Elle avait décidé de prendre ce déménagement comme un jeu... Mettre sa chambre en carton, l'idée lui paraissait séduisante, voire même amusante... Elle remplissait unes à unes de grandes caisses qu'elle fermait d'une croix de scotch.
Elle redécouvrait ses souvenirs d'enfance, explorait des recoins de sa chambre qu'elle avait abandonnés durant toutes ces années, retrouvant les trésors qui avaient fait d'elle la plus heureuse des petites filles. Une poupée de procelaine poussièreuse, le premier manuel de lecture, le poème de fête des mères... Et surtout ces livres, ces années d'érudition couchées sur le papier...
Elle passa la main derrière son bureau, là où, des années durant, elle avait caché les bonbons qu'elle achetait avec son argent de poche, à la sortie de l'école et qui avaient ce délicieux goût d'interdit...
Sa main se referma sur un paquet de photos. Elle le sortit, avec milles précautions, comme ces mouettes mazoutées que l'on voit à la télévision... Elle l'ouvrit... Et les larmes lui montèrent aux yeux.
Les souvenirs refaisaient surface, plus nets, plus tranchants, plus acérés... Et ils lui déchiraient le coeur à elle, plus triste, plus vulnérable, plus désespérée...
Hermione, tu as bientôt fini tes cartons ?
Elle releva la tête et fit simplement : Oui oui, maman, oui oui.
Mais aussitôt la porte de sa chambre refermée, son regard se tournait à nouveau vers le paquet de photos... Chacune la rapprochait plus de Poudlard, de cette époque révolue depuis à peine un mois... Un mois qui lui semblait un siècle.
Son coeur se serra étrangement lorsqu'elle réalisa que ce château, elle ne le verrait plus jamais... Qu'il était mort, comme tant d'autres... Tant d'autres...
Ses mains se crispèrent. Ne pas pleurer... Toujours cette envie omniprésente de contrôler son être, ses émotions, ses sentiments... Mais son barrage ne suffisait plus, elle éclata en sanglots... Elle revit son visage, couvert par les sombres... Elle se revit, elle, baisant fébrilement son front sali par la poussière et le sang séché...
Je n'y arriverai pas sans toi ! Non ! Ne meurs pas, je t'en supplie ! Je t'en supplie !
Et lui, souriant, avec le sourire de quelqu'un qui est déjà mort.
Mais si, Hermione, tu y arriveras... Tu vas réussir, devenir quelqu'un... Tu vas emménager avec lui, tu vas avoir des enfants, tu vas m'oublier...
-Jamais !
Elle avait serré sa main plus fort, il avait continué de sourire.
Si, Hermione, car la vie va ainsi... Il est trop tard pour moi. Vous allez vous aimer, et vivre ensemble... Je te souhaite beaucoup de bonheur...
-Je t'en supplie ! Lutte, ne me laisse pas, lutte !
-Il est trop tard, Hermione... Résigne toi... Je t'ai aimé et je...
Et puis plus un mot, les ténèbres, un hurlement de désespoir qui n'en finissait plus.
Hermione renifla. L'oublier... L'oublier, vivre à nouveau, voilà ce qu'il lui avait dit... Mais comment ? Lentement, une idée pernicieuse s'infiltra dans son esprit...
C'est ce qu'il aurait voulu que je fasse...
Elle approcha deux mains tremblantes du paquet de photos...Et le déchira.
Le papier n'opposa aucune résistance, comme déjà résigné à une mort certaine. A peine quelques étincelles violettes lors de la séparation des deux morceaux... Le rêve s'envolait.
Il y a certains souvenirs qui meurent plus facilement que d'autres, certaines photos qui se déchirent plus volontiers... Et pourtant, ce vide lui serrait toujours le coeur... Elle avait tellement mal... Le passé ne mourrait pas de cette simple destruction...
Hermione ?
Elle releva la tête. Sa mère se tenait devant elle.
Mais...Tu pleures ?
Hermione renifla.
C'est rien, maman, c'est rien...
-Hermione, voyons, tu as tout pour être heureuse... Sitôt que tu as quitté Poudlard, on t'a proposé ce poste au Ministère de la Magie... Tu vas quitter la maison familiale, pour vivre avec lui... Qu'est-ce qu'il te faut de plus ? Tu es belle, tu es jeune...Tu entres à peine dans la vie...
-Oui, j'entre à peine dans la vie...
Hermione releva deux yeux emplis de larmes :
J'entre à peine dans la vie et je ne crois déjà plus en rien, maman !
Et elle se jeta dans ses bras. Mrs Granger lui demanda simplement, dans un murmure :
C'était lui que tu aimais, n'est-ce pas ? Harry.
Hermione ne répondit rien.
Tu vas emménager avec lui...
Tu vas avoir des enfants :
Tu vas m'oublier...
Un terrible doute s'empara d'elle... Et si la vie, au fond... C'était ça ?
Rêver, attendre, aimer... Se révolter, résister, brandir le poing...
Et puis perdre ses illusions...

Et se plier.


Rentrer dans le moule.


.


Oublier.