Disclaimer : Rowling possède tout ce que je me tue à écrire. C'est vraiment râlant.

L'évadé

Mon sommeil fut long sur la grève sableuse. Je ne me réveillai qu'au petit matin, lorsque la marée montante atteignit mes pieds. Le visage et le corps plein de sable, et perclus de courbatures. La première chose que je fis ce matin-là fut de me rincer de tout ce sable ocre. Ensuite, contrairement à ce que l'on aurait pu penser, la première pensée qui me vint à l'esprit fut la faim : je n'avais en effet rien mangé depuis plusieurs heures, et l'effort que j'avais dû fournir en luttant contre les flots avait dévoré les maigres restes d'énergie qui demeuraient en moi.

Néanmoins, et cela se comprends, j'étais transporté de joie. J'avais réussi sans aide - même si en réalité je n'avais pas été le premier à le faire - à m'enfuir de la sinistre forteresse d'Azkaban. C'était un exploit, je n'ai pas peur de le dire. J'étais euphorique en pensant que jamais plus je ne devrais subir le souffle les Détraqueurs - là encore, je me trompais - j'étais radieux en songeant que plus jamais je ne devrais ingurgiter cette bouillie infâme qui consistait notre menu quotidien.
Mais je savais que je n'en avais pas encore réellement terminé avec tout ça. La voix de la raison l'emporta pour cette fois, elle me fit comprendre que je n'étais pas du tout en sécurité sur cette plage. Et j'avais encore à enrayer la menace que consistait Queudver. Je savais bien qu'aucun Sorcier de Grande-Bretagne n'accepterais de me loger. Et les Moldus, voyant mon état physique désastreux, s'enfuiraient à toutes jambes en me voyant. Comment allais-je me procurer de la nourriture dans ces conditions ? Je n'avais ni argent, ni baguette magique, ni papiers d'identité. J'étais un criminel en fuite, tel que chacun les redoute.
Il y avait cependant plus urgent que la question de la nourriture. Sur cette plage j'étais extrêmement visible. De plus je savais bien qu'en été les côtes anglaises étaient très prisées par les touristes et vacanciers. Je n'avais aucune idée de l'heure qu'il était, mais je préférais éviter le risque qu'un estivant matinal rencontre un homme en haillons et à la barbe crasseuse.
Je m'immergeai une dernière fois dans l'eau salée pour chasser le sable dont j'étais maculé, et la longue écorche sur mon dos, due à mon évasion, cria son désaccord. Sans plus attendre, je me métamorphosai en chien et je quittai la plage de sable ocre après un long dernier regard plein de haine vers l'île minuscule dont la tour se dressait comme un affront à l'océan.
Comme Robinson Crusoë arrivant sur son île, je recherchai avidement une trace de civilisations. Mais contrairement à lui, ce ne fut pas long. Je quittai les dunes quand j'aperçus une route qui sinuait comme un serpent noir dans les buissons et les arbustes. Mes quatre pattes martelaient à présent l'asphalte d'une petite route de bord de mer qui serpentait vers l'intérieur des terres. L'alerte avait probablement déjà été donnée, même si rien dans le paysage ne le laissait deviner.
J'arrivai vite à une petite bourgade, à mi-chemin entre la station balnéaire et le village pittoresque. Il n'y avait pas encore beaucoup d'animation dans ce quartier paisible garni de petites maisons disparates. Je fus frappé de voir à quel point tout avait changé. Je savais que j'avais manqué plus d'une dizaine d'année de vie en société, mais je me rappelle d'avoir été relativement surpris de constater de tels changements : les nouvelles voitures, les maisons modernes, tout appartenait à une génération postérieur à la mienne, et j'eus brusquement la sensation d'avoir vieilli. Il est paradoxal de noter que ce n'est qu'à partir de ce moment là que je me suis considéré réellement comme un adulte. A mon entrée à Azkaban, j'avais un peu plus de vingt ans, je ne me considérais pas encore comme un adulte et la chose n'avait bien entendu pas évolué à l'intérieur de ma cellule. Je venais si j'ose dire de naître une seconde fois. J'éprouvai bien évidemment un sentiment d'amertume : j'avais à présent trente-deux ans, Peter m'en avait volé douze.
Géographiquement, je n'avais qu'une idée très incertaine de l'endroit où je me trouvais. Je savais à peine qu'Azkaban est située à L'Ouest de Londres, mais je n'avais pour l'instant dans l'idée que de m'éloigner le plus possible de la plage où je m'étais échoué. A l'heure qu'il était, l'alerte avait peut-être déjà été donnée, et même si j'étais relativement à l'abri sous ma forme de chien, il aurait été inconsidérément risqué de rester sur les lieux.
Car ma forme de chien n'était pas un camouflage parfait, loin de là. A ma connaissance, seules quelques personnes encore vivantes connaissaient ce secret : Peter bien entendu, mais aussi toi Remus. Je ne pouvais exclure que tu en aies un jour parlé à Dumbledore, ou lors de ta déposition au ministère. Heureusement, je ne voyais pas comment Peter, sous sa forme de rat, aurait pu divulguer le secret, mais j'étais presque persuadé que toi tu l'avais fait, et c'est ce que je craignais.
Oui, Remus, j'ai douté de toi. Comment le serment des Maraudeurs aurait-il pu persister face au meurtre de James et Lily ? Tout semblait porter à croire que tu avais parlé - réaction, je m'empresse de le dire, tout à fait justifiable et normale. Peut-être, pensais-je en trottant allègrement, n'avais-tu rien dit auparavant, pensant que j'étais parfaitement en sécurité dans ma cellule, ce qui t'évitais de divulguer notre promesse, mais qui m'assurait à présent que tu n'allais pas faire ton devoir de Sorcier en révélant au monde que j'étais un Animagus, puisque je m'étais maintenant évadé ? Comment pouvais-je prévoir que tu ne voulais pas avoir à révéler à Dumbledore que tu avais autrefois "trahi" sa confiance ? Comment pouvais-je deviner que tu mènerais durant un long moment un long combat avec ta conscience ?Il existait également d'autres personnes qui devaient connaître mon état, mais elles ne représentaient pas de danger réel. Peter, dans la période précédant l'assassinat des Potter, avait divulgué une kyrielle d'informations à son maître. Il est indubitable qu'il ait un jour parlé de nos formes animales. Voldemort connaissait donc la vérité. Heureusement, son état de santé était très précaire à l'époque - merci Harry - et il était donc bien incapable de faire quoi que ce soit. Certains serviteurs du Seigneur des Ténèbres savaient également. Mais c'était le genre de types trop lâches pour parler, car ils devraient expliquer d'où ils tenaient l'information. Par exemple, je sais à présent que Lucius Malefoy savait très pertinemment que j'étais un animagus.
Le danger était donc réel et me poussait à accélérer la cadence. J'arrivais maintenant dans le centre de Winterton-on-see. Petit village paisible de bord de mer sans grand intérêt, excepté le délicat fumet qui s'échappait d'une boucherie qui venait d'ouvrir et qui raviva cruellement ma faim et ma soif. Je n'avais bien entendu pas le moindre sou, rien qui soit valable ni chez les Moldus ni chez les Sorciers. Je me dirigeai vers la vitrine qui présentait un alléchant ensemble de viande diverses et appétissantes, allant du roast-beef au poulet en passant par la charcuterie.Je fais ici une brève apologie des bouchers bienveillants - car il en existe. Je me rappellerai toute ma vie de ce commerçant ventripotent aux abords pourtant inquiétants, au tablier maculé de sang et le hachoir à la main gauche, l'archétype du boucher féroce. Il vint vers moi dès qu'il m'aperçut et sembla pris de pitié de voir un chien aussi décharné et famélique. Il me donna une grande quantité de restes de viandes invendues de la veille, que je dévorai en débordant de gratitude. Après des années de cette tambouille infâme dont nous étions nourris à Azkaban, cet assortiment de viande m'apparut comme le meilleur des caviars. Il me caressa le sommet du crâne en murmurant :- Eh bien mon garçon on peut dire que t'avais faim, hein ?C'était la première fois depuis longtemps que l'on m'adressait la parole. Il s'en retourna vers ses étalages. Et, ragaillardi, je me remis en marche. L'approvisionnement en eau fut plus facile : je trouvai sans trop de difficultés un petit ru d'eau limpide qui suffit à apaiser ma soif. Dans le centre de Winterton, désert à cette heure matinale, un petit kiosque affichait une carte touristique schématique de l'Angleterre. C'est alors que je réfléchi à mon itinéraire. Mon intention était d'aller voir Harry, mais j'ignorais totalement où il se trouvait. Hagrid m'avait jadis dit qu'Harry irait chez son oncle et sa tante. Je savais que ça ne pouvait être que du côté maternel puisque James n'avait pas de frère ni de soeur. Par contre Lily avait bien une soeur, mais j'avais bien entendu oublié ou elle habitait. La soeur de Lily, Pétunia, s'était mariée avec quelqu'un du nom de Dubley ou Dursley. Un bottin de téléphone dans une cabine publique fit l'affaire : en prenant toute mes précautions, je me suis transformé en homme et j'ai consulté le répertoire. Il y avait plusieurs Dubley et plusieurs Dursley, mais seule l'adresse "Privet Drive 4" évoquait en moi un souvenir. J'en déduisis que c'était celle là.Privet Drive se trouve dans le Surrey, près de Londres. Fort de cette conclusion, je résolus de me diriger vers la capitale britannique. Je savais bien que Londres était une ville dangereuse pour un meurtrier en fuite puisque c'était là qu'étaient établis les bureaux du Ministère de la Magie, mais je n'avais guère le choix.Sans tarder davantage, je m'élançai vers l'Ouest. J'ai vite repéré un panneau indiquant «Londres, 260 km»". Le long d'une grand-route qui traversait la campagne bucolique, j'ai longtemps trottiné. L'alerte avait dû à présent retentir depuis longtemps dans les sombres couloirs d'Azkaban, et je ne donnais pas deux penny de ma fourrure noire si je restais dans les environs. La ville de Norwich était la première étape de mon voyage vers Londres, elle ne se situait qu'à une trentaine de kilomètres de Winterton. Je pouvais y être vers midi.Les Sorciers sont très reconnaissables parmi les Moldus pour un observateur averti. J'en vis un premier groupe, habillé à la manière moldue mais fort mal. Ils avaient tous des sombreros verts totalement déplacés puisqu'il n'y avait guère de soleil, avec des frusques disparates. Ils parlaient entre eux avec fougue et je voyais distinctement les plis que formaient leurs baguettes magiques dans leurs poches. Je n'osai pas m'approcher, bien entendu, mais mon ouïe canine perçut distinctement mon nom dans la bouche d'un petit barbu. Je fis un long détour pour les éviter et aucun d'eux ne me causa le moindre ennui.Impatient de quitter les environs d'Azkaban où des renforts n'allaient probablement pas tarder à arriver, je m'éloignai au plus vite. La campagne était paisible et le ciel nuageux mais clément. En d'autres circonstances, j'aurais aimé m'attarder dans ce paysage de canaux et de lacs, où la terre et l'eau semblaient vivre dans une cohabitation si sereine que nul ne pouvait les troubler. De temps en temps, un gros camion passait en un éclair à côté de moi, et le déplacement d'air suffisait presque à m'aspirer.Les kilomètres se succédaient, mais le paysage ne changeait pas beaucoup. De temps en temps, quelques villages, peu de trafic sur la route. La route poursuivait invariablement son trajet, constante et régulière. Les bandes blanches discontinues se répétaient inlassablement. Il n'y eut bientôt plus de champs, que le soleil ne tarda pas à illuminer dans un magnifique spectacle doré. Je réprimai un aboiement de joie. La chaleur montait en même temps que l'astre du jour, et mon pelage fut bientôt trempé de sueur. Peu à peu, les maisons apparurent : Norwich était en vue.Je me sis arrêté à l'entrée de la ville pour constater les dégâts : je surestimais la capacité de mes pattes à marteler l'asphalte. J'avais les pattes toutes endolories. Les pieds d'un chien ne sont pas faites pour l'asphalte, c'est ce que je constatai bien vite. L'endurance n'est pas le point fort d'un chien : il peut courir vite sur de courtes distances, mais les longues distances l'épuisent. Je n'avais pas encore beaucoup avancé, mais j'appréhendais l'avenir.

Malgré ces désagréments, j'avais bien avancé. Il était à peine midi - un clocher venait de sonner l'angélus - et j'étais déjà dans la banlieue de Norwich. Norwich est une belle ville dont le centre a su garder des édifices datant du moyen-âge dont de très nombreuses églises. Mais je n'étais pas venu pour faire du tourisme, d'autant que me risquer au centre ville où les "bobbies" pullulaient ne me semblait pas très indiqué. Mais la ville de Norwich avait un autre avantage : un grand trafic ferroviaire. Je venais de passer devant la gare, quand le projet naquit en moi : m'embarquer en douce sur un train de marchandises en direction de Londres. Je surpris la conversation de deux employés de la gare, et j'eus tôt fait de trouver un train qui allait vers cette destination. De plus, il ne devait partir qu'à 3 heures 26 du matin, heure à laquelle il me paraissait moins risqué de m'instituer passage clandestin.

J'avais donc pas mal de temps à tuer, et comme une pluie fine avait succédé à l'éclaircie, je m'installai dans un hangar désaffecté où rouillait une belle locomotive qui aurait eu sa place dans un musée, parmi d'autres objets aussi hétéroclites qu'obsolètes. Je ne tardai pas à m'endormir.Je fus très rapidement réveillé par des petits grattements sourds. Aux aguets, je me dressai sur mes pattes. Un grondement léger sortait involontairement de ma gueule. Soudain, je le vis : Queudver. Il était là, il était venu me narguer jusqu'ici. Le gros rat noir trottinait imprudemment sur le sol. Tapis dans la pénombre, je me préparais à bondir. Lorsque Queudver arriva à ma portée, je fus sur lui en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire. Mais seuls les béotiens pensent que le rats sont d'inoffensifs rongeurs herbivores. Ce sont en réalité de très féroces adversaires, qui peuvent mettre en échec des animaux bien plus grands qu'eux. Néanmoins, au bout de quelques secondes, ma truffe saignait abondamment mais le rat était mort.Bien sûr, mais est-ce vraiment nécessaire de le préciser, ce n'était pas Queudver. Ce n'était qu'un rat innocent parmi d'autres millions de rats. C'est alors que je pris conscience de l'étendue de mon désarroi. Voilà que je me mettais à voir Queudver dans tous les rats d'Angleterre. Néanmoins je ne me privai pas de dévorer tout ce qui pouvait être comestible dans le corps du gros rongeur.Les lecteurs de ce texte seront peut-être troublés par cet acte, c'est pourquoi je crois opportun de préciser à toutes fins utiles que sous la forme de chien, le dégoût que peut nous inspirer l'ingestion de viande crue, et à fortiori celle d'un rat, n'existe que peu ou pas. De plus, pour un évadé en fuite, les règles élémentaires d'hygiène n'ont plus la même importance que pour un individu civilisé.Je ne pourrais omettre volontairement le fait que je pris quelque plaisir à manger ce rat sans vous cacher quelque chose. Je suppose que dans mon subconscient, ou dans les strates les plus profonde de mon esprit, j'associais tous les rats à Queudver, et que c'était une sorte de vengeance anticipée. Qui sait ?Je passai le reste de l'après-midi à rattraper mon sommeil.Je me réveillai à nouveau vers une heure du matin. Et je me glissai furtivement parmi les quais et les wagons, dans la lueur ridicule des lampadaires épars. Ce n'était pas la gare destinée aux voyageurs, elle était exclusivement réservée aux trains de marchandises, dont la plupart stationnaient dans des voies de garage. On voyait quelques trains qui semblaient à l'abandon, et qui paressaient sur les voies. La lune était pleine, et j'eus une pensée pour toi, Remus.C'était ce que j'appelle l'heure des chiens. L'heure des chiens est une période pendant laquelle le monde des hommes est en suspens, et c'est alors que celui des chiens prend le relais. Chiens errants, chiens vagabonds, tous semblaient circuler furtivement sous la lune argentée. Ils m'évitaient, car ils sentaient bien que je n'étais pas un de leurs congénères. Aucun d'entre eux n'aurait osé me provoquer, car outre la peur que peut leur inspirer cette déduction, j'incarne un chien qui est assez robuste et de taille à en affronter un autre.J'arrivai finalement au qui douze B où mon train m'attendait. Je tentai de m'installer confortablement entre un wagon qui transportait de la moutarde de Norwich et un autre des pneus pour tracteur. Le temps passa, puis un homme arriva dans un bruissement de gravier. Le moteur s'alluma dans un vacarme intolérable, et le train ne tarda pas à s'ébranler dans le noir, phares allumés. Jusque là, tout se passait bien.