Partie III et FIN:

            Je viens à peine de retourner dans mon arbre lorsque la douleur me parvient. Un écho. Un écho d'une sensation atroce. Encore cet humain. Brisé. C'est le mot qui me vient à l'esprit. Démoli de l'intérieur. L'esprit égaré et le cœur en morceaux. Je me rappelle les paroles de ma maîtresse lorsque j'ai vu Crane pour la première fois. Laisse-moi le détruire. Elle a réussi. Il est complètement anéanti. Je sens que cela a un rapport avec la fille de Van Tassel. J'aimerais sourire. Il quitte Sleepy Hollow. Notre connexion s'amenuise au fur et à mesure qu'il s'éloigne. Dommage. Je ne pourrai pas le tuer. Il se suicidera sans l'aide de personne.

            Tête pour tête... Encore une fois je t'appelle, Cavalier. Lève-toi! Viens! Viens pour Katrina! Je jaillis du tronc, toujours sur Trompe-la-mort. Cette fois, je démarre directement, fonçant à travers les bois. Katrina. Ce prénom m'est familier. Soudain je ressens à nouveau la présence de Crane. Plus de tristesse. Plus de désespoir. Seulement une peur immense pour la vie de celle qu'il aime. Celle qu'il... Katrina. La fille de Van Tassel. Ma prochaine victime.

            Je suis tellement amusé par cette situation que Crane le sent. Il sent que je vais la tuer. Et je sens qu'il va essayer de la sauver. Les arbres se fondent les uns dans les autres autour de moi. Je fais encore accélérer Trompe-la-mort. Il hennit et obéit avec plaisir. Tiens, revoilà ce cher inspecteur... Elle n'est pas vraiment surprise. Juste amusée. Comme moi. Cavalier? J'attends son ordre. Elle donne celui que je veux entendre. Tue-le lui aussi. Avec plaisir.

            Lorsque je déboule hors de la forêt, c'est au pied d'une colline. A son sommet, un vieux moulin. Le tonnerre gronde. Des éclairs illuminent le ciel de temps à autre. Le vent gémit comme un mourant autour de moi. La tempête. Ma tempête. Des silhouettes sur la colline. Deux dorées sur trois. L'inspecteur est secondaire. Tue la fille d'abord. Bien. Pour l'enfant, tue-le après les deux autres. La dernière silhouette devient dorée. Très bien.

            Je commence à gravir la colline. Mes proies me voient approcher. Crane entraîne les autres vers le moulin. Fuir ne sert à rien. Mais rester serait du suicide. La femme qui me commande se tient également près du moulin. Alors que Crane se baisse pour passer la petite porte d'entrée, elle lui lance:

« Attention à votre tête, inspecteur...»

            Elle me fait un signe de tête vers l'intérieur du moulin. Puis elle sort un objet de derrière son dos. Un crâne. Mon crâne. Je veux le lui reprendre au passage. Non! Pas encore. Tue-les d'abord. Ravalant ma révolte, je descends de cheval. Je rentre dans le moulin en dégainant mon épée. Je gravis les marches qui mènent à la salle principale.

            Soudain une trappe se referme sur moi. Derrière, j'aperçois les silhouettes qui se barricadent. Ma colère refait surface. Décrochant la hache que je porte à la ceinture, j'attaque sauvagement le bois. Mais la trappe est solide. Un grondement m'apprend que les pales du moulin commencent à tourner, entraînées par la tempête. Je sais ce que Crane cherche à faire. C'est malin. Et ça m'énerve.

            Cette fois plus qu'enragé, je finis par donner un coup entre les deux battants. J'entends le bois du verrou craquer. J'échange ma hache pour mon épée et la positionne entre les deux planches. Je la fais glisser d'un coup sec. Le bout de bois qui m'arrêtait vole en éclats.

             J'ouvre la trappe si brutalement que j'en arrache à moitié les montants. De la farine remplit l'air et le rend opaque. Mais ma vision surnaturelle m'épargne ce désagrément. Je lève mon regard et voit mes proies fuir par le haut. Une suite de plates-formes, d'escaliers étroits et d'échelles mène au toit. L'enfant grimpe déjà la dernière échelle. Crane, le plus bas, commence à tousser à cause de la farine. Il me voit et accélère son ascension.

            Mes réflexes ne m'ont pas abandonné. Je vois une corde tendue sur ma gauche. Elle est reliée à l'axe du moulin. Je m'y accroche et la sectionne sous moi d'un coup d'épée. Aussitôt entraînée par les ailes, la corde s'enroule. Elle m'élève vers le toit et mes proies. Si vite que je prends pied sur une des dernières plates-formes juste derrière Crane. Il est déjà très pâle. Il trouve le moyen de devenir complètement blanc en me voyant si proche. Il a raison.

            Avec un réflexe de survie élémentaire, il bondit et s'accroche à la dernière échelle sous mon nez. J'abats ma hache vers lui. Manqué. Je recommence. Le barreau sur lequel il s'appuyait l'instant d'avant est en bouillie. Mais lui est intact. Furieux, je démoli l'échelle sous lui, le manquant à chaque fois de peu. Je réussi enfin à lui frôler la jambe. Le barreau sur lequel il se tient se brise, le faisant basculer dans le vide. Mais il parvient à se rattraper à la prochaine plate-forme d'extrême justesse et à se hisser dessus à la force des bras. Quel prodige que la peur...

            Mais ce prodige ne m'arrange pas. Sans même un regard pour moi, mes proies sortent sur le toit du moulin. Crane est obligé de hurler pour couvrir le bruit du vent.

« Sur les ailes!»

            C'est tout ce que je comprends. Mais cela me suffit. Ils vont descendre par l'extérieur. Furieux, je commence à redescendre. Soudain une lanterne me frôle. Balancée du toit, elle va s'écraser sur les sacs de farines ouverts. Pour une raison que j'ignore, tout se met soudain à flamber. Je n'avais pas prévu cela. Les flammes bleutées me lèchent rapidement les jambes. Je continue à descendre sur l'escalier branlant. Un craquement retentit soudain en dessous de moi. Et toujours sans raison pour moi, le moulin explose.

            Je me sens projeté, carbonisé, enseveli par une avalanche de débris incandescents. Une poutre me tombe dessus. Puis une autre, encore brûlante. Une meule en pierre me rentre dans les côtes et m'écrase les jambes. Puis c'est tout le toit qui s'écroule sur moi, transformant ma vision en un déluge de flammes rouge sang.

            Je reste immobile quelques secondes, doutant soudain de mon invulnérabilité. Mais les flammes dévorent tout sauf mon uniforme. Ma cape n'est même pas déchirée. Même le feu semble me craindre. Un incroyable sentiment de puissance monte dans ma poitrine. Je me relève d'un geste, faisant voler les débris de pierre et de bois. Je coupe à travers les flammes et enfonce le passage d'un coup de pied. Je sors enfin du moulin.

            Ma maîtresse a disparue. Je baisse les yeux vers le bas de la colline. Là. Les trois humains. Ils restent plantés là, à me fixer. La terreur abjecte qui les recouvre bientôt monte jusqu'à moi. Si seulement je pouvais ricaner. Trompe-la-mort s'approche de moi. Je saute en selle. Mes proies bondissent sur une diligence tout proche. Crane prend les rênes et fouette les chevaux. Katrina me lance un regard terrifié. Je lance Trompe-la-mort à leur suite. La chasse est lancée! Oui. Et c'est moi qui vais la gagner.

            Nous nous engageons sous les arbres. La diligence va très vite. Ses roues tressautent et vibrent à chaque petit creux de la route. Trompe-la-mort va plus vite encore. Des étincelles jaillissent lorsque ses sabots heurtent les cailloux du chemin. Ils ne me voient pas approcher. Lorsque je suis assez près, je m'élance du dos de Trompe-la-mort. Je m'accroche à l'arrière de la diligence. Je tire sur mes bras pour remonter. Et là, surprise. Crane s'est accroupi sur le toit. Le canon de son fusil se termine à moins d'un mètre de ma poitrine.

            Où est-ce qu'il a trouvé son arme, je l'ignore. Je me redresse avec colère. Il tire. BLAM! Je suis touché à bout portant, encore en pleine poitrine. Je tombe en arrière. Par réflexe, je réussis à me rattraper au porte bagage. Je sens le trou au niveau de mon cœur. Je suis furieux. Alors tue-le!

            Je sens les feuilles mortes sous mon ventre. Alors que j'essaie de me relever, j'entends Katrina crier. Un craquement sonore retentit au-dessus de moi. Je vois avec surprise Crane tomber du toit avec les débris d'une branche. Cet imbécile a dû se faire surprendre le dos tourné. J'attends qu'il s'écrase avec plaisir, lorsque Trompe-la-mort entre dans mon champ de vision. Une seconde plus tard, Crane tombe directement sur le dos de mon cheval et s'accroche désespérément à la selle.

            Trompe-la-mort est furieux. Il hennit, renâcle, lance quelques ruades. Crane a un petit cri de panique et tire sur les rênes. Mon étalon continue à galoper, renonçant avec une vitesse surprenante. Trop surprenante. L'humain croit maîtriser mon cheval. Il arrive même à le faire accélérer. Mais il n'arrive pas jusqu'à la diligence.

            Pour ma plus grande satisfaction, Trompe-la-mort rue à nouveau. Crane n'arrive pas à se retenir cette fois et vide les étriers. Il bascule vers le chemin... et me tombe directement dessus. Mon dos lui sert d'appui pour se rattraper au porte bagage. Mais tue-le, qu'est-ce que tu attends?! Fou de rage, je lui attrape la jambe et le tire en arrière. Il lâche brusquement. Je lâche moi aussi et roule dans les feuilles mortes. Crane arrive à se retenir à l'arrière du châssis.

            Tremblant de colère, je fais signe à Trompe-la-mort. Sans ralentir, il passe à côté de moi. D'un geste je m'agrippe à l'un des étriers. Mon cheval me traîne sur le sol jusqu'à la diligence. Crane me voit passer avec des yeux effarés. Et non, tu ne t'es pas encore débarrassé de moi! Je le vois qui se débat pour remonter sur la diligence. Je m'accroche au bord d'une fenêtre et me hisse sans problème sur le marchepied.

            J'attends assez sournoisement que Crane remonte sur le toit. Avec un sourire intérieur, je le suis. Il est allongé et se baisse pour regarder dans l'habitacle. Il croit m'y trouver. Maintenant il voit que je n'y suis pas. Il se demande où je me trouve. Avec un plaisir non dissimulé, je dégaine lentement mon épée. Le bruit métallique attire son attention. Il redresse lentement la tête, redoutant ce qui se trouve dans son dos. Il a parfaitement raison. Mais c'est trop tard.

            J'abats mon épée vers sa tête. Par pur réflexe, il fait un bond en arrière. Ma lame l'effleure sans le toucher et se plante dans le toit. Crane lève des yeux terrifiés vers moi et rampe à reculons. Allez, maintenant! Tue-le! Je mets toute ma rage dans mon bras et frappe. Soudain le gamin jette son sac à Crane. Il le lève et arrête mon coup in extremis. Mon épée reste coincée dans le cuir du sac. L'humain en profite pour me renvoyer la sacoche dans la poitrine. Déséquilibré, je tombe en arrière.

            Cette fois, il a vraiment réussi à me mettre en colère. Je me relève d'un coup. Je saisis Crane par son col et le fait violemment tomber sur le toit. Sonné, il n'arrive pas à s'échapper cette fois. J'attrape sa gorge avec ma main droite et je serre. Il veut crier quelque chose. Les mots meurent dans sa gorge quand je resserre mes doigts. Il essaie de me repousser. En vain. Ma fureur me fait serrer de plus en plus fort. Crane se débat de plus en plus faiblement. Il suffoque. Je triomphe. Achève-le!

            C'est alors qu'une secousse me déséquilibre. Je lâche presque prise. Crane en profite pour aspirer une longue goulée d'air. Puis il crie quelque chose aux deux autres. Je ne comprend pas quoi, la voix occupe toute la place. J'en ai assez! Tue-le MAINTENANT! Délaissant mon épée trop longue, je veux le frapper au visage. Crane se dégage avec un cri. Mon poing transperce le toit de la diligence. Manqué. Encore manqué.

            Du coin de l'œil, je vois les deux autres silhouettes dorées sauter sur les chevaux qui nous tractent. Pas question! Non, ils ne m'échapperont pas! Une autre secousse plus forte me fait tomber à genoux. Crane glisse et tombe sur le siège du conducteur. Heureusement que cette voix ne me retient pas. Je suis tellement furieux que j'aurais brisé mes liens depuis longtemps.

            Je reprends mon épée et me jette sur Crane. Il recule d'un bond et ma lame le rate encore. Mais cette fois c'est la fin. Il recule jusque sur l'axe qui relie les chevaux à la diligence. Il s'arrête. Il réalise qu'il est bloqué. Je me redresse lentement, savourant ma victoire. Depuis le temps que j'attendais que sa tête roule, je ne peux que me réjouir. Je lève mon épée au-dessus de ma tête. Crane s'arrête de respirer. Puis mon bras tombe comme un couperet de guillotine.

            C'est alors que la chance phénoménale qui semble attachée à cet humain se manifeste de nouveau. La diligence passe par-dessus une grosse branche tombée en travers de la route. Les roues tressautent. L'axe de traction sur lequel s'appuie Crane ne résiste pas. Il se brise comme une allumette. Je tombe en avant. L'humain tombe de la diligence. Mais au lieu de passer sous les roues, il s'accroche aux rênes des chevaux. Les deux bêtes hennissent, emportant mes trois proies avec elles. Deux sur leur dos, le troisième traîné dans les feuilles mortes derrière elles. Non!

            Je n'ai même pas le temps de laisser ma rage exploser. Privée de tout conducteur, la diligence rate le virage et finit dans les arbres. Elle bascule et m'envoie dans le décor. Je tournoie dans les airs, brisant les branches sur mon passage. Puis, alors que je viens d'atterrir dans la terre humide, les débris de la diligence me retombent dessus. Un grand craquement. Puis plus rien.

*****

            Fini de jouer cette fois. D'un violent coup de poing, je fais basculer la diligence qui m'écrase. Puis je saisis mon épée tombée au sol. Mes mouvements sont lents, calmes. Puis une phrase me vient, une simple constatation. Je vais les tuer. Tous les trois. Et je vais y prendre beaucoup de plaisir.

            Mon épée au clair, je regagne la route. Mon sens de tueur m'indique la droite. Je m'avance. Soudain, je les vois. Ils sont tous là. Les trois silhouettes dorées plus celle de ma maîtresse. Elle est montée sur un étalon. Elle tient un pistolet et le pointe sur mes proies. Tous se trouvent au pied de mon arbre.

            Notre poursuite m'a ramené chez moi. Heureuse coïncidence. Je me dirige vers eux. Soudain la jeune fille part en courant. Sa belle-mère l'ajuste avec son arme. Crane s'avance pour lui arracher le pistolet des mains. Elle pivote calmement et lui tire dans la poitrine.

« Non! NON!»

            Le cri du gamin attire l'attention de Katrina. Elle se retourne. Je sens son horreur quand elle voit Crane basculer en arrière. A son tour de recevoir une balle dans la poitrine. Sauf qu'il ne se relèvera pas comme moi. Je suis un peu déçu. J'aurais aimé le tuer moi-même. Mais c'est mieux que rien.

            Ma maîtresse intercepte alors Katrina qui courait vers l'inspecteur. Elle l'empoigne par les cheveux et l'amène vers moi. Sa voix triomphe lorsqu'elle hurle:

« Viens la prendre! Elle est à toi!»

            Je m'avance. Soudain un mouvement attire mon regard. Crane. Il se redresse lentement, une main plaquée contre sa poitrine. Ma vision rouge sang me permet de voir un livre dans sa poche de poitrine. La balle de ma maîtresse s'y est profondément enfoncée. Il est toujours vivant. Mais ce ne sera plus le cas dans peu de temps. Dès que j'aurai tué Katrina.

            C'est alors que, contre toute raison, Crane se jette sur ma maîtresse et la désarçonne. Elle lâche le sac qu'elle tenait d'une main. Un objet de forme sphérique s'en échappe. Mon crâne roule dans les feuilles mortes. L'inspecteur veut s'en emparer. Ma maîtresse l'en empêche.

            Katrina est restée figée. Dommage pour elle. Je l'empoigne par les cheveux pour exposer sa gorge. Je lève mon épée. Du coin de l'œil, je vois le gamin assommer ma maîtresse avec une branche. Aucune importance. Katrina ne semble voir que mon épée brandie au-dessus d'elle. C'est fini.

« Cavalier!»

            J'arrête mon geste. Crane se tient debout devant moi. Il tient mon crâne dans sa main. Je repousse violemment Katrina qui tombe sur le côté. L'humain me lance ma tête. Je la rattrape avec douceur. Je lui lance un dernier regard rouge sang. Je les regarde une dernière fois en tant que silhouettes dorées. Puis je replace ma tête à l'endroit qu'elle n'aurait jamais dû quitter.

            Un coup de tonnerre ébranle le ciel. Puis une sensation que j'avais presque oublié remonte dans ma poitrine. La douleur. Une immense douleur. Une douleur que je suis heureux de sentir. Tous mes sens s'annulent d'un coup. Je sens vaguement des muscles, des vaisseaux sanguins, des nerfs, de la peau remonter le long de mon crâne nu. Mais la place est entièrement occupée par la douleur. Je crie. Pour la première fois depuis ma mort. Un cri étranglé qui a du mal à franchir mes lèvres en train de se recomposer. Je tombe à genoux. La douleur est atroce. Puis elle cesse d'un coup.

            Je ne respire toujours pas. Je ne vois rien. Je comprends pourquoi. J'ai les yeux fermés. Je les ouvre. Avalanche de sensations. Le vent froid de la fin de l'automne sur mon visage. Mes cheveux qui descendent dans ma nuque. Ma langue qui caresse mes dents taillées en pointes. La forêt autour de moi semble étrangement bleue après tout ce rouge.

            Je me relève. Je sens un regard sur ma nuque. Je me retourne. C'est saisissant. Ce sont eux qui me regardent. Les trois humains. Je découvre pour la première fois la chevelure blonde de Katrina. Les couleurs me semblent plus intenses, plus vivantes. Comme le regard de Crane. Je vois distinctement le dégoût et la peur dans ses yeux.

            Nous nous fixons quelques secondes en silence. J'ai envie de le tuer. J'ai envie de les tuer tous les trois. Mais Crane m'a rendu ma tête. Je ne peux pas le tuer. Plus maintenant. Alors que je me pose la question pour les deux autres, un hennissement me fait tourner la tête.

            Me fait tourner la tête. Un geste si simple. Si facile. Un geste qui me manquait plus que je ne voulais me l'avouer. Je vois avec mon vrai regard Trompe-la-mort se diriger vers moi. Je revois ses yeux dans lesquels je me reflète. Je flatte son encolure noire comme l'enfer. J'aime le noir au moins autant que le rouge.

            Puis je saute en selle et lance mon cheval en avant d'un cri. Juste pour le plaisir de crier. Je passe à côté des trois humains. Ils s'accrochent l'un à l'autre, morts de peur. Je leur fais savoir d'un regard que je leur laisse la vie en guise de remerciement. Même si c'est très dur. Crane, très pâle, me fait signe qu'il a compris. Bien. J'en ai fini avec eux.

            LA FEMME. Une autre voix. Elle n'est pas humaine. Elle résonne à l'intérieur de mon crâne. Elle m'inspire du respect. RAMENE-LA AVEC TOI. ELLE A PAYE LE VOYAGE DE SON AME. Alors il y avait bien un prix pour m'utiliser. Un prix bien cher.

            Je m'approche de la silhouette toujours inanimée sur le sol. D'un geste, je la saisis et la hisse sur Trompe-la-mort. Puis je dirige mon cheval devant l'entrée de l'arbre. C'est à cet instant qu'elle se réveille. Je goûte avec plaisir à cet instant que j'attendais depuis le début. Ses yeux qui s'agrandissent de terreur. Sa bouche qui s'ouvre pour crier. Je reconnais la petite fille terrifiée qu'elle était. Qu'elle n'a jamais cessé d'être.

            Sur une impulsion, je me penche sur elle et l'embrasse. Je ne sais pas pourquoi. Son cri s'étouffe. J'enfonce violemment mes dents pointues dans sa chair. Elle hurle. Je vois les trois humains tressaillir d'horreur. Puis je relève la tête. Son sang tiède dégouline sur mon menton. Rouge. Le goût cuivré de l'hémoglobine descend dans ma gorge. J'aime le rouge. La femme bascule sur l'encolure de mon cheval, le bas du visage ensanglanté. Elle m'a l'air au bord de la crise cardiaque.

            Puis les racines de l'arbre s'écartent devant moi. Je crie et talonne Trompe-la-mort. Mon cheval se cabre avant de foncer vers le tronc. Je lance un dernier regard aux trois humains. Quelque chose me dit qu'on se reverra. Dans cette vie ou dans une autre. Puis le tronc se referme sur moi. La femme crie une dernière fois avant d'entrer dans le Royaume des Morts.

            Cette fois je descends. Tout au fond. Les barrières sont levées. On m'y attend. Je retourne là d'où je viens. La femme dans mes bras est morte. Elle erre à mes côtés. Je la sens dans l'ombre. Je descends. On m'appelle le Hessois. Plus profond. Toujours plus profond. Je reste le seul Cavalier. Et je descends vers d'autres têtes coupées.

FIN

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