Disclaimer : Harry Potter, noms et lieux sont la propriété de J. K. Rowling et Warner Bros Corp. en leurs titres respectifs.

L'évadé

Mes parents sont tous deux sorciers, j'ai donc reçu une éducation magique, empreinte de légendes et de mythes qui étaient légion dans les grimoires de la belle bibliothèque de la maison. Dans ma plus petite enfance, j'étais déjà un enfant insubordonné et un peu insolent. Je me rappelle très bien que la seule chose que ma chère mère trouvait à me dire pour me calmer lorsque j'avais à peine trois ans était « Sirius ! Calme-toi où j'appelle les Détraqueurs d'Azkaban ! » Cette menace, accompagnée du ton dangereux que ma mère pouvait adopter, parvenait à faire croire à ses amies – sang-pures bien sûr – lorsqu'elle les invitait pour prendre le thé que j'étais un vrai petit ange, ce qui était bien loin de la vérité. C'est vous dire l'impact que la simple évocation de la prison et de ses terribles gardiens suffisait à provoquer. En grandissant, même si ma mère avait finalement compris qu'il était inutile de me faire passer pour un garçon modèle, les Détraqueurs sont restés une source de frayeur, bien que je n'en aie jamais rencontré. A Poudlard encore, les élèves issus de familles sorcières n'en parlaient qu'avec respect, même si pour la plupart ils ignoraient leurs terribles pouvoirs.

Mais avant ce jour funeste, je n'avais jamais vu ni ressenti un Détraqueur. Avant ce jour funeste, j'avais en moi la désinvolture d'un jeune homme qui a passé sa vie sans se soucier d'autre chose que de la farce en projet, sans penser au lendemain. Le changement fut d'autant plus douloureux qu'il était radical. Pour un homme heureux et idéaliste comme je l'étais, on aurait pu penser qu'Azkaban serait mortel. Pourtant ce ne le fut pas, du moins pour la partie physique de moi-même. Une bonne partie de mon âme y est restée.

Dans ce petit port sinistre, à peine quelques barques étaient amarrées. Il était constitué de deux ou trois larges pontons de bois, tous dirigés vers l'île. C'est étrange mais c'est une constatation que j'ai faite là très rapidement : je n'ai que rarement vu autre chose qu'un pâle soleil blanc et le plus souvent une chape de nuages gris dans le ciel. Comme si la beauté fuyait ce lieu, elle aussi. Il y avait de temps à autre un orage ou une tempête, mais je ne me rappelle pas avoir connu de journées ensoleillées. Les gardiens qui m'escortaient étaient des sorciers, et ils semblaient désireux de finir le boulot au plus vite. Sans ménagement, on me jeta dans une barque sans rame ni moteur. Deux gardes prirent place à côté de moi. Je n'avais aucun espoir de m'enfuir en me jetant à la mer puisque j'avais les mains entravées, mais de toute façon les deux sorciers veillaient au grain. Pourtant, si j'avais eu la plus petite idée de ce qui m'attendait là-bas, je me serais jeté à la mer malgré mes menottes et malgré l'étroite surveillance. L'un des gardes tapota le bord de l'embarcation avec sa baguette magique, et celle-ci s'élança dans les vagues vers le large. La traversée ne fut pas longue. J'étais toujours sous l'emprise d'un sortilège puissant qui m'empêchait de parler et de clamer mon innocence. Les deux sorciers me regardaient sans échanger un mot. Dans leurs yeux, je lisais une étrange compassion. A partir de ce moment là, ils me traitèrent avec plus de soins.

Puisque je ne pouvais pas parler, je dus me résoudre à regarder. L'île était petite. Sa plus grande largeur ne dépassait pas 150 mètres, et sa longueur devait avoisiner les 300 mètres. La forteresse se trouvait au sud de l'îlot, faisant face à l'océan, tandis que le nord était une étendue herbeuse. En raison des courants dangereux, nous dûmes la contourner. J'eus donc droit à une visite panoramique de la forteresse et des environs. De hautes falaises faisaient de l'île un véritable piton rocheux qui résistait vaillamment à la mer. Les vagues venaient se heurter violemment contre le granite sombre dont étaient composé les contreforts. Je n'avais pas besoin d'être un expert en navigation pour deviner que les tourbillons qui s'y formaient feraient immanquablement chavirer la frêle embarcation. Le détour fut donc assez long. Je conservai assez de lucidité pour repérer les failles de la prison, pour anticiper une évasion postérieure, mais elles me paraissaient peu nombreuses. C'était un bâtiment vraisemblablement ancien, mais qui semblait être en parfait état : inutile donc de compter sur un éboulement providentiel. Il était de briques noires, probablement tirées du sol même de l'île. Là encore, si elles n'étaient pas ensorcelées pour résister au burin, elles seraient sûrement aptes à lui résister par leur seule solidité. On m'avait bien entendu privé de ma baguette magique, et je ne disposais d'aucun instrument métallique susceptible d'entamer la pierre. C'était un bâtiment massif dont les murs étaient bâtis juste au-dessus des escarpements naturels que formaient les hautes falaises. Ils épousaient leur forme au gré des variations aléatoires que Pluton avait fait émerger de la mer. Mais les murs quittaient à un moment brusquement la falaise et traversaient l'île de part en part, dans une parfaite ligne droite qui contrastait avec l'aspect aléatoire des autres contours de la prison. En deçà du mur rectiligne et strict qui clôturait le bâtiment, une étendue d'herbe malingre et d'un vert malade s'étendait en descendant jusqu'à la plage qui était le seul point d'accostage. De petites fenêtres – qui ressemblaient plus à des meurtrières qu'à de véritables fenêtres – se suivaient à intervalle régulier sur plusieurs étages. Le toit était pour la majorité de la surface plat et crénelé comme dans certains châteaux moyenâgeux. Une haute tour de guet, dont j'ai récemment appris que la vue s'étendait dans les beaux jours jusqu'au continent, surplombait toute l'île. Si d'aventure un Détraqueur y était posté, mes chances d'évasion s'en verraient fort amoindries.

Je savais peu de choses sur les Détraqueurs, mais je n'ignorais pas qu'ils repéraient les gens non à la vue mes à leurs sentiments et à leurs émotions, dont ils se nourrissent. J'ignorais la portée de ce sens ignoré des humains, je ne savais pas que cette perception est aiguë et acérée. Ce fut dans la barque que j'aperçus pour la première fois un Détraqueur. J'étais heureusement trop loin pour que son effet vampirique se fasse clairement sentir, mais la haute silhouette de la créature m'emplit à l'avance d'effroi. Plus tard, j'ai appris à mieux connaître ces immondes créatures, j'ai appris ce qui les énerve et ce qui les contente, ce qui les excite et ce qui les dégoûte.

Dans un minuscule port encore plus lugubre que le précédent, nous accostâmes. Le vent du large soufflait assez fort. Pas une parole n'avait été échangée pendant la traversée, pas une parole ne fut échangée sur le port. L'un des gardiens m'aida à sortir de la barque avec mes menottes, manifestant sans doute ainsi sa commisération. L'autre gardien agita une vieille cloche suspendue à une potence. Le son retentit étrangement assourdi dans l'atmosphère inquiétante. Je vis bien que les gardes trépignaient d'impatience. Je comprenais parfaitement qu'ils aient envie de fuir cet endroit au plus vite : je ressentais déjà très fortement, sans la reconnaître consciemment, la présence des Détraqueurs, bien que nous en étions encore éloignés. Finalement, deux hautes silhouettes approchèrent.

Brusquement, un souvenir atroce s'empara de moi. Je revis brusquement et très clairement la scène affreuse de la découverte des corps inanimés de James et Lily. Je courbai la tête et mes cheveux tombèrent devant mes yeux. La violence inouïe de l'intrusion dans mon esprit me fit ployer. Je tombai à genou. Mais quiconque n'a jamais éprouvé – car on l'éprouve plus qu'autre chose – la présence des Détraqueurs ne peut que difficilement imaginer ce que je ressentis à ce moment là, et pendant les douze années qui suivirent. Je me vis chez Peter, je ressentis l'anxiété que j'avais éprouvée à ce moment là. Tout devint noir. Je m'étais évanoui.

Je sortis du noir pour aboutir dans le noir. Je n'étais pas resté longtemps évanoui, quelques minutes à peine. Deux mains puissantes me tenaient fermement et me traînaient vers la sombre prison. Je me débattis comme un chien enragé, essayant de sortir des étreintes immondes de leurs mains putréfiées. Il leur suffit d'une inspiration, d'un râle, pour faire taire toute tentative de fuite. Je ne fus « habitué » que bien plus tard à soutenir leur immonde respiration sans m'évanouir.

Des souvenirs, encore des souvenirs… Je me revis levant les mains vers les étoiles et implorant les cieux, comme Enée de son bateau qui bravait les flots de la Méditerranée en furie. Je me revis tenant le corps sans vie de James dans les bras. Je me revis secouant le cadavre déjà froid de Lily. Je me revis serrant celui de mon frère haï dans la morgue du ministère. Mon petit frère eut beau se conduire comme un imbécile pendant toute sa vie, cela ne le dispense pas d'avoir sa place parmi mes souvenirs.

Je fus brusquement ramené à la réalité. La lourde herse qui barrait l'entrée de la prison venait de s'ouvrir, me sortant de ma torpeur. Je pénétrai dans le bâtiment. Il semblait n'y avoir aucune torche dans cette maudite prison, mais les Détraqueurs ne s'en préoccupaient pas. Les Détraqueurs sont aveugles, mais ils se mouvaient sans aucune difficulté dans les couloirs. Il semblait que chaque cellule possédait une minuscule fenêtre par laquelle un simple rai de lumière devait suffire aux prisonniers. J'aperçus des visages d'hommes, de femmes. La plupart se terraient comme des lapins aux fonds de leurs terriers à l'approche des Détraqueurs, mais certains semblaient vouloir s'offrir à eux, comme s'ils espéraient en offrant une cible aux Détraqueurs qu'ils les prennent en pitié et qu'ils les libèrent – espoir bien entendu illusoire. Je vis des visages d'hommes défaits, la plupart portaient une barbe sale, déformés par l'attente. Je vis des femmes en haillons dont la dernière préoccupation était de nous offrir une image décente. Je vis des gens supplier, des gens hurler, des gens rire d'un rire dément.

Les geôles étaient pourvues de paillasses à peine matelassées, pour la plupart éventrées de part en part, soutenues par un cadre de fer pourvu de quatre pieds. Certains condamnés, au passage des Détraqueurs, plongeaient leurs têtes dans les matelas vieillis. On apprenait vite cette technique à Azkaban, pour se protéger des râles des créatures. Mais leur effet n'en était que peu amoindri. Chaque cellule comportait un mur entièrement grillagé de lourdes barres d'acier verticales, trop étroitement disposées pour laisser passer quiconque. Une porte – d'acier elle aussi – était à chaque fois aménagée dans la grille, ainsi qu'un volet pour faire passer la nourriture.

C'est incroyable comme je m'en souviens bien, c'est étrange. Je peux les revoir, ces salles sordides et ces barreaux froids comme la glace. Je les vois comme si j'avais quitté Azkaban hier. Je revois les Détraqueurs me traînant dans les couloirs. J'entends encore les supplications de Stone le fou qui ne se rappelait plus de son vrai nom, je crois entendre les longs monologues insensés d'Oscar, mon voisin de cellule. Et Olga, juste en face, qui n'a jamais dit un mot, mais dont le bras arborait un charmant crâne de la bouche duquel un fin serpent bravait le froid et l'humidité d'Azkaban.

Il y a beaucoup de prisonniers à Azkaban. Plus que je ne l'imaginais en tous cas. Nous traversâmes de nombreux couloirs sombres. On me fit monter un escalier étroit et glissant, sur lequel je manquais de me tuer – une option que j'aurais peut-être considérée avec plus d'attention si j'avais su ce qui m'attendait. Ma cellule était la première à droite de l'escalier, dont une grille de sécurité supplémentaire devançait le seuil. Les Détraqueurs me jetèrent dans la prison humide. Je ne devais plus en sortir avant très longtemps. Le sortilège de silence avait fini de faire effet.

-Je suis innocent ! hurlais-je, faites-moi sortir immédiatement !

Mais personne ne vint. Personne ne venait jamais. Les détenus avaient développé pour la plupart une étrange indifférence aux cris de leurs compagnons d'infortune. Je criais : silence ; je m'égosillais : pas de bruit ; je hurlais : pas un son. Je tombai vite d'épuisement sur mon matelas. Mes rêves, je n'en parlerai pas.

Je sais Remus, c'est censé être le but de ce texte de me confier, mais il y a certaines choses qu'il vaut mieux ne pas évoquer. Je t'en donne un bref aperçu cependant, sinon je te connais tu vas encore râler. Les Détraqueurs, je m'en suis vite aperçu, se nourrissent au sens littéral du terme des émotions. Chaque ronde est pour eux une occasion de s'offrir un festin varié d'aliments divers, car les émotions de chacun des prisonniers avaient chacune une saveur particulière. Moi, par exemple, j'étais un met très apprécié, car ils sentaient – et je suis persuadé qu'ils l'ont toujours su – que j'étais innocent. Je suppose qu'il trouvait ma frustration délicieuse, mon désir de vengeance délicat et mon désespoir exquis. Ils restaient toujours plus longtemps devant ma cellule que devant celles des autres. Et ce qui semblait en moi rajouter un peu de piquant à leur repas, comme une légère touche de piment, c'est qu'il y avait une chose qui leur était en partie inaccessible, ou en tout cas qu'il n'arrivaient pas à détruire. Les Détraqueurs détruisent toutes les pensées heureuses de leur passage, mais cette pensée-là n'en était pas une. Je savais – et même à Azkaban je l'ai toujours su – que j'étais innocent. Jamais ils n'ont réussi à altérer cette conviction.

Les nuits étaient pour eux une différente sorte de banquet. Ils s'introduisaient dans les rêves des captifs et les rendaient affreux. Je vis pire – oui, Remus, pire – que mon horrible souvenir de la découverte des corps de James et Lily. Je vis même des choses que je n'avais même pas vécues réellement, mais que je m'étais seulement représenté dans mon imagination. Je vis par exemple l'assassinat en lui-même, alors que je n'étais pas présent sur les lieux. Je vis Queudver révéler l'emplacement des jeunes mariés à Voldemort… Je vis… non.

C'était terrible Lunard. Vraiment. Je sais que toi aussi tu as souffert, que tu t'es aussi représenté la scène du meurtre de Cornedrue. Seul toi, en réalité, peut comprendre à quel point j'étais misérable.

Au premier matin – ce ne serait pas le dernier – j'eus l'espoir qu'on vienne me chercher lorsque j'entendis du bruit dans l'escalier étroit, mais ce n'était qu'un Détraqueur qui venait nous apporter à manger. Je faillis m'évanouir à nouveau lorsqu'il s'approcha dans un râle, mais la perspective de pouvoir manger me tint en éveil. La bouillie infâme qui constituait notre nourriture trois fois par jour était à peine comestible, mais je lui trouvais une saveur étrange tant j'étais affamé. Ce premier matin, j'eus même l'espoir que mes parents fassent quelque chose. Mais je n'y croyais pas. Cela faisait trop longtemps que j'étais parti de chez moi, que j'avais coupé les ponts avec eux en manifestant clairement mon désaccord par rapport à leurs idées. Ni mon père, ni ma mère, ni mon frère Regulus n'élevèrent le petit doigt pour exiger le respect de mes droits fondamentaux. J'aurais bien aimé leur faire payer ça, mais ils sont tous morts.

Je me suis toujours levé tôt à Azkaban, parce qu'aux environs sept heures – suivant les saisons – après la troisième ronde du deuxième Détraqueur, lorsque le ciel était dégagé, un rayon de soleil passait par ma fenêtre et éclairait vivement le couloir. Je m'abreuvais de la lumière vive comme un nouveau-né tète au sein de sa mère. Le soleil éclairait alors la misérable pièce dans laquelle j'étais cloîtré. Une vespasienne miteuse et un lavabo ébréché devaient subvenir aux besoins du corps. Tout le mobilier se limitait à un 'lit', agrémenté d'un très symbolique couverture trouée. J'exagère, ils en distribuèrent des nouvelles au quatrième printemps.

Les premiers jours furent parmi les pires que je passai à Azkaban. Les Détraqueurs n'avaient pas encore détruit totalement l'espoir que l'on s'aperçoive de l'erreur qu'ils commettaient en m'enfermant dans cette prison malgré mon innocence. C'est bien le seul service qu'ils me rendirent, car je crois que la souffrance fut moindre dès lors que je cessai d'espérer. Les premiers mois, je refusais de céder, et de ressembler à certains autres prisonniers, mais je savais bien qu'un jour les Détraqueurs me mèneraient à ces extrémités. Ils faisaient une ronde toutes les demi-heures, et chaque prisonnier profitait du laps de temps entre deux passages pour reprendre son souffle. Mais nous n'y arrivions jamais vraiment. Même lorsqu'ils étaient éloignés, on sentait encore les reflux de leur pouvoir vampiriques, de telle sorte que nous n'étions jamais à l'abri.

Une fois par an, une délégation d'hygiène du ministère venait inspecter la propreté de l'établissement et la santé de ses occupants. La prison était alors soumise à un nettoyage drastique. Mais c'était aussi la meilleure partie de l'année, parce qu'en nous forçant à nettoyer de fond en comble couloirs et cellule, les Détraqueurs savaient qu'ils ne pouvaient pas nous extorquer notre énergie trop souvent. Malgré la tâche répugnante, les quelques jours que dure le grand nettoyage étaient une bénédiction pour la plupart des détenus. Nous frottions et balayions les moindres recoins d'Azkaban. Nous tentions tous de faire durer la tâche, mais c'était presque impossible sous la surveillance des Gardiens d'Azkaban, qui n'hésitaient pas à punir à leur manière – un râle particulièrement douloureux – les contrevenants. La délégation du Ministère arrivait alors et admirait le bâtiment propre et net.

Elle devait normalement arriver à l'improviste, mais je suis persuadé qu'une taupe prévenait les Détraqueurs de l'arrivée de la délégation, contre de l'argent, ou peut-être contre la promesse d'un traitement de faveur envers un prisonnier de sa famille.

Il y avait certaines personnes que la perspective du nettoyage annuel ne réjouissait pas, car le pouvoir des Détraqueurs ne les affectait plus. Oscar, par exemple, s'était réfugié dans la folie. C'était un vieil homme qui vivait presque nu même en hiver, et dont la saleté de la barbe grisonnante semblait être la dernière des préoccupations. Sa folie était triste à voir, pourtant, je ne le plaignais pas. J'espérais qu'il trouvait dans sa démence une existence moins pénible, d'autant que je doutais qu'il existât quelque chose de pire.

Il parlait tout seul à un crabe. Est-il besoin de préciser qu'il n'y avait aucun crabe dans sa cellule ? Je me rappelle, pour l'avoir entendu déblatérer les mêmes phrases à longueur de journée, que le crabe en question s'appelait Double-pince.

« Regarde Black, dit-il un jour en se tournant vers son fantôme, je lui ai appris à faire le beau ! Fais le beau Double-pince, fais le beau ! Regarde Blackie ! »

Et moi de me désintéresser, et lui de m'insulter pour mon manque d'intérêt. En face de ma cellule se trouvait Olga. Cette femme était vraiment étrange. Ses cheveux étaient noirs et ses yeux bleus, les traits de son visage étaient plutôt anguleux et son nez aquilin. Les Détraqueurs l'indifféraient, mais c'était pour une autre raison. Elle avait été constituée prisonnière au début du règne de Voldemort, et semblait regarder défiler les années à Azkaban comme si elle n'en subissait pas l'horreur. Mais je savais pourquoi. Je l'ai déjà dit plus haut : les Détraqueurs se nourrissent des émotions de leurs victimes. C'est bien simple, Olga n'en avait pas. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé dans le passé ténébreux de cette ancienne Mangemort et je ne suis pas sur de vouloir le savoir, mais il est clair qu'il comporte certains détails rares.

Voyez-vous, je compare parfois l'âme à un récipient, un vase ou un bocal. Le liquide à l'intérieur sert de nourriture aux Détraqueurs, et il se renouvelle lentement – et a fortiori dans un endroit comme Azkaban. Je pense qu'au début de l'incarcération d'Olga, les Gardiens ont organisé un grand festin de ce liquide. Peut-être avait-il une saveur particulière. Quoiqu'il en soit, elle ne s'en est jamais remise. Un mécanisme, celui qui permet au fluide de se renouveler, a été détruit. Peut-être les Détraqueurs ont-ils eu la main lourde et ont-ils franchi le seuil à ne pas franchir. Maintenant, son vase était vide. Intact, mais vide. Les Détraqueurs ne s'arrêtaient plus devant sa grille, et elle passait la majeure partie de son temps prostrée sur son lit.

Chacun avait sa technique pour amoindrir les pouvoirs effrayants des Gardiens d'Azkaban. La plus courue, qui était à la fois la plus inefficace, était de s'enfouir la tête dans son matelas et de préférence sous ses couvertures, comme je l'ai testé par moi-même. Malheureusement, cela ne fonctionnait vraiment pas bien. Un prisonnier à l'étage inférieur avait une méthode plus originale : lorsqu'il sentait l'approche des Détraqueurs, il se mettait à hurler, probablement pour ne pas entendre ce que criaient ses pires souvenirs. J'ai aussi expérimenté cette technique, mais mes cris ne couvraient pas ceux de James et Lily. Une technique ingénieuse a fait fureur un moment. Elle avait été inventée par un Mangemort capturé suite à la disparition de Voldemort, et elle s'était répandue comme une traînée de poudre dans l'établissement, franchissant même les étages. Il fallait, à la venue des Détraqueurs, ouvrir le robinet de l'évier dont chaque prisonnier disposait, et tremper sa tête dans l'eau glaciale. Cette méthode était efficace les premières fois, car l'eau froide perturbait les exhalaisons des Détraqueurs, mais le procédé ne fonctionnait plus après quelques utilisations, je ne sais pas vraiment pour quelles raisons.

Pour ma part, j'avais une bonne technique : je me transformais en chien. J'ai vite découvert qu'être devenu Animagus avait plus d'un avantage, mais je n'aurais jamais pu prévoir que cela me servirait à Azkaban. Je ne me métamorphosais que quand la situation devenait réellement invivable, car j'avais trop peur de subir le courroux des Détraqueurs s'ils découvraient le brusque changement de débit de mes émotions en tant que chien. Car mes sentiments sous ma forme d'Animagus étaient bien moins complexes et évoluées. J'étais de ce fait réellement moins 'visible' par les Détraqueurs. Mais j'avais peur d'attirer leurs soupçons.

Malgré ces mesures de protection, les décès étaient fréquents à Azkaban. Les Détraqueurs nous fournissaient tout juste suffisamment de nourriture pour subsister, mais cela ne suffisait pas à certains. Pourtant, la cause de la plupart des décès était volontaire. Certains prisonniers cessaient totalement de s'alimenter, et ne tardaient pas à passer de vie à trépas. Les Détraqueurs semblaient avoir tout juste assez de conscience professionnelle pour empêcher les détenus de se pendre à l'aide des couvertures de leur lit, et ne s'alarmaient pas de sentir l'approche de la mort de l'un des détenus, bien au contraire. En réalité, ils devenaient alors tout excités, bien que je puisse difficilement vous décrire l'excitation d'un Détraqueur qui ne ressemble pas vraiment à celles des humains. Lorsque le moment venait, la quasi-totalité des Détraqueurs de la prison s'agglutinait devant la grille du mourant. Je suppose que lorsque celui-ci expirait, la totalité du contenu du vase – si vous vous rappelez l'image que j'ai employée précédemment – s'évanouissait avec lui. Les Détraqueurs s'en régalaient alors. Un jour, j'ai vu ce cérémonial, le jour où Oscar est mort ; et je dois dire que cela m'a donné une nouvelle impulsion pour vivre. Chaque fois que j'étais tenté d'y renoncer, je me souvenais de la scène.

La mort d'un de nos compagnons d'infortune ne nous réjouissait pas du tout, et il ne s'agissait pas de condoléances ou de commisération – de tels sentiments étaient inexistants à Azkaban – mais au contraire d'égoïsme foncier ; car chacun savait qu'une fois un captif défunt, il faudrait pourvoir de nourriture les Détraqueur sans sa contribution.

Mais ces problèmes d'approvisionnement n'eurent lieu que lors de mes dernières années d'incarcération. Au début, c'était plutôt Byzance pour les Détraqueurs, qui voyaient arriver presque hebdomadairement de nouveaux condamnés. Un jour, notamment, un groupe entier de Mangemorts débarqua sur l'île. Je les vis passer devant ma cellule. Je ne connaissais pas tous leurs noms, mais je sais maintenant qu'il s'agissait du couple Lestrange, Dolohov, Mulciber, Rookwood, Travers et Croupton. Je dois avouer que j'ai pris un certain plaisir à voir Croupton me rejoindre à Azkaban, car c'était le fils du juge qui avait ordonné mon incarcération sans procès. J'aurais bien aimé la tête voir le vieux Croupton, incarnation de la loi par excellence, lorsqu'il avait appris que son propre fils avait perpétué des crimes innommables. C'était un plaisir mesquin, dénué de tout humanisme, mais c'était tout ce dont j'étais capable à ce moment là. Personne ne cria autant que le petit Croupton. Il hurlait : « Je suis innocent ! Je suis innocent ! » Et, à tort, j'étais tenté de le croire. Il s'est tu – tout le monde finissait par se taire – et il sombra à son tour dans la prostration.

Ma foi, ce texte devient long. Je ne me souviens pas avoir écrit plus long texte auparavant. Je m'aperçois que j'y prends un certain plaisir. Peut-être ais-je raté ma vocation – si tant est que je puisse me flatter d'en avoir jamais réellement eu un jour. Peut-être que je devrais me lancer dans la littérature. Tu crois que je ferais l'affaire Rem' ? Je suppose que tu es en train de te moquer de moi, mais je suis assez sérieux. Non, pas tellement en fait. Bon, on va déjà voir si ce récit autobiographique te plaît.