Partie II:

            Lève-toi, mon sombre cavalier! Lève-toi pour une autre nuit de meurtres! Elle s'est calmée depuis la dernière fois. Je me réveille et émerge du tronc de l'arbre avec un bruit de tonnerre. Je suis surpris en voyant que je ne suis pas seul. Deux silhouettes oranges sur ma droite. Un gamin et une jeune fille. Ils ont l'air terrifiés. Je sens une autre silhouette derrière moi. C'est aussi une forme orangée. Je reconnais l'inspecteur de l'autre soir. Il se tient sur ma tombe ouverte. Ainsi, il sait qu'on m'a volé ma tête.

            Je regrette de ne pas pouvoir m'approcher d'eux. Ils sont tous les trois complètement abasourdis, l'inspecteur peut-être un peu moins. Par contre, c'est lui qui a le plus peur. Trompe-la-mort est contraint d'avancer par cette femme qui nous contrôle. Je quitte la clairière à regret. Tiens, l'un d'eux me poursuit. Encore cet inspecteur Crane de malheur! Je vais devoir m'en occuper sérieusement! Il est vraiment étrange. Un coup il a tellement peur qu'il en perd connaissance, un autre il a assez de courage pour se lancer à ma suite. Etrange. Amusant. J'espère que je pourrai le tuer lui aussi.

            Mais aucun cheval ne peut rivaliser avec Trompe-la-mort. Je ne tarde pas à le distancer. Bien. Va les tuer. J'ai toute une famille pour toi ce soir. Enfin un peu plus de sang! J'éperonne mon étalon pour qu'il accélère. Je jaillis hors de la forêt et me lance dans le village de Sleepy Hollow. Personne ne me voit. Normal, ils sont tous cachés au fond de leur maison. Je vois vaguement leurs silhouettes au travers des murs.

            Une maison rouge sang comme toutes les autres retient mon attention. Des silhouettes dorées à l'intérieur. Trois silhouettes. Un homme, une femme et un enfant. Bien. Trompe-la-mort s'arrête sur mon ordre devant le palier. Le tonnerre gronde dans le ciel. A l'intérieur de la maison, les flammes gonflent soudain dans la cheminée. Le feu de l'enfer. J'arrive.

            Sur la porte, un petit panneau. INFIRMIERE KILLIAN, PRIERE DE FRAPPER AVANT D'ENTRER. Je n'aime pas faire comme tout le monde. Moi, je frappe en entrant. Je frappe avec ma hache, bien sûr. La porte vole en éclats, envoyant des échardes dans toute la petite pièce. Je démoli les derniers morceau d'un coup de poing et rentre dans la maison.

            L'homme que j'ai repéré tout à l'heure se lève en renversant sa chaise. Il crie à sa femme de se cacher et empoigne un tisonnier. Courage dérisoire. Je lui envoie ma hache à la figure. Il la bloque assez adroitement. J'apprécie. Un coup d'épée suivi d'un coup de hache. Il dévie le premier et esquive le second. Il essaie de me toucher. Manqué. Il est doué, mais pas assez. Il veut encore me porter un coup. Il est temps d'en finir. Je dévie son tisonnier avec mon épée et l'assomme à moitié d'un revers de ma hache. Il est projeté contre le mur. Lâche son arme improvisée. Il s'est bien battu. Mais je suis trop fort. Il ne réalise même pas que je le décapite.

            Je ramasse rapidement sa tête avant de regarder autour de moi. Un séjour confortable. Une porte. Une silhouette dorée qui se recroqueville derrière. Je m'approche et ouvre la porte avec mon manque de délicatesse habituel. J'adore la lueur dans les yeux de la femme. Elle s'est plaquée contre le mur du fond. Son visage est très pâle sous ses cheveux roux. Elle gémit et ferme les yeux en voyant la tête de son mari. Je lève ma hache. Je remarque distraitement que des larmes coulent sur ses joues. Elle ne crie pas. Elle ne fuit pas. Tant mieux. Pour une fois, ma lame ne fait presque pas de bruit en lui tranchant la tête.

            Je rattrape le crâne qui roule près de moi. Je me redresse et me dirige vers la porte d'entrée. Ce soir n'était pas trop mauvais. Ils ont résisté. Je me suis un peu amusé. Je vais sortir de la maison. Tu es sûr de ne rien oublier? Si. J'ai vu trois silhouettes. Je n'en ai tué que deux. Il reste l'enfant.

            Je me retourne. Fouille la maison du regard. Scrute le plancher rouge sang. Là. Sous la maison. La dernière silhouette. Bien caché, par sa mère sans doute. Je donne un peu d'élan à ma hache avant d'en flanquer un grand coup dans le plancher. L'enfant crie. Je défonce complètement cette partie du plancher et plonge la main à l'intérieur. Je n'ai pas de mal à l'attraper. Il hurle de toutes ses forces et se débat pendant que je l'attire à moi. Je ne lui laisse aucune chance et le décapite d'un coup d'épée.

            Je fourre la tête du gamin avec celles de ses parents dans mon sac. Je sors de la maison et enfourche Trompe-la-mort. J'accroche le sac à la selle. Trois têtes. Pas mauvais pour une soirée en ce moment. C'est alors que je l'aperçois. Un homme sur son cheval. Il m'ajuste avec un long fusil. Qu'est-ce que cet imbécile de Brom fait ici?! BLAM! La détonation me surprend. Une fraction de seconde plus tard, la balle me traverse la poitrine. Je n'ai pas le temps de me retenir et vide les étriers.

            Je tombe rudement de cheval. Trompe-la-mort renâcle et s'éloigne en hennissant. Je reste quelques secondes sur le dos. Je sens que celui qui m'a tiré dessus descend de cheval.  La rage qui monte en moi n'a rien d'humain. L'impact de la balle a creusé un trou à l'endroit où Masbath m'avait touché. Je me redresse, fou de colère. Le dénommé Brom se fige en me voyant me relever. Je vois son sourire supérieur disparaître. Il tombe à genoux et commence à recharger son arme avec fébrilité.

            Je m'approche de lui. Silhouette orange ou pas, je vais le tuer! Non! Je te l'interdis! Maudite voix! Je passe à côté de Brom sans le toucher. Il n'a pas fini de recharger. Il se dresse derrière moi et essaie de me frapper avec sa crosse. Je dégaine mon épée et bloque le coup. Je suis trop rapide. Il veut m'assommer. Je dévie son arme et la lui renvoie dans la figure. Il perd l'équilibre et tombe en arrière. Va t'en! Tout de suite!

            Les poings serrés, je fais demi-tour et me dirige vers Trompe-la-mort. C'est alors que je sens une lame s'enfoncer dans mes côtes droites. Je la retire d'un geste sec. Je me retourne vers Brom. Ce lanceur de couteau amateur me fixe sans comprendre. Je suis tellement furieux que j'arrive presque à me libérer. Non! Je t'ai ordonné de ne pas le tuer! Je lance le poignard. NE FAIS PAS CA! Au dernier moment, elle m'a fais dévié. La lame s'enfonce dans la cuisse du fermier qui s'écroule sur le côté en gémissant.

            Je fais demi-tour, me débattant en vain contre la voix. Arrête tout de suite et rentre à l'arbre! Je sens qu'on s'approche de moi. Je me retourne et bloque le coup de Brom de justesse. Il a récupéré deux serpes dans un hangar proche et s'obstine. Je le repousse violemment. C'est alors qu'une faux s'abat sur moi. Je la dévie et reconnais avec surprise celui qui la manie. L'inspecteur Crane. D'où sort cet abruti?! La femme s'énerve. Moi encore plus.

            Je fais tournoyer mon épée et arrache une de ses serpes au fermier. De l'autre main, je fais basculer l'inspecteur en arrière. Je l'entends crier vers Brom.

« Arrêtez! Ce n'est pas après nous qu'il en a!»

            Il n'est pas si bête. Contrairement à l'autre qui ignore son avertissement et se jette à nouveau sur moi. La femme me gêne dans ma défense. Elle m'empêche désespérément de les tuer. J'ai dit non! Va t'en! Je dévie un coup de Brom. C'est alors que je sens une lame s'enfoncer dans mon dos. La faux de Crane. Je me retourne. Même sans visage, les deux hommes devinent que je suis furieux.

« C'est différent maintenant...»

            La voix de Crane tremble. Il empoigne Brom par la manche et le tire vers un pont couvert proche. Ils sont terrifiés. Ils s'enfuient. Cette fois c'en est trop. Trop de rage, trop de colère. NON! Mes liens imaginaires volent en éclat. La voix s'éteint brusquement. Je reste une seconde immobile. Pour la première fois depuis ma mort, je suis libre. Libre. Libre.

            Ma vision est rendue encore plus rouge par la colère. Je vois mes deux assaillants courir sous le pont. Crane est obligé de soutenir Brom. Le fermier boîte. Certainement le poignard dans sa cuisse. Je me lance à leur poursuite. Je vois le pont couvert. Une idée traverse mon esprit.

            Je bondis avec aisance et m'accroche au toit du pont. Je me rétablis au sommet et cours vers l'extrémité. J'entends sous moi les pas de mes proies ralentir, puis s'arrêter. Ils se demandent où je suis. Ils lèvent les yeux. Trop tard. Je suis au bout du pont.

            Je me laisse tomber en bas et leur coupe la route. Avant qu'il puissent réagir, je laisse ma colère me guider et frappe. Mon épée transperce l'épaule gauche de Crane, le plus proche. Il hurle de douleur. D'un geste, je l'envoie voler à trois mètres derrière moi. Il crie de nouveau en retombant. Plus faiblement. Je sais que la blessure est mortelle.

            Sans plus m'occuper de lui, je me tourne et attaque Brom. Il pare le coup. De trop peu. J'attaque à une vitesse surhumaine. Il recule sous mes coups. A de plus en plus de mal à les éviter. Je charge, rendu fou par la colère. La panique se lit dans les yeux du fermier. Il fait une erreur de trop. Alors qu'il lève ses serpes, j'abats mes deux armes simultanément. Il meurt sur le coup. Coupé en deux.

            Enragé, je me retourne et vois l'inspecteur non loin de là. Il respire avec difficulté et me regarde. Il est terrifié. Ma rage remonte quand je sens qu'il est protégé. De la magie. Ma blessure ne le tuera pas. Furieux, je m'approche pour l'achever. Non! C'est fini Cavalier! Retourne immédiatement à l'arbre! Non! Pas déjà! J'ai dis IMMEDIATEMENT!

            Je fais demi-tour et enfourche Trompe-la-mort. L'inspecteur s'écroule avec un gémissement dans mon dos. J'essaie d'ignorer sa silhouette inanimée, si facile à achever. Je pars au triple galop vers la forêt.

            Le sac avec les têtes de la famille Killian bat la mesure contre ma cuisse. Je suis fou de colère envers cette femme qui joue avec moi. Mais elle a au moins comprit que je suis un jouet dangereux. Tu ne m'échapperas plus jamais Cavalier, suis-je claire? Je lui ai fait peur. J'ai tué une victime supplémentaire. Juste pour moi. Je me remémore avec délice son regard juste avant que je ne le tue. Celui de l'inspecteur que j'ai gravement blessé. Celui de la femme rousse que j'ai décapité. Les cris du gamin que j'ai tué. Au moment de plonger dans l'arbre, je me demande quelle sera ma joie lorsque je tuerai cette voix. Je connais la réponse. Elle sera immense.

*****

            Je suis dans mon arbre. Je dors à moitié. Une vague sensation de douleur me parvient. Crane. Sa blessure l'a empoisonné. Il a l'air d'être lié à moi. Etrange. Je m'aperçois que c'est le premier être humain que je blesse sans tuer. Il est très malade. Malade et seul. Peut-être va-t-il mourir après tout.

            Mais la sensation qui me parvient ensuite me déçoit. Encore cette magie. Une sorcière le protège. Elle le soigne contre moi. Il va survivre. Dommage. Il croit en moi maintenant. Il sait également que quelqu'un me commande. Ce qui le met en danger. Cela ne m'étonnerait pas que sa silhouette se colore bientôt en doré.

            Debout Cavalier! Lève-toi encore une fois! J'ai une autre tête à te faire couper! Quelques secondes plus tard, j'émerge de l'arbre. Trompe-la-mort piaffe d'impatience. Je m'aperçois que la femme a créé un sort supplémentaire pour mieux me retenir. Il va falloir jouer serré cette fois, Cavalier. Tu vas faire exactement ce que je t'ordonne. Elle a bien fait d'invoquer un sort en plus. Je hais ce ton, cette autorité. J'ai horreur que l'on me dise ce que je dois faire.

            Mais mes liens sont vraiment trop solides. Je ne peux que m'élancer à travers la forêt. Pour une fois, je me dirige à l'opposé de Sleepy Hollow. J'approche d'une autre lisière. Un champ de fleurs. Stop! J'obéis et retiens Trompe-la-mort. C'est alors que je vois deux silhouettes. Une orange et l'autre dorée. La première a une teinte spéciale. Je reconnais la femme qui me dirige. Elle est agenouillée dans l'herbe et cueille des fleurs.

            Une cloche résonne soudain du côté du village. L'homme à la silhouette dorée se retourne sur son cheval. Je reconnais celui qui a parlé le soir où j'ai décapité la veuve Winship. Oui. Baltus Van Tassel. C'est ta prochaine victime. Comme si je ne le savais pas. Cette femme m'énerve de plus en plus...

« Hâtez-vous ma chère! La cloche nous appelle à la réunion!»

            Dégaine ton épée. Je sors silencieusement ma lame de son fourreau. Bien. Approche-toi de moi à présent. Je sors de la forêt, l'épée au clair. Le dénommé Baltus pâlit en me voyant. Je m'approche par derrière de la femme. Il n'attend pas et fait demi-tour, galopant à bride abattue vers le village. La femme se tourne vers moi et me parle de vive voix.

« Rattrape-le. Tue-le. Allez!»

            J'éperonne Trompe-la-mort qui se cabre en hennissant. Puis je dévale la colline derrière Baltus. Je ne débats pas. Je sais que c'est inutile. Mais je veux surtout lui donner l'impression qu'elle me maîtrise. Ma libération n'en sera que plus surprenante.

            J'atteins vite les premières maisons. Devant moi, une petite église blanche. Les villageois se massent à l'intérieur. Baltus tombe presque de cheval devant le portail.

« A moi! Le Cavalier! Le Cavalier!»

            J'accélère. Il titube vers l'église. Une forme orange le soutient. La jeune fille qui se trouvait près de mon arbre il y a quelques jours. Je devine une sorcière en elle. Deux silhouettes émergent d'un coin d'ombre de la place. Le gamin qui accompagnait la jeune fille. Et l'inspecteur Crane. C'est alors que je fais le lien. C'est elle la sorcière qui le protège. C'est elle qui l'a sauvé de mon coup d'épée. J'espère la tuer elle aussi un jour prochain.

« Mon Dieu! C'est horrible Katrina! Il a tué ta marâtre!»

            Baltus semble sous le choc. Je comprends qu'il s'adresse à sa fille en même temps qu'il est le mari de celle qui me commande. Elle veut que j'assassine son propre mari. Cruelle. Enervante. Sans doute folle. Passionnante.

            Des cris s'élèvent parmi les villageois. Ils m'ont vu. Je m'approche au galop. Deux hommes me tirent dessus. Ils me ratent. Crane est le dernier à rentrer dans l'église. Il me lance un regard juste avant que les portes ne se referment sur lui. L'étrange lien qui semble s'être créé entre nous m'apprend qu'il veut m'arrêter. Il veut m'empêcher de tuer. Et il est déterminé. Tant pis pour lui. Il mourra.

            Alors que je veux lancer Trompe-la-mort vers les portes, il pile soudain devant le portail. Je veux le forcer à avancer. Il se débat et se cabre. D'un geste rageur, j'envoie ma hache vers les fenêtres. Elle est arrêtée en plein vol par un mur invisible. Elle tombe en poussière lorsqu'elle touche le sol. L'église est recouverte d'une aura bleue à mes yeux. Un sanctuaire. Je ne peux pas entrer. Malédiction!

            Je ne vais pas renoncer pour si peu. Je lance Trompe-la-mort pour faire le tour de l'enceinte. Les hommes brisent les carreaux et tirent sur moi de l'intérieur. Plusieurs balles me touchent. Mais je reste en selle. Je vois des trous se creuser dans ma chair et dans celle de mon cheval. Nous n'en souffrons pas. Mais je reviens très vite devant l'église sans avoir trouvé d'entrée. Des cris résonnent à l'intérieur. Je vois toutes ces silhouettes qui courent sans but, guidées par leur panique et leur instinct de survie.

            Je ne sais que tuer. Mais je sais très bien le faire. Et je viens d'avoir une idée. Originale. Sanglante. Je fais le tour de la place du village. Je trouve vite ce que je cherche. Une corde. Mais que fais-tu? Le temps que je revienne à l'église, je distingue deux morts à l'intérieur. Fruit de la panique. La silhouette dorée se tient devant une fenêtre. Parfait.

            J'arrache un piquet de la barrière de l'église. Enroule ma corde et la fixe à une extrémité. Jauge la solidité de la pointe sculptée. Je prend un peu d'élan et ajuste mon tir. Mon bras se détend. Tel un javelot, le piquet fonce vers l'église. Il brise une vitre. Puis il se fiche dans sa cible. Baltus van Tassel. Très joli coup.

            J'entends d'ici sa fille hurler. Je vois le flot de sang qui jaillit de la blessure. Harponné comme un vulgaire thon, Baltus reste debout, figé. Son sang doit être bien rouge pour se démarquer sur ma vision écarlate. Satisfait, je tend la corde et l'attache au pommeau de ma selle. Je n'ai même pas besoin d'éperonner Trompe-la-mort pour qu'il démarre. Explosant les restes de la vitre, le corps mourant de Baltus tombe dans le jardin. Entraîné par la corde, il file entre les tombes jusqu'à ce que sa tête se coince entre deux piquets de la clôture. Je fais demi-tour, l'épée brandit. J'aperçois une lueur de lucidité dans son regard avant que je ne le décapite. Bien, très bien. Rentre maintenant.

            Mon regard retombe sur la fenêtre. Crane se tient entre les montants brisés. Il me lance un regard dégoûté et douloureux. Je vois d'ici ses mains trembler. Il n'a pas pu m'empêcher de tuer. Je réalise alors à quel point ma maîtresse est adroite. Il la croit morte. Elle est hors de soupçons. Pour lui, je viens de tuer deux personnes. Il a échoué. J'ai gagné.

*****