Note de l'auteur : Après le prologue, l'histoire commence véritablement. Si vous ne comprenez rien au début, c'est normal, vous inquiétez pas ! mdr
Phase Un.
1988. Olekminsk. URSS.
Ming était assise sur un banc trop haut pour elle. Ses courtes jambes pendaient dans le vide, ses mains étaient recroquevillées sur le bord de la banquette. Parfois, une larme parvenait à glisser le long de sa joue rebondie, après s'être échappée de ses yeux gonflés et rougis. A sept ans, elle ne comprenait pas ce qui venait de lui arrivait.
La fillette aux traits occidentaux adoucis par des origines chinoises, attendait dans un hall depuis près de deux heures. Au fond du couloir se trouvait une porte menaçante et imposante. Elle ignorait ce qu'elle faisait ici. Du sang tâchait encore sa petite robe bleue. Ming serrait une poupée contre elle, l'unique source de réconfort dans cet endroit froid et morne.
Des pas résonnèrent dans le long couloir. Un gardien arrivait, tenant par la main un second enfant. On le fit asseoir à côté de Ming, puis l'homme s'évanouit. Le garçonnet avait le même âge qu'elle. Un petit blond dont certaines mèches étaient presque blanches. Ses grands yeux bleus et son large front occupaient la majeure partie de son visage. Il pleurait, silencieusement.
Ses habits étaient eux aussi tâchés de sang. Ses parents avaient dû subir le même sort que les siens, en conclut Ming attristée. Naturellement, elle lui tendit sa poupée. Le garçon l'observa un instant, puis accepta le jouet qu'il serra contre lui. Il parla, mais elle ne comprit pas le mot qu'il prononça. Il reprit en anglais :
" Merci, " murmura-t-il du bout des lèvres, avec un étrange accent.
" De rien, " répondit-elle en souriant timidement.
" Comment tu t'appelles ? "
" Ming. Et toi ? "
" Alexandre. "
Les deux enfants se figèrent quand la porte du fond s'ouvrit. Un homme imposant au regard bleu glacé s'avança vers eux, l'air vaguement paternaliste.
" N'ayez pas peur ", dit-il dans un anglais sans accent. " Bientôt, vous ne serez plus triste. Je vais tout vous faire oublier. "
Il invita d'un geste les enfants à entrer dans la salle de conditionnement.
2005. Los Angeles. USA.
Cela arrive plus souvent qu'on ne le croie. Au cirque, quand de jeunes fauves naissent, on observe les différents membres de la portée. On repère rapidement le plus vif, le plus éveillé, le plus manipulable. On prend l'animal et il vous fait confiance. Son regard est teinté d'admiration, il apprend rapidement les ordres et vous est totalement soumis, aveuglé par l'adoration.
Puis le fauve grandit. C'est là que les choses se compliquent.
Il prend peu à peu conscience du monde qui l'entoure. Il devient curieux, moins malléable, insolent, intelligent. Il n'obéit plus, il peut même partir. Il peut découvrir que vous n'êtes pas si fort que ça, que vous avez des points faibles, et qu'il peut les utiliser contre vous. Son ancien maître. Et là, il commence à gronder, à attaquer vos intérêts, à mordre.
Certaines deviennent même fous. Quand l'animal devient totalement incontrôlable, il ne reste plus qu'une seule solution : l'abattre.
" Vous cherchez un animal de compagnie, mademoiselle ? " S'enquit un vendeur en tablier vert.
Elle se retourna vivement vers lui et l'observa de son regard de chat. Il devint brusquement mal à l'aise. Elle sourit et se détourna de lui quand un chiot vint lécher sa main. Elle était accroupie près d'un petit parc où batifolaient les jeunes chiens à vendre.
" Non, " répondit-elle avec un léger accent new-yorkais. " Je n'aurais pas le temps de m'en occuper. Je ne faisais que... Regarder. "
Le vendeur acquiesça et repartit à une autre tâche. Elle réorienta son attention vers le chiot, un jeune épagneul aux paupières tombantes. Elle lui gratouilla le dessus du crâne puis se releva. Elle quitta l'animalerie et se retrouva au milieu de la foule du samedi, baignée de soleil dans cette artère commerciale de Los Angeles. Elle avait été dans beaucoup de villes et de pays, mais encore jamais ici. Chaque nouvelle expérience l'enrichissait et elle savourait chaque détail de son nouvel environnement.
Elle, elle n'avait jamais mordu la main de son maître, mais elle lui avait malgré tout échappé. Elle travaillait pour ses adversaires à présent. Le mignon petit chaton qu'elle fut était devenu une panthère mystérieuse qui avait rapidement compris où se trouvait son intérêt. Sa cible était son opposée : une lionne qui s'était elle aussi échappée du cirque et qui avait atteint sa maturité. Elle devait la trouver à tout prix avant qu'elle ne commette l'irréparable.
Elle se glissa dans un bar par la porte du personnel. Elle se dirigea aussitôt vers les vestiaires et enfila son tablier de serveuse. Elle croisa son patron qui lui ordonna de se dépêcher. Elle avait cinq minutes de retard. Elle s'excusa brièvement puis entra dans la salle du café, derrière le comptoir.
Elle servait quelques commandes quand son client préféré entra enfin. Un homme d'une stature assez large, d'une bonhomie sympathique alourdi d'un léger embonpoint. Toujours ce même renflement habituel dans la poche droite de son pantalon. Elle savait ce que c'était pour l'avoir déjà vu le sortir : un yo-yo.
Eric Weiss s'assit à sa table habituelle, et elle s'approcha aussitôt de lui pour prendre sa commande. Elle lui offrit son plus charmant sourire et il parut gêné. Un timide. Cela faisait deux mois qu'elle travaillait ici, deux mois que le même rituel se déroulait entre eux. Elle ne se pressait pas, il ne fallait pas paraître suspect. Il était tout de même de la CIA. Heureusement, elle avait carte blanche, les crédits et le temps qu'il lui fallait, pourvu qu'elle parvienne à son but. Son nouveau maître, celui qui l'avait sauvé, lui accordait une totale confiance. Et avec cet homme, sa main griffue se gantait de velours. L'idée de le trahir ne l'effleurait même pas.
Mais ce jour-ci, le rituel fut rompu. Alors qu'il commençait à lui réciter sa commande habituelle, une jeune femme vint le rejoindre. Grande, musclée, le regard noisette et la chevelure châtain. Ses lèvres semblaient faites pour être embrassées, ses traits étaient délicats et une aura de maîtrise de soi se dégageait de son être.
Sydney Bristow. La fameuse fille de Derevko. Elle en avait plusieurs fois entendu parler, vu en photo, mais c'était la première fois qu'elle se trouvait face à cette femme. Elle avait appris pour ses deux étranges années d'absence et se demandait bien ce qui avait pu lui arriver. Elle commanda à son tour. Après un dernier battement de cils pour Weiss, la serveuse retourna derrière le comptoir.
Elle nota aussitôt Sydney Bristow qui se pencha pour murmurer quelque chose à l'oreille de son colocataire. Ce dernier devint aussitôt confus, il balbutia une réponse maladroite qui la fit sourire. Peu après, la serveuse revint avec leurs plats. Weiss la fixa longuement et Bristow le poussait du regard :
" Merci Yu, " répondit-il en souriant.
Yu. C'était le prénom inscrit sur son badge. Son profil officiel : vingt-quatre ans, new-yorkaise ayant émigré depuis peu à Los Angeles à cause d'un petit ami violent, serveuse, sans diplôme, à présent célibataire.
En vérité, elle se surnommait Xao. Vingt-quatre ans. Parlant le cantonnais, le russe, l'anglais et l'espagnol. Habilitée aux manipulations mentales. Experte en chimie et en explosifs. Maîtrisant à la perfection l'art du déguisement et de l'infiltration. Entraînée depuis son plus jeune âge, elle n'avait toujours connu que cette vie.
Elle lui répondit par un nouveau sourire. Weiss rassembla son courage à deux mains sous le regard insistant de Bristow, et empêcha Yu de partir au dernier moment :
" Excusez-moi, " dit-il confus. " Je… Chez moi nous organisons une petite fête ce soir, et euh… Je vous croise tous les jours, et… Et ça me ferait vraiment plaisir que vous veniez. Vous pouvez aussi inviter quelqu'un… Ou refuser, je ne m'en offusquerais pas. "
Yu mima la perplexité et l'hésitation. Puis, elle adopta une attitude un peu hésitante, timide, semblable à celle de Weiss.
" Pourquoi pas, " répondit-elle. " Je n'ai rien de prévu ce soir. "
Weiss parut soulagé. Bristow ne cherchait même pas à dissimuler son sourire amusé. Il donna à la serveuse son adresse et l'heure, puis elle repartit à ses occupations.
Première phase du plan réussie. Elle se glissait doucement dans l'entourage d'un membre du groupe qui côtoyait régulièrement sa cible. Cette cellule de la CIA possédait plus d'informations sur le troisième fauve que n'importe quelle autre organisation, légale ou terroriste.
A pas feutrés, elle se rapprochait de sa proie. L'excitation et la fièvre de la chasse la gagnaient.
