Réminiscence

Note de l'auteur : Ce chapitre rejoint le prologue et on n'approche de la fin ! C'est l'avant-dernier normalement. Il est essentiellement concentré sur Sydney et Collin, dont il ne faut pas oublier qu'il est toujours Sark. Les intrigues continuent et sachez simplement qu'un indice vous est donné sur un gros coup qui se prépare depuis le chapitre " Vendetta " ;)

*

Cela faisait déjà un mois depuis la fusillade du parking. Alors que tout effort fut vain pour Yuki, Sark avait survécu malgré une importante perte de sang. Sydney en était soulagée mais elle devait le cacher, chose plus facile à dire qu'à faire surtout que Vaughn était particulièrement méfiant, à l'affût de chaque détail.

Assise à son bureau, la jeune femme relisait un compte-rendu. Stella et la bande du manoir avaient encore frappé. Les victimes se succédaient à la morgue tandis qu'ils n'avaient toujours aucune nouvelle de Ming. Elle était lasse, luttant contre l'envie de descendre au quartier de haute sécurité pour y voir Collin.

Son père l'interrompit dans ses songes. Il posa un stylo brouilleur sur la table, ils avaient trente secondes.

" Je viens d'intercepter un mail de Dixon via intranet, Sark va être exécuté. Les interrogatoires ne mènent à rien et il s'est déjà échappé une fois. Irina va s'occuper de son évasion. Si tu marches, va la voir tout de suite à l'angle de South Place. Nous n'avons que neuf heures. "

Il reprit son stylo et repartit, laissant Sydney assimiler tout ce qu'il venait de lui dire. Sark allait être mis à mort Elle se leva comme un automate de son bureau, et alla frapper à l'office de Dixon. Ce dernier lui ordonna d'entrer :

" Sydney ? Que puis-je faire pour toi ? " Demanda-t-il avant de remarquer son teint livide. " Tu vas bien ? "
" Je ne me sens pas dans mon assiette. Je crois que je suis un peu surmenée, j'aimerais avoir l'autorisation de rentrer, " demanda-t-elle réellement remuée.
" Bien sûr, ton travail n'est pas indispensable aujourd'hui, tu rattraperas tes heures plus tard, " acquiesça-t-il. " Tu devrais passer au cinquième dans l'office du médecin avant. "
" Non, je veux juste me reposer, " affirma-t-elle avant de faire demi-tour. " A demain. "
" A demain. "

Une fois au parking, Sydney retrouva ses moyens et grimpa dans son énorme voiture. Elle écrasa la pédale d'accélérateur et sortit dans la rue en prenant bien garde de ne pas être suivie. Elle arriva rapidement à South Place, et se gara près d'un supermarché.

Elle repéra rapidement la silhouette de sa mère assise dans un bar. Elle l'attendait.

*

Sydney s'approcha de la cage de verre. Elle remarqua aussitôt son ombre, accroupie au sol, les genoux ramenés contre son torse. Il avait posé son front sur ses rotules. Elle savait qu'il l'avait entendu venir. Quelques boucles blondes recommençaient à germer sur son crâne rasé. Il ne bougeait pas.

Il lui était impossible de voir son regard bleu, l'homme le cachait contre ses genoux. Elle savait malgré tout sans les voir, que ses pupilles avaient perdu de leur éclat vif et froid, pour laisser place à une immense peur et à un profond désarroi, à un regard terriblement humain. Il avait tant changé en si peu de temps qu'elle se sentait troublée.

Mais les révélations successives avaient surtout été fatales pour lui. Sark était mort. A présent, il ne restait plus que Collin, un enfant apeuré qui n'avait pas réussi à tuer son père, recroquevillé dans une cage de verre dans les sous-sols de Langley. Il était impossible de le toucher, voir même de l'approcher. Les rares interrogatoires qui avaient été menés n'avaient fait que le traumatiser encore plus.

Sydney s'approcha le plus possible de la vitre. Elle mit sa main sur la vitre. Comme s'il avait entendu le contact de la chair chargée de chaleur contre le verre froid et dur, il releva la tête. Elle frémit en croisant le regard d'un étranger. Lentement, il déplia son corps et se leva. Toute félinité dans sa démarche avait disparu. Il marchait comme une proie, comme si un précipice pouvait à tout instant s'ouvrir sous ses pieds.

Il se colla contre la vitre, le choc de son corps maladroit contre la vitre provoqua un bruit sourd. Tremblante, sa main vint se poser contre celle de Sydney. Il croisa brièvement son regard pour le détourner aussitôt.

" Courage, " murmura-t-elle à voix basse.

Il émit un bref soupir. Plus rien ne semblait compter pour lui, y compris sa vie. Dans une moindre mesure, elle savait ce qu'il ressentait, elle savait ce que c'était que de se réveiller un jour, et de ne plus rien se rappeler. Deux ans avaient ainsi disparu de sa mémoire.

" N'oublie pas que ta bonne fée ne t'a jamais abandonné, " ajouta-t-elle presque inaudible.

Il releva le regard brusquement, et ne se détourna pas du sien cette fois. Il l'interrogeait silencieusement. Elle lui offrit un timide sourire en guise de réponse. Elle retira sa main de la vitre et tourna les talons. Il resta appuyé le long de la paroi de sa cellule, vaguement songeur.

Une vague lueur s'était rallumée dans son regard. Il ne fallait jamais se fier aux apparences. Sark était toujours une partie bien vivante de Collin

*

Le trajet jusqu'au centre d'exécution serait bien trop surveillé. L'évasion aurait lieu avant, à un moment où les gardes de la sécurité se sentiraient le moins menacés, l'endroit le plus improbable : un couloir au beau milieu du bâtiment de la CIA.

Sark fut extrait de sa cellule à six heures. Il obéit sans rien dire aux ordres des huit hommes qui étaient chargés de son transfert. Sous son apparence amorphe, il était sensible à chaque détail, il savait que de son attention dépendrait le succès de son évasion. Sydney avait prononcé la phrase magique : Irina venait le chercher.

On le posta devant l'ascenseur. Bien entouré, personne ne pouvait l'approcher. Les portes s'ouvrirent et il ne fut nullement surpris de voir Sydney à l'intérieur. Elle mima faussement la surprise et battit rapidement des cils selon un rythme bien précis : pied.

Pied ? Quel plan tordu Irina avait-elle encore concocté ? Sark savait qu'il devait s'attendre au plus inattendu. Un gardien ordonna à Sydney de laisser l'ascenseur libre et elle obéit aussitôt. Sark fixa ses pieds et remarqua une pastille collée au sol à l'endroit où était précédemment posé son pied droit, au centre de l'ascenseur.

Ils ne croisèrent pas leurs regards et Sark et ses nounous montèrent. Il fut placé au milieu et il plaça son pied droit sur la pastille dont il connaissait la fonction. Il l'avait déjà utilisé et Irina le savait. C'est pourquoi son pied était délicatement posé dessus, juste assez pour qu'elle adhère à sa semelle sans être écrasée.

Les portes s'ouvrirent à nouveau. Sur un couloir. Les hommes devaient le conduire à un second à l'autre bout du couloir car tous les appareils ne descendaient pas jusqu'aux sous-sols. A côté de cet autre ascenseur se trouvait une fenêtre. Etant donné qu'ils étaient au septième étage, le vitrage n'était pas incassable.

Un bruit de rotors. Sark perçut clairement le grondement sourd d'un hélicoptère, il aperçut brièvement les palmes à la fenêtre. Les hommes autour de lui devinrent nerveux. Que faisait un appareil de ce genre si près d'un bâtiment officiel ? C'était le moment. Il retint sa respiration.

En marchant vers l'ascenseur du bout du couloir, Sark appuya soudainement beaucoup plus sur son pied droit. Il sentit la pastille céder contre le sol. Aussitôt un gaz puissant s'échappa et les gardiens furent presque instantanément paralysés. Sark n'hésita pas une seconde.

Malgré ses pieds menottés, il se rua vers la fenêtre et la brisa d'un coup de coude. A quelques mètres se trouvait à un hélicoptère, et à côté du pilote ni plus ni moins qu'Irina Derevko en personne. Sark se plaça sur le rebord de la fenêtre et ignorant son vertige, il se lança dans le vide pour s'accrocher aux barres de stabilisation situées sous l'appareil. Irina quitta son poste et vint à l'arrière pour l'aider.

Elle lui tendit la main et il parvint à l'attraper au bout de quelques tentatives. Sa convalescence l'avait affaibli. Elle le tira à l'intérieur et l'enserra aussitôt entre ses bras, soulagée de le retrouver en un seul morceau. Il lui rendit son étreinte. L'évasion avait duré moins de sept minutes.

*

Dakar.

Sydney retira sa perruque blonde et ses lentilles bleues. Elle se débarrassa du lourd maquillage qui faisait ressembler son visage à celui d'une poupée Barbie, puis sortit des toilettes des femmes après avoir enfilé une veste sobre par-dessus son plongeant décolleté. Elle n'avait plus rien à voir avec la pin-up qui était rentrée dans les toilettes un peu plus tôt, à présent elle ressemblait à une femme d'affaires sérieuse, voir même assez coincée.

Elle n'était pas loin de l'aéroport et Irina lui avait dit qu'une voiture l'attendrait dans les environs. Elle lui avait dit qu'elle la trouverait sans problème même si sa mère ne lui avait donné aucun détail.

Parmi les tissus bariolées des femmes africaines et les charrettes tirées par des ânes amorphes, Sydney reconnut Passe Partout qui était faussement captivé par quelques gamins qui avaient entamé une partie de foot dans la rue. Il croisa son regard et s'éloigna. Elle le suivit.

Quelques instants plus tard, elle se trouvait dans une somptueuse limousine aux vitres teintées, dont le chauffeur n'était personne d'autre que Passe Partout toujours aussi silencieux.

Alors qu'elle se laissait doucement bercer par la voiture, Sydney se rémora les derniers évènements. Les Sans Passés continuaient leur macabre danse, Andrew Hogan devait être l'un des derniers responsables encore en vie. Fatma était tombée sous les balles, les enfants du manoir n'étaient plus que deux mais ils restaient redoutables. Cela faisait à présent deux mois, presque trois que Ming avait été enlevé. Le MI6 commençait à réfléchir à la possibilité de la déclarer décédée. Sark s'était enfui avec la complicité d'Irina, heureusement l'implication de Sydney n'avait pas été relevée. Par contre, la jeune femme se demandait quel intérêt son père avait eu à participer en la prévenant du rendez-vous avec sa mère. Peut-être parce qu'il savait qu'elle n'aurait pas supporté d'enterrer un autre homme ?

La limousine s'arrêta dans la campagne, et Passe Partout baissa la vitre entre l'avant et l'arrière de la voiture. Il pointait une arme vers elle. Sydney retint son souffle, surprise.

" Juste une précaution de sécurité, " dit-il avant de tirer.

*

Collin, vêtu de l'impeccable costume monochrome de monsieur Sark, entra dans le salon où Sydney était encore endormie, allongée sur un canapé. Passe Partout l'avait déposé là. Irina avait préféré les laisser en tête-à-tête, à l'heure qu'il était, elle se trouvait sûrement à l'autre bout du monde oeuvrant à de mystérieux complots.

Les cils de Sydney papillonnèrent plusieurs fois avant qu'elle n'arrive à garder les yeux ouverts. Collin vint s'asseoir à côté d'elle et l'aida à se redresser. Elle retrouva rapidement ses repères et un sourire illumina son visage en le voyant sain et sauf. Elle l'encercla de ses bras.

" Merci, " murmura Collin.

Elle ne répondit pas, simplement heureuse qu'il soit là.

" Ta jambe va bien ? " Demanda-t-elle soucieuse, faisant référence à la balle de Hogan qui avait touché l'artère fémorale.
" Elle va bien, " répondit-il. " La CIA soigne bien ses détenus, et j'ai pu terminé ma convalescence ici, chez Irina. A présent, je suis comme neuf ! "

Ils se sourirent. Une question assombrissait le regard de Sydney, il attendait qu'elle la pose depuis le début de leurs retrouvailles.

" Et qu'est-ce que tu vas faire maintenant ? "

On y venait Collin hésita avant de répondre, sachant que sa réponse n'allait pas plaire comme elle n'avait pas plu à Irina quand elle l'avait su.

" Je dois retrouver Janis et Stefan. J'ai quelque chose à terminer. "

Sydney se sentit trahie. Elle avait aidé à son évasion, pensant qu'après ça il se rangerait. Mais elle savait bien que ce monde était la vie de Collin, même s'il le voulait il lui faudrait un effort incroyable pour se ranger. Il ne connaissait rien d'autre.

Le portable de Collin se mit à sonner. Sans quitter Sydney du regard, il répondit :

" Allô Oui Oui j'ai les charges de C4 A bientôt. "

Il raccrocha et les yeux de Sydney étaient noirs de colère.

" Du C4 ? " Demanda-t-elle hors d'elle. " Tu as déjà recommencé n'est-ce pas ? Tu es déjà retourné avec ceux du manoir ? A moins que tu ne les ais jamais quitté ! "
" Ils sont ma fratrie, " déclara Collin avec calme. " Je ne peux pas les laisser tomber comme tu ne pourras jamais abandonner ton père ou ta mère. Ils sont ma famille, tu comprends ? "
" Une bande de tueurs assoiffés de vengeance, c'est une famille pour toi ? " Rétorqua Sydney acerbe.
" Dans ce cas-là, une mère tueuse d'agents de la CIA ancienne espionne du KD et un père aux méthodes parfois plus que douteuses, ce n'est pas non plus une famille ! " S'énerva Collin rouge de colère. " On ne choisit pas ! "
" Et dire que j'ai risqué tout ce que j'avais pour ton évasion ! Et c'est en retournant massacrer des gens que tu me remercies ? "
" Tu n'avais pas qu'à me sauver ! " Coupa-t-il. " Tu sais qui je suis ! Et même si maintenant je connais mon passé, mon nom, je reste malgré tout ce que j'étais avant ! Je suis encore Sark et je le serais jusqu'à ma mort ! "
" Si tu continue à ce rythme, tu ne resteras pas Sark très longtemps ! "
" Serait-ce une menace ? "

Elle se garda bien de répondre. Elle savait que si elle ouvrait la bouche, ce serait pour dire des choses qu'elle risquerait de regretter plus tard. Il parut lui aussi brusquement fatigué. Collin caressa distraitement la joue droite de Sydney, et se trouva soulagé qu'elle ne le repousse pas.

" Après ça, je me rangerais, " admit-il. " Mais je ne peux pas ne pas accomplir une dernière mission, et tu sais laquelle. Cela m'empêcherait de vivre. "

Elle acquiesça, refoulant difficilement ses larmes. Elle ne le comprenait pas même si quelque part, elle avait une vague idée de ce qu'il ressentait. Tant de mensonges et de trahisons, la mort de Hogan serait la seule façon d'apaiser les démons de Sark.

" Quand ce sera la fin, tu me rejoindras là où tout a commencé, " dit-il avec lenteur.

Sydney sut aussitôt que c'était une énigme. Elle fronça les sourcils. Collin sourit faiblement et se pencha vers elle pour l'embrasser. Ses lèvres vinrent se joindre aux siennes et elle reconnut le goût du vin. Ainsi qu'un second goût familier mais qu'elle ne parvenait pas à reconnaître.

Elle se sentit brusquement fatiguée, et devina alors que ce second goût inconnu était quelque chose que Collin avait mis sur ses lèvres. Elle le repoussa, trahie, mais devenait trop faible pour se dégager de son étreinte. Elle s'endormit contre lui, son regard bleu glacial veillant sur elle.

" Pardonne-moi, " murmura-t-il.

*

A suivre