Lettre des ténèbres.
Le soleil a gelé. Les oiseaux sont arrêtés en plein vol par le froid, et ils s'écrasent un à un par terre.
Si peu d'entre nous ont survécu... D'ailleurs, nous ne savons pas comment.
L'eau du fleuve est rouge.
Notre sang se glace... Nous rejoignons les terriers des renards, nous y réfugions, et y vivons avec eux, tels des animaux sauvages que nous devenons irrémédiablement.
Personne n'a osé décroché les pendus de leur potence, sur la place dévastée du village. Le givre les conserve étonnemment bien, et la douleur se lit encore sur leurs visages.
Nous n'avons pas creusé de tombes pour les autres, même si nous avons essayé de le faire, de nos propres mains, sur la terre stérile qui recouvre notre monde... Mais nos ongles se sont mis à saigner comme si nous creusions la pierre elle-même... Et nous sommes rentrés chez nous, laissant les cadavres là, à leur triste sort. Qu'ils avaient mauvaise mine ! Si pâles, comme nous le deviendront tous bientôt... Et ces yeux ! Oh, ces yeux que nous n'avons pu fermer...
Grand ouverts, alarmés, terrifiés... Un appel de détresse auquel personne n'a répondu.
On a retrouvé les chiens morts, la nuit dernière. Ils ne nous avertissent plus de Leur venue...
Et nous vivons dans la crainte, terrés au fond de nos trous...
Ils ont détruit nos maisons, et nous n'osons pas les reconstruire.
Pour ne pas mourir de froid, nous sommes constamment tous ensemble, blottis les uns contre les autres. Les hommes se battent pour se serrer contre les plus belles d'entre nous.... Ceux que l'on avait dit réputés, nobles, ou encore distingués se comportent comme des sauvages...
L'un d'eux est mort hier, il disputait Hanna face à Dean. Il n'avait aucune chance, bien trop frêle... J'ai déjà oublié son nom. On oublie beaucoup ici, on fait le tri pour ne garder que ce qui est nécessaire à notre survie. Je ne me souviens que de ses cheveux de feu, et son visage taché de rouille... Il a dit avoir été mon ami, mais je n'en ai pas souvenir.
Je me souviens de bien peu... Ce n'est pas ma faute, d'ailleurs. Leurs attaques ont altéré ma mémoire. J'ai de la chance d'être encore en vie. Même si n'est pas le mot exact.
Mais je devrais être morte. Depuis longtemps.
Il paraît que j'ai été forte. C'est possible. Je n'en sais rien. Les visages et les faits s'effacent de ma ma tête. Tout ce qui y était bien imprimé s'évapore.
Mon homme préféré, le Blond, comme ils l'appellent, a été mon ennemi, paraît-il. C'est étrange, il est beau pourtant.
Les autres me disent qu'un jour, j'ai été très intelligente. Ca aussi, je l'ai oublié. Et je ne sais pas comment faire pour le redevenir.
Ils m'appellent l'Ancienne, alors que j'ai leur âge. On dit que mes cheveux ont blanchi en une nuit, alors que j'avais à peine vingt ans, et que les soucis de toutes ces années ont creusé mon visage de rides multiples. Vingt ans, qu'est-ce ? J'ai perdu toute notion de temps.
Les hommes chassent pour nous nourrir. Nous gardons les petits qui sont nés.
La plupart des bébés sont mutants. La malédiction nous l'avait dit, nous ne l'avons pas cru.
Dean m'a rapporté que certains survivants se réfugiaient dans des cavernes qu'il a découvertes. Je crois qu'il ment pour m'impressionner.
Mais je ne peux pas savoir s'il dit vrai ou faux, en fait... Je ne suis pas sortie du terrier depuis la dernière tentative de sépulture pour les morts.
Bientôt, je finirai comme... Comment s'appelle-t-elle, déjà ? Cette femme qui se transformait en chat ? Ah oui, Minerva je crois.
Je finirai comme elle, inévitablement, parce que je suis vieille, usée, et que je ne sers à rien.
Ma mémoire s'efface, et avec elle s'envole toute trace de quelque action passée glorieuse que l'on m'attribue... Chaque connaissance que j'ai emmagasinée prend son envol...
Vole, vole petite âme, disperse toi dans le vent, égare toi sur des chemins qui me sont cachés...
Il reste toujours un mot, au fin fond de moi, qui me hante. Je ne sais pas ce qu'il signifie, mais il reste mon unique arme, mon unique issue, passeport pour un rêve disparu... Et je l'ânone dans le noir, dans les ténèbres qui encombrent mon esprit pansé tant de fois et qui ne cicatrisera jamais réellement...
Ce mot, je le crierai lorsque le poignard luira dans la main de l'un d'eux... Lorsqu'il s'approchera de moi, que tout se finira... Je le crierai, il sera le dernier avant que je ne m'éteigne. Peu m'importe son sens, sa signification, il sera mon testament... à tous ceux qui un jour ont espéré.
Harry.
Harry....
