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Cette fois-ci, il fut plus discret en se glissant hors de sa chambre. Il n'avait pas envie d'être une seconde fois surpris par Sydney en pleine nuit. Il n'aimait pas qu'on le voit aussi faible, il ne l'était pas normalement. Il avait toujours été le plus fort, le plus dur, le plus insensible. Sark devait affronter une nouvelle facette de lui-même : Collin.
Il décida d'aller se promener sur la plage en compagnie d'une bouteille de Smirnoff. Il avait toujours aimé boire, et pas seulement les grands vins millésimés. Il aimait le léger abrutissement des sens que procurait l'alcool, sans jamais se permettre de dépasser certaines limites. Il était un espion, les espions ne pouvaient pas être saouls, ils devaient sans cesse être opérationnels car leur vie pouvait basculer à chaque instant.
Pourtant il s'était laissé aller hier, et il avait fallu que Sydney le trouve ainsi. Il se maudissait. Il n'avait jamais été saoul de sa vie avant, jamais. Il but une nouvelle gorgée et s'assit sur le rivage. Des vaguelettes vinrent lécher le bout de ses pieds nus. Il ferma les yeux et se laissa bercer par la douce musique des vagues.
Le songe de cette nuit fut encore plus vrai que nature. Il s'était de nouveau revu sur cette plage de galets, le long de falaises calcaires érodées par le vent marin. La même lumière jaune qui filtrait l'atmosphère et la même sublime femme en anorak le tenait par la main. A présent, il se rappelait mieux ses rires et ses murmures, ses mots doux qu'elle lui glissait au creux de l'oreille quand il s'endormait le soir, ses pleurs quand elle fermait la porte de sa chambre. Tant de détails anodins qui le remuaient sans qu'il ne sache vraiment pourquoi.
Et il revoyait Irina bottes aux pieds, marchant avec plaisir sur le bord de la plage dans les vagues, savourant les petits plaisirs de la vie car elle en connaissait la valeur. Il la revoyait se tourner vers lui, ancrant son regard dans le sien. Il se rappela le bref éclat de sympathie et de douleur mêlées qu'il vit à travers ses pupilles. Puis sa mère l'avait poussé en avant et Irina était venue à leur rencontre, un large sourire aux lèvres, un sourire franc que peu de personnes lui connaissait.
Sa mère la lui avait présenté comme sa marraine, quelqu'un qui prendrait soin de lui si jamais il lui arrivait malheur. A l'époque, petit garçon, il n'avait pas cru que sa mère ne soit pas invincible. Elle lui avait dit qu'Irina était une amie d'enfance à elle, une personne digne de confiance. Mais il n'avait toujours fait confiance qu'à lui-même et sa mère, jamais personne d'autres. Jamais.
Il ouvrit de nouveau les yeux. La plage matinale d'Irlande laissa place à un paysage nocturne de carte postale des Caraïbes. Sa bouteille était vide. Il se releva et retourna vers la maison.
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Sydney se leva en sachant que c'était le dernier jour qu'elle passerait en compagnie de Sark, ou Collin peu importe. La veille, elle n'avait pas su répondre quand il lui avait dit son véritable nom. Collin Asatchev. Elle avait tout simplement rebroussé chemin vers sa chambre. Dans la nuit, elle l'avait de nouveau entendu crier dans son sommeil, elle savait qu'il s'était levé mais ne l'avait pas suivi. Elle n'aurait pas su quoi lui dire.
Au salon, un petit déjeuner appétissant l'attendait. Mais elle n'avait pas le cur à manger. Posté dans l'ombre, Passe Partout attendait, prêt à satisfaire la moindre requête de sa part. Elle se demanda subitement où il se retranchait entre les dîners. Peut-être dans la pièce à laquelle elle n'avait pas accès
Des bruits de pas légers et furtifs la surprirent dans ses songes. Sark entra dans le salon et prit place à l'autre bout de la pièce. De larges cernes violettes encerclaient ses yeux à l'éclat terne. Il semblait éprouvé. Il n'osa même pas croiser son regard et se mit à manger sans entrain. Ses gestes étaient mécaniques. Une fois qu'il eut terminé, il repartit sans un mot.
Sydney n'avait pas osé lever le nez de son bol de café.
*
Midi arriva rapidement. Leur avant-dernière entrevue. Sark restait cloîtré dans sa pièce et Sydney avait passé la matinée sur la plage. Quitte à s'ennuyer sur une île déserte, autant s'ennuyer en bronzant. Elle tentait de rester positive malgré tout.
Mais le même rituel allait se produire, elle le savait. Elle se mettrait à table, puis il viendrait à son tour. Ils mangeraient en silence et il repartirait s'enfermer. Enfin, il ferait de nouveau un cauchemar cette nuit et elle l'entendrait se lever. Elle resterait dans son lit et ne s'endormirait qu'une fois qu'il se serait de nouveau couché.
Elle s'installa à table et comme prévu, il entra dans la pièce en silence. Il se plaça à l'autre bout mais cette fois-ci, Sydney l'affronta du regard. Il détourna le regard vers son assiette, se concentrant faussement sur la nourriture qui s'y trouvait. Elle s'éclaircit bruyamment la gorge mais il ne broncha toujours pas.
" Comment allez-vous aujourd'hui Collin ? " Demanda-t-elle en insistant sur son prénom. " Vous n'étiez pas très bavard ce matin. "
Il releva le regard cette fois, elle y vit un vif éclat de colère et d'agacement mal contenus.
" Nous n'avons jamais rien eu à nous dire, pourquoi est-ce que cela commencerait aujourd'hui ? "
Elle crut déceler un soupçon de déception dans son ton, mais peut-être n'était-ce que son imagination
" Je voulais
simplement être polie. "
" Foutaises ! "
Sydney ne cacha pas surprise. Sark ne se laissait jamais aller, il était un exemple de maîtrise de soi, comme tous les meilleurs espions. Mais peut-être que l'homme face à elle n'était justement plus seulement Sark, il était aussi Collin, un inconnu.
" Excusez-moi,
" se reprit-il en retrouvant son attitude froide et hautaine. " Je
ne voulais pas m'emporter. "
" Au moins, pour une fois vous étiez franche, " répliqua
Sydney avec venin.
Ce fut à son tour d'être surpris. C'était normalement lui qui la provoquait, et non l'inverse.
" Parce que
vous, il vous arrive de l'être peut-être ? " Renchérit-il
avec verve.
" Sûrement plus que vous ! Au moins, j'ai des amis auxquels je confie
mes craintes ! J'ai Weiss, mon père et même Dixon ! "
" Pourquoi me dîtes-vous cela ? Vous voudriez qu'on fasse ami ami
et que je vous confie mes petits malheurs ? " Demanda Sark avec sarcasme.
Sydney resta sans voix, elle n'avait pas eu conscience des sous-entendus de sa phrase, elle avait parlé trop vite.
" Non, je
sais que nous ne pouvons pas être amis, même si nous le souhaitions,
" admit-elle les sourcils froncés.
" Enfin une remarque éclairée de votre part, " ajouta-t-il
pour l'humilier.
" Désolé, ces temps-ci je manque de sommeil et mes propos
peuvent paraître confus. Il faut dire que si vous arrêtiez de crier
durant vos cauchemars, je vous en serais reconnaissante. "
Le visage de Sark devint livide. Elle devina qu'il ignorait qu'il criait durant son sommeil. Il était en train de scruter chaque trait de son visage pour voir si elle bluffait ou pas. Finalement, il jeta sa serviette sur la table et quitta le salon, vaincu.
*
Sydney avait l'avantage. Elle l'avait défait, elle avait gagné une manche à la joute oratoire qui les opposait. Mais elle savait que Sark pouvait renverser la situation en un claquement de doigts si elle baissait sa garde. A présent, elle savait que le MI6 et la CIA étaient les commanditaires du projet Neo. Ce qu'elle ignorait, c'était ce que Sark et Stella avaient l'intention de faire. Elle n'avait plus que ce soir pour tenter de tirer quelque chose de Sark.
Aussi, Sydney avait mis tous les atouts de son côté. Son apparence devait refléter son assurance. Elle trouva une petite robe crème tout à fait à son goût et en parfait accord avec le teint hâlé de sa peau. Elle se maquilla légèrement, pas besoin de se cacher derrière des cils alourdis de noir, et releva ses cheveux en chignon négligé pour dévoiler sa nuque.
L'heure du dîner venue, elle entra au salon, sûre d'elle. Sark la rejoignit quelques instants plus tard. Passe Partout vint déposer leurs plats puis s'évanouit dans un recoin de la maison. Un petit sourire arrogant et froid se glissa sur les lèvres de Sydney, sourire habituellement attribué à Sark. Il fit mine de ne pas l'avoir remarqué.
" Pensez-vous que vous pourrez dormir sans me réveiller cette nuit ? " Attaqua-t-elle aussitôt.
Il semblait que seule la provocation faisait réagir Sark. Mais cette fois-ci, il avait compris son manège et ne réagissait pas. Son attitude désarçonna quelque peu Sydney qui n'en laissait rien paraître.
" Parce que sinon, si vous aviez des boules quiès, ça m'arrangerait, " renchérit-elle cynique.
Toujours aucune réaction. Il n'avait pas encore touché à son assiette et des marques sur sa joue indiquaient qu'il s'était assoupi il y a peu. Ses vêtements étaient un peu défaits.
Sydney comprit que son stratagème n'allait nul part. Elle se leva et se posta juste à côté de lui. Il ne bougeait toujours pas, respirant à peine, son regard perdu dans le vague. Elle se pencha vers lui jusqu'à que ses lèvres soient près du lobe de son oreille gauche :
" Et votre mère, vous vous rappelez enfin à quoi elle ressemble ? "
En un instant, Sydney se retrouva jetée avec force contre la table. Elle sentit l'assiette et les couverts dans son dos tandis que Sark était agrippé à sa gorge. Son regard était à la fois chargé de haine et de désespoir. Elle remarqua qu'une fine pellicule brillante recouvrait ses pupilles.
" Je m'en rappelles, " gronda-t-il sur un ton à peine audible. " Je me rappelle de son visage et Et de comment je l'ai tué "
Il la lâcha subitement et Sydney put se relever sans le quitter des yeux. Une larme traça finement son chemin sur la joue du jeune tueur. Cette vision la cloua sur place et il lui sembla qu'on venait de la précipiter dans un gouffre sans fin. Elle fit instinctivement un pas vers lui. Sydney hésita un instant avant d'inviter Sark à venir contre elle.
Il se serra contre elle et un sentiment de gêne s'empara de la jeune femme. Sydney tenait entre ses bras son pire ennemi, cet opposé qui lui ressemblait tant. Les épaules de Sark se mirent à tressaillir à cause de sanglots. Il ne parlait pas et elle ne voulait pas le forcer à se confier, la situation était déjà assez déstabilisante comme ça.
Au bout de quelques instants, il se recula d'un pas et ils cessèrent leur étreinte. Malgré tout, les mains de Sydney restaient agrippées sur les bras ballants de Sark, comme si elle avait peur qu'en le lâchant il ne fasse une bêtise. Elle décela un nouvel éclat dans le regard de l'homme, une lueur bien plus familière. Elle savait que si elle n'ôtait pas ses bras, il prendrait cela comme une invitation.
Malgré toute sa raison qui lui ordonnait de fuir et les souvenirs de Will et Fran qui surgissaient à l'assaut de son esprit, elle n'ôta pas ses bras et Sark se rapprocha de nouveau d'elle, le regard encore bercé de larmes. Leurs lèvres s'effleurèrent timidement avant qu'il ne s'enhardisse. Ils se goûtèrent pour la première fois, tous deux traversés par des émotions contraires : l'envie de l'autre et le rejet car c'était l'ennemi.
Sydney sentit les mains de Sark venir chastement se nicher dans le creux de son dos. La droite remonta pour caresser ses omoplates puis sa nuque, elle passa ses bras autour de son cou, l'incitant à approfondir son baiser. Il ne se fit pas prier mais s'écarta peu après.
Il la prit par la main et l'invita à le suivre. Sydney sentit ses jambes lui obéirent aussitôt alors que sa raison la suppliait de ne rien faire. Sark la guida jusqu'à sa chambre et ferma la porte une fois qu'ils furent à l'intérieur. Il la plaqua contre le mur et ses mains partirent à la recherche des fines attaches qui maintenaient sa robe. Ils interrompirent un second baiser tout aussi langoureux que le premier, le temps que Sydney aide Sark à retirer sa veste et sa chemise.
Elle posa pour la première fois ses mains sur ce torse aux muscles ronds et à la peau si douce. Si différent de Vaughn. Elle chassa rapidement cette pensée. Sa robe venait de tomber au sol. Les lèvres de l'homme quittèrent les siennes pour parcourir son cou, sa gorge si vulnérable. Il embrassa ses seins et elle laissa échapper de petits gémissements qui l'encouragèrent. Il se perdit dans son nombril pour ensuite remonter vers ses lèvres avides. Une main se glissa dans son entrejambe, entre sa peau échauffée et sa culotte. Elle fit un bond quand il l'effleura.
Sydney le repoussa légèrement pour l'aider à retirer son pantalon. Ils furent nus tous les deux et il l'allongea sur le lit. Il apporta de nouveau son attention à son entrejambe, la faisant lentement dériver vers l'extase par des baisers et caresses savamment prodigués. Sydney sentit avec bonheur son corps se tendre sous l'effet d'une vague de plaisir d'une rare intensité.
Elle était encore haletante quand ses lèvres retrouvèrent les siennes, portant encore le goût de son intimité. Elle avait depuis longtemps dépassé le point de non-retour. Sa raison avait été refoulée dans un coin obscur de son crâne et elle ne pouvait plus que penser à ses lèvres, ses mains, à ce corps qui s'accordait si bien au sien.
Il entra en elle et Sydney s'arqua pour l'accueillir au plus profond d'elle-même. Sark se mit à aller et venir entre ses reins, dérivant à son tour vers la jouissance. Son souffle chaud caressait le cou de la jeune femme. Elle ne tarda pas à sentir l'extase la frapper :
" Collin ! " S'exclama-t-elle sans en avoir conscience.
Il vint juste derrière elle avant de s'effondrer sur son corps, essoufflé. Puis sa respiration se calma et il roula sur le côté. Elle se lova instinctivement contre lui, trouvant sa chaleur sécurisante. Il enroula ses bras autour d'elle et appuya sa joue contre son front.
" Tu m'as appelé Collin, " lui murmura-t-il.
Sydney se redressa légèrement et croisa son regard, elle y vit l'appréhension, la peur, des sentiments, chose que l'on ne trouvait habituellement dans ce bleu si glacé. Elle ne répondit pas et l'embrassa de nouveau. Elle le sentit céder au désir qui grondait encore en eux. Ses mains se mirent de nouveau à parcourir son corps.
Elle allait encore passer une nuit blanche.
*
A suivre
