Un crissement d'ongle. Deux crissements. Deux cris dans le mur. Deux hurlements insupportables.
Il rejetta sa tête en arrière et abreuva ses yeux de la lumière de la lune, qui filtrait par la fenêtre. Sa première nuit ici... Combien y'en aurait-il ? Son voisin laissa échapper un hurlement.
Sirius déplia son corps fin, s'appuya contre ses barreaux avec une droiture relâchée, et grogna :
- Arrête un peu, deux minutes...
On ne lui répondit pas. Un froissement de cape contre le sol... et à nouveau le silence. Il se laissa tomber au bas de l'entrée de sa cellule et marmonna :
- On a pas le droit de parler dans c'putain d'asile, c'est ça ?
Un nouveau froissement de cape. Une respiration rauque. Du froid dans tout le corps...
Une explosion de glace dans les veines. Un regard bleuté, et...
Les paupières closes de Sirius tressaillirent, et ses poings se crispèrent contre le métal insensible aux sanglots et à la colère.
Et puis la chaleur revint comme les pas s'éloignaient. Une voix s'éleva dans une cellule proche :
- Ferme-la, le nouveau. T'as rien compris. Tu les entends pas qui hurlent à l'intérieur, toi ?
- Je suis innocent.
Un ricanement dans le noir.
- Ouais, c'est ce qu'on dit tous, mais il paraît que ça suffit pas.
Silence. Reniflement.
- Putain de justice.
- Ils vont arriver.
Sirius ne rétorqua rien. La glace à nouveau. Le désespoir. Le froid. Les larmes gelées. Le givre dans les iris. Les derniers mots, les voix, les voix qui implorent, les voix qui promettent, les voix qui emportent, arrachant, volant, les instants, ceux qui perdurent, les voix qui assassinent les vivants. Jure moi...
- Eh l'artiste ?
Sirius soupira.
- Quoi ?
- T'es là pour quoi ?
Il laissa retomber sa tête entre ses bras et répéta d'une voix morne :
- Je suis innocent, je te dis.
- Oui. Peut-être. t'es venu là par plaisir ?
Sirius refusa de répondre.
- He, dis... Paraît qu'Il est tombé... On dit... Dehors...
Les dents de Sirius grincèrent. La voix empressée, dont les mots se cognaient et se blessaient les uns contre les autres, poursuivit.
- On dit... Que le jeune Potter... C'est lui... Il paraît qu'il y a des fêtes gigantesques et...
- Ouais, coupa Sirius, Il est tombé. Je sais pas pour combien de temps, mais il est tombé. Y'a tout le monde qui fête l'événement dehors, tout le monde qui est heureux... Mais il reste ces putains de cadavre. Ils ont fait une croix dessus, ils font mine de les oublier. Les Potter aussi sont tombés...
Sa gorge se serra.
- J'ai vu des corbeaux qui hurlaient sur les branches du grand peuplier.
Il baissa les yeux. La mémoire revenait. Elle revenait, et il la souhaitait autant qu'il voulait la faire reculer. Encore un éclat bleuté.
- L'artiste ?
- Quoi ?
- T'étais à Poudlard ?
- Ouais.
- Moi aussi. Des fois quand je ferme les yeux, j'revois les couverts en argent, les chandelles allumées dans la grande salle... On se croyait à l'abri à ce moment-là. Je pensais pas que je me retrouverais à la Forteresse Noire, même dans les cauchemars..
- C'est beau l'innocence, grinça Sirius.
Ses lèvres étaient maculées d'une ironie sourde.
- Ton blason... demanda la voix.
- Rouge et or. Du feu.
- Et ben... j'croyais que les Gryffondor pouvaient pas mal finir.
- Je suis innocent.
- Moi j'étais à Pouffsouffle, alors tu vois...
Sirius appuya son crâne contre le mur noir.
- De quel crime le jaune et le gris pourraient être accusés ?
Le voisin ne répondit pas. Un détraqueur passa à nouveau dans le couloir, répandant derrière lui son sillon de peur, de mort et d'horreur.
- Tu t'appelles comment l'artiste ?
- Tu t'en fous.
- ...
- J'ai pas raison ?
- Binns enseigne toujours ?
- Je crois.
- Mon père l'avait quand il est mort... Y'en a que même la Faucheuse peut pas arrêter, hein ?
- Ouais, y'en a... Y'en a d'autres qui la méritent pas et qu'elle arrête trop bien.
Un nouveau silence. Les ongles qui commencent à saigner...
- T'as quel âge l'artiste ?
- Vingt-et-un an. Ca fait combien de temps à trimer ici ?
- Une éternité et des poussières. Encore quatre-vingt si tu te casses centenaire.
- Les murs peuvent s'écrouler.
- C'est pas les murs. Ta chaîne, c'est toi.
Le visage glacé de McGonagall lui revint en mémoire, ce doigt accusateur pointé vers lui : Vous ne ferez rien de votre vie comme ça, Black ! Jamais rien ! Quelle est votre ambition ? Je vous écoute ! Elle n'avait jamais été plus clairvoyante. La voix étherée de Trelawney qui murmurait : De l'obscurité, des chaînes, des souffles... mon pauvre garçon, quelle vie dure et torturée... Mais peut-être aurait-elle affirmé les mêmes prédictions si... si ils n'étaient pas... morts... si...
- Ils essaient de te bouffer à l'intérieur, c'est ça ?
- C'est qu'il comprend vite, en plus de ça...
Ce regard bleu, entouré de longs cils courbés... Ces iris profonds... Cette courbure si délicate des yeux qui sourient... Les reflets du soleil sur l'azur infini...
- He, l'artiste... ça va ?
- Tu crois que ça peut aller ici ?
- Tu t'es cogné aux barreaux, non ?
- C'est rien. Rien. Non, c'est rien.
- T'es sûr ?
- Elle m'a plus jamais souri, après.
Le visage gras de Peter s'imposa devant lui. Ses doigts se crispèrent, pour se recroqueviller en un poing solide. C'était impossible. Mais si ça n'était pas possible, il ne s'enfoncerait pas dans le sol trempé, la maison illuminée s'éteindrait tranquillement à cette heure, et ses pupilles bleues l'accompagneraient toujours. Peter.
Ca va marcher. Peter est d'accord. Ca va marcher. Personne ne sait, Sirius, personne ne sait... Ca va marcher.
- A ton avis, il est quelle heure ? dit Sirius.
- L'heure ? ricana le voisin. Où ça ? A Tokyo, à Mali ?
- Non... Quelle heure est-il au paradis ?
Le voisin se tut.
- Je vais devoir attendre avant de leur rendre à nouveau visite, ajouta Sirius.
- On doit tous attendre. Y'a rien d'autre à foutre, de toute manière, et puis c'est le destin de l'homme, non ? On attend tous de crever.
- Non, moi j'attendais rien. Je vivais.
- J'en connais beaucoup qui vivent pour crever.
- Pas nous.
- Je vais finir par croire que t'es vraiment innocent, déclara le prisonnier en ricanant à nouveau.
- Je le suis.
- Alors qu'est-ce que tu fous là ?
- Ils reviennent...
Une cape frôla le sol. Une main pourrie caressa les barreaux de Sirius. Une neige livide tombait dans l'âme de Sirius, neige qui fondit avec l'éloignement du sinistre gardien.
- Ils s'arrêtent jamais ?
- Si, une fois que tu crèves. Quoique, j'en suis pas sûr.
- Je rêve. Un putain de cauchemar, mais je rêve, je dors, je vais me réveiller. Je me sens souvent enfermé dans mon sommeil. Je vais ouvrir les yeux et elle sera à mes côtés.
- Dans trois jours déjà tu n'oseras même plus espérer une sortie pareille. Ca va durer tellement longtemps que tu te sentiras comme un vieillard. Dans trois jours...
- Ta gueule, je vais me réveiller.
- C'était quoi ta matière préferée à Poudlard ?
- La défense contre les forces du mal.
- Et t'es là ? c'est comique... Le monde est à l'envers...
- Encore plus que tu peux imaginer. J'ai jamais vu un tel foutoir.
- Et tu faisais quoi avant de croupir ici ?
- J'étais en formation d'Auror.
- T'as été enfermé pour espionnage et traîtrise.
- Non, j'étais un vrai Auror.
Le prisonnier ricana, encore une fois.
- Arrête de rire.
- Moi je foutais rien, en fait... officiellement, je travaillais pas.
- Et officieusement, tu faisais quoi ?
- Traffic d'yeux de licorne. Faut bien bouffer, je revendais ça à qui voulaient. En général, ceux qui veulent de ça sont pas les plus sains...
- Traffic de produits illicites et complicité en magie noire, hein ?
- ... et meutre d'un représentant du ministère.
- ...
- Faut bien survivre. Je savais déjà qu'ici c'était l'enfer sans me douter vraiment...
- Tu voulais attendre de crever en faisant semblant de vivre encore.
- Oui, tu peux dire ça comme ça.
Les ongles de Sirius se promenèrent à nouveau contre le mur.
- Les murs sont vraiment fins.
- Pas les murs de ta tête. C'est comme un disque de larmes qui repasse en boucle dans ton coeur.
- T'entends... ?
Un cri se répercuta contre les paroies. On traînait un homme qui tentait, faiblement, de crier.
- Tu criais plus fort que lui, l'artiste.
- Ferme-la.
Deux ombres inhumaines encadraient la silhouette grise d'un adolescent qui se débattait de toutes les forces de son maigre corps. Ils le jetèrent dans la cellule qui faisait face à celle de Sirius. Son visage fin respirait la peur.
Sirius voyait sa figure humide de larmes et de sueurs, ses yeux exorbités d'horreur, perdus. L'adolescent tendit une main tremblante et incrédule vers le jeune homme.
- Je...
- Bienvenue au purgatoire, fit nonchalemment le voisin de Sirius, entre eau, ciel, terre et feu... Pire que l'enfer.
Mais l'adolescent restait muet, ses yeux d'animal affolé dans ceux du jeune Black.
- Je... répéta-t-il, au prix d'un terrible effort.
Il rampa jusqu'à l'entrée de sa cellule, coinça sa tête entre deux barreaux et articula :
- Je... Sirius Black...
Ses jambes cédèrent et il se retrouva face contre terre. Il releva encore une fois son visage et prononça difficilement :
- Il... Il est toujours en vie.
Un chien hurla à la mort dans le village voisin.
***
Forgotten
From the top to the bottom
Bottom to top I stop
At the core I've forgotten
In the middle of my thoughts
Taken far from my safety
The picture is there
The memory won't escape me
But why should I care
But why should I care
There's a place so dark you can't see the end
(Skies cock back) and shock that which can't defend
The rain then sends dripping acidic questions
Forcefully, the power of suggestion
Then with the eyes tightly shut looking thought the rust and rotten dust
A spot of light floods the floor
And pours over the rusted world of pretend
The eyes ease open and its dark again
In the memory you'll find me
Eyes burning up
The darkness holding me tightly
Until the sun rises up
Moving all around
Screaming of the ups and downs
Pollution manifested in perpetual sound
The wheels go round and the sunset creeps past the
Street lamps, chain-link, and concrete
A little piece of paper with a picture drawn
Floats on down the street till the wind is gone
The memory now is like the picture was then
When the paper's crumpled up it can't be perfect again
In the memory you'll find me
Eyes burning up
The darkness holding me tightly
Until the sun rises up
Now you got me caught in the act
You bring the thought back
I'm telling you that
I see it right through you
I see it right through you
I see it right through you
I see it right through you
I see it right through you
I see it right through you
I see it right through you
In the memory you'll find me
Eyes burning up
The darkness holding me tightly
Until the sun rises up
In the memory you'll find me
Eyes burning up
The darkness holding me tightly
Until the sun rises up.
Linkin Park.
