Hey !

Ça fait un moment que je ne suis pas passé par là, alors voilà un petit OS pondu pendant la Nuit du Fof sur le thème Puzzle. Bonne lecture !

(TW en fin de page !)


Tableau blanc

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Joshua est une énigme, et Neku sent qu'il lui manque encore des pièces pour la résoudre. C'est d'autant plus frustrant que cet incroyable petit con sait tout de lui, mais que la réciproque n'est pas vraie.

— Café ?

— Plutôt crever, le rouquin marmonne.

— C'est bon pour la gueule de bois, tu sais.

Neku sait surtout que ça aide à la cacher. C'est comme un pansement sur une plaie, ça ne soigne rien. De toute façon, il ne travaille pas aujourd'hui, alors peu importe le temps qu'il passe à comater dans le canapé, à naviguer entre nausée et sommeil.

— Comme tu voudras, Joshua déplore.

Il remplit sa propre tasse. Ses doigts sont incroyablement blancs contre la porcelaine nacrée. Sous son débardeur, les lignes fines de ses cicatrices dépassent et Neku se demande encore une fois d'où elles viennent. Cette nuit, il les a senties contre ses paumes. Un millier de bosses sous ses doigts. Une vallée et des collines là où il n'aurait pas dû en trouver.

Malgré lui, il essaie d'imaginer la douleur que ça a dû être. Cette chair qu'on a taillée à vif, le sang qui s'est écoulé le long de son dos et la chaleur autour des plaies gonflées. La main cruelle qui a tracé cette horreur le dégoûte – parce c'est bien une main humaine qui a fait ça. C'est trop précis, Joshua n'a pas pu écoper de ces blessures après un accident.

— Tu te prends la tête pour des bêtises.

Sa voix glisse dans son oreille. Par réflexe, Neku y porte sa main. Il a l'impression désagréable qu'un insecte vient d'y entrer. Une scolopendre dont il peut sentir la pointe acérée des pattes gratter sa peau pour trouver un refuge. Il déglutit. La honte colore ses joues.

— Qu'est-ce t'en sais ?

— Tu regardais mon dos, l'insupportable jeune homme ronronne.

— Genre, tu vois ça d'ici.

Il inspire. Malgré lui, il y croit. C'est comme si cette pièce entière, ce salon blanc que la lumière agresse, n'était qu'une extension de Joshua. Une partie de lui, une peau invisible dont il devine chaque touché.

Ça lui donne l'impression qu'il s'est glissé dans sa tête et le regard mauve qui l'enveloppe n'arrange rien. Neku déteste ça.

— Peut-être que je sens ces choses là, Joshua répond.

Il s'approche de son pas souple, contourne la table basse et glisse sur les coussins du canapé.

— Peut-être que tu es simplement prévisible, il reprend. Tu crois que tu es le premier à me dévisager comme ça ? Je ne te pensais pas si naïf, Neku.

Sa main s'approche et passe sur sa joue comme un murmure. Enfermé sous cet œil indéchiffrable, le garçon n'ose pas bouger.

— Mais pour dire vrai, j'ai simplement vu ton reflet dans la vitre.

Il a… Oh. Le con.

Son expression doit valoir le détour, parce que Joshua rit. Un son franc qui l'agace, des aiguilles sous sa peau. Neku déteste quand il se joue de lui comme ça, avec ses magouilles à deux balles de petit crétin pourri gâté qui croit que le monde lui appartient.

Le problème dans cette histoire, c'est qu'il l'aime aussi pour ça. Parce que s'il n'était pas cruel, égoïste et irritant, Joshua ne serait pas Joshua.

— T'es sérieux ?

— Toujours.

Et Joshua s'en repart comme un dieu qui se promène sur son territoire. Il disparaît dans la cuisine, sa tasse vide à la main. Laisse derrière lui une odeur de café qui ne lui ressemble pas et le souvenir de cicatrices inexplicables.

Ces lignes. Droites, parallèles, tracées comme un devoir à la règle. Monstrueusement impeccable. C'est invraisemblable, de se dire que quelqu'un a un jour pris le temps de lui déchiqueter le dos. Neku ne peut pas le concevoir. Il a fait des recherches sur internet, tapé le nom de son petit ami et celui de son oncle, mais ça n'a rien donné. Et pourtant c'est là, sous son nez. Comme les pièces d'un puzzle que quelqu'un aurait abandonnées. Il essaie désespérément de reconstituer le tout, en vain.

Joshua est un tableau blanc qu'il droit assembler sans indice, et tout ce qu'il voit, ce sont les pièces qu'il lui manque.


[TW : cicatrices, scarifications]