dire dans un sourire félin : « Toi, tu sembles bien aimer Aréthuse… tu devrais lui réclamer quelques… révélations, ne crois-tu pas ? »
Draco eut l'air un tant soit peu surpris : « Est-ce que c'est un sous-entendu ? Cassie, tu viens de faire un sous-entendu, et deux phrases longues à la suite… »
Cassandra parut assez vexée, et cela parvint d'une manière mystérieuse à dérider son voisin, dont l'éclat de rire clair résonna dans la salle, faisant lever les têtes. A l'autre bout de la pièce, Pansy Parkinson (placée en avant-poste d'observation stratégique) se renfrogna plus encore. On lui avait changé son Draco…
Elle allait dire deux mots à cette fille-là.
Ginny brandit sa tasse de chocolat brûlant à bout de bras, au risque de la renverser sur Elanor, élégamment posée sur un coussin cramoisi.
« Il me faut un autre match comme celui-ci ! » déclama la jeune fille aux boucles flamboyantes. Elanor eut un soupir amusé : cela faisait la quinzième fois au moins dans l'après-midi qu'elle entendait ça.
« Si tu permets Gin', j'aimerais me reposer avant. 'Suis pas prête d'affronter à nouveau les gorilles moussus ! »
Après une bonne heure de concertations excitées et de discours échauffés, les deux complices avaient conclu un accord tacite quant à la dénomination des adversaires. Et pour le moment, les Serpentard étaient affublés de la charmante périphrase « gorilles moussus » ce dont les artistes se montraient très fières.
Cela faisait maintenant plusieurs heures que Virginia « Ginny-la-pipelette » Weasley et Elanor « Queen-of-the-Quid' » Aréthuse occupaient la salle commune de Gryffondor, l'une affalée sur ses coussins et l'autre arpentant la carpette en gesticulant. On avait, comme d'habitude parlé garçons, Quidditch, cours, professeurs, et garçons. Le Quidditch était revenu au goût du jour sur les derniers instants, et Ginny, improvisée maître de conférence, dissertait à n'en plus finir sur le jeu de Draco Malefoy, qui décidément, en plus d'être un Dieu du Balai, avait inauguré brillamment sa carrière de sauveur. D'après Elanor, Ginny avait une conception particulièrement erronée des relations preux chevalier-veuve éplorée-orphelin vulnérable. Selon les théories énoncées au cours de l'après-midi, il s'avérait qu'après avoir été sauvée par le Chevalier plein de courage, la Veuve lui offrait le thé, puis lui prouvait son éternelle reconnaissance après avoir, au préalable, enfermé l'Orphelin dans sa chambre. Les deux jeunes filles avaient longuement débattu de la répartition des rôles, pour savoir qui jouerait la Veuve – ni l'une ni l'autre n'ayant cédé le moindre pouce de terrain, ne voulant pour rien au monde rester consignée dans sa chambre, à attendre le retour titubant de l'heureuse élue. Elanor était cependant près d'ébranler l'argumentaire de sa compagne, la noyant sous l'éloge dithyrambique du beau Capitaine de l'équipe.
« Moi, » déclara Ginny très sûre d'elle, « je trouve très bien que Malefoy ait eu le Vif d'or. » Elle fit une pause et avala une gorgée de chocolat chaud, puis reposa la tasse avec impatience sur la table, en avalant, et manqua s'étrangler. Elle poursuivit néanmoins.
« C'est – teuheu ! – plutôt marrant, et peut-être qu'il arrêtera de complexer à mort sur ses doutes à tenir sur un balai. A moins que… »
« Que… ? » interrogea Elanor, touillant le liquide brun avec une cuillère engravée.
« Peut-être qu'il complexe parce qu'elle est toute petite, et qu'attraper le Vif était une forme de compensation… » Elle s'interrompit pour écarquiller avec horreur ses grands yeux bruns. « Oooh nooon… » acheva-t-elle d'un air consterné.
Elanor considéra un instant la tasse de sa voisine, posée sur une console, avec une grande incrédulité. « Il faut que je me procure la recette de ce chocolat… je sais pas ce qu'ils y ont mis, les Elfes, mais… » marmonna-t-elle, s'attirant un regard noir de la cadette Weasley.
« En tout cas, » pérora Ginny, perfide, « je regrette que Harry ne ce soit pas écrasé. »
Elanor ouvrit de grands yeux horrifiés. « Ginny ! Le délire sexuel sur Malefoy, d'accord, mais les conspirations contre Harry, hors de question ! » lança-t-elle, mi-figue mi-raisin.
On lui répondit par une horrible grimace. « Mais si ! » renchérit Ginny. « J'aurais pu jouer les bons Samaritains, et il se serait enfin aperçu que je suis une fille ! »
« Oh ! » persifla Elanor en retour, « comme si la moitié de Poudlard ne s'en était déjà pas aperçu. »
« Oh ! oui… » fit Ginny d'un air rêveur – « il y a ce type, Nash, si mignon… je suis sûre qu'il aurait préféré que Harry finisse métamorphosé en crêpe. »
« Et bien dans ce cas, il est 'plètement fêlé, » déclara Elanor d'un ton péremptoire. Et elle engloutit son chocolat. « D'ailleurs, » continua-t-elle, « je ne vois pas pourquoi tu vas chercher si loin – les Poufsouffle te suivent à la trace. »
Ginny fronça le nez (qu'elle avait en trompette et constellé de tâches de rousseur) sous l'effet de ce compliment douteux, et ne condescendit à répondre (assez grossièrement selon les critères de Madame Weasley) que lorsque Elanor mit, d'un ton joyeux, en doute ses talents de marieuse.
« Parlons-en des tiens ! » s'échauffait Ginny, tandis qu'Elanor pouffait sous un coussin. « Mettre Hermione et mon frère ensemble… peut mieux faire, franchement. » Elle prit un air boudeur. Elanor émit un long sifflement.
« Oh-oh ! Je relève le gant, l'occasion est trop belle ! Qui dois-je précipiter dans les bras de quel heureux élu ? »
« Moi ! » lâcha Ginny avec une intense satisfaction. Elanor eut un sourire espiègle.
« Je retire le terme d' 'heureux' élu, » railla-t-elle. « Sur quelle malheureuse victime as-tu jeté ton dévolu ? »
Ginny lui tira la langue. « Sur Harry. Je te somme d'aller lui parler sur-le-champ ! »
Le sourire d'Elanor perdit de sa gaieté. « Le pauvre, » fit-elle, et son ton parut soudain plus convaincu.
Octobre s'achevait, mais le soleil déclinant de cette fin de journée s'était montré exceptionnellement chaud et doux. L'horizon irradiait d'un camaïeu de rose, pourpre et orangé, et l'herbe encore verte tapissait le sol en une chevelure épaisse. Çà et là, des rochers moussus pointaient leurs aspérités vers le ciel, offrant des promontoires bucoliques et inconfortables. Le lac n'était plissé que par de rares ondes, dues sans doute à la présence d'aquatiques créatures, ou de l'immense mollusque qui régnait sur ses profondeurs. De nombreux arbres finissaient de perdre leurs feuilles, qui jonchaient le sol en longues boucles inégales et odoriférantes, comme une chevelure de femme douce et parfumée. Puis le lac parut avaler le soleil pourpre et or, lentement, lascivement, dans ses profondeurs bleues et violines, comme un acte d'amour sensuel et déroutant, et l'horizon fut semblable à une corne d'abondance renversée, répandant ses fruits juteux et charnus, des oranges, des framboises, des prunes et des citrons.
Il contemplait ce spectacle d'une impudique pureté avec une candeur voluptueuse, inconscient du monde extérieur, perdu dans l'aquarelle peinte tout autour de lui. Ses yeux avaient bu la couleur des feuilles, qui s'étaient teintées d'or et les dernières lueurs du jour jetaient dans ses cheveux quelques reflets de cuivre.
Elle le trouva ainsi, dans une sculpturale immobilité, les bras entourant ses genoux ramenés sous son menton il paraissait presque irréel, pareil à un faune égaré là, un moment avant de disparaître à son tour, avec le soleil, dans les profondeurs de la forêt.
Elle le trouva simplement beau, dans son calme empli de passion, sa pose empreinte de révérence. Et quelque chose la poussa à s'enfuir, pour échapper à l'étrange vision.
« Elanor ! »
Sa voix n'était rien d'autre qu'un murmure, mais dans le silence cathédral du soir, le prénom résonna longuement, d'arbre en arbre, de pierre en pierre, s'attardant dans un dernier écho sur la rive du lac qu'il rida un instant. Puis, plus rien. Le silence, à nouveau. Juste un regard couleur de feuille printanière.
Elle s'assit sans bruit à ses côtés, soucieuse de ne pas troubler l'harmonie de cette fin d'automne, qui ressemblait tant à une fin d'été. Elle attendit.
Il y eut un coup de vent, soudain, léger, qui les frôla en avertissement, comme un héraut portant bannière ils se serrèrent inconsciemment l'un contre l'autre, profitant de leur chaleur respective. Le pourpre quitta l'horizon, qui demeura une mince ligne rose.
« Ça va mieux ? » Elle ne savait pas très bien pourquoi elle avait entamé la conversation, surtout d'une manière aussi sotte, mais elle voulait l'entendre parler.
« Je pense que oui. Plus de peur que de mal, tu sais, seul le moral est entamé. » Il avait une voix profonde et très douce, comme une caresse un peu incertaine, pas encore une voix d'homme, mais déjà grave et belle. Son sourire était un peu triste.
« Il y a match nul, » fit doucement remarquer Elanor. « Nous n'avons pas perdu. »
« Nous n'avons non plus pas gagné, » dit-il, mais son sourire était plus confiant. « Enfin… je suppose que l'on pourra compter sur Hermione pour nous assurer une avance considérable avant la prochaine rencontre. »
Elanor le regarda longuement. « Est-ce que tu lui en veux ? »
Harry soupira légèrement. « Sans doute que oui. Mais d'après Dumbledore, cela pourrait provoquer des effets intéressants. On verra. »
« Draco… » murmura Elanor, savourant l'acidité du prénom. Harry baissa les yeux. Il tenait une fleur à la main, dont il ôtait consciencieusement tous les pétales.
« Elanor, c'est un nom de fleur, non ? » dit-il d'un ton retenu. Elle acquiesça. Elle portait ce prénom avant d'être adoptée pourtant, c'était une fleur que l'on trouvait surtout en France. Un mystère. Bien sûr.
Elle voulut dire quelque chose, mais il ouvrit la bouche en même temps, et ils se turent de concert. Chacun baissa les yeux sur son carré d'herbe, leurs mains s'entremêlant dans les fils d'un vert mordoré, la sensation délicieuse de passer les doigts dans une chevelure luxurieuse et opulente elle en devenait presque érotique dans la façon qu'il avait de caresser le sol, absorbé par ses pensées. Elle cessa brusquement de jouer avec l'herbe, le souffle un peu court. Il fit de même, et se redressa, une odeur charnelle de verdure et de terre sur le corps. Il lui offrit un long regard, et ses yeux glissèrent sur sa gorge nacrée. Elle frissonna la nuit commençait à tomber.
« J'avais la trouille, » dit-il enfin.
« Tu l'as toujours, » répliqua-t-elle. Il rougit.
« Je parlais du Quidditch. »
« Moi aussi, » prétendit Elanor. Son regard revint à l'horizon.
« Avec toi, » fit aimablement remarquer Harry, « ça ne fait pas grande différence : Quidditch égale garçons, parfois l'inverse. »
Elle lui lança un regard perçant.
« On dirait que ça ne te dérange pas trop, » rétorqua-t-elle d'un ton acide. Il haussa les épaules avec bonne humeur.
« A propos, j'ai vu Dumbledore. »
« Et… ? »
« Lui aussi s'est mis en tête de jouer les agences matrimoniales. »
Elanor leva les yeux au ciel obscurci.
« Je crois que je vais suivre son conseil, » fit Harry d'un ton badin – « et t'inviter à dîner ce soir. »
Elle éclata de rire. « Ce soir, c'est le banquet d'Halloween – ça ne va pas te coûter grand chose. » se moqua-t-elle.
« C'est l'intention qui compte, » pontifia-t-il avec une fausse gravité qui la fit pouffer.
« D'accord, » dit-elle, recouvrant son sérieux. Il parut assez choqué.
« D'accord ? » répéta-t-il en écho, l'air incrédule.
« D'accord, » confirma-t-elle sans sourire. Il cligna des yeux un moment, puis finit par prendre parti, et poussa un soupir à fendre l'âme.
« Bon… je suppose que je suis pris au piège, maintenant. »
« Fait comme un rat, » railla-t-elle. Le mot le fit frissonner.
« Elanor, il faut qu'on parle de… de l'autre jour. »
Elle tourna la tête.
« Elanor, » insista-t-il, « je sais que tu as vu la même chose que moi. »
Elle trembla légèrement avant de répondre. « Je sais ce que tu as vu. Moi aussi, j'ai vu. Et je sais ce que j'ai vu mais je ne sais pas pourquoi. Et ça me fait peur, » acheva-t-elle en baissant la tête. « Après tout… » Elle fit une pause, et se mordit la lèvre – « Je ne sais pas qui je suis, je pourrais… » Elle rougit brusquement, et se leva soudain il la retint par le poignet. Il était plus grand qu'elle, et plus fort elle dut se rasseoir. Sa main était froide dans le creux de la sienne, et tremblait un peu. Il la serra contre lui, et son souffle lui caressa la joue. Il sentit sur la sienne un peu d'humidité, et cueillit d'un baiser la douceur saline d'une larme qui perlait au coin de sa paupière baissée.
« Tu devrais parler à Dumbledore. »
« A elle. A Cassandra. »
« Elanor… si c'est ce que tu tiens à savoir, je ne pense vraiment pas avoir de sœur. Je veux dire, ce serait quand même d'un goût douteux – ça signifierait que j'ai deux sœurs jumelles, et j'en ai marre d'apprendre par le journal que je suis apparentés à des mages noirs, ou divers ouistitis et hippopotames. »
Elanor le regarda bizarrement.
« Je suis désolée, je m'emporte. J'essaie juste de te faire comprendre que je suis le seul à avoir une cicatrice, que tu n'as rien à voir avec ces meurtres, et que tu n'es définitivement pas ma sœur. »
Puis il eut un brusque sourire, et chassa une mèche brune attardée sur le visage d'Elanor. Elle lui sourit à son tour, quelque peu réconfortée. Elle se leva, et cette fois il la laissa partir. Il la regarda épousseter son chandail bleu et son jean maculé d'herbe et de terre, et rejeter ses boucles sombres en arrière. Elle fit mine de partir, puis s'arrêta, et se tourna légèrement vers lui, ne lui offrant que son profil.
« Ginny… » hésita-t-elle.
Il pencha la tête pour l'encourager à poursuivre. Elle se mordit les lèvres, ouvrit la bouche, puis se tut. Elle lui lança un regard un peu triste, puis se passa la langue sur les lèvres.
« Non, rien, » dit-elle finalement. « J'accepte l'invitation. »
Et elle partit brusquement, une cascade de boucles brunes volant derrière elle, le bleu de sa silhouette se fondant dans le bleu de la nuit nouvelle.
Un coup de vent fit voler quelques feuilles, et il eut froid.
Note de l'auteur :
Bon, j'écris d'une main et ce n'est vraiment pas pratique ! Faut dire aussi, que j'ai le téléphone collé à l'oreille, et SeveRogue à l'autre bout du fil…
Tiens, en parlant de lui – il va me tuer, parce que j'ai encore coupé un chapitre en deux. Mais, quoi, il faut bien le faire bosser, et le sortir un peu de son chaudron fumant alors il s'occupera du banquet d'Halloween. J'ai dit.
Quoi qu'il en soit, ce chapitre-ci m'a bien inspirée. Bon, évidemment, c'est plus « spychologique » et tout le monde passe son temps à parler à tout le monde ! Je crains d'être un peu sirupeuse à la fin, mais c'est assez dur de rendre compte des pensées de tous ces personnages…
Et je trouve mon Harry très mignon !
(va falloir prévoir les parachutes, je suis en train de virer Mary-Sue)
Envoyez-moi plein de reviews, dites-moi ce que vous avez pensé du chapitre, de Cassie, d'Elanor, de Ginny, de Draco, et de Haaarry !
Des sacs de bisous à la cannelle pour Csame, Fany, Sioban, CMX, Diane… et Nash, dont j'ai hâte de connaître le nouveau pseudo !
Merci à tous mes revieweurs, et à mon Sevichou, qui va, lui, a-do-rer mon chapitre Marysuesque, vu comme il est en ce moment…
Je vous adore tous ! mais toi Sev', je t'aime…
Bisous,
Mélusine.
