Ombre.
Il tomba genoux à terre dans un grand cri de désespoir. une main se posa sur son épaule, et il se dégagea violemment. Quel besoin avait-on de venir le contempler jusque dans ses instants de détresse ?
Laissez moi ! hurla-t-il, laissez moi !
Tous se reculèrent, puis se tinrent immobiles. Comme deux ruisseaux, des flots de larmes coulèrent de ses yeux. Et comme si ce qui se déroulait dans son âme était trop lourd à porter, toutes ses émotions s'écoulèrent dans sa gorge. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, puis secoua la tête. Pour la première fois, on le voyait pleurer, celui qui ne pleurait jamais. Ses mèches blondes balayèrent son visage. Elle s'accroupit face à lui, et le força à la regarder dans les yeux.
Drago... On est tous dans le même cas. Tu n'est pas seul.
-Ils sont morts... Morts, Cho ! Tu comprends ?
-Je sais.
Elle le serra dans ses bras, se mordant les lèvres pour ne pas pleurer à son tour.
Un à un, ils tombent... Il n'en restera aucun, Cho. Regarde les murailles de Poudlard... Elles ne sont plus que ruines...
-Nous résistons encore.
-Pour combien de temps ? s'écria Drago avec colère, rends-toi à l'évidence !
-Nous n'avons pas le droit de perdre espoir.
-Nous ne perdons pas espoir ! Nous ouvrons les yeux. C'est terminé, Cho, c'est trop tard.
-Moi, je me battrai.
-On ne fait pas le poids.
La jeune femme soupira. Une rage comme elle n'en avait jamais ressentie auparavant traversa ses veines. Ses battements de coeur redoublèrent d'intensité.
Drago, tu creuses ta propre tombe au lieu de lutter ! Debout, allez...
Drago ne bougea pas. Cho répéta son ordre.
Lève-toi.
-Pourquoi ?
-Parce que ce n'est pas en restant assis et en refusant toute issue qu'on aura une chance de s'en sortir ! L'heure n'est pas au deuil !
-Je ne veux pas vivre pour les enterrer...
-Alors tu vivras pour les venger.
Un silence envahit la pièce. Drago fixa Cho et demanda d'une voix placide :
Et qui te dit que je veux vivre ?
Rogue s'approcha et tendit sa main au jeune homme, pour le forcer à se lever. Celui-ci s'exécuta sans conviction, et s'adossa à ce qu'il subsistait encore d'une colonne de marbre.
Aucun de nous ne doit abandonner...
-Je ne lui laisserai pas le loisir de me donner la mort.
-Vous préférez vous la donner vous-même ?
-Pourquoi devrais-je respirer si lui, lui, ne partage plus cet oxygène ?
-Parce qu'il n'aurait jamais voulu que vous abandonniez. Vous n'êtes pas de cette race de faibles.
-Comment pouvez-vous me juger, vous ? Je viens de le perdre...
L'homme s'avança, regarda Drago dans les yeux et, pour la première fois, son regard s'embua.
Je peux vous juger en connaissance de cause. Moi aussi, j'ai perdu quelqu'un.
Drago le dévisagea.
Et qui avez-vous perdu ?
Rogue baissa la tête.
Sa mère.
Un long silence envahit la pièce. Rogue soupira et reprit :
Le soir de sa mort, le monde s'est écroulé... J'aurais tellement voulu lui parler une dernière fois. Je savais qu'un jour ou l'autre, il la trouverait... Et il la tuerait. Et c'est exactement ce qui s'est passé. Depuis cet instant, de toutes mes forces, j'ai lutté contre la magie noire, au péril de ma vie... Il m'importait si peu de mourir. Je voulais la rejoindre, ne plus être seul. Dans chaque visage, je revoyais le sien, dans chaque rire, l'ombre de son souvenir... Et pourtant j'étais seul, elle était partie, ne laissant pour tout qu'un enfant, un jeune garçon. Je savais que tôt ou tard, j'aurai à l'affronter, lui, son fils. Personne ne peut imaginer ce que j'ai ressenti. Elle renaissait sous mes yeux, et je la haïssais tant... Parce qu'elle m'avait laissée seule, et qu'elle était comme un joyau enfermé dans un écrin qui n'est pas le sien. Pot...Harry n'était pas comme elle, et ça, je refusais de l'accepter. Harry n'était pas mon fils, mais celui de James. Lily ne m'aimait pas. C'était à James qu'elle avait décidé de se lier. Je n'ai jamais voulu connaître d'autres femmes. Elle me hantait trop. Je pensais que le temps userait cette image, que Lily subirait une lente érosion... Mais tout est resté aussi clair dans ma tête, aussi précis, aussi...
Il ne termina pas sa phrase. Les sanglots avaient tant secoué sa voix qu'il lui était devenu impossible de parler. Drago le dévisagea.
Profess...
-Mais je suis resté, Drago. Je suis resté parce que chacun a un but dans sa vie. Le mien est de faire ce qu'elle aurait souhaité que je fasse. Je me suis battu, parce que je continue à croire qu'un jour, je la retrouverai. Je me suis battu pour qu'elle sache à quel point je l'aimais.
Drago le regarda avec pitié, pour la première fois. Il avait sous ses yeux un homme meurtri, un homme à la vie détruite, et qui continuait pourtant de se battre, malgré tout.
Pourquoi ne l'avez-vous pas dit à Harry ? Il était encore temps...
Rogue resta muet ; une perle d'eau brillante roulait sur sa joue. Les poings serrés, le regard vide, les membres immobiles. Drago porta alors un regard vers les survivants. Tous se tenaient aussi brisés que Rogue. Mais une lueur indescriptible brillait dans leurs yeux, aussi vivace que la flamme d'une bougie, aussi blanche qu'un rayon de lune.
Le jeune homme se retourna sur un paysage dévasté, ce même paysage de néant où ils étaient tombés dans une lueur verte... Une ombre frêle se détacha sur la lune, l'espace d'un instant.
La silhouette fit quelques pas, et leva le bras droit vers le ciel si plein d'étoiles. Le regard de Drago s'alluma... Il voulait croire, croire à une renaissance... L'espoir dessina sur son visage un sourire incrédule. Harry ! voulut-il hurler. Mais sa voix ne trouva jamais le chemin de ses lèvres et mourut dans sa gorge.
Harry était parti. L'ombre ne cachait plus les étoiles. Mais Drago se battrait.
Pour lui.
