Hey !
Est-ce que c'est une nouvelle histoire ? Un peu. Disons que c'est un genre de fanfic qui n'aura peut-être jamais de fin, que j'avancerai pendant les nuits du FoF. J'adore lancer des fanfics que j'écris uniquement pendant les nuits du FoF. C'est mon passe-temps favori.
(Et en plus cette fois, c'est sur un ship que je n'ai pas encore exploité.)
(Et du coup, cet OS a été écrit pendant la nuit du Fof sur le thème Pression)
Merci à Ya pour la relecture, et bonne lecture à vous !
Retour au pays
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La dernière fois qu'il est venu ici, le comptoir était neuf, fraîchement verni. Les murs sentaient encore la peinture, et les gens se précipitaient le soir après le travail, la main dans leur poche pour en tirer les quelques pièces qu'il leur restait. Les élèves aussi. Sortis du lycée du coin, ils venaient commander une boisson, une bière pour les quelques majeurs qui payaient les coups à leurs potes.
Asra n'était pas de ceux-là. L'alcool ne lui a jamais fait beaucoup d'effet.
— Un demi, il commande au barman.
Du coin de l'œil, il observe le type s'approcher de la tireuse. Il porte un col remonté, ouvert, qui découvre le haut de son torse. Une masse de poils sombre passe au-dessus du vêtement. Asra plisse les yeux. Mais non. Il connaît cette odeur par cœur, et le type ne la porte pas.
— Voilà.
— Merci.
Le liquide est frais dans sa main. A travers le verre. Il laisse tomber juste ce qu'il faut de pièces sur le comptoir, et il se lève pour trouver une chaise au fond de la pièce. Une table inoccupée, loin du jukebox. La place parfaite pour attendre.
L'amertume du liquide lui tire une grimace.
— Tiens, tu t'es mis à boire ? Qui l'eut cru.
Au moins, c'est allé vite.
— Bonsoir, Montag.
— Arrête, pas de ça entre nous. Tu sais que je déteste ce prénom.
— Dommage.
Il a toujours ce sourire goguenard. Celui qui donne envie de lui arracher les dents.
— Appelle-moi Lucio. On fait pas de manières avec un vieil ami, hein ?
— Oh, un vieil ami ? Où ça ? Asra rétorque.
— Oh pardon. Avec un ex, c'est mieux ?
Lucio pose son cul sur la banquette sans délicatesse. Il étale ses bras sur le dos du siège, croise des jambes toujours plus musclées sous la table. Son genoux tape contre le bois. Il a grandi, Asra note. Pas tant que ça. Juste ce qu'il faut pour le dépasser.
— Tu as fait vite, il reprend, son verre en main.
— Tu pues le cadavre à des kilomètres, difficile de te rater.
Il peut bien parler, Lucio empeste le chien mouillé. Même si sa tignasse blonde est sèche, impeccablement taillée. Sans doute pleine de gel. Il est plus distingué qu'aux temps du lycée. Mais il a toujours l'air aussi con.
— Alors, qu'est-ce qu'y t'amène ici ? J'croyais que les Alnazars revenaient jamais deux fois au même endroit. Les gens vont se poser des questions, s'ils te reconnaissent.
— J'ai pris mes précautions.
— Encore un de tes tours de magie ? Tu sais te rendre invisible.
Pas besoin. Il a simplement effacé sa présence aux yeux des passants, qui l'oublient aussitôt qu'ils l'ont vu. Les gens qu'il a connus il y a vingt ans ne retrouveront pas le souvenir du jeune lycéen disparu du jour au lendemain. Il a juste à détacher les maillons de mémoire qui le gênent, et le tour et joué.
Mais le tour, justement, commence à l'épuiser. Il aura besoin d'un bon repas pour compenser l'exercice.
— Pas besoin.
Il l'observe plus en détail. Lucio non plus n'a pas beaucoup vieilli. Son visage s'est durci, mais il est loin des quarante ans qu'il devrait approcher.
— S'il y en a un qui devrait s'inquiéter du regard des gens ici, c'est toi, il fait remarquer.
— T'inquiètes pas pour ça. Les gens me trouvent juste bien conservé. Puis ils sont habitués aux trucs bizarres, tu sais ? Ils se posent plus de questions.
Son regard s'affine alors qu'il se penche vers lui pour lui souffler son haleine de chewing-gum à la menthe au visage.
— Les humains sont doués pour ignorer ce qui les dérange. Quand ils veulent pas savoir, ils ferment les yeux et voilà.
Ça, Asra le confirme. Mais le problème, ce ne sont pas les humains dociles qui s'adaptent en silence. C'est le petit curieux qui poussera trop loin ses recherches. Il y en a toujours un pour creuser là où on préfèrerait que personne n'aille jamais. Lucio n'a pas de sort pour se protéger.
— Mais on est pas là pour parler de moi, hein ? Non, tu te bouges pas le cul pour les autres, le blond déclare. Alors, qu'est-ce qui t'amène ?
— Une enquête.
Encore une fois, Lucio est mal placé pour se plaindre. En terme d'égocentrisme, il n'a pas vu mieux en vingt ans que cette petite teigne. Il se souvient encore de ses caprices de l'époque. Et il parierait son Livre qu'il n'a pas changé. Il suffit de voir l'espace qu'il arrive à prendre dans la pièce. Son regard torché à l'assurance crasse.
— Quel genre d'enquête ?
— A ton avis ?
Lucio fait la moue. Il a compris.
— Je t'ai déjà dit que j'étais désolé.
Un serveur s'approche pour déposer une pinte brune devant lui. Il l'attrape sans prendre la peine de le remercier.
Ça ne change rien, il voudrait lui dire.
— Je ne suis pas là pour toi, il répond.
Avant de s'enfiler une autre gorgée. Tout en songeant qu'il faudra qu'il évacue tout ça plus tard, et que ce sera particulièrement disgracieux.
— Alors quoi ? Tu sais déjà ce qui s'est passé, y a rien de plus à trouver.
— Détrompes-toi.
Il le regarde boire et, pour une fois, Lucio ne le regarde pas. Ses yeux passent sur le reste de la salle. Est-ce qu'il connaît ces gens ? Sans doute. La ville n'est pas bien grande, et tout le monde sait qui est le fils de l'ancien chef de police. Même s'il est un parfait petit con. L'exact opposé de sa mère.
— J'ai merdé, maman a calmé le truc, point.
— Je doute que merdé soit le mot pour ce genre d'erreur.
— Tu vas vraiment pinailler là-dessus ? Putain, t'es toujours aussi chiant.
— Va dire ça à ceux à qui tes conneries ont coûté la vie.
Son ton tranche aussi efficacement que la pointe de ses dents. Asra la sent, cette vieille colère qui monte. Ce feu qui ne s'est jamais éteint. Il darde l'autre du regard comme on pointe le canon d'une arme.
— Ok. J'aurais jamais dû faire ça.
Il grogne comme un chien pris en faute. Ça lui ferait presque pitié, s'il n'avait pas envie de lui scalper la tête, là. Ça ne servirait sans doute à rien. Asra est plus rapide, il a toujours eu les meilleurs réflexes, mais sa force ne vaut pas celle de Lucio.
— Mais ça remonte. C'est fini. Si t'es venu causer de ça, tu peux te barrer maintenant. Maman veille au grain et si elle trouve un macchabée sur son territoire elle va t'expulser en enfer d'un grand coup de pieu. Elle déconne pas avec ces trucs.
— Je sais me défendre.
La pointe de sa canine ripe contre le verre.
— La sous-estime pas.
— Il y a plus inquiétant qu'elle, pour l'heure.
La louve est redoutable, mais Asra a vu pire au cours de son long voyage. S'il ne peut pas l'affronter au corps à corps, il a l'avantage sur le terrain de la magie. Peu de loups savent défaire les sorts des siens.
— Et donc ? Qu'est-ce qu'y t'a fait sortir de ton cercueil ?
— Les vampires ne dorment pas dans…
Il soupire. C'est Lucio. Inutile de lui expliquer, il s'en fout.
— Le démon que tu as invoqué. Je l'ai retrouvé.
— Le démon ? l'autre ricane. Le rituel a foiré. Me dis pas que t'as déjà oublié ? T'es pas le couteau le plus aiguisé du tiroir, Asra, mais si en plus tu perds la mémoire.
— C'est ce que je pensais aussi. Mais on s'est plantés.
Il le voit qui serre les lèvres. La nouvelle ne lui plait pas. Mais il n'est pas là pour faire plaisir. Et s'il avait pu, il aurait préféré ne jamais remettre les pieds sur cette terre.
— Accouche. J'ai pas toute la soirée, Dracula.
Son regard pétille comme un feu de cheminée. Asra serre son poing autour de son verre. Lucio a toujours eu un don pour le faire sortir de ses gonds. Il réveille les colères qu'il a ravalées.
— Alors change tes plans. Je vais avoir besoin de plus d'une soirée.
— Quoi, mes plans ? C'est ton problème. J'ai des trucs à faire moi, j'te signale que j'me suis pas tourné les pouces ces vingts-
— Tu as lancé le rituel, il gronde. C'est aussi ton problème.
Il croit quoi, que ça lui plaît de courir après ses conneries ? Oh, Lucio était doué pour ça, foutre la merde et laisser les autres nettoyer pour lui. Sauf que ce soir, ils n'ont pas le luxe d'attendre que quelqu'un viennent ramasser les miettes de leurs bêtises adolescentes.
Quand enfin l'autre se tait - et dieu sait que ça ne lui arrive pas souvent - il reprend.
— Le rituel a partiellement réussi.
— Et ça veut dire ?
— Que le démon que tu voulais invoquer s'est enfui.
Lucio siffle.
— Tu déconnes ?
— J'aimerais.
Ça pour l'emmerder, la nouvelle lui pourrit la nuit. La vie. Asra l'imagine bien, en train de jouer les caïds dans la rue. Il passait sans doute une excellente journée avant de repérer son odeur.
Et maintenant, il est dans la merde jusqu'au cou.
— Putain.
Il peut le dire.
— Ok, et ? Pourquoi t'en rentré ? Ce truc est encore dans le coin ?
— Je n'en suis pas sûr.
Il termine sa bière. Les effets tardent à apparaître.
— Mais je dois retourner sur le lieu de l'invocation. Qu'on sache qui est sorti de cette fenêtre. A partir de là, je pourrais suivre la piste qu'il a laissée.
— Ça fait une plombe. Il a eu le temps de gambader.
— Les démons ne se déplacent pas comme nous.
Le dos de Lucio tape contre le dossier de la banquette. Asra voit d'ici les cercles de sueurs qui se sont formés sous ses aisselles. Il n'est pas à l'aise, et ce problème là, il ne pourra pas l'éviter longtemps.
Il est coincé.
— On a rien senti, Maman et moi.
— Ils n'ont pas d'odeur.
— Alors comment tu sais qu'il est passé dans notre monde ?
— Je le sais, c'est tout.
— Et je dois te croire sur parole ?
— Non.
Il caresse le rebord abîmé de la table bancale. Cet endroit n'a plus rien à voir avec le repère de lycéens qu'il observait de loin sans oser s'approcher.
— Mais si c'est bien lui, il viendra réclamer son dû.
Lucio cache bien son jeu. Mais il blanchit, et Asra sent l'odeur de sa peur qui imprègne l'air. Il flippe.
— Et donc, on fait quoi ?
On rattrape tes conneries. Il inspire.
— Retrouve-moi demain dans le sous-sol de l'église. A midi.
— Maman l'a fait condamner.
— Je m'en occupe.
Il se lève. Lucio ne viendra, ne serait-ce que par peur. Pas besoin de lui tirer des promesses. Et s'il ose s'enfuir ce soir, s'il a la crédulité de penser qu'il peut échapper à la chose qu'il a fait venir, alors autant le laisser mourir. Il ne le pleurera pas.
— Eh, Asra.
Le dénommé s'arrête, mais ne se retourne pas.
— Je suis désolé, ok ? C'est pas… Je voulais pas que ça se termine comme ça.
Ça ne change rien. Il serre les dents.
Il reprend sa route. Dans son sac, sa précieuse compagne s'agite. Il sent ses anneaux rouler sous le tissu.
C'est toi qui aurait dû y rester.
Asra inspire, les poings serrés. Dehors la nuit bat son plein. Les gens passent près de lui sans faire attention. Son ventre grogne. L'odeur des autres est partout. Il devine leurs veines gorgées de sang, et la peau fine de leur cou. Ces vies fragiles qu'un coup de croc emporte.
Il faut qu'il fasse le plein d'énergie, s'il veut pouvoir supporter le soleil demain.
Asra ferait un excellent vampire épisode 42. Ça lui va trop bien. Voilà. Et Lucio en loup-garou.
Il faut que j'étouffe tout ça, mais j'ai plein d'idées.
A la prochaine !
