Note de l'auteur : Huit clos pour ce chapitre ! Simplement, Sark, Sydney et la plage Et puis le majordome qui sait habilement disparaître *grin*

*

Ce fut à l'heure du café que Sydney vit réapparaître une tête blonde familière. S'acclimatant avec goût aux chaleurs tropicales, Sark avait revêtu un pantalon et une chemise large aux manches courtes, le tout couleur crème. Elle se trouvait assise à une extrémité de la table, devant elle un café glacé servi par le majordome, le tueur s'installa à l'autre bout.

" Désolé de ne pas avoir pu vous présenter moi-même les lieux à votre réveil. J'avais rendez-vous avec Stella. "

Sydney ne répondit rien. Elle savait que le bateau par lequel il était arrivé, devait sûrement être reparti. Même si elle savait qu'elle ne devait pas chercher à fuir, elle explorait toutes les possibilités, on n'était jamais trop prudent. Le vieux caribéen vint servir une tasse de café à Sark avant de s'évanouir à nouveau.

" Qu'est-ce que vous savez du projet Neo, mademoiselle Bristow ? " Lui demanda subitement l'homme, le regard inquisiteur.

Elle hésita à répondre un bref instant.

" Peu de choses, " admit-elle.
" Moi de même, " enchaîna-t-il ce qui la surprit, Sark n'était du genre à se laisser aux confessions normalement. " Remarquez l'ironie de la chose, je fais parti des premiers concernés puisque j'étais un cobaye du projet Neo, et pourtant je ne sais quasiment rien. "
" Et c'est sûrement mieux comme cela, " ajouta Sydney en finissant son café avec lenteur.
" Vous croyez ? " S'exclama-t-il avec sarcasme. " Vous êtes bien placée pour savoir ce que l'on ressent quand on vous a volé plusieurs années de votre vie. "

Non, ce n'était sûrement pas mieux comme ça, admit-elle intérieurement. Sydney connaissait l'angoisse que provoquait en elle ses deux années d'absence. Elle n'imaginait même pas ce que Sark pouvait ressentir, sept ans lui avaient été volés. Ce dernier interpréta son silence comme une invitation à continuer sa petite tirade.

" Mais bientôt je saurais tout. "

Sydney sursauta. Elle le fixa méchamment. Il n'allait pas oser les doubler et se joindre à Stella ? A l'autre bout de la table, Sark conservait un calme olympien, la réaction de la jeune femme lui arracha un arrogant sourire.

" J'ai bu de la solution, celle que vous m'avez formellement interdite d'approcher, " dit-il, amusé de sa propre audace. " L'absorption se fait sur trois jours, une certaine dose chaque matin, pour que les souvenirs puissent affluer de nouveau peu à peu. "
" Vous avez trahi notre accord ! " S'énerva Sydney en se levant de sa chaise et en s'approchant de lui, menaçante. " Vous êtes un recalé ! Cela va vous rendre fou ! "
" Qu'est-ce que vous en savez ? " Lui demanda-t-il narquois. " Personnellement, je trouve que Stella n'a jamais été aussi stable que depuis qu'elle connaît son passé, ou plutôt devrais-je dire Janis Sloane. "

Sydney déglutit avec stupeur.

" En recouvrant le passé, " reprit-il avec calme. " Janis s'est souvenue de détails troublants. Elle a été élevée aux Etats-Unis par sa mère Sarah Reichman, qui fut pendant un temps la maîtresse d'Arvin Sloane. Je sais, c'est surprenant je l'avoue. Mais savez-vous par qui elle s'est fait enlevée ? Edouard Stevenson, un agent à présent haut placé dans la hiérarchie de la CIA. "
" Vous ne sous-entendez tout de même pas que la CIA puisse être impliquée dans ce genre de projet ? " S'insurgea Sydney.
" La CIA a bien multiplié les coups d'Etats en Amérique du Sud provoquant la mort de milliers de personnes, " la coupa Sark un brin agressif. " Quoiqu'il en soit, on a endormi Stella et elle s'est retrouvée ensuite à l'autre bout de la planète, en URSS à Olekminsk au milieu d'agents dont la plupart parlaient anglais, et d'autres enfants de son âge dont moi et Xao, enfin Ming, faisaient partis. Etrange. Puis elle a été conditionnée et nos professeurs, pour la plupart russes, ont commencé notre enseignement. Nous avons ensuite été transférés rapidement vers l'Angleterre, où à l'insu de la MI6, on a continué notre formation au manoir. Après l'explosion du manoir, bizarrement tous nos maîtres ont été tués ou ont disparu, comme si certaines personnes avaient peur qu'ils ne révèlent certaines choses à nous, ou à d'autres. "

Il cessa de parler, sa gorge était sèche. Sark termina rapidement son café, Sydney se tenait toujours debout près de lui, interloquée.

" Pourquoi m'avez-vous raconté tout ça ? "
" Je ne vous ai pas choisi que pour déplaire à Irina, " glissa-t-il avec malice. " Premièrement je vous ai choisi car vous êtes un brillant élément de la CIA. Tant que ces derniers ne sauront pas où vous êtes, j'aurais l'avantage car ils ne prendront pas le risque de vous perdre. Deuxièmement, je vous ai souvent répété que nous serions un jour destinés à travailler ensemble. Je crois que ce moment est venu. Stella a été enlevée par un agent de la CIA, ensuite on nous a transféré en URSS pour que notre premier souvenir soit de ce pays, histoire de brouiller les pistes si l'on voulait retrouver notre passé. De plus, il est étrange qu'un manoir de futurs espions ait pu librement perdurer des années dans la campagne anglaise qui n'est pas immense, sans que le MI6 ne le découvre. La CIA et le MI6 sont trempés dans cette histoire. Vous avez des informations que je ne possède pas. J'aimerais savoir exactement ce que l'on vous a dit sur le projet Neo. Nous pourrions ainsi recouper ce que nous savons et tenter de tirer le vrai du faux. "

Un instant confuse, Sydney se reprit. Peut-être que ce n'était qu'une manuvre de Sark pour connaître ce qu'elle savait, mais bizarrement quelque chose dans son regard indiquait qu'il ne plaisantait pas. Il avait cessé de jouer depuis longtemps, cette affaire ne le concernait que trop. Elle prit une chaise à côté de lui et s'y assit :

" Hogan, un agent du MI6 prévenu par mon père je crois, est venu nous briefer. Il est le directeur d'une cellule qui- "
" Qui recherche les enfants du projet Neo, " termina Sark. " Je suis au courant, j'ai déjà eu à faire à Hogan plusieurs fois malheureusement. "
" Bien, Ming est l'une de ses agents, il lui a fait retrouvé la mémoire, d'autres anciens pensionnaires du manoir travaillent pour lui, ceux qu'il appelle les admis. "
" Ceux qui ne possèdent aucun souvenir gênant, " glissa Sark avec une ironie glaçante.
" S'il vous plaît, cessez de m'interrompre. Hogan nous a expliqué qu'il avait classé les enfants du projet Neo en trois catégories : les admis qui possédaient les prédispositions psychologiques nécessaires pour retrouver la mémoire, les optionnels qui n'en possédaient qu'une partie, et enfin les recalés qui n'en possédaient aucune. Il prétend que c'est une organisation nommée les Alliés, des espions du MI6 et du KD pour la plupart qui ont trahi leurs pays respectifs, qui sont les auteurs de vos enlèvements, de vos conditionnements et de vos formations. Il nous a affirmé qu'à cause de divisions internes, un incident s'est produit au manoir. Une explosion. Les enfants ont alors été soit enlevés par leurs professeurs, soit ils ont disparu dans la nature. "
" L'explosion du manoir a été produite par Irina Derevko, qui n'a jamais fait parti d'une organisation nommée les Alliés, " déclara Sark sombre. " Elle a commis cet acte dans le seul but de me récupérer, j'ignore pourquoi. Les rares fois où je lui ai demandé la raison, elle m'a simplement répondu qu'elle était ma bonne fée Quoiqu'il en soit, j'ai un fait troublant à vous apprendre. Hogan a tenté de nous rattraper, Irina et moi, juste après l'explosion. Il a fallu que votre mère lui tire dessus pour qu'il nous laisse tranquille. S'il était vraiment du MI6, que faisait-il à ce moment près du manoir ? "
" La cicatrice sur le visage ? " Demanda Sydney subitement blanche.
" Oui, " répondit Sark surpris par sa réaction.
" Il nous a menti, il a dit que Il n'a pas dit ça. "
" Hogan faisait sûrement parti des alliés en tous cas, " rétorqua l'homme. " Il voulait à tout prix me reprendre à Irina. Mais une fois en URSS, il a perdu notre trace, je n'ai plus eu de nouvelles de lui durant des années et je ne m'en suis jamais plaint. "
" C'est impossible, Hogan est du MI6 ! En sachant qu'il était dans nos bureaux, des directeurs de la CIA sont venus en personne le saluer ! " S'exclama Sydney.
" Cela veut dire que le MI6, et sûrement la CIA, étaient impliqués dans le projet Neo, " répondit Sark. " Cela expliquerait la volonté des deux organisations de remettre la main sur la solution et de capturer ou tuer Stella, ils ne tiennent sûrement pas à ce que les gens aient vent de leurs actes. Ils ont déjà assez mauvaise réputation comme ça. "

Sydney réfléchit quelques instants. Ce véritable sac de nuds portait tous les soupçons envers la CIA et le MI6, cela ne pouvait pas être possible et pourtant trop de faits concordaient.

Elle avait trouvé difficile à avaler cette histoire d'admis, d'optionnels et de recalés. Les recalés étaient en fait ceux dont les souvenirs pouvaient prouver l'implication de la CIA et du MI6, tandis que les optionnels étaient ceux qui pouvaient si on leur mettait la puce à l'oreille, découvrir le pot aux roses. Cela expliquait pourquoi Andrew Hogan ne tenait absolument pas à ce que Sark retrouve la mémoire, et son apparente peur envers les actes que pourraient commettre Stella car ils seraient directement dirigés contre le MI6 et la CIA. Le second fait étrange était pourquoi un manoir d'enfants espions n'avait pas été repéré par le MI6 sur la petite île ultra surveillée qu'était l'Angleterre, alors qu'il aurait été plus simple de garder les enfants en URSS. Ils y avaient juste amené les enfants, qui plus tard en se fiant à leur premier souvenir, croiraient que le KD est l'auteur de leur condition. Ensuite, ils envoyaient les enfants tuer leurs propres parents, éliminant ainsi le dernier facteur qui aurait pu réveiller la mémoire de leurs futurs espions.

Ce plan était affreux, frissonna Sydney. Et diaboliquement intelligent.

" Stella pensait au début que c'était l'Alliance qui se cachait derrière les Alliés, " reprit Sark pensif. " Elle en était venue à cette conclusion car elle n'a pas tué son père pour un soi-disant motif de localisation impossible. C'était peut-être vrai, ou bien la CIA n'avait pas trop envie de voir Arvin Sloane éliminé car Jack Bristow était déjà un agent double au SD-6 à cette époque. Avoir une nouvelle tête aux rênes de la cellule de l'Alliance à Los Angeles n'était pas bon pour votre père car Arvin Sloane lui faisait confiance. "
" Vous êtes au courant pour les ordres de tuer vos parents ? " S'étonna Sydney.
" Oui, " admit-il brusquement sombre. " Je ne m'en souviens pas encore, j'ai tué tellement de gens que je ne sais pas qui étaient mes parents parmi toutes les victimes. Mais Stella m'a prévenu, elle m'a dit que ce serait dur Pour le moment, je n'ai que.. que quelques sensations. "

Une expression de trouble traversa le visage de Sark, Sydney en eut presque peur.

" Je vous pris de m'excuser, " balbutia-t-il finalement avant de battre en retraite hors du salon.

Sydney resta debout, seule et pensive. Hogan n'avait en tous cas pas menti sur un point : Sark recommençait à ressentir, et c'était une situation que sa formation poussée au manoir ne lui avait pas appris à affronter.

*

Sark se réveilla brutalement, le corps en sueur et la respiration haletante. Il mit quelques longs instants à se calmer, inspirant profondément pour tenter de retrouver un apaisement relatif. Son souffle de nouveau sous contrôle, il décida de se lever. Simplement vêtu d'un bas de jogging, il s'enveloppa dans une robe de chambre pour aller dans la cuisine.

La nuit était calme, seul le bruit des vagues venait troubler la quiétude nocturne de l'île. Il posa une main fatiguée sur son front. Le rêve lui avait semblé si vrai, peut-être parce que c'était un souvenir Il s'était revu sur une plage de galets, le long de falaises calcaires érodées par le vent marin. Une lumière jaune filtrait l'atmosphère et une femme en anorak le tenait par la main, une femme magnifique.

Malheureusement, plus il se concentrait, moins il parvenait à distinguer les traits de son visage. Il n'entendait que son rire si naturel à ses oreilles, ses murmures empreints d'une douceur qui le faisait frissonner, son toucher si familier et réconfortant. Sur la plage, les pieds dans l'eau, il avait vu une seconde femme, il l'avait reconnu tout de suite : Irina Derevko. Elle lui avait sourit.

Sark se pencha au-dessus de l'évier et se passa un peu d'eau sur le visage pour oublier ce rêve si étrange. Il ouvrit le réfrigérateur et oublia un instant ses manières de dandy pour une simple bouteille de bière.

" Monsieur Sark boit de la bière bon marché, il faut le voir pour le croire, " retentit une voix moqueuse derrière lui.
" Bristow, " soupira-t-il en se tournant vers elle. " Il est l'heure de dormir depuis longtemps pour les petites filles. "
" La petite fille avait entendu le petit garçon faire un cauchemar. Aurait-il encore peur du noir ? "

Sark ne répondit rien et baissa le regard au sol, brusquement à court de répartie. Cela ne lui ressemblait pas et décontenança Sydney. Elle s'approcha, elle aussi vêtue d'une robe de nuit.

" Des souvenirs reviennent ? " S'enquit-elle, une certaine inquiétude palpable dans le son de sa voix.
" Oui, " admit-il avant de boire une nouvelle gorgée.

Peu enclin au sommeil, Sydney se servit elle aussi une bouteille et d'un accord tacite, ils sortirent dehors par une porte-fenêtre entrouverte. La nuit était claire, l'air chaud rafraîchi par une légère brise. Ils s'assirent à même le sable.

" Parfois, il m'arrive de ressentir des sensations familières, " murmura Sydney pensive. " Une couleur déjà vue, une odeur déjà sentie. Et je me sens encore plus perdue. "
" Je n'arrive pas à voir les traits de son visage, " confessa Sark. " Je la vois sans la voir. "

Sydney devina qu'il devait parler de sa mère. Elle préféra se taire, ne sachant pas ce qu'elle était censée dire.

" J'ai aussi vu Irina. Elle et ma mère se connaissaient. C'est sûrement pour cela qu'elle n'a pas hésité à faire exploser le manoir pour me récupérer. Elle l'a fait pour ma mère. "

Il n'en avait aucune preuve, mais cette conviction était fermement ancrée en lui, peut-être à cause d'un nouveau souvenir qui n'allait pas tarder à surgir de sa mémoire embrumée.

" Et à propos du projet Neo, " glissa timidement Sydney. " Si le fait que la CIA et le MI6 sont impliqués se confirme, qu'allez-vous faire ? "
" J'ai toujours été pragmatique, du moins aussi longtemps que je m'en souvienne, " répondit Sark songeur. " Stella parle d'éliminer ceux qui nous ont fait ça car ils en savent beaucoup sur nous, et donc ils sont dangereux. Elle m'a prétendu que ce n'était pas de la vengeance mais plus le temps passe, plus je sais que ça en est. Je commence à sentir cet étrange sensation en moi, et j'ai l'impression que la seule façon de l'apaiser sera le sang de ceux qui ont fait ce que je suis aujourd'hui. Un sans-passé. "
" Vous allez vous venger, " en conclut Sydney un peu trop rapidement.

Sark laissa s'écouler un court instant de silence, son regard bleu glacial se fixa sur les vagues.

" Pour la première fois de ma vie Je ne sais pas. "

L'aveu de son impuissance à formuler un plan laissa Sydney confuse. A présent, Sark ressemblait à présent plus à un gamin perdu dans un rayon de supermarché qu'à un dangereux terroriste aux buts obscurs.

Elle sentait qu'il allait craquer, fondre en larme, hurler. Faire quelque chose. Mais il parvenait tout de même à garder un effroyable calme apparent. Elle osait pourtant à peine imaginer la tempête intérieure qui agitait l'homme assis à côté d'elle. Finalement, il se leva et jeta un regard désolé vers la ligne d'horizon qui se confondait avec le ciel.

" Je l'ai tué "

Il tourna les talons et repartit en direction de la maison. Elle l'observa disparaître, encore remuée par les brusques changements de Sark. Peu à peu, il devenait humain.

***

A suivre